Point d'information Palestine > N°113 du
10/11/2000
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Au
sommaire
Réseau Palestine
Le journal de Chantal Abu
Eisheh, citoyenne d'Hébron en
Palestine
Revue de presse
- Israël élimine un responsable du
Fatah en Cisjordanie par Alexandra Schwarztbrod in Libération du vendredi 10 novembre
2000
- Les juifs interdits de prière au
tombeau de Rachel par Alexandra Schwarztbrod in Libération du
vendredi 10 novembre 2000
- Yossi Beilin, ministre israélien
de la justice : "Il n'y a qu'Arafat qui puisse mettre un terme à la
violence" propos recueillis par Catherine Dupeyron et Georges
Marion in Le Monde du vendredi 10 novembre
2000
- Le paradoxe Barak par
Vincent Hugeux et Hesi Carmel in L'Express du jeudi 9 novembre
2000
- Beilin ne désespère toujours pas
par Baudoin Loos in Le Soir
(quotidien belge) du jeudi 9 novembre 2000
- Pourquoi la solidarité arabe est
si mesurée par Nahla Shahal in Al Hayat (quotidien arabe publié à
Londres) traduit par Courrier International du 9 au 27
novembre 2000
- Retenez-moi ou je proclame mon
Etat ! par Akiva Eldar in Ha'Aretz
(quotidien israélien) traduit par Courrier International du 9
au 27 novembre 2000
- Proche-Orient : attachés "par
leurs extrémités" par André Fontaine in Le Monde du jeudi 9 novembre
2000
- En 2020, les Palestiniens seront plus nombreux
que les juifs, selon des projections démographiques Dépêche de
l'agence Associated Press du jeudi 9 novembre 2000, 17h37
- Un Arafat combatif face à
Clinton par Pierre Prier in Le Figaro du jeudi 9 novembre 2000
- Pas d'optimisme excessif sur le
résultat des élections américaines in Al-Quds
(quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre 2000 [traduit de l'arabe Marcel Charbonnier]
- Aide d'urgence de l'Union
Européenne à l'Autorité palestinienne, d'un montant de 27 millions
d'Euros in Al-Ayyam (quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre
2000 [traduit de l'arabe Marcel
Charbonnier]
- Déclaration du Porte-parole du
Quai d'Orsay du mardi 7 novembre
2000
Réseau
Palestine
Le journal
de Chantal Abu Eisheh, citoyenne d'Hébron en Palestine
Reprise des précieux
témoignages de Chantal Abu Eisheh, après trois semaines de silence forcé, son
accès internet a été rétabli. Voici dons un nouvel état des lieux à Hébron,
couvrant la période du 17 octobre au 6 novembre 2000.
Quoi de
neuf depuis notre dernier message ? A Hébron, de nouveaux morts et de nouveaux
blessés, des maisons palestiniennes aux fenêtres brisées par des pierres lancées
par de jeunes colons, des façades trouées de balles de divers calibres tirées
par des soldats israéliens, des colons qui se promènent rue des Martyrs (fermée
pour raison de « sécurité » depuis le massacre de la Mosquée d'Abraham), plus
vide que jamais, sous la protection de l'armée, et certaines nuits des tirs très
nourris. Je reprends les événements depuis mon dernier mail.
Mardi 17
octobre : L'armée israélienne a fait une tranchée dans la route qui
relie Halhoul (village situé à la sortie d'Hébron en direction de Jérusalem) à
la route 60 Jérusalem-Beershaba, empêchant ainsi toute circulation au delà de
cette localité. Et comme l'accès à la route de contournement qui passe à
la sortie d'Hébron était bloquée par l'armée... nous étions encerclés. Depuis ce
jour impossibilité d'utiliser le courrier électronique puisque le câble du
serveur qui passait sous la route a été coupé... La compagnie de téléphone
israélienne Bezeq refuse de réparer, malgré l'existence d'un accord avec les
télécoms palestiniennes. Du même coup les liaisons avec certains portables
israéliens sont également impossibles.
Jeudi 19 octobre :
La circulation sur la route Bethléem-Hébron a été coupée par l'armée
israélienne à cause de jets de pierre. Une longue file de voiture a été bloquée
plusieurs heures. Dans cette file de voitures, Palestiniens et colons étaient
mélangés . Ces derniers ont commencé à descendre de leur voiture et à
agresser les Palestiniens.
Samedi 21 octobre : Un
chauffeur de taxi qui nettoyait sa voiture au carrefour du centre ville d'Hébron
(dans la zone autonome) a reçu en pleine tête une balle tirée par un soldat
israélien et à Tell Rumeida (colonie située sur une coline surplombant la rue
des Martyrs) les colons ont bouché au ciment un escalier qui menait aux maisons
palestiniennes voisines de leur « mobile-homes » (qui n'ont de mobile que le
nom...)
Dimanche 22 octobre : des hauts parleurs de
l'armée israélienne «préviennent » la population en ces termes : « habitants
d'Hébron, en cas d'agression à l'encontre d'Israéliens, la riposte sera ferme, y
compris par avion. Ceci est un communiqué du gouvernement militaire
».
Lundi 23 octobre : 26ème jour de violence. Anwar va à la
fac qui n'est pas officiellement fermée mais bien vide puisque seuls les profs
et élèves des proches environs peuvent s'y rendre.
Mardi 24 octobre :
Anwar n'est revenu que ce matin... Ayant entendu à la radio israélienne
qu'une patrouille militaire israélienne avait été attaquée part des Palestiniens
à Halhoul, il a renoncé à revenir à Hébron se disant qu'à coup sûr la route
serait fermée... Ce matin il a donc repris le chemin de la maison. En fait il
n'y a pas eu d'attaque hier mais un bête accident de la circulation... par
contre des blocs de béton avaient été placés à l'entrée de Halhoul. Pas de
soldats israéliens à ce barrage, les voitures qui précédaient Anwar ont déplacé
les blocs et sont passées, lui aussi à leur suite... Par contre j'ai entendu des
tirs très très proches de la maison entre 23h 30 et 1h du matin. Heureusement
les enfants n'ont pas été réveillés mais moi je me suis plaquée contre le mur de
la salle de bain, me disant que si une balle perdue entrait dans la maison, il
valait mieux se mettre à l'abri... J'apprendrai quelques heures plus tard que ce
sont les gardiens israéliens de la petite centrale électrique proche de chez
nous et qui alimente les colonies environantes, qui
tiraient...
Mercredi 25 octobre : Toujours sans accès au
serveur Hebronet, je vais me connecter au café internet qui fonctionne sur un
serveur de Ramallah. Il y a la queue... je me trouve devant un menu en arabe
avec clavier anglais, hébreu, arabe, cela pourrait aller mieux ! La télévision
palestinienne annonce que le tireur palestinien qui a visé Gilo est un
collaborateur... N'empêche que Beit Jala commence à écoper... Toujours pas de
Radio Palestine depuis que les rockets tombées sur Gaza ont détruit
l'installation. Mais par un mystère non élucidé des techniques modernes, les
images de la télévision palestinienne sont accompagnées des commentaires de la
radio... et ceux de la télévision perdus dans les airs !
Jeudi 26
octobre : Le blocus des villes est levé, cela veut dire que
théoriquement on peut se rendre d'une ville palestinienne autonome à l'autre
mais en pratique les choses sont bien différentes. Le moindre incident ou
barrage peut transformer un petit trajet en épopée dangereuse. Le bouclage, par
contre, est toujours en vigueur. Impossible donc de se rendre à Jérusalem ou
Gaza. Certaines denrées commencent à manquer, les commerçants palestiniens ne
pouvant s'approvisionner en Israël. Par contre les représentants de commerce
israéliens se font bien présents et viennent proposer aux supermarchés et
revendeurs des produits de «remplacement » ... Et depuis le début du mois le
couvre-feu est toujours imposé sur la zone H2 d'Hébron. Il est levé en moyenne 5
heures tous les trois jours pour permettre aux habitants de s'approvisionner.
Les écoles de cette zone sont donc toujours fermées, les enfants ne peuvent pas
non plus se rendre aux bibliothèques de la vieille ville et le local de notre
association reste également fermé, les cours de français sont donc suspendus,
les enterrements sont interdits au cimetière qui longe la rue des Martyrs. Ici,
enterrement d'un père de famille qui a reçu en pleine tête une balle tirée
par un soldat israélien alors qu'il était chez lui, dans la zone autonome H1.
Première sortie nocture chez des amis palestiniens . On a l'impression de
respirer un peu... Ca ne dure pas : 1. un petit attroupement sur la route du
retour. Un « moustaribin » (israélien déguisé en palestinien) aurait enlevé un
adolescent palestinien 2. de 2h à 3h 30 du matin, à nouveau des tirs de
mitraillettes et autres engins. Jamal se réveille et vient nous retrouver, tout
effrayé.
Vendredi 27 octobre :
30ème jour... Mes
belles-soeurs me demandent ce que j'ai stocké comme produits de consommation
courante en prévision de la suite des événements... Je réponds : « rien »
!
Samedi 28 octobre : Anwar se préparait à partir pour
Jérusalem à la fac (quelques étudiants et quelques profs s'y rendent mais
n'assurent toujours pas de cours étant donné le trop grand nombre d'absents qui
ne peuvent venir de Naplouse, Hébron etc... mais entend à la radio
israélienne que la route des tunnels (by-pass qui évite Bethléem) est fermée, et
Bethléem aussi...il reste donc à Hébron.
Dimanche 29 octobre :
Levée du couvre-feu dans la vieille ville, nous y allons donc faire un
tour et découvrons un gros bloc de béton à l'entrée du souk qui gêne
considérablement les carioles et petites charettes qui transportent quelques
marchandises (et
encore, le bloc a été un peu déplacé par les habitants
car rien ne pouvait passer) des sacs de sable sur un grand nombre de maisons
palestiniennes, protégeant les soldats et leurs engins de tir d'autres sacs
de sable bouchent quelques fenêtres des colonies, les containers d'ordures
débordent, des rats se régalent et surtout les visages fermés et tendus des
habitants ... Toutes les boutiques ne sont pas ouvertes, quelques familles se
sont temporairement installées chez des parents en zone autonome, le marché est
à moitié vide, les ruelles aussi. Il faut savoir que l'armée, si elle annonce la
levée de couvre-feu, n'annonce pas toujours l'heure à laquelle il sera re-imposé
et chacun sait qu'il ne fait pas bon se trouver dehors à ce moment-là. Nous
rencontrons Christian, un médecin de Médecins du Monde arrivé il y a une
semaine. Il nous raconte comment l'ambulance dans laquelle il se
trouvait
avec un malade envoyé par l'hôpital gouvernemental d'Hébron à celui de Ramallah
a essuyé des tirs dans les roues et a donc crevé. Le malade qui était attendu
dans un service de soins intensifs est décedé quelques minutes après son arrivée
à l'hôpital.
