Point d'information Palestine > N°113 du 10/11/2000

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Au sommaire
 
Réseau Palestine
Le journal de Chantal Abu Eisheh, citoyenne d'Hébron en Palestine
Revue de presse
  1. Israël élimine un responsable du Fatah en Cisjordanie par Alexandra Schwarztbrod in Libération du vendredi 10 novembre 2000
  2. Les juifs interdits de prière au tombeau de Rachel par Alexandra Schwarztbrod in Libération du vendredi 10 novembre 2000
  3. Yossi Beilin, ministre israélien de la justice : "Il n'y a qu'Arafat qui puisse mettre un terme à la violence"  propos recueillis par Catherine Dupeyron et Georges Marion in Le Monde du vendredi 10 novembre 2000
  4. Le paradoxe Barak par Vincent Hugeux et Hesi Carmel in L'Express du jeudi 9 novembre 2000
  5. Beilin ne désespère toujours pas par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du jeudi 9 novembre 2000
  6. Pourquoi la solidarité arabe est si mesurée par Nahla Shahal in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres) traduit par Courrier International du 9 au 27 novembre 2000
  7. Retenez-moi ou je proclame mon Etat ! par Akiva Eldar in Ha'Aretz (quotidien israélien) traduit par Courrier International du 9 au 27 novembre 2000
  8. Proche-Orient : attachés "par leurs extrémités" par André Fontaine in Le Monde du jeudi 9 novembre 2000
  9. En 2020, les Palestiniens seront plus nombreux que les juifs, selon des projections démographiques Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 9 novembre 2000, 17h37
  10. Un Arafat combatif face à Clinton par Pierre Prier in Le Figaro du jeudi 9 novembre 2000
  11. Pas d'optimisme excessif sur le résultat des élections américaines in Al-Quds (quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre 2000 [traduit de l'arabe Marcel Charbonnier]
  12. Aide d'urgence de l'Union Européenne à l'Autorité palestinienne, d'un montant de 27 millions d'Euros in Al-Ayyam (quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre 2000 [traduit de l'arabe Marcel Charbonnier]
  13. Déclaration du Porte-parole du Quai d'Orsay du mardi 7 novembre 2000
Réseau Palestine

 
Le journal de Chantal Abu Eisheh, citoyenne d'Hébron en Palestine
Reprise des précieux témoignages de Chantal Abu Eisheh, après trois semaines de silence forcé, son accès internet a été rétabli. Voici dons un nouvel état des lieux à Hébron, couvrant la période du 17 octobre au 6 novembre 2000.
Quoi de neuf depuis notre dernier message ? A Hébron, de nouveaux morts et de nouveaux blessés, des maisons palestiniennes aux fenêtres brisées par des pierres lancées par de jeunes colons, des façades trouées de balles de divers calibres tirées par des soldats israéliens, des colons qui se promènent rue des Martyrs (fermée pour raison de « sécurité » depuis le massacre de la Mosquée d'Abraham), plus vide que jamais, sous la protection de l'armée, et certaines nuits des tirs très nourris. Je reprends les événements depuis mon dernier mail.
Mardi 17 octobre : L'armée israélienne a fait une tranchée dans la route qui relie Halhoul (village situé à la sortie d'Hébron en direction de Jérusalem) à la route 60 Jérusalem-Beershaba, empêchant ainsi toute circulation au delà de cette localité. Et comme l'accès à la route de contournement qui passe  à la sortie d'Hébron était bloquée par l'armée... nous étions encerclés. Depuis ce jour impossibilité d'utiliser le courrier électronique puisque le câble du serveur qui passait sous la route a été coupé... La compagnie de téléphone israélienne Bezeq refuse de réparer, malgré l'existence d'un accord avec les télécoms palestiniennes. Du même coup les liaisons avec certains portables israéliens sont également impossibles.
Jeudi  19 octobre : La circulation sur la route Bethléem-Hébron a été coupée par l'armée israélienne à cause de jets de pierre. Une longue file de voiture a été bloquée plusieurs heures. Dans cette file de voitures, Palestiniens et colons étaient mélangés . Ces derniers ont commencé à descendre de leur voiture et à agresser  les Palestiniens.
Samedi 21 octobre : Un chauffeur de taxi qui nettoyait sa voiture au carrefour du centre ville d'Hébron (dans la zone autonome) a reçu en pleine tête une balle tirée par un soldat israélien et à Tell Rumeida (colonie située sur une coline surplombant la rue des Martyrs) les colons ont bouché au ciment un escalier qui menait aux maisons palestiniennes voisines de leur « mobile-homes » (qui n'ont de mobile que le nom...)
Dimanche 22 octobre : des hauts parleurs de l'armée israélienne «préviennent » la population en ces termes : « habitants d'Hébron, en cas d'agression à l'encontre d'Israéliens, la riposte sera ferme, y compris par avion. Ceci est un communiqué du gouvernement militaire ».
Lundi 23 octobre : 26ème jour de violence. Anwar va à la fac qui n'est pas officiellement fermée mais bien vide puisque seuls les profs et élèves des proches environs peuvent s'y rendre.
Mardi 24 octobre : Anwar n'est revenu que ce matin... Ayant entendu à la radio israélienne qu'une patrouille militaire israélienne avait été attaquée part des Palestiniens à Halhoul, il a renoncé à revenir à Hébron se disant qu'à coup sûr la route serait fermée... Ce matin il a donc repris le chemin de la maison. En fait il n'y a pas eu d'attaque hier mais un bête accident de la circulation... par contre des blocs de béton avaient été placés à l'entrée de Halhoul. Pas de soldats israéliens à ce barrage, les voitures qui précédaient Anwar ont déplacé les blocs et sont passées, lui aussi à leur suite... Par contre j'ai entendu des tirs très très proches de la maison entre 23h 30 et 1h du matin. Heureusement les enfants n'ont pas été réveillés mais moi je me suis plaquée contre le mur de la salle de bain, me disant que si une balle perdue entrait dans la maison, il valait mieux se mettre à l'abri... J'apprendrai quelques heures plus tard que ce sont les gardiens israéliens de la petite centrale électrique proche de chez nous et qui alimente les colonies environantes, qui tiraient...
Mercredi 25 octobre : Toujours sans accès au serveur Hebronet, je vais me connecter au café internet qui fonctionne sur un serveur de Ramallah. Il y a la queue... je me trouve devant un menu en arabe avec clavier anglais, hébreu, arabe, cela pourrait aller mieux ! La télévision palestinienne annonce que le tireur palestinien qui a visé Gilo est un collaborateur... N'empêche que Beit Jala commence à écoper... Toujours pas de Radio Palestine depuis que les rockets tombées sur Gaza ont détruit l'installation. Mais par un mystère non élucidé des techniques modernes, les images de la télévision palestinienne sont accompagnées des commentaires de la radio... et ceux de la télévision perdus dans les airs !
Jeudi 26 octobre : Le blocus des villes est levé, cela veut dire que théoriquement on peut se rendre d'une ville palestinienne autonome à l'autre mais en pratique les choses sont bien différentes.  Le moindre incident ou barrage peut transformer un petit trajet en épopée dangereuse. Le bouclage, par contre, est toujours en vigueur. Impossible donc de se rendre à Jérusalem ou Gaza. Certaines denrées commencent à manquer, les commerçants palestiniens ne pouvant s'approvisionner en Israël. Par contre les représentants de commerce israéliens se font bien présents et viennent proposer aux supermarchés et revendeurs des produits de «remplacement » ... Et depuis le début du mois le couvre-feu est toujours imposé sur la zone H2 d'Hébron. Il est levé en moyenne 5 heures tous les trois jours pour permettre aux habitants de s'approvisionner. Les écoles de cette zone sont donc toujours fermées, les enfants ne peuvent pas non plus se rendre aux bibliothèques de la vieille ville et le local de notre association reste également fermé, les cours de français sont donc suspendus, les enterrements sont interdits au cimetière qui longe la rue des Martyrs. Ici, enterrement d'un père de famille qui a reçu en pleine tête une balle  tirée par un soldat israélien alors qu'il était chez lui, dans la zone autonome H1. Première sortie nocture chez des amis palestiniens . On a l'impression de respirer un peu... Ca ne dure pas : 1. un petit attroupement sur la route du retour. Un « moustaribin » (israélien déguisé en palestinien) aurait enlevé un adolescent palestinien 2. de 2h à 3h 30 du matin, à nouveau des tirs de mitraillettes et autres engins. Jamal se réveille et vient nous retrouver, tout effrayé.
Vendredi 27 octobre :
30ème jour... Mes belles-soeurs me demandent ce que j'ai stocké comme produits de consommation courante en prévision de la suite des événements... Je réponds : « rien » !
Samedi 28 octobre : Anwar se préparait à partir pour Jérusalem à la fac (quelques étudiants et quelques profs s'y rendent mais n'assurent toujours pas de cours étant donné le trop grand nombre d'absents qui ne  peuvent venir de Naplouse, Hébron etc... mais entend à la radio israélienne que la route des tunnels (by-pass qui évite Bethléem) est fermée, et Bethléem aussi...il reste donc à Hébron.
Dimanche 29 octobre : Levée du couvre-feu dans la vieille ville, nous y allons donc faire un tour et découvrons un gros bloc de béton à l'entrée du souk qui gêne  considérablement les carioles et petites charettes qui transportent quelques marchandises (et
encore, le bloc a été un peu déplacé par les  habitants car rien ne pouvait passer) des sacs de sable sur un grand nombre de maisons palestiniennes, protégeant les soldats et leurs engins de tir d'autres sacs de sable bouchent quelques fenêtres des colonies, les containers d'ordures débordent, des rats se régalent et surtout les visages fermés et tendus des habitants ... Toutes les boutiques ne sont pas ouvertes, quelques familles se sont temporairement installées chez des parents en zone autonome, le marché est à moitié vide, les ruelles aussi. Il faut savoir que l'armée, si elle annonce la levée de couvre-feu, n'annonce pas toujours l'heure à laquelle il sera re-imposé et chacun sait qu'il ne fait pas bon se trouver dehors à ce moment-là. Nous rencontrons Christian, un médecin de Médecins du Monde arrivé il y a une semaine. Il nous raconte comment l'ambulance dans laquelle il se
trouvait avec un malade envoyé par l'hôpital gouvernemental d'Hébron à celui de Ramallah a essuyé des tirs dans les roues et a donc crevé. Le malade qui était attendu dans un service de soins intensifs est décedé quelques minutes après son arrivée à l'hôpital.
Lundi 30 octobre : Premier cours de français depuis un mois.. à la maison !  L'un des deux profs habitant Jérusalem a décidé de venir. A l'entrée d'Hébron il est assez longuement interrogé par la securité palestinienne qui le laisse finalement passer. Par contre sur la route du retour il est arrêté par ces fameux blocs de béton qui coupent la route à Halhoul. Il revient à la maison où deux étudiants lui proposent de le mettre sur le chemin qui contourne le barrage. Nous ne sommes pas chauds car nous nous sentons
responsables de l'individu et finalement celui-ci décide de passer la nuit chez nous. Le lendemain matin il repart avec Anwar sur Jérusalem... en contournant le barrage.
Mardi 31 octobre : Levée du couvre-feu dans H2. Il semble que cela soit pour de bon....dit-on... Hébron semble plus calme que Ramallah et Naplouse et bien sûr Gaza. Beit Jala et Beit Sahour continuent d'essuyer des tirs. Au café internet je rencontre le médecin MdM. Il me raconte comment, parti à 12h d'Hébron en taxi collectif, il est arrivé à 15h à Jérusalem. Au cours du trajet le prix demandé par  le chauffeur monte et les esprit s'échauffent... Pour rentrer, il prendra un taxi qui sera arrêté à la sortie de Jérusalem , lequel le confiera à une voiture particulière qui le remettra enfin à une voiture qui vient jusqu'à Hébron...
Mercredi 1er novembre : Le couvre feu est toujours levé mais j'apprends par quelqu'un qui travaille dans la vieille ville que des blocs de béton ont été placé à tous les accès du souk empêchant  la circulation automobile aux alentours. Dans la soirée, la voisine descend me dire qu'il y a des tirs en bas de la ville (même en zone 2) et que bien sûr le couvre-feu est à nouveau imposé dans H2... En écrivant, j'entends en effet des rafales assez loin...
Jeudi 2 novembre : Il me faut un café très fort après une mauvaise nuit. En effet à partir de 0h 30 de nouveaux tirs, nettement plus proches, se font entendre. Intermittents, ils laissent juste le temps de se rendormir pour être de nouveau réveillé. Cela dure jusque vers 2h . Départ pour Jérusalem afin de renouveller l'assurance et la carte grise de ma voiture. Les chars postés près de Gilo ont disparu. Pas un barrage sur la route. Même au check-point permanent, les soldats ne semblent pas intéressés par les voitures qui passent. Ils leur tournent le dos... Poursuivons jusqu'à El Bireh. Des pneus calcinés, des barils renversés mais rien de plus sur la route. Le barrage d'A-Ram se passe bien aussi. La radio annonce alors un colis piégé à l'entrée de Halhoul, donc près
d'Hébron : pourrons-nous rentrer ? Sur la route du retour nous entendons à la radio qu'une voiture a explosé près du Marché de M. Yehuda à Jérusalem-Ouest... Néanmoins nous repassons toujours sans problème le check-point de Gilo (le permanent) mais découvrons de nombreuses pierres sur la chaussée à quelques mètres. Des voitures de l'armée sont là, les lanceurs de pierre sont apparemment déjà partis... Et pour finir nous rentrons à la maison... sans barrage à Halhoul. Par contre le couvre-feu est réimposé sur H2, pour quelques heures... On se dit que vraiment il est difficile de savoir où on en est et que de se fier aux nouvelles des  radios n'est pas non plus forcément la solution. La lumière d'automne rendait bien belle ce matin la campagne palestinienne qui semblait si calme... Qui pouvait imaginer qu'hier un déluge de feu s'abattait sur El Khader et Beit Jala ? Une amie française, Annie, médecin au centre médical d'El Khader, me raconte au téléphone l'horrible journée d'hier : les tirs sur l'hôpital (deux chambres et un bureau touchés, heureusement les malades avaient été déplacés dans une aile « à l'abri »), les trois morts de la journée, les
ambulances qui ne pouvaient ni aller chercher des blessés ni en amener, et les blessures révoltantes. de retour chez elle à Beit Sahour, de nouveaux tirs, pas d'électricité, les enfants installés chez les voisins...
vendredi 3 novembre : Levée du couvre-feu. Les marchands de fruits et légumes du marché (H2) ouvrent leurs étales. Quelque temps après des colons font « une descente » et renversent tout ce qui est sur leur passage. Des bagarres s'ensuivent. Les marchands plient bagage. Anwar, descendu au siège de l'Association et qui voulait vérifier l'état du réservoir d'eau, entend, après la prière, des tirs. Couvre-feu à nouveau imposé. En redescendant du réservoir, il tombe de 3 m et se casse le coude... En arrivant à l'hôpital, il voit un jeune homme avec une balle en caoutchouc dans l'oeil. Les mèdecins de l'hopital Al Ahli lui disent qu'ils ont eu au moins 30 cas similaires... Quelle précision de tir !... La balle « en caoutchouc » .crève purement et simplement l'oeil.