Lundi 30 octobre : Premier cours de français
depuis un mois.. à la maison ! L'un des deux profs habitant Jérusalem a
décidé de venir. A l'entrée d'Hébron il est assez longuement interrogé par la
securité palestinienne qui le laisse finalement passer. Par contre sur la route
du retour il est arrêté par ces fameux blocs de béton qui coupent la route à
Halhoul. Il revient à la maison où deux étudiants lui proposent de le mettre sur
le chemin qui contourne le barrage. Nous ne sommes pas chauds car nous nous
sentons
responsables de l'individu et finalement celui-ci décide de passer la
nuit chez nous. Le lendemain matin il repart avec Anwar sur Jérusalem... en
contournant le barrage.
Mardi 31 octobre : Levée du
couvre-feu dans H2. Il semble que cela soit pour de bon....dit-on... Hébron
semble plus calme que Ramallah et Naplouse et bien sûr Gaza. Beit Jala et Beit
Sahour continuent d'essuyer des tirs. Au café internet je rencontre le médecin
MdM. Il me raconte comment, parti à 12h d'Hébron en taxi collectif, il est
arrivé à 15h à Jérusalem. Au cours du trajet le prix demandé par le
chauffeur monte et les esprit s'échauffent... Pour rentrer, il prendra un taxi
qui sera arrêté à la sortie de Jérusalem , lequel le confiera à une voiture
particulière qui le remettra enfin à une voiture qui vient jusqu'à
Hébron...
Mercredi 1er novembre : Le couvre feu est toujours
levé mais j'apprends par quelqu'un qui travaille dans la vieille ville que des
blocs de béton ont été placé à tous les accès du souk empêchant la
circulation automobile aux alentours. Dans la soirée, la voisine descend me dire
qu'il y a des tirs en bas de la ville (même en zone 2) et que bien sûr le
couvre-feu est à nouveau imposé dans H2... En écrivant, j'entends en effet des
rafales assez loin...
Jeudi 2 novembre : Il me faut un café
très fort après une mauvaise nuit. En effet à partir de 0h 30 de nouveaux tirs,
nettement plus proches, se font entendre. Intermittents, ils laissent juste le
temps de se rendormir pour être de nouveau réveillé. Cela dure jusque vers 2h .
Départ pour Jérusalem afin de renouveller l'assurance et la carte grise de ma
voiture. Les chars postés près de Gilo ont disparu. Pas un barrage sur la route.
Même au check-point permanent, les soldats ne semblent pas intéressés par les
voitures qui passent. Ils leur tournent le dos... Poursuivons jusqu'à El Bireh.
Des pneus calcinés, des barils renversés mais rien de plus sur la route. Le
barrage d'A-Ram se passe bien aussi. La radio annonce alors un colis piégé à
l'entrée de Halhoul, donc près
d'Hébron : pourrons-nous rentrer ? Sur la
route du retour nous entendons à la radio qu'une voiture a explosé près du
Marché de M. Yehuda à Jérusalem-Ouest... Néanmoins nous repassons toujours sans
problème le check-point de Gilo (le permanent) mais découvrons de nombreuses
pierres sur la chaussée à quelques mètres. Des voitures de l'armée sont là, les
lanceurs de pierre sont apparemment déjà partis... Et pour finir nous rentrons à
la maison... sans barrage à Halhoul. Par contre le couvre-feu est réimposé sur
H2, pour quelques heures... On se dit que vraiment il est difficile de savoir où
on en est et que de se fier aux nouvelles des radios n'est pas non plus
forcément la solution. La lumière d'automne rendait bien belle ce matin la
campagne palestinienne qui semblait si calme... Qui pouvait imaginer qu'hier un
déluge de feu s'abattait sur El Khader et Beit Jala ? Une amie française, Annie,
médecin au centre médical d'El Khader, me raconte au téléphone l'horrible
journée d'hier : les tirs sur l'hôpital (deux chambres et un bureau touchés,
heureusement les malades avaient été déplacés dans une aile « à l'abri »), les
trois morts de la journée, les
ambulances qui ne pouvaient ni aller chercher
des blessés ni en amener, et les blessures révoltantes. de retour chez elle
à Beit Sahour, de nouveaux tirs, pas d'électricité, les enfants installés chez
les voisins...
vendredi 3 novembre : Levée du couvre-feu.
Les marchands de fruits et légumes du marché (H2) ouvrent leurs étales. Quelque
temps après des colons font « une descente » et renversent tout ce qui est sur
leur passage. Des bagarres s'ensuivent. Les marchands plient bagage. Anwar,
descendu au siège de l'Association et qui voulait vérifier l'état du réservoir
d'eau, entend, après la prière, des tirs. Couvre-feu à nouveau imposé. En
redescendant du réservoir, il tombe de 3 m et se casse le coude... En arrivant à
l'hôpital, il voit un jeune homme avec une balle en caoutchouc dans l'oeil. Les
mèdecins de l'hopital Al Ahli lui disent qu'ils ont eu au moins 30 cas
similaires... Quelle précision de tir !... La balle « en caoutchouc » .crève
purement et simplement l'oeil.
Samedi 4 novembre :
C'est shabbat, donc le couvre-feu reste en vigueur dans H2..En
sortant de l'hôpital où Anwar se fait refaire son plâtre, nous assistons à
l'arrivée d'une adolescente de 14 ans qui a reçu une balle dans la tête en
sortant de l'école... Nous apprendrons aussi dans l'après-midi qu'un bébé de 24
jours est mort après avoir inhalié des gaz lacrymogènes. Le soir nous entendons
de nombreux tirs (vieille ville, colonies avoisinantes), cela commence vers 19h
et se termine vers 3h... Un taxi de la famille d'Anwar, garé en zone autonome
reçoit deux balles dans le moteur...Véhicule foutu.
Dimanche 5
novembre : Toujours le couvre-feu. Nous prenons nos dispositions pour
donner les cours en dehors de la vieille ville jusqu'au début du ramadan... Les
hélicoptères nous survolent très bas et les enfants qui jouent dans la cours
rentrent précipitamment. Une des soeurs d'Anwar, directrice d'une école à
la limite des deux zones H1 et H2 a constaté en sortant de son école en fin de
matinée que les blocs de béton qui ont été disposés pour interdire l'accès à H2
ont été avancés de quelques mètres en zoe H1, de ce fait l'accès à l'école est
désormais en « zone interdite »...
Lundi 6 novembre : Je
retrouve donc quelques uns des étudiants inscrits aux cours de français. Il y
a beaucoup d'absents : deux étudiants à l'université de Bethléem se sont
installés là-bas pour éviter les transports très aléatoires. Les autres sont
ils démotivés ? L'Université Al Quds a décidé un programme dit « d'urgence
» : les cours ont lieu de 8h à 11h, exceptionnellement 13h. Fin d'une chronique
hélas ordinaire. Les conversations quotidiennes avec les voisins et la famille
tournent toujours autour des « événements ». Les questions sont presque toujours
les mêmes : avez-vous entendu les tirs cette nuit ? Savez vous ce que les colons
ont encore fait ? Comment les enfants prennent-ils tout cela ? Comment est
la route aujourd'hui ? Aucun optimiste sensible, tout le monde s'attend à ce que
cette situation perdure. Les magasins sont vides de clients, les mariages se
font dans la discrétion, notre voisine coiffeuse ne fait plus recette, elle
n'est sûrement pas la seule. Les rats continuent de proliférer dans la vieille
ville etc etc... Dernière information, normalement le taux de chèques sans
provision présentés dans les banques d'Hébron est de 20 à 25%. Il est en ce
moment de 80% se lamente notre ami qui travaille dans une banque !
Revue de
presse
1. Libération du
vendredi 10 novembre 2000
Israël élimine un responsable du Fatah en
Cisjordanie par Alexandra Schwarztbrod
Des roquettes ont désintégré
la voiture d'Hussein Abayat.
Jérusalem de notre correspondante
Une
nouvelle étape a été franchie hier dans la guerre larvée que se livrent
Israéliens et Palestiniens: les attaques humaines ciblées. Les autorités
israéliennes ont tué Hussein Abayat, un des responsables du Fatah (le mouvement
d'Arafat) en Cisjordanie. Une opération décidée «au plus haut niveau de Tsahal
(l'armée, ndlr) et du gouvernement», a précisé hier un responsable militaire. Ce
n'est pas un hasard si elle s'est déroulée à quelques heures d'une nouvelle
rencontre à Washington entre Yasser Arafat et Bill Clinton. Ehud Barak a
appliqué à la lettre la célèbre maxime de Yitzhak Rabin, dont Israël commémorait
hier l'assassinat: «Il faut mener la guerre contre le terrorisme comme si les
négociations de paix n'existaient pas, et les négociations de paix comme si le
terrorisme n'existait pas.»
Il était environ midi quand un hélicoptère
israélien a tiré trois roquettes sur une camionnette transportant trois
Palestiniens dans la ville de Beit Sahour. Le véhicule s'est désintégré. Selon
Reuters, Abayat a été complètement déchiqueté. Un autre passager était, hier
soir, dans un état «critique»: Khaled Salahat, un des hauts responsables des
services secrets palestiniens. Deux femmes qui passaient par là ont succombé à
leurs blessures. Plus tard à Jérusalem, un officier israélien a justifié
l'opération en expliquant qu'«Abayat s'apprêtait à attaquer des soldats
israéliens dans un camp militaire de Beit Sahour», avant de dérouler la liste
des innombrables attaques dont le chef local des Tanzim était responsable depuis
début octobre. Il a laissé entendre que l'opération faisait partie d'une
stratégie visant à éliminer des activistes parmi les manifestants palestiniens.
Présenté comme «un marchand d'armes illégales», Abayat est considéré par Israël
comme «un des cerveaux du réseau terroriste» responsable des
affrontements.
Que cherche Barak en franchissant ce palier? «C'est une façon
de prouver que personne n'est à l'abri. Nous espérons que cette action va calmer
la situation, et nous sommes toujours prêts à reprendre les négociations»,
a expliqué un responsable militaire. La chose est rien moins qu'évidente.
Jusqu'à hier, les hélicoptères israéliens n'attaquaient que des bâtiments de
l'armée ou de la police et étaient précédés d'avertissements afin d'épargner les
vies humaines. Cette opération, véritable gifle à Arafat, risque d'entraîner les
Palestiniens à franchir eux aussi un nouveau palier. Ce que Washington cherche à
empêcher. Sans condamner formellement la mort de Hussein Abayat, la Maison
Blanche a ainsi déclaré que celle-ci «soulevait de graves questions».
Le
Fatah, lui, a aussitôt condamné cet «assassinat» et promis qu'il se vengerait.
«Escalade dangereuse», a déclaré Marwan Barghouti, supérieur direct d'Abayat. Si
les Palestiniens sont pris à la gorge par les conséquences économiques du blocus
et hésitants sur la stratégie à suivre, la rage est aussi un des moteurs de
cette Intifada.
Le Qatar a décidé hier de fermer son «bureau de
liaison» avec Israël, à la veille du sommet de l'Organisation de la conférence
islamique, à Doha.
2. Libération du vendredi 10 novembre
2000
Les juifs interdits de prière au tombeau de Rachel par
Alexandra Schwarztbrod
Les fidèles empêchés de se rendre sur ce lieu sacré du
judaïsme, hier.
Bethléem envoyée spéciale
Devant la fourgonnette des
forces de sécurité, une Israélienne se roule par terre. Dans son uniforme de la
police, une jeune fille s'approche, tente de relever la manifestante puis, dans
un hurlement, lâche sa charge avant de porter la main à sa bouche. L'autre lui a
mordu le doigt. Les pleurs se confondent avec les cris. Les deux femmes sont
prestement embarquées dans le véhicule, suivies par les vociférations et les
menaces de la foule.
Sans appel. «Quand les Arabes veulent aller prier à la
mosquée d'Omar, le gouvernement israélien déploie des forces considérables dans
la vieille ville pour les protéger contre les juifs. Mais quand les juifs
veulent aller célébrer Rachel, notre mère à tous, on les en empêche, c'est
indigne!», hurle Simone, la voix chargée de sanglots. C'était hier, à une
centaine de mètres du check point israélien de Bethléem, où la route avait été
bloquée par des barrières de police. Dans la nuit, la consigne était tombée des
autorités israéliennes, sans appel: les fidèles juifs n'étaient pas autorisés à
aller célébrer l'anniversaire de la mort de Rachel, dont la tombe est considérée
comme un des lieux les plus sacrés du judaïsme. Et un des plus
dangereux.
Enclavée en territoire palestinien, à l'entrée de Bethléem, elle
est, depuis le début de la nouvelle Intifada, le théâtre quasi quotidien
d'affrontements violents entre jeunes manifestants palestiniens et forces de
sécurité israéliennes. Le gouvernement Barak avait compris le danger... et le
risque d'être accusé de commettre, six semaines après la fameuse visite d'Ariel
Sharon à l'esplanade des Mosquées, une nouvelle provocation.
Mère de la
fertilité. «De sa tombe, j'entends ma mère Rachel pleurer en appelant à elle ses
enfants!... Je suis désespérée!... C'est la première fois depuis 3800 ans que
l'on interdit aux juifs d'aller prier ce jour-là!», se lamente une manifestante.
La plupart des fidèles sont des femmes, car Rachel est considérée comme la
mère de la fertilité. Avec leur chapeau et leur longue jupe flottante, certaines
prient, en se balançant d'avant en arrière, assises sur le trottoir. Toutes
attendent un impossible laissez-passer.
«Et si on empêchait les chrétiens
d'aller prier le soir de Noël, vous imaginez? C'est impensable!», hurle une
femme au bord de la crise de nerfs. «Ils ont déjà saccagé la tombe de Joseph. Si
nous laissons faire aujourd'hui, c'est au mur des Lamentations que l'on nous
empêchera d'aller prier demain! Les Arabes, on leur donne ci, ils veulent
ça!»
Représailles. Plus encore que le soleil de plomb, la haine pèse ici de
tout son poids. Soudain, une femme réussit à enjamber la barrière, coursée par
une dizaine de soldats. C'est Nadia Matar, une des leaders du mouvement
d'extrême droite «Les femmes en vert». «Ce gouvernement idiot et criminel dirigé
par Rabin et Pérès a donné des armes aux Arabes pour en faire des meurtriers.
C'est normal qu'on succombe au terrorisme. Nous, nous demandons en représailles
au gouvernement de fermer l'esplanade des Mosquées pendant un mois!» Les
barrages ayant été installés très en amont, aucune confrontation n'était hier
possible ici avec les Palestiniens.
3. Le Monde du vendredi 10 novembre
2000
Yossi Beilin, ministre israélien de la justice : "Il n'y a
qu'Arafat qui puisse mettre un terme à la violence" propos
recueillis par Catherine Dupeyron et Georges Marion
- Vous avez récemment déclaré que les quartiers
arabes de Jérusalem feraient partie de la future capitale palestinienne El Qods.
Votre ministère, qui est dans un tel quartier, va-t-il devoir le quitter
?
- Je ne sais pas si cette partie de Jérusalem fera
partie de l'accord final, mais je pense que le plus important est que Jérusalem
soit au menu des négociations. Bien sûr, les Palestiniens demandent que les
quartiers palestiniens constituent une partie de leur Etat, qu'ils fassent
partie de leur capitale El Qods. Ce sera un élément de la
négociation.
Lorsque nous évoquons Jérusalem, nous parlons
essentiellement de la partie Ouest de la ville, des quartiers juifs situés dans
la partie Est, et de la Vieille Ville. Les camps de réfugiés à Kalandia ou à
Chouafat, à l'Est, ne font pas partie de Jérusalem telle que chaque Israélien la
conçoit. Les Israéliens n'y vont d'ailleurs que rarement. En revanche, le
quartier juif dans la Vieille Ville, le mur des Lamentations et le mont du
Temple sont des symboles pour chaque Israélien. Le principal problème est le
mont du Temple. A Camp David, les Palestiniens n'étaient pas assez conscients de
notre relation au mont du Temple. Ils étaient convaincus que seul le Mur nous
importait et ils ont perçu notre revendication sur le mont du Temple comme
quelque chose de circonstanciel.
- Vous n'en aviez jamais discuté auparavant
?
- C'est ce qu'ils prétendent, mais c'est faux.
Parce que les rabbins font interdiction aux juifs religieux d'aller au mont du
Temple, peut-être ont-ils pensé que le lieu était plus sacré pour eux que pour
nous. Ce problème constitue vraiment l'une des plus importantes difficultés. Je
ne pense pas qu'il soit insoluble, mais ce sera difficile. D'abord, il nous faut
comprendre pourquoi ce lieu est si important pour eux ; et ils doivent
comprendre ce qu'il signifie pour nous.
- La question délicate paraît être celle de la
souveraineté.
- Même sur cette question, il peut y avoir un
compromis sous la forme d'une souveraineté conjointe, partagée, conditionnelle,
extra territoriale, ou divine. Nous pouvons trouver des solutions pour une
question de souveraineté qui est surtout symbolique. Depuis trente-trois ans,
les règles sur le mont du Temple sont connues : le Waqf [l'organisme religieux
chargé d'administrer les biens de mainmorte] en est le gestionnaire quotidien,
la police israélienne n'y entre que lorsqu'il y a des incidents et les juifs n'y
prient pas. Il ne s'agit pas d'un lieu où la souveraineté israélienne s'exerce
de la même manière que, par exemple, sur un jardin public de Tel-Aviv. Mettons
par écrit les règles de comportement sur le mont du Temple. Ensuite seulement,
viendra la question de la souveraineté. Si les règles sont claires, si le lieu
est accessible pour tout le monde, nous trouverons une solution qui permette de
vivre, plus ou moins, sous le même statu quo que depuis trente-trois
ans.
- Avez-vous été surpris par la nouvelle
Intifada ?
- Oui, énormément. Elle a éclaté alors que nous
étions à deux doigts d'un accord, sur tous les sujets. Jamais auparavant nous
n'étions arrivés aussi près du but... On peut trouver des explications, dire
qu'Arafat était dans l'impasse, qu'il cherchait un soutien international qu'il
ne pouvait obtenir qu'à la faveur de ce genre d'explosion, mais après ? On
comprend ceux qui, dans les années 60, se sont lancés dans le combat contre
l'occupation israélienne. Ils n'avaient alors aucun interlocuteur et le premier
ministre de l'époque, Golda Meïr, affirmait que le peuple palestinien n'existait
pas. Mais aujourd'hui n'y a-t-il pas un gouvernement israélien prêt à faire le
chemin nécessaire pour arriver à un accord ? N'y a-t-il pas des pays prêts à
aider financièrement comme politiquement pour rendre un accord possible ?
- Peut-être est-ce parce que c'est Israël qui a
commencé les violences sur le mont du Temple ?
- On peut discuter du déroulement des événements et
on peut même, à tort ou à raison, critiquer la police sur son intervention, mais
la question est ailleurs. Je ne comprends pas comment on est passé des
débordements aux émeutes. Je ne comprends pas pourquoi, du côté palestinien, il
n'y avait pas assez de gens à la tête froide pour dire aux manifestants : « Vous
avez raison, les Israéliens ont eu tort, mais on va en discuter avec eux, nous
sommes proches d'un accord. » Ils peuvent appeler Barak, ils peuvent appeler,
comme ils disent maintenant, « l'affreux traître ministre de la police Ben Ami
», et ils peuvent même appeler « l'abominable » ministre de la justice que je
suis.
- Personne n'a appelé ?
- Personne. Avant, on se téléphonait tous les jours
et, d'ailleurs, on continue. Je pense que, pas plus que nous, ils n'ont compris
que les incidents du mont du Temple conduiraient à ces émeutes. Le pire, ce
n'est pas la violence en soi, mais le fait que la police palestinienne nous ait
tiré dessus et que Marouane Barghouti [le responsable du Fatah en Cisjordanie]
soit devenu le héros de cette révolution. On se connaît depuis de nombreuses
années. Il n'est pas un étranger. Le voilà brusquement transformé en un
révolutionnaire luttant contre « l'affreux » Israélien. Je suis prêt à
considérer que nous sommes responsables du problème posé, mais pourquoi avoir
voulu le résoudre par la force, voilà ma question.
- Pensez-vous que faire des compromis dans la
situation d'aujourd'hui serait faire preuve de faiblesse ?
- Non je ne le crois pas. Les Palestiniens
comprennent que nous sommes loin d'utiliser tous nos moyens. La seule question
aujourd'hui est comment revenir à la table des négociations. Nous,
travaillistes, avons perdu une part significative de notre soutien politique.
Dans les sondages, le soutien de la population israélienne au processus de paix
a baissé de moitié. Les gens se reprendront. Mais en attendant, non seulement la
coalition gouvernementale est faible, mais le soutien dans l'opinion publique
s'est érodé, et il nous faudra faire beaucoup d'efforts pour regagner les
positions perdues. Mais pour cela il faudra aussi qu'Arafat fasse le maximum
pour mettre fin aux violences.