Samedi 4 novembre : C'est  shabbat, donc le couvre-feu reste en vigueur dans H2..En sortant de l'hôpital où Anwar se fait refaire son plâtre, nous assistons à l'arrivée d'une adolescente de 14 ans qui a reçu une balle dans la tête en sortant de l'école... Nous apprendrons aussi dans l'après-midi qu'un bébé de 24 jours est mort après avoir inhalié des gaz lacrymogènes. Le soir nous entendons de nombreux tirs (vieille ville, colonies avoisinantes), cela commence vers 19h et se termine vers 3h... Un taxi de la famille d'Anwar, garé en zone autonome reçoit deux balles dans le moteur...Véhicule foutu.
Dimanche 5 novembre : Toujours le couvre-feu. Nous prenons nos dispositions pour donner les cours en dehors de la vieille ville jusqu'au début du ramadan... Les hélicoptères nous survolent très bas et les enfants qui jouent dans la cours rentrent précipitamment. Une des soeurs d'Anwar, directrice d'une école à la limite des deux zones H1 et H2 a constaté en sortant de son école en fin de matinée que les blocs de béton qui ont été disposés pour interdire l'accès à H2 ont été avancés de quelques mètres en zoe H1, de ce fait l'accès à l'école est désormais en « zone interdite »...
Lundi 6 novembre : Je retrouve donc quelques uns des étudiants inscrits aux cours de français. Il y a  beaucoup d'absents : deux étudiants à l'université de Bethléem se sont installés là-bas pour éviter les transports très aléatoires. Les autres sont ils démotivés ? L'Université Al Quds a décidé un programme dit « d'urgence » : les cours ont lieu de 8h à 11h, exceptionnellement 13h. Fin d'une chronique hélas ordinaire. Les conversations quotidiennes avec les voisins et la famille tournent toujours autour des « événements ». Les questions sont presque toujours les mêmes : avez-vous entendu les tirs cette nuit ? Savez vous ce que les colons ont encore fait  ? Comment les enfants prennent-ils tout cela ? Comment est la route aujourd'hui ? Aucun optimiste sensible, tout le monde s'attend à ce que cette situation perdure. Les magasins sont vides de clients, les mariages se font dans la discrétion, notre voisine coiffeuse ne fait plus recette, elle n'est sûrement pas la seule. Les rats continuent de proliférer dans la vieille ville etc etc... Dernière information, normalement le taux de chèques sans provision présentés dans les banques d'Hébron est de 20 à 25%. Il est en ce moment de 80% se lamente notre ami qui travaille dans une banque !
 
Revue de presse



1. Libération du vendredi 10 novembre 2000
Israël élimine un responsable du Fatah en Cisjordanie
par Alexandra Schwarztbrod
Des roquettes ont désintégré la voiture d'Hussein Abayat.
Jérusalem de notre correspondante
Une nouvelle étape a été franchie hier dans la guerre larvée que se livrent Israéliens et Palestiniens: les attaques humaines ciblées. Les autorités israéliennes ont tué Hussein Abayat, un des responsables du Fatah (le mouvement d'Arafat) en Cisjordanie. Une opération décidée «au plus haut niveau de Tsahal (l'armée, ndlr) et du gouvernement», a précisé hier un responsable militaire. Ce n'est pas un hasard si elle s'est déroulée à quelques heures d'une nouvelle rencontre à Washington entre Yasser Arafat et Bill Clinton. Ehud Barak a appliqué à la lettre la célèbre maxime de Yitzhak Rabin, dont Israël commémorait hier l'assassinat: «Il faut mener la guerre contre le terrorisme comme si les négociations de paix n'existaient pas, et les négociations de paix comme si le terrorisme n'existait pas.»
Il était environ midi quand un hélicoptère israélien a tiré trois roquettes sur une camionnette transportant trois Palestiniens dans la ville de Beit Sahour. Le véhicule s'est désintégré. Selon Reuters, Abayat a été complètement déchiqueté. Un autre passager était, hier soir, dans un état «critique»: Khaled Salahat, un des hauts responsables des services secrets palestiniens. Deux femmes qui passaient par là ont succombé à leurs blessures. Plus tard à Jérusalem, un officier israélien a justifié l'opération en expliquant qu'«Abayat s'apprêtait à attaquer des soldats israéliens dans un camp militaire de Beit Sahour», avant de dérouler la liste des innombrables attaques dont le chef local des Tanzim était responsable depuis début octobre. Il a laissé entendre que l'opération faisait partie d'une stratégie visant à éliminer des activistes parmi les manifestants palestiniens. Présenté comme «un marchand d'armes illégales», Abayat est considéré par Israël comme «un des cerveaux du réseau terroriste» responsable des affrontements.
Que cherche Barak en franchissant ce palier? «C'est une façon de prouver que personne n'est à l'abri. Nous espérons que cette action va calmer la situation, et nous sommes toujours prêts à reprendre les négociations», a expliqué un responsable militaire. La chose est rien moins qu'évidente. Jusqu'à hier, les hélicoptères israéliens n'attaquaient que des bâtiments de l'armée ou de la police et étaient précédés d'avertissements afin d'épargner les vies humaines. Cette opération, véritable gifle à Arafat, risque d'entraîner les Palestiniens à franchir eux aussi un nouveau palier. Ce que Washington cherche à empêcher. Sans condamner formellement la mort de Hussein Abayat, la Maison Blanche a ainsi déclaré que celle-ci «soulevait de graves questions».
Le Fatah, lui, a aussitôt condamné cet «assassinat» et promis qu'il se vengerait. «Escalade dangereuse», a déclaré Marwan Barghouti, supérieur direct d'Abayat. Si les Palestiniens sont pris à la gorge par les conséquences économiques du blocus et hésitants sur la stratégie à suivre, la rage est aussi un des moteurs de cette Intifada.
Le Qatar a décidé hier de fermer son «bureau de liaison» avec Israël, à la veille du sommet de l'Organisation de la conférence islamique, à Doha.

2. Libération du vendredi 10 novembre 2000
Les juifs interdits de prière au tombeau de Rachel
par Alexandra Schwarztbrod
Les fidèles empêchés de se rendre sur ce lieu sacré du judaïsme, hier.
Bethléem envoyée spéciale
Devant la fourgonnette des forces de sécurité, une Israélienne se roule par terre. Dans son uniforme de la police, une jeune fille s'approche, tente de relever la manifestante puis, dans un hurlement, lâche sa charge avant de porter la main à sa bouche. L'autre lui a mordu le doigt. Les pleurs se confondent avec les cris. Les deux femmes sont prestement embarquées dans le véhicule, suivies par les vociférations et les menaces de la foule.
Sans appel. «Quand les Arabes veulent aller prier à la mosquée d'Omar, le gouvernement israélien déploie des forces considérables dans la vieille ville pour les protéger contre les juifs. Mais quand les juifs veulent aller célébrer Rachel, notre mère à tous, on les en empêche, c'est indigne!», hurle Simone, la voix chargée de sanglots. C'était hier, à une centaine de mètres du check point israélien de Bethléem, où la route avait été bloquée par des barrières de police. Dans la nuit, la consigne était tombée des autorités israéliennes, sans appel: les fidèles juifs n'étaient pas autorisés à aller célébrer l'anniversaire de la mort de Rachel, dont la tombe est considérée comme un des lieux les plus sacrés du judaïsme. Et un des plus dangereux.
Enclavée en territoire palestinien, à l'entrée de Bethléem, elle est, depuis le début de la nouvelle Intifada, le théâtre quasi quotidien d'affrontements violents entre jeunes manifestants palestiniens et forces de sécurité israéliennes. Le gouvernement Barak avait compris le danger... et le risque d'être accusé de commettre, six semaines après la fameuse visite d'Ariel Sharon à l'esplanade des Mosquées, une nouvelle provocation.