- Le veut-il ?
- Je ne sais pas. Mais je sais qu'il est le seul
dirigeant vraiment respecté par tous, y compris par son opposition ; qu'il est
le chef du Fatah comme des milices du Tanzim. C'est lui qui peut mettre un terme
à la violence, remettre au pas ses services de police comme ses partisans du
Fatah et les militants du Hamas. Et, enfin, il y a la question des islamistes
radicaux qu'il a libérés de façon incompréhensible. Les ramener en prison est
l'une des tâches les plus importantes qu'il a à accomplir. Le Hamas est notre
ennemi à tous deux.
- Comment voyez-vous le futur proche ?
- J'espère que sur le terrain la situation se
calmera, ce qui permettra de négocier sérieusement jusqu'à la fin du mandat de
Bill Clinton. Nous avons devant nous deux mois qui constituent la dernière
occasion de conclure avant plusieurs années ; deux mois durant lesquels Bill
Clinton peut consacrer une grande partie de son temps à ce dossier. Si les
Etats-Unis se coordonnent avec l'Europe et les Nations unies, alors on peut
reprendre les négociations, faire rapidement la paix en dépit des difficultés de
ces dernières semaines. »
4. L'Express du jeudi 9 novembre 2000
Le
paradoxe Barak par Vincent Hugeux et Hesi Carmel
Chef d'un
gouvernement ultraminoritaire, le Premier ministre israélien garde néanmoins la
maîtrise du jeu politique.
A ses moments
perdus, Ehud Barak s'adonne à deux faiblesses avouées. Il joue, non sans brio,
du piano, et bricole montres, pendules ou serrures. En artisan patient,
méthodique, obstiné. Dans l'arène politique, le Premier ministre israélien
manœuvre de même. Solitaire comme le concertiste, avec une minutie d'horloger.
Faute de maîtriser la fuite du temps, l'ancien général sait au moins en gagner.
Le 30 octobre, il s'est ainsi offert un sursis d'un mois, sans nul doute
reconductible. Forts de leurs 17 sièges à la Knesset (Parlement), ses anciens
alliés du Shas, parti ultraorthodoxe séfarade, ont promis de ne pas renverser le
cabinet. En contrepartie, les disciples du rabbin Ovadia Yossef obtiennent de
nouveaux subsides pour leur réseau d'écoles religieuses et le gel d'une
«révolution laïque» censée entamer les privilèges - exorbitants - concédés au
gré des marchandages électoraux à la mouvance théocratique; le ministère des
Cultes, bastion en péril, paraît sauvé. On leur accorde aussi un droit de
regard, flou au demeurant, sur le dialogue israélo-palestinien. Scellé par
surprise, ce pacte éloigne pour l'heure le scénario du «gouvernement d'urgence
nationale» âprement négocié avec la droite. Au grand dépit d'Ariel Sharon, chef
du Likoud. De même, il déroute la base travailliste, hostile à l'emprise des
dévots de la Torah. Un répit payé au prix fort? Soit. Mais Barak n'en a cure.
Car il écarte le danger d'une motion de censure fatale et échappe ainsi au
dilemme en vogue: l'alliance contre nature avec la droite ou le recours aux
législatives anticipées, scrutin à hauts risques.
Voilà bien le paradoxe de ce capitaine en apparence
guetté par le naufrage. A la barre d'une équipe ultraminoritaire, assuré du
soutien d'à peine un quart des députés, combattu par ses adversaires et contesté
par les siens, il dispose pourtant d'une marge de manœuvre confortable. C'est
qu'en dépit des assauts rhétoriques nul n'a vraiment intérêt à le faire chuter.
Le Shas? Désargenté, il redoute à la fois le coût d'une campagne et un recul de
son audience. Le Likoud? L'appareil du parti sait que le bouleversement du
calendrier électoral hâterait le retour de l'ancien chef du gouvernement
Benyamin Netanyahu, récemment blanchi par la justice de soupçons de trafic
d'influence.
Conjurer le spectre d'une guérilla sans
fin
Toutes les enquêtes d'opinion montrent que «Bibi» serait mieux
placé que Sharon pour vaincre Ehud Barak. Au sein de sa famille, celui-ci n'a
guère de rival. En clair, les candidats à la défaite ne sont pas légion. Même
si, à 77 ans, Shimon Peres, ce visionnaire que poursuit une image d'éternel
loser, cet optimiste impénitent, bénéficie à gauche d'un regain de popularité.
C'est à lui que Barak confia la mission de négocier avec Yasser Arafat, dans la
nuit du 1er au 2 novembre, une cessation des hostilités guère mieux respectée
que les précédentes.
Au fond, l'amateur de réveils et de coucous peut
espérer tenir jusqu'au printemps 2001. De deux choses l'une. En cas d'accord
avec Yasser Arafat, il devrait solliciter l'aval de ses concitoyens via le
renouvellement de la Knesset, formule préférée au référendum. Dans l'hypothèse
inverse, libre à lui de raviver le projet d'union sacrée avec la droite, quitte
à s'en remettre, au terme d'une période transitoire, au verdict des électeurs.
Ces calculs reposent sur un postulat qu'attestent les sondages: malgré
l'Intifada meurtrière déclenchée le 28 septembre, la majorité des Israéliens
demeure favorable à une paix conclue en échange de «cessions» territoriales,
dût-elle consacrer l'émergence d'un Etat palestinien souverain, aux contours
imprécis il est vrai. Le 4 novembre, lors de la cérémonie célébrant à Tel-Aviv
le 5e anniversaire de l'assassinat d'Itzhak Rabin, Premier ministre tombé sous
les balles de l'extrémiste juif Yigal Amir, Ehud Barak mania, comme de coutume,
la carotte et le bâton. Sommant une nouvelle fois Arafat de «mettre fin aux
violences». Mais l'invitant, vieille antienne, à «tendre la main vers la paix
des braves». Un indice: revendiqué par des islamistes palestiniens, l'attentat à
la voiture piégée qui, deux jours plus tôt, au cœur de Jérusalem, coûta la vie à
deux Israéliens, dont la fille du chef de file du Parti national religieux,
avocat des colons juifs, n'aura pas suffi à anéantir les efforts entrepris pour
renouer le dialogue. Ce jeudi 9 novembre, l'homme au keffieh devait rencontrer à
Washington Bill Clinton, avant que le président américain reçoive, dimanche,
Barak. De là à imaginer un sommet triangulaire... Rien n'interdit de croire aux
miracles. Mais comment trois partenaires affaiblis - un parrain en fin de
mandat, un raïs pressé par son aile dure d'opter pour la lutte armée et un
ex-général navigant à vue - déjoueraient-ils les écueils sur lesquels ils
s'échouèrent en juillet, à Camp David? A ce stade, aucun d'entre eux ne rêve de
ressusciter un processus à l'agonie. Et on leur saurait gré, faute de mieux, de
conjurer le spectre d'une guérilla sans fin. Cette bombe-là reste à désamorcer.
Barak aura, pour ce faire, bien besoin de sa maîtrise des mécanismes
d'horlogerie.
5. Le Soir
(quotidien belge) du jeudi 9 novembre
2000
Beilin ne désespère toujours pas
par Baudoin Loos
Yossi Beilin reste un indécrottable optimiste.
Celui qui orchestra pour son mentor Shimon Peres les négociations secrètes
d'Oslo avec les Palestiniens en 1993 croit toujours en la possibilité de
conclure la paix avec ces derniers en profitant des deux derniers mois de la
présidence Clinton à Washington. Il l'a écrit dans le quotidien « Haaretz » le 7
novembre.
Pour celui qui est ministre de la Justice dans le
gouvernement d'Ehoud Barak, les gains du processus de paix se trouvaient,
jusqu'aux récents événements, dans l'amélioration de la sécurité d'Israël (en
dehors des vagues d'attentats entre 1994 et 1996) due à la coopération avec
l'Autorité palestinienne, et dans le nouveau statut international d'Israël qui
lui a valu prospérité économique et liens formels avec 13 des 21 membres de la
Ligue arabe.
Beilin admet les échecs, comme, côté israélien, les
délais imprévus dans les transferts de territoires aux Palestiniens et dans la
tenue des pourparlers sur le statut définitif de ces territoires; et, côté
palestinien, la poursuite des incitations à la haine et l'absence de
confiscation des armes illégales.
Pour l'avenir, le plus imaginatif des hommes
politiques israéliens estime qu'Oslo aura échoué si l'Autorité palestinienne
disparaît et qu'Israël réinvestit les territoires cédés à Arafat. Mais il
insiste : il n'y a plus de logique à continuer un statut temporaire et, donc,
une solution permanente devient essentielle, dans le cadre d'un renouveau de la
collaboration entre les deux parties et d'une reprise de la lutte palestinienne
contre la terreur islamiste.
Voici alors comment Beilin voit ce statut définitif
: 1. Un Etat palestinien serait créé avec Al Qods (la partie arabe de Jérusalem)
comme capitale. 2. La frontière d'avant juin 1967 serait « ajustée » de manière
à inclure à Israël de grands blocs de colonies juives (comprenant 80 % des
colons) en échange d'un agrandissement de la bande de Gaza. 3. Des arrangements
de sécurité autoriseraient une présence israélienne sur le Jourdain (frontière
avec la Jordanie), y compris des stations de préalerte. 4. Le problème des
réfugiés serait traité à travers des compensations économiques auxquelles Israël
participerait et par la possibilité pour eux de s'installer dans l'Etat
palestinien, Israël acceptant de résoudre les cas humanitaires et de
regroupement familial. 5. Jérusalem resterait une ville ouverte et unifiée, mais
tous les quartiers israéliens (construits après 1967) à l'Est seraient intégrés
à la capitale d'Israël, tandis que les quartiers arabes deviendraient la
capitale palestinienne. Les lieux saints seraient admnistrés par un organe
mixte, alors que la souveraineté du mont du Temple (esplanade des Mosquées)
demanderait un compromis ou serait remise à plus tard.
Yossi Beilin prévient. Toute alternative à une
solution négociée doit tenir compte du facteur islamiste ou pire. Les Israéliens
qui renoncent à faire la paix et à mener une vie normale désespèrent du
sioniste, dit-il, car beaucoup de jeunes Juifs quitteront alors le pays et plus
aucun ne viendra s'y installer.
6. Courrier International du 9 au 27
novembre 2000
Pourquoi la solidarité arabe est si mesurée par Nahla
Shahal in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
Depuis fin septembre,
la colère est réelle dans le monde arabe. Mais rien n'est fait pour aider
concrètement les Palestiniens, regrette l'écrivaine libanaise Nahla
Shahal.