Mère de la fertilité. «De sa tombe, j'entends ma mère Rachel pleurer en appelant à elle ses enfants!... Je suis désespérée!... C'est la première fois depuis 3800 ans que l'on interdit aux juifs d'aller prier ce jour-là!», se lamente une manifestante. La plupart des fidèles sont des femmes, car Rachel est considérée comme la mère de la fertilité. Avec leur chapeau et leur longue jupe flottante, certaines prient, en se balançant d'avant en arrière, assises sur le trottoir. Toutes attendent un impossible laissez-passer.
«Et si on empêchait les chrétiens d'aller prier le soir de Noël, vous imaginez? C'est impensable!», hurle une femme au bord de la crise de nerfs. «Ils ont déjà saccagé la tombe de Joseph. Si nous laissons faire aujourd'hui, c'est au mur des Lamentations que l'on nous empêchera d'aller prier demain! Les Arabes, on leur donne ci, ils veulent ça!»
Représailles. Plus encore que le soleil de plomb, la haine pèse ici de tout son poids. Soudain, une femme réussit à enjamber la barrière, coursée par une dizaine de soldats. C'est Nadia Matar, une des leaders du mouvement d'extrême droite «Les femmes en vert». «Ce gouvernement idiot et criminel dirigé par Rabin et Pérès a donné des armes aux Arabes pour en faire des meurtriers. C'est normal qu'on succombe au terrorisme. Nous, nous demandons en représailles au gouvernement de fermer l'esplanade des Mosquées pendant un mois!» Les barrages ayant été installés très en amont, aucune confrontation n'était hier possible ici avec les Palestiniens.
 
3. Le Monde du vendredi 10 novembre 2000
Yossi Beilin, ministre israélien de la justice : "Il n'y a qu'Arafat qui puisse mettre un terme à la violence"  propos recueillis par Catherine Dupeyron et Georges Marion
- Vous avez récemment déclaré que les quartiers arabes de Jérusalem feraient partie de la future capitale palestinienne El Qods. Votre ministère, qui est dans un tel quartier, va-t-il devoir le quitter ?
- Je ne sais pas si cette partie de Jérusalem fera partie de l'accord final, mais je pense que le plus important est que Jérusalem soit au menu des négociations. Bien sûr, les Palestiniens demandent que les quartiers palestiniens constituent une partie de leur Etat, qu'ils fassent partie de leur capitale El Qods. Ce sera un élément de la négociation.
Lorsque nous évoquons Jérusalem, nous parlons essentiellement de la partie Ouest de la ville, des quartiers juifs situés dans la partie Est, et de la Vieille Ville. Les camps de réfugiés à Kalandia ou à Chouafat, à l'Est, ne font pas partie de Jérusalem telle que chaque Israélien la conçoit. Les Israéliens n'y vont d'ailleurs que rarement. En revanche, le quartier juif dans la Vieille Ville, le mur des Lamentations et le mont du Temple sont des symboles pour chaque Israélien. Le principal problème est le mont du Temple. A Camp David, les Palestiniens n'étaient pas assez conscients de notre relation au mont du Temple. Ils étaient convaincus que seul le Mur nous importait et ils ont perçu notre revendication sur le mont du Temple comme quelque chose de circonstanciel.
- Vous n'en aviez jamais discuté auparavant ?
- C'est ce qu'ils prétendent, mais c'est faux. Parce que les rabbins font interdiction aux juifs religieux d'aller au mont du Temple, peut-être ont-ils pensé que le lieu était plus sacré pour eux que pour nous. Ce problème constitue vraiment l'une des plus importantes difficultés. Je ne pense pas qu'il soit insoluble, mais ce sera difficile. D'abord, il nous faut comprendre pourquoi ce lieu est si important pour eux ; et ils doivent comprendre ce qu'il signifie pour nous.
- La question délicate paraît être celle de la souveraineté.
- Même sur cette question, il peut y avoir un compromis sous la forme d'une souveraineté conjointe, partagée, conditionnelle, extra territoriale, ou divine. Nous pouvons trouver des solutions pour une question de souveraineté qui est surtout symbolique. Depuis trente-trois ans, les règles sur le mont du Temple sont connues : le Waqf [l'organisme religieux chargé d'administrer les biens de mainmorte] en est le gestionnaire quotidien, la police israélienne n'y entre que lorsqu'il y a des incidents et les juifs n'y prient pas. Il ne s'agit pas d'un lieu où la souveraineté israélienne s'exerce de la même manière que, par exemple, sur un jardin public de Tel-Aviv. Mettons par écrit les règles de comportement sur le mont du Temple. Ensuite seulement, viendra la question de la souveraineté. Si les règles sont claires, si le lieu est accessible pour tout le monde, nous trouverons une solution qui permette de vivre, plus ou moins, sous le même statu quo que depuis trente-trois ans.
- Avez-vous été surpris par la nouvelle Intifada ?
- Oui, énormément. Elle a éclaté alors que nous étions à deux doigts d'un accord, sur tous les sujets. Jamais auparavant nous n'étions arrivés aussi près du but... On peut trouver des explications, dire qu'Arafat était dans l'impasse, qu'il cherchait un soutien international qu'il ne pouvait obtenir qu'à la faveur de ce genre d'explosion, mais après ? On comprend ceux qui, dans les années 60, se sont lancés dans le combat contre l'occupation israélienne. Ils n'avaient alors aucun interlocuteur et le premier ministre de l'époque, Golda Meïr, affirmait que le peuple palestinien n'existait pas. Mais aujourd'hui n'y a-t-il pas un gouvernement israélien prêt à faire le chemin nécessaire pour arriver à un accord ? N'y a-t-il pas des pays prêts à aider financièrement comme politiquement pour rendre un accord possible ?
- Peut-être est-ce parce que c'est Israël qui a commencé les violences sur le mont du Temple ?
- On peut discuter du déroulement des événements et on peut même, à tort ou à raison, critiquer la police sur son intervention, mais la question est ailleurs. Je ne comprends pas comment on est passé des débordements aux émeutes. Je ne comprends pas pourquoi, du côté palestinien, il n'y avait pas assez de gens à la tête froide pour dire aux manifestants : « Vous avez raison, les Israéliens ont eu tort, mais on va en discuter avec eux, nous sommes proches d'un accord. » Ils peuvent appeler Barak, ils peuvent appeler, comme ils disent maintenant, « l'affreux traître ministre de la police Ben Ami », et ils peuvent même appeler « l'abominable » ministre de la justice que je suis.
- Personne n'a appelé ?
- Personne. Avant, on se téléphonait tous les jours et, d'ailleurs, on continue. Je pense que, pas plus que nous, ils n'ont compris que les incidents du mont du Temple conduiraient à ces émeutes. Le pire, ce n'est pas la violence en soi, mais le fait que la police palestinienne nous ait tiré dessus et que Marouane Barghouti [le responsable du Fatah en Cisjordanie] soit devenu le héros de cette révolution. On se connaît depuis de nombreuses années. Il n'est pas un étranger. Le voilà brusquement transformé en un révolutionnaire luttant contre « l'affreux » Israélien. Je suis prêt à considérer que nous sommes responsables du problème posé, mais pourquoi avoir voulu le résoudre par la force, voilà ma question.
- Pensez-vous que faire des compromis dans la situation d'aujourd'hui serait faire preuve de faiblesse ?
- Non je ne le crois pas. Les Palestiniens comprennent que nous sommes loin d'utiliser tous nos moyens. La seule question aujourd'hui est comment revenir à la table des négociations. Nous, travaillistes, avons perdu une part significative de notre soutien politique. Dans les sondages, le soutien de la population israélienne au processus de paix a baissé de moitié. Les gens se reprendront. Mais en attendant, non seulement la coalition gouvernementale est faible, mais le soutien dans l'opinion publique s'est érodé, et il nous faudra faire beaucoup d'efforts pour regagner les positions perdues. Mais pour cela il faudra aussi qu'Arafat fasse le maximum pour mettre fin aux violences.
- Le veut-il ?