Il existe une contradiction entre la solidarité de la rue arabe
envers le soulèvement palestinien et les contours nébuleux que prennent les
manifestations de soutien à son égard. Si l'on prend le moyen d'expression le
plus commun dans ce genre de situation, la manifestation de rue, on se rend
compte que le résultat n'est pas à la mesure de l'enjeu et ne correspond pas au
sentiment de colère ambiante. A l'exception de Rabat, où 1 million de Marocains
ont exprimé leur solidarité, aucune capitale arabe n'a connu ces déferlantes
humaines que l'on aurait tant voulu voir.
Au Caire, la principale
manifestation s'est déroulée sur l'un des campus de l'université, où les
policiers égyptiens n'ont eu aucun mal à empêcher les étudiants de sortir dans
la rue. Quant à la petite manifestation qui s'est déroulée sur la place de la
Libération, en plein centre du Caire, elle n'a même pas rassemblé un millier de
personnes. Comme prévu, le cinéaste Youssef Chahine a dû renoncer à sa belle
idée d'organiser une marche de solidarité jusqu'au point de passage de Rafah (à
la frontière avec la Bande de Gaza). Il a dû se contenter d'organiser une
rencontre au siège du syndicat des artistes !
En Algérie, les trois
organisations qui avaient appelé à manifester pour les Palestiniens en ont été
empêchées. Elles ont contesté cette décision juste pour la forme. A Beyrouth, le
contraste était frappant entre la manifestation qui partait du siège de la Ligue
arabe, à proximité des camps de Sabra et Chatila, et qui rassemblait une
vingtaine de milliers de manifestants, pour la plupart des Palestiniens et des
sympathisants du Hezbollah, et celle qui, à l'invitation de plusieurs partis et
organisations de gauche, démarrant devant l'Université américaine, rassemblait à
peine un millier de personnes. D'autres manifestations ont eu lieu dans des
endroits où on ne les attendait pas : aux Emirats arabes unis (EAU), à Oman et
même au Koweït, ce qui en dit long sur le ressentiment que provoquent dans le
monde arabe les événements de Palestine. Si les manifestations de solidarité à
l'égard du soulèvement palestinien n'ont pas été à la hauteur de l'événement,
cela s'explique tout d'abord par les pressions exercées par les
pouvoirs en
place sur les organisations politiques et syndicales. Pour autant, ces
organisations doivent admettre qu'elles ne sont plus en mesure de peser sur
l'événement et de mobiliser les masses.
En réalité, ces organisations sont en
plein désarroi. On constate partout un repli sur des préoccupations locales et
on dénote l'absence de toute volonté d'en appeler à l'opinion publique. Ainsi,
l'appel à boycotter les produits américains - auquel personne ne semble croire -
s'est-il limité à une directive lancée par Mohammed Hussein Fadlallah [chef
spirituel du Hezbollah] et quelques organisations politiques. Rien n'a été fait
pour donner une véritable consistance à ce slogan.
La crise que traversent
ces organisations s'est révélée de façon encore plus flagrante lors des
collectes organisées en faveur des victimes de la répression israélienne. Ainsi
tous les partis politiques se sont-ils abstenus d'organiser ces collectes. Cela
s'explique sans doute par le peu de confiance qu'elles rencontrent, par leur
manque de transparence et par la réputation de corruption qui leur collent à la
peau. En fait, ce rôle d'organisateur de collectes a été repris avec un certain
brio par des chaînes de télévision arabes émettant par satellite (Al Jazira
[Qatar] et Abou Dhabi [EAU]. Celles-ci ont d'ailleurs hésité quant au
destinataire de ces collectes, puisque certains doutes planent sur les méthodes
de gestion de l'Autorité palestinienne...
Tout indique que le soulèvement
palestinien ne va pas s'arrêter là. Dès lors, dans la mesure où le rapport de
forces avec Israël influe sur l'ensemble du monde arabe, et pas seulement sur
les Palestiniens, il est impératif d'élargir le cercle de la participation arabe
dans ce conflit.
7.
Courrier international du 9 au 27 novembre
2000
Retenez-moi ou je proclame mon Etat ! par Akiva Eldar in Ha'Aretz (quotidien israélien)
Ni l’un ni
l’autre camp n’a intérêt à ce que le cycle de la violence continue. Seul point
de discorde : l’agenda palestinien ne correspond pas à celui d’Ehoud
Barak.
Ni les Israéliens, ni les Américains, ni les
Européens, ni les Egyptiens, ni même les Palestiniens n’ont la moindre idée de
ce que veut le dirigeant palestinien Yasser Arafat. Bien pis, selon les
informations recueillies par les services de renseignements, Arafat ne saurait
pas lui-même ce qu’il veut. Personne n’est donc capable de fournir une réponse
convaincante à la question : “Comment cela va-t-il finir ?” Ce n’est que dans le
cadre d’une rencontre trilatérale entre Clinton, Arafat et Barak qu’il sera
peut-être possible de découvrir s’il existe réellement une option
diplomatico-territoriale en vue d’un accord de paix. Par exemple, l’idée d’un
échange de territoires entre Israël et les Palestiniens - telle que proposée par
l’accord secret Yossi Beilin-Abou Mazen [à Camp David, en juillet dernier] -
est-elle encore d’actualité malgré les troubles en cours ?
Mais il n’est pas du tout certain qu’Arafat soit
disposé à reprendre la voie de Camp David. Par l’intermédiaire de deux hauts
responsables de l’Autorité palestinienne, il vient, en effet, de poser de
nouvelles et bien problématiques conditions. Selon le ministre de la
Planification et de la Coopération internationale, Nabil Shaath, "les
Palestiniens n’accepteront rien de moins qu’un retrait israélien complet
jusqu’aux frontières de 1967 et l’établissement d’un Etat
indépendant”.
En écho, le président du Conseil législatif
palestinien [Parlement autonome], Abou Alaa (Ahmed Qoreï), ajoute : “Il n’est
plus possible de revenir aux anciennes modalités de négociation. Une paix juste
et durable reste l’option du peuple palestinien, mais il faut en revenir à une
conférence internationale impliquant les parties concernées, les Etats-Unis,
l’Union européenne, la Russie, la Chine, les Nations unies et les Etats arabes
de la région. Cette conférence devrait réaffirmer les termes de référence du
processus de paix, essentiellement les résolutions 242, 338 et 194 du Conseil de
sécurité, et le principe de la terre contre la paix.” Abou Alaa souligne que
même ce cadre n’est plus suffisant, et les Palestiniens exigent désormais des
garanties pour l’application de ces principes. “La résistance de notre peuple se
poursuivra jusqu’à ce qu’Israël respecte le droit, les résolutions
internationales et les droits nationaux du peuple palestinien.” Conscient de
cela, Ehoud Barak a décidé de rompre ses négociations avec Ariel Sharon pour
tenter de reprendre langue avec Yasser Arafat. Barak sait lui aussi que le cadre
de Camp David n’est plus pertinent. L’agenda palestinien ne correspond pas à
l’agenda de Barak, et Arafat est apparemment décidé à attendre l’issue de
l’élection présidentielle américaine du 7 novembre. De leur côté, les Américains
ne désirent qu’un sommet extrêmement bref pour soumettre leur projet de
compromis. L’alternative des Israéliens et des Palestiniens est simple : les
Palestiniens recevront la totalité de la Bande de Gaza (y compris le bloc
d’implantations juives de Goush Katif) ; le reste du territoire, pour respecter
le quota fixé par la résolution 242, pourrait être augmenté des “Sables de
Haloutza” [dans le Néguev, à l’ouest de Gaza] ou de zones inhabitées et
contiguës à la Ligne verte ; enfin, la question de la souveraineté sur Jérusalem
devra faire l’objet d’une médiation américaine.
Barak est de plus en plus convaincu qu’Arafat,
plutôt que de vouloir proclamer un Etat, continuera à répéter qu’il proclamera
cet Etat. Ses proches affirment qu’Arafat vit dans la crainte que la Palestine
ne devienne un petit Etat de plus, englué dans un litige frontalier (comme le
Bangladesh ou la Tchétchénie) avec un adversaire plus puissant. En pareil cas,
la communauté internationale s’en désintéresserait et serait tentée de renvoyer
Arafat à ses interlocuteurs israéliens. Bref, Arafat ne devrait pas proclamer un
Etat sans accord avec Israël.
De son côté, Barak a demandé au Shas de le retenir
de signer un accord de coalition avec Sharon. La différence entre Barak et
Arafat est que les Palestiniens sont prêts à faire traîner les négociations,
avec ou sans Intifada, au moins jusqu’à l’investiture du nouveau président
américain, en janvier 2001. Barak n’a quant à lui reçu du Shas que quatre
semaines de répit. Ce calendrier étroit devrait suffire pour savoir si Arafat
acceptera ou non le compromis américain. S’il l’accepte, Barak pourra alors
entrer en campagne électorale avec un sérieux atout. S’il apparaît en revanche -
et cela semble être la conviction de Tsahal - qu’Arafat préfère un Etat sans
pour autant se soumettre à la négociation, un accord sur un gouvernement
d’urgence nationale et sur la séparation unilatérale sera inévitable. Cette
analyse n’est qu’un bout de papier tant que les combats se poursuivent dans les
Territoires. Des officiels palestiniens modérés estiment que le cycle de la
violence est un cercle vicieux : Tsahal tue des civils, leurs obsèques
enflamment le peuple, Tsahal tue de nouveau, d’autres obsèques ont lieu, et
cetera et ad libitum. Les responsables militaires estiment pour leur part qu’il
manque un maillon dans cette chaîne de causalité : les tirs délibérés sur des
civils israéliens [colons], sous l’égide des forces de sécurité palestiniennes.
Ils affirment aussi que, même si l’une des parties tentait de briser le cycle de
la violence, les deux parties devraient combler le gouffre entre les deux
peuples et restaurer la confiance. Déjà, des signes de disette apparaissent à
Hébron, et l’énorme effort réalisé pour attirer des investisseurs dans les
Territoires et développer une infrastructure propre est anéanti. Il est
difficile, dès lors, d’imaginer une longue colonne de réfugiés de la diaspora
[palestinienne] mendier leur retour sur les ruines d’Hébron et de Gaza. Certains
disent qu’Arafat n’aurait pas de remords s’ils optaient pour leur maintien au
Liban.
8. Le Monde du
jeudi 9 novembre 2000
Proche-Orient : attachés "par leurs
extrémités" par André Fontaine
COMME Albert Einstein lui demandait ce qu´il
adviendrait des Arabes si la Palestine était donnée aux Juifs, Chaim Weizmann,
le chef de l´exécutif sioniste, lui répondit tout simplement : « Ils comptent
pour si peu… »(cité dans Einstein, What Price Israël, Chicago 1953). Les
sionistes de Terre sainte savaient que les choses n´étaient pas si faciles.