- Je ne sais pas. Mais je sais qu'il est le seul dirigeant vraiment respecté par tous, y compris par son opposition ; qu'il est le chef du Fatah comme des milices du Tanzim. C'est lui qui peut mettre un terme à la violence, remettre au pas ses services de police comme ses partisans du Fatah et les militants du Hamas. Et, enfin, il y a la question des islamistes radicaux qu'il a libérés de façon incompréhensible. Les ramener en prison est l'une des tâches les plus importantes qu'il a à accomplir. Le Hamas est notre ennemi à tous deux.
- Comment voyez-vous le futur proche ?
- J'espère que sur le terrain la situation se calmera, ce qui permettra de négocier sérieusement jusqu'à la fin du mandat de Bill Clinton. Nous avons devant nous deux mois qui constituent la dernière occasion de conclure avant plusieurs années ; deux mois durant lesquels Bill Clinton peut consacrer une grande partie de son temps à ce dossier. Si les Etats-Unis se coordonnent avec l'Europe et les Nations unies, alors on peut reprendre les négociations, faire rapidement la paix en dépit des difficultés de ces dernières semaines. »
 
4. L'Express du jeudi 9 novembre 2000
Le paradoxe Barak
par Vincent Hugeux et Hesi Carmel
Chef d'un gouvernement ultraminoritaire, le Premier ministre israélien garde néanmoins la maîtrise du jeu politique.
A ses moments perdus, Ehud Barak s'adonne à deux faiblesses avouées. Il joue, non sans brio, du piano, et bricole montres, pendules ou serrures. En artisan patient, méthodique, obstiné. Dans l'arène politique, le Premier ministre israélien manœuvre de même. Solitaire comme le concertiste, avec une minutie d'horloger. Faute de maîtriser la fuite du temps, l'ancien général sait au moins en gagner. Le 30 octobre, il s'est ainsi offert un sursis d'un mois, sans nul doute reconductible. Forts de leurs 17 sièges à la Knesset (Parlement), ses anciens alliés du Shas, parti ultraorthodoxe séfarade, ont promis de ne pas renverser le cabinet. En contrepartie, les disciples du rabbin Ovadia Yossef obtiennent de nouveaux subsides pour leur réseau d'écoles religieuses et le gel d'une «révolution laïque» censée entamer les privilèges - exorbitants - concédés au gré des marchandages électoraux à la mouvance théocratique; le ministère des Cultes, bastion en péril, paraît sauvé. On leur accorde aussi un droit de regard, flou au demeurant, sur le dialogue israélo-palestinien. Scellé par surprise, ce pacte éloigne pour l'heure le scénario du «gouvernement d'urgence nationale» âprement négocié avec la droite. Au grand dépit d'Ariel Sharon, chef du Likoud. De même, il déroute la base travailliste, hostile à l'emprise des dévots de la Torah. Un répit payé au prix fort? Soit. Mais Barak n'en a cure. Car il écarte le danger d'une motion de censure fatale et échappe ainsi au dilemme en vogue: l'alliance contre nature avec la droite ou le recours aux législatives anticipées, scrutin à hauts risques.
Voilà bien le paradoxe de ce capitaine en apparence guetté par le naufrage. A la barre d'une équipe ultraminoritaire, assuré du soutien d'à peine un quart des députés, combattu par ses adversaires et contesté par les siens, il dispose pourtant d'une marge de manœuvre confortable. C'est qu'en dépit des assauts rhétoriques nul n'a vraiment intérêt à le faire chuter. Le Shas? Désargenté, il redoute à la fois le coût d'une campagne et un recul de son audience. Le Likoud? L'appareil du parti sait que le bouleversement du calendrier électoral hâterait le retour de l'ancien chef du gouvernement Benyamin Netanyahu, récemment blanchi par la justice de soupçons de trafic d'influence.
Conjurer le spectre d'une guérilla sans fin
Toutes les enquêtes d'opinion montrent que «Bibi» serait mieux placé que Sharon pour vaincre Ehud Barak. Au sein de sa famille, celui-ci n'a guère de rival. En clair, les candidats à la défaite ne sont pas légion. Même si, à 77 ans, Shimon Peres, ce visionnaire que poursuit une image d'éternel loser, cet optimiste impénitent, bénéficie à gauche d'un regain de popularité. C'est à lui que Barak confia la mission de négocier avec Yasser Arafat, dans la nuit du 1er au 2 novembre, une cessation des hostilités guère mieux respectée que les précédentes.
Au fond, l'amateur de réveils et de coucous peut espérer tenir jusqu'au printemps 2001. De deux choses l'une. En cas d'accord avec Yasser Arafat, il devrait solliciter l'aval de ses concitoyens via le renouvellement de la Knesset, formule préférée au référendum. Dans l'hypothèse inverse, libre à lui de raviver le projet d'union sacrée avec la droite, quitte à s'en remettre, au terme d'une période transitoire, au verdict des électeurs. Ces calculs reposent sur un postulat qu'attestent les sondages: malgré l'Intifada meurtrière déclenchée le 28 septembre, la majorité des Israéliens demeure favorable à une paix conclue en échange de «cessions» territoriales, dût-elle consacrer l'émergence d'un Etat palestinien souverain, aux contours imprécis il est vrai. Le 4 novembre, lors de la cérémonie célébrant à Tel-Aviv le 5e anniversaire de l'assassinat d'Itzhak Rabin, Premier ministre tombé sous les balles de l'extrémiste juif Yigal Amir, Ehud Barak mania, comme de coutume, la carotte et le bâton. Sommant une nouvelle fois Arafat de «mettre fin aux violences». Mais l'invitant, vieille antienne, à «tendre la main vers la paix des braves». Un indice: revendiqué par des islamistes palestiniens, l'attentat à la voiture piégée qui, deux jours plus tôt, au cœur de Jérusalem, coûta la vie à deux Israéliens, dont la fille du chef de file du Parti national religieux, avocat des colons juifs, n'aura pas suffi à anéantir les efforts entrepris pour renouer le dialogue. Ce jeudi 9 novembre, l'homme au keffieh devait rencontrer à Washington Bill Clinton, avant que le président américain reçoive, dimanche, Barak. De là à imaginer un sommet triangulaire... Rien n'interdit de croire aux miracles. Mais comment trois partenaires affaiblis - un parrain en fin de mandat, un raïs pressé par son aile dure d'opter pour la lutte armée et un ex-général navigant à vue - déjoueraient-ils les écueils sur lesquels ils s'échouèrent en juillet, à Camp David? A ce stade, aucun d'entre eux ne rêve de ressusciter un processus à l'agonie. Et on leur saurait gré, faute de mieux, de conjurer le spectre d'une guérilla sans fin. Cette bombe-là reste à désamorcer. Barak aura, pour ce faire, bien besoin de sa maîtrise des mécanismes d'horlogerie.
 
5. Le Soir (quotidien belge) du jeudi 9 novembre 2000
Beilin ne désespère toujours pas par Baudoin Loos
Yossi Beilin reste un indécrottable optimiste. Celui qui orchestra pour son mentor Shimon Peres les négociations secrètes d'Oslo avec les Palestiniens en 1993 croit toujours en la possibilité de conclure la paix avec ces derniers en profitant des deux derniers mois de la présidence Clinton à Washington. Il l'a écrit dans le quotidien « Haaretz » le 7 novembre.
Pour celui qui est ministre de la Justice dans le gouvernement d'Ehoud Barak, les gains du processus de paix se trouvaient, jusqu'aux récents événements, dans l'amélioration de la sécurité d'Israël (en dehors des vagues d'attentats entre 1994 et 1996) due à la coopération avec l'Autorité palestinienne, et dans le nouveau statut international d'Israël qui lui a valu prospérité économique et liens formels avec 13 des 21 membres de la Ligue arabe.