Ainsi d´Arthur Ruppin qui, de Jaffa, dirigea longtemps, au début du siècle
dernier, le bureau de l´organisation pour la Palestine. « Sans un arrangement
avec les Arabes, écrivait-il, tout notre travail en Palestine est construit sur
du sable… »Et de recommander la plus grande prudence dans l´achat de terres aux
Arabes, qui allait devenir l´un des principaux sujets de discorde entre les deux
communautés, nombre de Juifs achetant à des latifundiaires absentéistes de
vastes domaines à peine cultivés où vivaient des dizaines de milliers de
fellahs, de paysans pauvres voués à l´expulsion rapide.
La première guerre mondiale allait amener les
Britanniques à faire aux uns et aux autres des promesses passablement
contradictoires. Aux Arabes, pour prix de leur soulèvement contre les Ottomans,
celle d´un vaste royaume, aux frontières pas trop bien précisées, sous le
sceptre du chérif Hussein, descendant du prophète et gardien des lieux saints de
l´islam. Aux Juifs, par la fameuse déclaration Balfour de novembre 1917, celle
d´un « foyer national » en Palestine. Pour compliquer encore les choses, la
France réclamait, avec la Syrie et le Liban, sa part du gâteau.
ON SE FROTTE LES YEUX
Le célèbre colonel Lawrence, dont on sait le rôle
fondamental dans l´éveil d´un nationalisme arabe orienté vers Londres, réussit à
faire se rencontrer Fayçal, le fils aîné de Hussein, auquel avait été promise la
couronne d´Arabie, et Weizmann, le chef de l´exécutif sioniste déjà nommé. On se
frotte les yeux en lisant aujourd´hui le texte du traité que les deux hommes
signèrent le 3 janvier 1919, et plus encore celui de la lettre que Fayçal
écrivit deux mois plus tard à Felix Franfurter, membre américain de la
délégation sioniste à la conférence de la paix de Versailles, pour lui demander
de ne pas prêter trop d´attention aux « difficultés légales » qui avaient pu
surgir entre Juifs et Arabes.
Par exemple : « Nous sommes convaincus que les
Arabes et les Juifs sont des parents de race très proche, ayant subi tous deux
des persécutions de la part de forces supérieures aux leurs. Mais, par une
coïncidence heureuse, ils ont été à même de faire le premier pas vers la
réalisation de leurs idéaux nationaux. Nous autres Arabes, surtout nos
intellectuels, regardons avec la plus grande sympathie le mouvement sioniste…
Nous travaillons ensemble pour construire et pour faire revivre le Proche-Orient
et nos deux mouvements se complètent. Je crois que chacun des deux peuples a
besoin du soutien de l´autre pour arriver à un véritable succès. » Fayçal aura
beau maintenir longtemps le contact avec Weizmann, cet extraordinaire programme
ne recevra pas l´ombre d´un début d´exécution. Car lui, qui avait libéré Damas
en compagnie du général britannique Allenby et s´y était fait proclamer roi
d´Arabie, allait vite en être chassé par les troupes du général Gouraud. Il
devra se contenter d´un très artificiel royaume d´Irak, créé à son intention par
Churchill, alors secrétaire aux colonies, qui voulait surtout mettre ainsi la
main sur le pétrole de Kirkouk et de Mossoul. Abdallah, le frère deayçal, ayant
menacé de prêter main-forte à son aîné contre les Français, on le désintéressa
en créant à son intention un royaume de Transjordanie, placé comme l´Irak et
comme la Palestine sous « mandat » britannique.
Les Palestiniens étaient les seuls dans cet
ensemble à ne pas avoir d´Etat à eux. Ils le ressentaient d´autant plus que
l´immigration sioniste se poursuivait, à un rythme au demeurant assez lent : 6
000 personnes en moyenne par an, jusqu´à ce que la montée du nazisme vienne
soudain gonfler ce chiffre. Dès 1920, en tout cas, s´organise un front du refus,
dirigé par le mufti de Jérusalem, et des Juifs sont massacrés, ce qui conduit le
Yichouv, la communauté juive de Palestine, à se doter de groupes de protection
armés. De graves troubles se produisent à plusieurs reprises, culminant en 1929,
où l´on compte 133 morts juifs et 87 palestiniens, ces derniers tombés pour la
plupart sous les balles britanniques. En 1939, craignant que les Arabes ne
succombent aux chants de sirène de l´Axe, Londres plafonne à un niveau très
faible l´immigration juive. Du coup, les sionistes développent leurs formations
clandestines pour permettre à leurs frères fuyant les persécutions hitlériennes
de déjouer les barrages. Ces barrages sont maintenus après la guerre,
scandalisant une opinion internationale encore sous le coup de la découverte des
crimes hitlériens. Et l´ONU adopte en 1947 un projet de partage de la Palestine
soutenu à la fois par les Etats-Unis, l´URSS et la France, mais que la totalité
des pays arabes refuse d´appliquer. La Grande-Bretagne, qui lui est elle-même
hostile, finit par annoncer qu´elle va déposer son mandat, mais personne n´a
d´idée bien précise quant à une solution de rechange, et David Ben Gourion
proclame, au moment de l´expiration du mandat, l´indépendance
d´Israël.
Cinq armées arabes s´ébranlent pour lui donner
l´assaut, sous le commandement d´un général anglais, Glubb « pacha », et l´on ne
donne pas cher en général de la longévité de l´Etat hébreu. Les Britanniques
sont apparemment convaincus quant à eux que les Juifs devront les appeler à leur
secours, et qu´ils pourront reprendre les rênes sans être tout le temps harcelés
par leurs revendications. Mais les combattants sionistes, ravitaillés surtout
par l´URSS – alors obsédée, avec un temps de retard, par les méfaits de
l´impérialisme britannique – et par la France, l´emportent
rapidement.
QUI S´EN SOUCIE VRAIMENT ?
La guerre a contraint à l´exil quelque 500 000
Palestiniens. Pas question pour Israël de les laisser rentrer chez eux. Qui s´en
soucie vraiment ? En Europe centrale comme aux Indes, des millions et des
millions de pauvres gens viennent d´être expulsés. Qu´est-ce de toute façon que
cet exode à côté du martyre que vient de subir le peuple juif ? Relus
aujourd´hui, les propos que tenait à l´époque le ministre des affaires
étrangères – travailliste – de l´Etat hébreu, Moshe Sharett, peuvent paraître
scandaleux : « Les réfugiés trouveront leur place dans la diaspora grâce à la
sélection naturelle, certains résisteront, d´autres pas. (…) La majorité
deviendra un rebut du genre humain et se fondra dans les couches les plus
pauvres du monde arabe. » Mais, comme le disent Alain Gresh et Dominique Vidal,
à qui nous empruntons cette citation (Palestine 1947, Complexe), il ne manquait
pas de responsables arabes, à l´époque, pour penser la même chose. Qui se
doutait alors que, grâce à un taux de fécondité extrêmement élevé, ils allaient
quadrupler leur nombre et que, plus d´un demi-siècle plus tard, des enfants
mourraient presque chaque jour, les mains nues pour leur Palestine
?
Quelqu´un, il est vrai, avait pressenti l´avenir de
la région, le grand philosophe juif Martin Buber : « Au lieu d´essayer de
devenir la communauté qui prend les initiatives dans le cadre d´une fédération
du Proche-Orient, avait-il écrit en 1948, on se fixa comme but un petit Etat qui
courait le danger de vivre en conflit permanent avec son environnement
géopolitique naturel et de devoir consacrer ses forces vives à des questions
militaires et non à des questions sociales et culturelles. »
Rien ne sera possible tant que l´on ne se sera pas,
de part et d´autre, mutuellement accepté. Ce qui suppose d´abord, on ne le
répétera jamais assez, qu´on laisse de côté mépris, provocations et
arrière-pensées. Qui sait pourtant si cette acceptation mutuelle n´est pas en
passe de se réaliser peu à peu, pour cette simple raison qu´aucun des
antagonistes n´a les moyens de se débarrasser de l´autre ? « Dieu n´ayant pas pu
réconcilier les ennemis, a écrit Platon dans son Phédon, il les attacha par
leurs extrémités. » L´auteur de la République voulait parler du plaisir et de la
douleur. Cette formule, qui nous semblait jadis bien s´appliquer aux deux camps
de la guerre froide apprenant petit à petit à coexister, ne vaut-elle pas tout
autant aujourd´hui pour les Israéliens et les Palestiniens ?
9. Dépêche de l'agence Associated Press du
jeudi 9 novembre 2000, 17h37
En 2020, les Palestiniens seront plus nombreux que les juifs,
selon des projections démographiques
PARIS - D'ici 20 ans, la
population vivant en Israël et dans les Territoires palestiniens comptera
davantage de Palestiniens que de juifs, selon des projections démographiques
citées dans le dernier bulletin mensuel de l'Institut national français d'études
démographiques (INED).
A l'heure actuelle, la population juive vivant en
Israël et dans les colonies de Cisjordanie, de la bande de Gaza et de
Jérusalem-Est s'élève à 5,1 millions d'habitants. La population arabe compte
quant à elle aujourd'hui environ 4,1 millions de personnes: 1.840.000 en
Cisjordanie, 228.000 à Jérusalem-Est, 1.120.000 dans la bande de Gaza et 948.000
en Israël (Arabes israéliens).
En 2020, le territoire correspondant à l'ancienne
Palestine du mandat britannique (aujourd'hui, Israël et les Territoires
palestiniens) comptera 8,1 millions de Palestiniens et 6,4 millions de juifs,
selon des projections israéliennes et palestiniennes citées dans le bulletin de
l'INED de novembre ''Population et sociétés''.
Si l'on ne prend en compte qu'Israël et
Jérusalem-Est annexé par l'Etat hébreu, le nombre d'habitants arabes doublerait
en 20 ans pour passer de 948.000 aujourd'hui (15,5% de la population totale
d'Israël et de Jérusalem-Est) à deux millions en 2020 (23. En 2050, la
population non juive atteindrait 3,7 millions pour 8,2 millions de juifs, soit
31% de la population totale.
En un demi-siècle, le nombre d'habitants
palestiniens en Israël et à Jérusalem-Est serait donc multiplié par près de
quatre (de 948.000 à 3,7 millions), tandis que la part de la population
palestinienne dans la population totale doublerait (de 15,5% à 31, selon ces
projections.
Si l'on s'en tient à la population juive, les
composantes orthodoxe et ultra-orthodoxe devraient parvenir à contrebalancer la
fécondité modérée des laïcs: les démographes tablent sur un indice élevé de 2,3
enfants par femme en 2016-2020 chez les juifs israéliens.
La part des ultra-orthodoxes passerait de 7% de la
population juive aujourd'hui à 11% en 2020 et à 17% en 2050. La part des
orthodoxes passerait de 18% aujourd'hui à 21% en 2020 et à 24% en 2050. La part
des laïcs et religieux modérés, elle, serait en baisse, passant de 75%
aujourd'hui à 68% en 2020 et à 59% en 2050. Cela, à supposer que
l'ultra-orthodoxie et l'orthodoxie continueront de se transmettre des parents
aux enfants, nuance l'auteur, Youssef Courbage.
Autre enseignement de ces chiffres: la fécondité
serait en diminution sensible pour les musulmans, un peu moins forte pour les
druzes, en légère baisse pour les juifs et les chrétiens arabes, tandis qu'elle
sera constante pour les chrétiens non arabes et en augmentation pour les
personnes sans religion et les immigrants d'ex-URSS, selon les projections
israéliennes les plus plausibles.
Pour cette étude, l'auteur s'est notamment appuyé
sur les chiffres communiqués par le Bureau central de statistique d'Israël et
par le Bureau central de statistique
palestinien.
10. Le Figaro du
jeudi 9 novembre 2000
Un Arafat combatif face à
Clinton par Pierre Prier
A la veille de la rencontre entre Yasser Arafat et
Bill Clinton, la tension est montée d'un cran, hier, dans les Territoires
palestiniens. Cinq jeunes Palestiniens ont été tués lors d'affrontements avec
l'armée israélienne, dans la bande de Gaza, et près du village de Naplouse, en
Cisjordanie. Une Israélienne de 25 ans a également été tuée lors d'une attaque
au sud de la bande de Gaza. Sa voiture a été prise pour cible par des
Palestiniens. "Cette attaque est très grave", a déclaré Ehud Barak dans un
communiqué. L'attentat a été revendiqué, à Beyrouth, par un groupe extrémiste
palestinien, les Forces Omar al-Moukhtar, aile militaire du groupe Fatah
Soulèvement. L'armée israélienne a réagi en ordonnant une nouvelle fermeture de
l'aéroport de Gaza. Le premier ministre israélien a annoncé, hier, l'ouverture
d'une enquête officielle sur les conditions de la mort de 13 Arabes israéliens,
tués par la police le mois dernier lors de manifestations de solidarité avec les
Palestiniens des Territoires autonomes. De son côté, l'Autorité palestinienne a
salué la création d'une commission sur les violences dans les Territoires,
annoncée mardi par les Etats-Unis.
Les Israéliens regretteront Bill Clinton.
Pas les Palestiniens. Le fossé s'est creusé entre Yasser Arafat et le président
américain, qui doivent se rencontrer aujourd'hui. En Israël, au contraire,
jamais un président américain n'a été aussi populaire. Eitan Haber,
éditorialiste au plus grand journal hébreu, Yediot Aharonot, salue Clinton avec
des trémolos dans la plume: "Sa relation avec Israël était unique. Il n'y a
jamais eu quelqu'un comme lui, et je doute qu'il y ait un autre Clinton dans le
futur."
Ces adieux émus et anticipés ne feront que conforter le leader
palestinien dans son opinion. L'entrevue entre les deux hommes ne devrait pas
baigner dans la confiance mutuelle. Arafat est désormais convaincu que Clinton a
abandonné son rôle d'"intermédiaire honnête". La perte de crédibilité de Clinton
parmi les Palestiniens date de Camp David. Arafat, affirment les notables de
l'Autorité palestinienne, a l'impression que Clinton et Barak ont voulu lui
forcer la main. La vision israélienne, selon le porte-parole Avi Pazner, est
qu'"Arafat a été tellement surpris par l'ampleur de nos concessions qu'il n'a
pas su comment réagir".
Pour les Palestiniens, et pour certains Israéliens,
Bill Clinton et Ehud Barak ont eu tort de mettre sur la table des propositions
irréalistes. Le leader palestinien ne voulait pas rester dans l'histoire comme
l'homme qui aurait abandonné le droit au retour des réfugiés, accepté un
compromis sur Jérusalem et déclaré par-dessus le marché la "fin du conflit".
Quand Bill Clinton a ensuite blâmé Arafat pour l'échec du sommet, les
Palestiniens en ont conclu que les Etats-Unis avaient définitivement choisi leur
camp. Aujourd'hui, même l'un des principaux architectes des accords d'Oslo, le
président du Parlement Abou Ala, insiste pour que "d'autres arbitres
interviennent, comme l'Europe, la Chine, la Russie, l'ONU...". Marwan Barghouti,
l'un des chefs du Fatah, le parti de Yasser Arafat, ajoutait hier: "Je me moque
de savoir qui va gagner l'élection américaine. Le vainqueur soutiendra toujours
les Israéliens." Ehud Barak, qui doit à son tour rencontrer Clinton dimanche,
est bien entendu totalement opposé à l'arrivée de tout nouvel arbitre dans le
jeu.
De plus en plus étranglé économiquement, Yasser
Arafat s'accroche à l'espoir d'une intervention internationale sous une forme ou
sous une autre. Il arrivera à Washington d'humeur combative. Sur le terrain, un
certain degré de violence maintient la tension. Plusieurs jeunes Palestiniens
ont été tués, ainsi qu'une employée des douanes israélienne, morte dans une
embuscade à Gaza. Et Arafat garde toujours en réserve son arme dissuasive, la
déclaration unilatérale de l'Etat palestinien, pour laquelle le 15 novembre
reste une date possible, malgré le scepticisme de nombreux observateurs. Ce
jour-là, a annoncé hier le Fatah, les Palestiniens devront manifester dans
l'ensemble des Territoires, même les zones B et C toujours occupées par l'armée
israélienne.
11. Al-Quds (quotidien
palestinien) du jeudi 9 novembre 2000
Pas d'optimisme excessif sur le résultat
des élections américaines [traduit de l'arabe Marcel
Charbonnier]
Il est naturel que les Palestiniens suivent le
déroulement des élections présidentielles américaines, poussés non seulement par
la curiosité de savoir qui va occuper le fauteuil de la Maison Blanche et jouir
des prérogatives de l'homme le plus puissant au monde, mais aussi pour réfléchir
aux orientations politiques du nouveau président des Etats-Unis, notamment en ce
qui concerne le problème palestinien et le conflit arabo-israélien.
L'étrange
expectative qui a dominé les opérations électorales dans leur dernière phase,
celle du dépouillement des résultats, avant de proclamer le candidat vainqueur,
est tout-à-fait éloignée de ce qui se passe dans notre région. Il en va de même
du très faible écart constaté entre les résultats des deux candidats en
concurrence, tant au niveau du vote populaire que du collège des grands
électeurs. En effet, il est habituel, chez nous, que le candidat unique à
l'élection présidentielle obtienne un score de 99,9% des voix.
En dépit de
tout cela, les Palestiniens, occupés par leur lutte nationale pour conquérir
leurs droits légitimes, ont suivi les élections américaines avec un détachement
total : les deux candidats à la présidence, Georges W. Bush fils et Al Gore,
n'ont pas offert l'un plus que l'autre aux Palestiniens, et aux Arabes d'une
manière générale, une quelconque possibilité nouvelle de réaliser une paix basée
sur la droit et l'équité. Bien au contraire, ils se sont livrés à une surenchère
afin de conquérir les voix du lobby juif, promettant d'accorder une aide
militaire et économique accrue à Israël et s'engageant à transférer l'ambassade
des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.
En réalité, ces élections reflètent
bien les facteurs intérieurs et extérieurs qui déterminent la politique
américaine. Ce qui intéresse au plus haut point les électeurs américains, dans
le candidat de leur choix, c'est sa conception de l'action politique en matière
de règlement des problèmes intérieurs qui les concernent au premier chef :
enseignement, santé et sécurité sociale, conservation de l'environnement, droits
des minorités..., beaucoup plus que sa vision de la politique étrangère de leur
pays. A ce sujet, ils se déterminent en fonction de leur interventionnisme,
pouvant aller jusqu'à des interventions militaires directes dans tel ou tel
pays, ou de leur isolationnisme, de leur tendance au repli, de leur préférence
pour la sécurité intérieure et de la sauvegarde des âmes et des biens.
Dans
l'attente du verdict final de la bataille électorale, et de la certitude du
vainqueur, les Palestiniens ne sont pas portés à un enthousiasme qui voudrait
que Bush serait meilleur que Gore - ou l'inverse - car la ligne stratégique de
la politique américaine continuera à être celle du soutien inconditionnel à
Israël, et il est peu probable que Bush, pas plus que Gore, n'en dévieront d'un
iota.
12. Al-Ayyam (quotidien
palestinien) du jeudi 9 novembre 2000
Aide d'urgence de l'Union Européenne à
l'Autorité palestinienne, d'un montant de 27 millions d'Euros [traduit de l'arabe Marcel
Charbonnier]
La Commission européenne a annoncé, hier, qu'elle
vient de donner son aval à l'attribution d'une aide d'un montant de 27 millions
d'Euros à l'Autorité autonome palestinienne. Cette aide est destinée à couvrir
des dépenses courantes exceptionnelles, telles que les salaires des employés du
secteur public, après qu'Israël ait empêché le transfert des aides mensuelles
régulières allouées à l'Autorité palestinienne au titre du mois d'octobre
2000.
La somme débloquée sera transférée via un fonds spécial, créé en 1998,
destiné à apporter une aide financière sous forme d'avances récupérables versées
à l'Autorité palestinienne dans les situations particulières où les autorités
israéliennes n'assurent pas le transfert des fonds à l'Autorité palestinienne à
due échéance. Il convient de noter que cette procédure exceptionnelle est
utilisée par la Commission Européenne pour la première fois.
Le
protocole de Paris, signé par l'OLP et le gouvernement israélien, en 1994,
énonce qu'Israël doit verser, mensuellement, à l'Autorité palestinienne, le
montant des impôts et des droits de douane qu'il collecte. Israël ne s'est pas
acquitté de cette obligation pour le mois d'octobre dernier, entraînant des
difficultés financières pour l'Autorité palestinienne.
La Commission a
indiqué hier, dans un communiqué, qu'elle a pris sa décision après avoir été
informée par l'Autorité palestinienne du non-versement par Israël des sommes
dues, collectées durant le mois d'octobre, et après vérification de cette
information auprès du Fonds Monétaire International, chargé par les Etats
donateurs du suivi du budget de l'Autorité palestinienne,
La Commission
européenne a déclaré, dans son communiqué qui nous est parvenu directement au
journal "espérer contribuer par ce geste à alléger les difficultés financières
rencontrées par les fonctionnaires palestiniens".