Beilin admet les échecs, comme, côté israélien, les délais imprévus dans les transferts de territoires aux Palestiniens et dans la tenue des pourparlers sur le statut définitif de ces territoires; et, côté palestinien, la poursuite des incitations à la haine et l'absence de confiscation des armes illégales.
Pour l'avenir, le plus imaginatif des hommes politiques israéliens estime qu'Oslo aura échoué si l'Autorité palestinienne disparaît et qu'Israël réinvestit les territoires cédés à Arafat. Mais il insiste : il n'y a plus de logique à continuer un statut temporaire et, donc, une solution permanente devient essentielle, dans le cadre d'un renouveau de la collaboration entre les deux parties et d'une reprise de la lutte palestinienne contre la terreur islamiste.
Voici alors comment Beilin voit ce statut définitif : 1. Un Etat palestinien serait créé avec Al Qods (la partie arabe de Jérusalem) comme capitale. 2. La frontière d'avant juin 1967 serait « ajustée » de manière à inclure à Israël de grands blocs de colonies juives (comprenant 80 % des colons) en échange d'un agrandissement de la bande de Gaza. 3. Des arrangements de sécurité autoriseraient une présence israélienne sur le Jourdain (frontière avec la Jordanie), y compris des stations de préalerte. 4. Le problème des réfugiés serait traité à travers des compensations économiques auxquelles Israël participerait et par la possibilité pour eux de s'installer dans l'Etat palestinien, Israël acceptant de résoudre les cas humanitaires et de regroupement familial. 5. Jérusalem resterait une ville ouverte et unifiée, mais tous les quartiers israéliens (construits après 1967) à l'Est seraient intégrés à la capitale d'Israël, tandis que les quartiers arabes deviendraient la capitale palestinienne. Les lieux saints seraient admnistrés par un organe mixte, alors que la souveraineté du mont du Temple (esplanade des Mosquées) demanderait un compromis ou serait remise à plus tard.
Yossi Beilin prévient. Toute alternative à une solution négociée doit tenir compte du facteur islamiste ou pire. Les Israéliens qui renoncent à faire la paix et à mener une vie normale désespèrent du sioniste, dit-il, car beaucoup de jeunes Juifs quitteront alors le pays et plus aucun ne viendra s'y installer.

6. Courrier International du 9 au 27 novembre 2000
Pourquoi la solidarité arabe est si mesurée
par Nahla Shahal in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
Depuis fin septembre, la colère est réelle dans le monde arabe. Mais rien n'est fait pour aider concrètement les Palestiniens, regrette l'écrivaine libanaise Nahla Shahal.
Il existe une contradiction entre la solidarité de la rue arabe envers le soulèvement palestinien et les contours nébuleux que prennent les manifestations de soutien à son égard. Si l'on prend le moyen d'expression le plus commun dans ce genre de situation, la manifestation de rue, on se rend compte que le résultat n'est pas à la mesure de l'enjeu et ne correspond pas au sentiment de colère ambiante. A l'exception de Rabat, où 1 million de Marocains ont exprimé leur solidarité, aucune capitale arabe n'a connu ces déferlantes humaines que l'on aurait tant voulu voir.
Au Caire, la principale manifestation s'est déroulée sur l'un des campus de l'université, où les policiers égyptiens n'ont eu aucun mal à empêcher les étudiants de sortir dans la rue. Quant à la petite manifestation qui s'est déroulée sur la place de la Libération, en plein centre du Caire, elle n'a même pas rassemblé un millier de personnes. Comme prévu, le cinéaste Youssef Chahine a dû renoncer à sa belle idée d'organiser une marche de solidarité jusqu'au point de passage de Rafah (à la frontière avec la Bande de Gaza). Il a dû se contenter d'organiser une rencontre au siège du syndicat des artistes !
En Algérie, les trois organisations qui avaient appelé à manifester pour les Palestiniens en ont été empêchées. Elles ont contesté cette décision juste pour la forme. A Beyrouth, le contraste était frappant entre la manifestation qui partait du siège de la Ligue arabe, à proximité des camps de Sabra et Chatila, et qui rassemblait une vingtaine de milliers de manifestants, pour la plupart des Palestiniens et des sympathisants du Hezbollah, et celle qui, à l'invitation de plusieurs partis et organisations de gauche, démarrant devant l'Université américaine, rassemblait à peine un millier de personnes. D'autres manifestations ont eu lieu dans des endroits où on ne les attendait pas : aux Emirats arabes unis (EAU), à Oman et même au Koweït, ce qui en dit long sur le ressentiment que provoquent dans le monde arabe les événements de Palestine. Si les manifestations de solidarité à l'égard du soulèvement palestinien n'ont pas été à la hauteur de l'événement, cela s'explique tout d'abord par les pressions exercées par les
pouvoirs en place sur les organisations politiques et syndicales. Pour autant, ces organisations doivent admettre qu'elles ne sont plus en mesure de peser sur l'événement et de mobiliser les masses.
En réalité, ces organisations sont en plein désarroi. On constate partout un repli sur des préoccupations locales et on dénote l'absence de toute volonté d'en appeler à l'opinion publique. Ainsi, l'appel à boycotter les produits américains - auquel personne ne semble croire - s'est-il limité à une directive lancée par Mohammed Hussein Fadlallah [chef spirituel du Hezbollah] et quelques organisations politiques. Rien n'a été fait pour donner une véritable consistance à ce slogan.
La crise que traversent ces organisations s'est révélée de façon encore plus flagrante lors des collectes organisées en faveur des victimes de la répression israélienne. Ainsi tous les partis politiques se sont-ils abstenus d'organiser ces collectes. Cela s'explique sans doute par le peu de confiance qu'elles rencontrent, par leur manque de transparence et par la réputation de corruption qui leur collent à la peau. En fait, ce rôle d'organisateur de collectes a été repris avec un certain brio par des chaînes de télévision arabes émettant par satellite (Al Jazira [Qatar] et Abou Dhabi [EAU]. Celles-ci ont d'ailleurs hésité quant au destinataire de ces collectes, puisque certains doutes planent sur les méthodes de gestion de l'Autorité palestinienne...
Tout indique que le soulèvement palestinien ne va pas s'arrêter là. Dès lors, dans la mesure où le rapport de forces avec Israël influe sur l'ensemble du monde arabe, et pas seulement sur les Palestiniens, il est impératif d'élargir le cercle de la participation arabe dans ce conflit.

7. Courrier international du 9 au 27 novembre 2000
Retenez-moi ou je proclame mon Etat !
par Akiva Eldar in Ha'Aretz (quotidien israélien)
Ni l’un ni l’autre camp n’a intérêt à ce que le cycle de la violence continue. Seul point de discorde : l’agenda palestinien ne correspond pas à celui d’Ehoud Barak.
Ni les Israéliens, ni les Américains, ni les Européens, ni les Egyptiens, ni même les Palestiniens n’ont la moindre idée de ce que veut le dirigeant palestinien Yasser Arafat. Bien pis, selon les informations recueillies par les services de renseignements, Arafat ne saurait pas lui-même ce qu’il veut. Personne n’est donc capable de fournir une réponse convaincante à la question : “Comment cela va-t-il finir ?” Ce n’est que dans le cadre d’une rencontre trilatérale entre Clinton, Arafat et Barak qu’il sera peut-être possible de découvrir s’il existe réellement une option diplomatico-territoriale en vue d’un accord de paix. Par exemple, l’idée d’un échange de territoires entre Israël et les Palestiniens - telle que proposée par l’accord secret Yossi Beilin-Abou Mazen [à Camp David, en juillet dernier] - est-elle encore d’actualité malgré les troubles en cours ?
Mais il n’est pas du tout certain qu’Arafat soit disposé à reprendre la voie de Camp David. Par l’intermédiaire de deux hauts responsables de l’Autorité palestinienne, il vient, en effet, de poser de nouvelles et bien problématiques conditions. Selon le ministre de la Planification et de la Coopération internationale, Nabil Shaath, "les Palestiniens n’accepteront rien de moins qu’un retrait israélien complet jusqu’aux frontières de 1967 et l’établissement d’un Etat indépendant”.
En écho, le président du Conseil législatif palestinien [Parlement autonome], Abou Alaa (Ahmed Qoreï), ajoute : “Il n’est plus possible de revenir aux anciennes modalités de négociation. Une paix juste et durable reste l’option du peuple palestinien, mais il faut en revenir à une conférence internationale impliquant les parties concernées, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie, la Chine, les Nations unies et les Etats arabes de la région. Cette conférence devrait réaffirmer les termes de référence du processus de paix, essentiellement les résolutions 242, 338 et 194 du Conseil de sécurité, et le principe de la terre contre la paix.” Abou Alaa souligne que même ce cadre n’est plus suffisant, et les Palestiniens exigent désormais des garanties pour l’application de ces principes. “La résistance de notre peuple se poursuivra jusqu’à ce qu’Israël respecte le droit, les résolutions internationales et les droits nationaux du peuple palestinien.” Conscient de cela, Ehoud Barak a décidé de rompre ses négociations avec Ariel Sharon pour tenter de reprendre langue avec Yasser Arafat. Barak sait lui aussi que le cadre de Camp David n’est plus pertinent. L’agenda palestinien ne correspond pas à l’agenda de Barak, et Arafat est apparemment décidé à attendre l’issue de l’élection présidentielle américaine du 7 novembre. De leur côté, les Américains ne désirent qu’un sommet extrêmement bref pour soumettre leur projet de compromis. L’alternative des Israéliens et des Palestiniens est simple : les Palestiniens recevront la totalité de la Bande de Gaza (y compris le bloc d’implantations juives de Goush Katif) ; le reste du territoire, pour respecter le quota fixé par la résolution 242, pourrait être augmenté des “Sables de Haloutza” [dans le Néguev, à l’ouest de Gaza] ou de zones inhabitées et contiguës à la Ligne verte ; enfin, la question de la souveraineté sur Jérusalem devra faire l’objet d’une médiation américaine.
Barak est de plus en plus convaincu qu’Arafat, plutôt que de vouloir proclamer un Etat, continuera à répéter qu’il proclamera cet Etat. Ses proches affirment qu’Arafat vit dans la crainte que la Palestine ne devienne un petit Etat de plus, englué dans un litige frontalier (comme le Bangladesh ou la Tchétchénie) avec un adversaire plus puissant. En pareil cas, la communauté internationale s’en désintéresserait et serait tentée de renvoyer Arafat à ses interlocuteurs israéliens. Bref, Arafat ne devrait pas proclamer un Etat sans accord avec Israël.
De son côté, Barak a demandé au Shas de le retenir de signer un accord de coalition avec Sharon. La différence entre Barak et Arafat est que les Palestiniens sont prêts à faire traîner les négociations, avec ou sans Intifada, au moins jusqu’à l’investiture du nouveau président américain, en janvier 2001. Barak n’a quant à lui reçu du Shas que quatre semaines de répit. Ce calendrier étroit devrait suffire pour savoir si Arafat acceptera ou non le compromis américain. S’il l’accepte, Barak pourra alors entrer en campagne électorale avec un sérieux atout. S’il apparaît en revanche - et cela semble être la conviction de Tsahal - qu’Arafat préfère un Etat sans pour autant se soumettre à la négociation, un accord sur un gouvernement d’urgence nationale et sur la séparation unilatérale sera inévitable. Cette analyse n’est qu’un bout de papier tant que les combats se poursuivent dans les Territoires. Des officiels palestiniens modérés estiment que le cycle de la violence est un cercle vicieux : Tsahal tue des civils, leurs obsèques enflamment le peuple, Tsahal tue de nouveau, d’autres obsèques ont lieu, et cetera et ad libitum. Les responsables militaires estiment pour leur part qu’il manque un maillon dans cette chaîne de causalité : les tirs délibérés sur des civils israéliens [colons], sous l’égide des forces de sécurité palestiniennes. Ils affirment aussi que, même si l’une des parties tentait de briser le cycle de la violence, les deux parties devraient combler le gouffre entre les deux peuples et restaurer la confiance. Déjà, des signes de disette apparaissent à Hébron, et l’énorme effort réalisé pour attirer des investisseurs dans les Territoires et développer une infrastructure propre est anéanti. Il est difficile, dès lors, d’imaginer une longue colonne de réfugiés de la diaspora [palestinienne] mendier leur retour sur les ruines d’Hébron et de Gaza. Certains disent qu’Arafat n’aurait pas de remords s’ils optaient pour leur maintien au Liban.
 
8. Le Monde du jeudi 9 novembre 2000
Proche-Orient : attachés "par leurs extrémités" par André Fontaine
COMME Albert Einstein lui demandait ce qu´il adviendrait des Arabes si la Palestine était donnée aux Juifs, Chaim Weizmann, le chef de l´exécutif sioniste, lui répondit tout simplement : « Ils comptent pour si peu… »(cité dans Einstein, What Price Israël, Chicago 1953). Les sionistes de Terre sainte savaient que les choses n´étaient pas si faciles. Ainsi d´Arthur Ruppin qui, de Jaffa, dirigea longtemps, au début du siècle dernier, le bureau de l´organisation pour la Palestine. « Sans un arrangement avec les Arabes, écrivait-il, tout notre travail en Palestine est construit sur du sable… »Et de recommander la plus grande prudence dans l´achat de terres aux Arabes, qui allait devenir l´un des principaux sujets de discorde entre les deux communautés, nombre de Juifs achetant à des latifundiaires absentéistes de vastes domaines à peine cultivés où vivaient des dizaines de milliers de fellahs, de paysans pauvres voués à l´expulsion rapide.
La première guerre mondiale allait amener les Britanniques à faire aux uns et aux autres des promesses passablement contradictoires. Aux Arabes, pour prix de leur soulèvement contre les Ottomans, celle d´un vaste royaume, aux frontières pas trop bien précisées, sous le sceptre du chérif Hussein, descendant du prophète et gardien des lieux saints de l´islam. Aux Juifs, par la fameuse déclaration Balfour de novembre 1917, celle d´un « foyer national » en Palestine. Pour compliquer encore les choses, la France réclamait, avec la Syrie et le Liban, sa part du gâteau.
ON SE FROTTE LES YEUX
Le célèbre colonel Lawrence, dont on sait le rôle fondamental dans l´éveil d´un nationalisme arabe orienté vers Londres, réussit à faire se rencontrer Fayçal, le fils aîné de Hussein, auquel avait été promise la couronne d´Arabie, et Weizmann, le chef de l´exécutif sioniste déjà nommé. On se frotte les yeux en lisant aujourd´hui le texte du traité que les deux hommes signèrent le 3 janvier 1919, et plus encore celui de la lettre que Fayçal écrivit deux mois plus tard à Felix Franfurter, membre américain de la délégation sioniste à la conférence de la paix de Versailles, pour lui demander de ne pas prêter trop d´attention aux « difficultés légales » qui avaient pu surgir entre Juifs et Arabes.