13. Déclaration du Porte-parole du Quai
d'Orsay du mardi 7 novembre
2000
- La demande palestinienne d'envoi d'une force
des Nations unies pour protéger les Palestiniens aurait le soutien des
Américains. Mais, ils n'ont pas encore sollicité d'envoyer une unité de contrôle
des Nations unies pour protéger les Palestiniens contre les attaques de l'armée
israélienne. Etes-vous au courant, et que pense la France ?
- Nous comprenons que la réflexion qui est demandée
au Conseil de sécurité vise à protéger les populations civiles de la violence et
vous savez que le Conseil de sécurité est saisi de cette demande, que des
consultations informelles ont déjà eu lieu et se poursuivent, entre les membres
du Conseil, les différentes parties intéressées et le Secrétaire général des
Nations unies. Naturellement nous participons à ces réflexions.
- Pas les civils, les Palestiniens. Vous avez
dit les civils ?
- Les civils palestiniens, oui. C'est de cette
demande-là que le Conseil de sécurité est saisi, effectivement, par les
Palestiniens.
- Comment peut-on expliquer la banalisation des
assassinats quotidiens de Palestiniens, 2, 3 ou 4, 5, la multiplication des
blessés, comme si pour la France c'était quelque chose de banal, mais quand un
israélien tombe ou est assassiné, tout le monde réagit avec violence, dénonce
... Comment l'expliquez-vous ?
- Je crois que ce n'est pas exact. Parce que, nous
ne sommes pas indifférents et nous ne banalisons pas la violence qui a lieu dans
les territoires palestiniens.
- Avez-vous le temps d'écouter les radios
françaises ?
- Oui, enfin on essaie.
- Tous utilisent le mot ''territoire'', comme
si ces terres n'appartenaient à personne...
- Je redis donc : ''les territoires palestiniens''
et j'en reviens à mon propos : il n'y a pas banalisation, M. le ministre, Hubert
Védrine, est en contact quasiment tous les jours avec les acteurs utiles dans la
région pour précisément réduire, mettre fin à ces violences dont, et tout le
monde le sait, les premières victimes, les plus nombreuses, sont la population
civile palestinienne. Donc vous ne pouvez pas dire qu'il y a banalisation. Par
ailleurs il n'y a pas non plus, je crois, deux poids, deux mesures en ce qui
concerne nos réactions visant les victimes. Il y a aussi des morts israéliens,
même s'ils sont moins nombreux, et nous ne réagissons pas de manière
individualisée à chaque fois non plus. Nous réagissons en fait lorsqu'il y a une
augmentation qualitative, une forme nouvelle de violence qui apparaît, parce
qu'elle nous paraît représenter un développement dangereux de plus. Bref, nous
réagissons par une mobilisation exceptionnelle dans cette situation
exceptionnelle et je conteste que nous appliquions deux poids, deux
mesures.
- M. Jospin, avant hier au CRIF a parlé comme
s'il n'y avait pas d'assassinats de Palestiniens, il a évoqué seulement les
problèmes de la communauté juive en France, et fait la promesse de protéger le
lien entre cette communauté et Israël.
- C'est très grave, il n'a rien dit sur ce qui se
passe. C'était l'occasion pour lui d'attirer l'attention de la communauté juive
française sur les actes de l'armée israélienne, parce qu'ils s'expriment comme
s'ils n'étaient pas des citoyens français, mais M. Jospin n'a rien dit.
- La déclaration de M. Hajdenberg était
également choquante, avez-vous un commentaire ?
Aucun commentaire sur la déclaration de M.
Hajdenberg. Soyez sûrs par ailleurs que le Premier ministre a à cœur qu'il n'y
ait pas deux poids et deux mesures.
- Mais il y en a deux à Bir Zeit, M. Jospin
avait qualifié le Hezbollah de terroriste, et c'est pour cela qu'il a été
caillassé par les Palestiniens. Pourquoi n'a-t-il pas qualifié de même les
Israéliens ? Ce n'est pas un autre pays, c'est la France...
- Je ne peux que contester vivement votre
présentation qui n'engage que vous.
- Vous parlez de violences. De qui
l'augmentation des violences est-elle le fait ? Des Palestiniens, des Israéliens
?
- La violence augmente en spirale, d'un côté puis
de l'autre. Ce qu'il faut c'est mettre fin à cette spirale de
violences.
- Je n'ai pas compris la position française
concernant les réflexions actuelles au sein du Conseil de sécurité sur la
protection des civils palestiniens.
- Nous abordons cette réflexion avec un esprit
ouvert bien sûr, mais je vous rappelle que sur le fond, le ministre, à l'issue
de ses entretiens avec M. Ben Ami, avait rappelé qu'il y avait un certain nombre
d'hypothèses et de difficultés spécifiques qui devaient être envisagées et
résolues pour que l'on puisse utilement discuter du déploiement d'une telle
force.
- Question très simple : la France
estime-t-elle que la population palestinienne a besoin d'être protégée
?
- Oui, nous comprenons tout à fait ce besoin de
protection. Mais cette protection, tout le monde en a besoin, et pas seulement
la population civile palestinienne. La violence touche les deux côtés, il y a
une spirale de violences.
- Est-ce que l'armée israélienne a besoin de
protection ?
- Je n'ai pas parlé spécifiquement de l'armée
israélienne. Dans cette crise, ce que nous voulons c'est que la violence dans
son ensemble diminue et que le calme revienne. Notre position est très
claire.
- Il est question que la conférence
interministérielle euroméditerranéenne, qui suppose la présence de quelques
personnes de chaque pays, adopte une charte sur
la sécurité ?
- J'ai dit vendredi que ce dossier ne paraissait
pas mûr pour Marseille, et que je doutais qu'il le soit. On fera peut être un
point sur l'avancement des travaux mais je ne pense pas que le sujet soit mûr
pour décision.
- Dans le cadre d'Euromed a été lancée l'idée
d'avoir un espace de paix et de sécurité dans la région...
- C'est notre objectif.
- ...alors qu'il y a un peuple qui subit tous
les jours des agressions terribles de la part d'un état de la région qui fait
partie de cette conférence, et il n'y a pas de mesures de protection du peuple
palestinien. Comment peut-on avoir confiance dans un tel partenariat
?
Le partenariat Euromed est un partenariat qui vise
à développer des relations harmonieuses entre la rive Nord et la rive Sud, ce
n'est pas un partenariat qui vise à permettre à l'un des deux côtés, en l'espèce
l'Union européenne, de s'ingére dans les affaires des Etats de l'autre côté. Ce
n'est pas non plus un partenariat qui vise à ce que l'Union européenne se
substitue à des partenaires qui doivent faire la paix. Dans ces conditions, nous
pouvons faire ce qui nous apparaît utile, et ce qui nous apparaît utile dans la
situation difficile actuelle, c'est de contribuer à créer des conditions qui
favoriseront un retour à une paix juste, durable, équitable, une paix
d'ensemble. Si le partenariat Euromed présente un certain nombre d'avantages
objectifs pour les partenaires de la rive Sud, il ne prétend pas se substituer à
ce qui doit être fait dans d'autres enceintes : s'agissant du rétablissement de
la sécurité dans les territoires et au Proche Orient, il y a pour cela un
processus, dont la dernière manifestation a été la réunion de Charm el-Cheikh.
Et il y a aussi bien sûr la tutelle d'ensemble des Nations unies. C'est là,
qu'il faut poser votre question d'abord.
- Pour nous, l'Europe est absente, même si vous
dites que M. Solana était là à Charm el-Cheikh, l'Europe est absente. Il n'y pas
d'action de la part de l'Europe dans cette situation qui est vraiment grave pour
l'Europe.
- Je ne suis pas sûr que ce que vous dites appelle
un commentaire spécifique de ma part puisque c'est un jugement de la votre. Ce que je peux dire, c'est que nous cherchons à nous
acquitter de nos responsabilités, de manière efficace, mais sans créer d'illusions dangereuses en annonçant que nous
voulons jouer un rôle qui ne serait pas le nôtre.
- Avez-vous reçu, de la part de pays du Sud de
la Méditerranée, des demandes officielles d'ajournement de la réunion
de Marseille ?
- Non, je n'en suis pas informé pour
l'instant.
- Sur la question des observateurs des Nations
unies pour les territoires palestiniens, et autre chose, il semble qu'il existe
actuellement une idée d'observateurs sur le modèle Hébron. Est-ce que la France
pourrait jouer un rôle médiateur entre les deux positions ?
- S'il y avait un accord qui émerge là-dessus, nous
serions évidemment tout-à-fait disposés à jouer un rôle utile.
- Est-ce que vous avez reçu le refus du Liban
de participer à la conférence ?
Nous avons pris note de déclarations publiques mais
nous n'avons pas reçu communication d'une intention négative à ce sujet de leur
part. La réponse est non.
- Mais qu'est qui vous permet de maintenir que
cette réunion va se tenir, parce que d'après la position du sommet
arabe...
-Vous savez qu'une réunion de suivi devrait se
tenir à Doha, très prochainement...
- Ca n'a rien à voir...
Si cette réunion n'a rien à voir, les informations
qui sont en notre possession à ce stade et qui ne devront alors donc plus
changer, nous donnent à penser que la réunion de
Marseille pourra se tenir utilement. Elle aura lieu, de toute
manière.
- Sur le niveau de violence utilisé par l'armée
israélienne, est-ce que la France estime toujours que cette violence est
disproportionnée et excessive à l'égard des Palestiniens ?
- Dès l'instant qu'il y a des morts, cela me parait
clair.
- Il y a des voix diplomatiques dont celle du
ministre russe pour contester plus ou moins la formule du parrainage américain
du processus de paix. Est-ce qu'il pourrait y avoir d'autres initiatives
susceptibles de détrôner le parrainage américain? Parce que c'est une formule
qui s'est soldée par un échec jusqu'à maintenant. Est-ce que vous êtes prêts par
exemple à saisir la perche russe, à réfléchir à un aspect multilatéral pour
résoudre le problème ?
- Un, je trouve que c'est un jugement trop rapide
de dire que ça s'est soldé par un échec : vous savez ce que nous pensons des
résultats des discussions de Camp David qui ont permis des percées importantes.
Deux, vous savez que nous réfléchissons, nous travaillons et que nous avons
décidé d'intensifier nos réflexions avec les Russes. Trois, je ne suis pas
informé d'une initiative particulière pour l'instant.
- J'ai constaté que depuis quelques temps dans
les médias français on ne parle plus des ''Territoires occupés'', mais
des ''Territoires''. Vous avez un commentaire
?
- La presse est indépendante, ce qui ne veut pas
dire qu'elle soit toujours objective.