Par exemple : « Nous sommes convaincus que les Arabes et les Juifs sont des parents de race très proche, ayant subi tous deux des persécutions de la part de forces supérieures aux leurs. Mais, par une coïncidence heureuse, ils ont été à même de faire le premier pas vers la réalisation de leurs idéaux nationaux. Nous autres Arabes, surtout nos intellectuels, regardons avec la plus grande sympathie le mouvement sioniste… Nous travaillons ensemble pour construire et pour faire revivre le Proche-Orient et nos deux mouvements se complètent. Je crois que chacun des deux peuples a besoin du soutien de l´autre pour arriver à un véritable succès. » Fayçal aura beau maintenir longtemps le contact avec Weizmann, cet extraordinaire programme ne recevra pas l´ombre d´un début d´exécution. Car lui, qui avait libéré Damas en compagnie du général britannique Allenby et s´y était fait proclamer roi d´Arabie, allait vite en être chassé par les troupes du général Gouraud. Il devra se contenter d´un très artificiel royaume d´Irak, créé à son intention par Churchill, alors secrétaire aux colonies, qui voulait surtout mettre ainsi la main sur le pétrole de Kirkouk et de Mossoul. Abdallah, le frère deayçal, ayant menacé de prêter main-forte à son aîné contre les Français, on le désintéressa en créant à son intention un royaume de Transjordanie, placé comme l´Irak et comme la Palestine sous « mandat » britannique.
Les Palestiniens étaient les seuls dans cet ensemble à ne pas avoir d´Etat à eux. Ils le ressentaient d´autant plus que l´immigration sioniste se poursuivait, à un rythme au demeurant assez lent : 6 000 personnes en moyenne par an, jusqu´à ce que la montée du nazisme vienne soudain gonfler ce chiffre. Dès 1920, en tout cas, s´organise un front du refus, dirigé par le mufti de Jérusalem, et des Juifs sont massacrés, ce qui conduit le Yichouv, la communauté juive de Palestine, à se doter de groupes de protection armés. De graves troubles se produisent à plusieurs reprises, culminant en 1929, où l´on compte 133 morts juifs et 87 palestiniens, ces derniers tombés pour la plupart sous les balles britanniques. En 1939, craignant que les Arabes ne succombent aux chants de sirène de l´Axe, Londres plafonne à un niveau très faible l´immigration juive. Du coup, les sionistes développent leurs formations clandestines pour permettre à leurs frères fuyant les persécutions hitlériennes de déjouer les barrages. Ces barrages sont maintenus après la guerre, scandalisant une opinion internationale encore sous le coup de la découverte des crimes hitlériens. Et l´ONU adopte en 1947 un projet de partage de la Palestine soutenu à la fois par les Etats-Unis, l´URSS et la France, mais que la totalité des pays arabes refuse d´appliquer. La Grande-Bretagne, qui lui est elle-même hostile, finit par annoncer qu´elle va déposer son mandat, mais personne n´a d´idée bien précise quant à une solution de rechange, et David Ben Gourion proclame, au moment de l´expiration du mandat, l´indépendance d´Israël.
Cinq armées arabes s´ébranlent pour lui donner l´assaut, sous le commandement d´un général anglais, Glubb « pacha », et l´on ne donne pas cher en général de la longévité de l´Etat hébreu. Les Britanniques sont apparemment convaincus quant à eux que les Juifs devront les appeler à leur secours, et qu´ils pourront reprendre les rênes sans être tout le temps harcelés par leurs revendications. Mais les combattants sionistes, ravitaillés surtout par l´URSS – alors obsédée, avec un temps de retard, par les méfaits de l´impérialisme britannique – et par la France, l´emportent rapidement.
QUI S´EN SOUCIE VRAIMENT ?
La guerre a contraint à l´exil quelque 500 000 Palestiniens. Pas question pour Israël de les laisser rentrer chez eux. Qui s´en soucie vraiment ? En Europe centrale comme aux Indes, des millions et des millions de pauvres gens viennent d´être expulsés. Qu´est-ce de toute façon que cet exode à côté du martyre que vient de subir le peuple juif ? Relus aujourd´hui, les propos que tenait à l´époque le ministre des affaires étrangères – travailliste – de l´Etat hébreu, Moshe Sharett, peuvent paraître scandaleux : « Les réfugiés trouveront leur place dans la diaspora grâce à la sélection naturelle, certains résisteront, d´autres pas. (…) La majorité deviendra un rebut du genre humain et se fondra dans les couches les plus pauvres du monde arabe. » Mais, comme le disent Alain Gresh et Dominique Vidal, à qui nous empruntons cette citation (Palestine 1947, Complexe), il ne manquait pas de responsables arabes, à l´époque, pour penser la même chose. Qui se doutait alors que, grâce à un taux de fécondité extrêmement élevé, ils allaient quadrupler leur nombre et que, plus d´un demi-siècle plus tard, des enfants mourraient presque chaque jour, les mains nues pour leur Palestine ?
Quelqu´un, il est vrai, avait pressenti l´avenir de la région, le grand philosophe juif Martin Buber : « Au lieu d´essayer de devenir la communauté qui prend les initiatives dans le cadre d´une fédération du Proche-Orient, avait-il écrit en 1948, on se fixa comme but un petit Etat qui courait le danger de vivre en conflit permanent avec son environnement géopolitique naturel et de devoir consacrer ses forces vives à des questions militaires et non à des questions sociales et culturelles. »
Rien ne sera possible tant que l´on ne se sera pas, de part et d´autre, mutuellement accepté. Ce qui suppose d´abord, on ne le répétera jamais assez, qu´on laisse de côté mépris, provocations et arrière-pensées. Qui sait pourtant si cette acceptation mutuelle n´est pas en passe de se réaliser peu à peu, pour cette simple raison qu´aucun des antagonistes n´a les moyens de se débarrasser de l´autre ? « Dieu n´ayant pas pu réconcilier les ennemis, a écrit Platon dans son Phédon, il les attacha par leurs extrémités. » L´auteur de la République voulait parler du plaisir et de la douleur. Cette formule, qui nous semblait jadis bien s´appliquer aux deux camps de la guerre froide apprenant petit à petit à coexister, ne vaut-elle pas tout autant aujourd´hui pour les Israéliens et les Palestiniens ?
 
9. Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 9 novembre 2000, 17h37
En 2020, les Palestiniens seront plus nombreux que les juifs, selon des projections démographiques
PARIS - D'ici 20 ans, la population vivant en Israël et dans les Territoires palestiniens comptera davantage de Palestiniens que de juifs, selon des projections démographiques citées dans le dernier bulletin mensuel de l'Institut national français d'études démographiques (INED).
A l'heure actuelle, la population juive vivant en Israël et dans les colonies de Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est s'élève à 5,1 millions d'habitants. La population arabe compte quant à elle aujourd'hui environ 4,1 millions de personnes: 1.840.000 en Cisjordanie, 228.000 à Jérusalem-Est, 1.120.000 dans la bande de Gaza et 948.000 en Israël (Arabes israéliens).
En 2020, le territoire correspondant à l'ancienne Palestine du mandat britannique (aujourd'hui, Israël et les Territoires palestiniens) comptera 8,1 millions de Palestiniens et 6,4 millions de juifs, selon des projections israéliennes et palestiniennes citées dans le bulletin de l'INED de novembre ''Population et sociétés''.
Si l'on ne prend en compte qu'Israël et Jérusalem-Est annexé par l'Etat hébreu, le nombre d'habitants arabes doublerait en 20 ans pour passer de 948.000 aujourd'hui (15,5% de la population totale d'Israël et de Jérusalem-Est) à deux millions en 2020 (23. En 2050, la population non juive atteindrait 3,7 millions pour 8,2 millions de juifs, soit 31% de la population totale.
En un demi-siècle, le nombre d'habitants palestiniens en Israël et à Jérusalem-Est serait donc multiplié par près de quatre (de 948.000 à 3,7 millions), tandis que la part de la population palestinienne dans la population totale doublerait (de 15,5% à 31, selon ces projections.
Si l'on s'en tient à la population juive, les composantes orthodoxe et ultra-orthodoxe devraient parvenir à contrebalancer la fécondité modérée des laïcs: les démographes tablent sur un indice élevé de 2,3 enfants par femme en 2016-2020 chez les juifs israéliens.
La part des ultra-orthodoxes passerait de 7% de la population juive aujourd'hui à 11% en 2020 et à 17% en 2050. La part des orthodoxes passerait de 18% aujourd'hui à 21% en 2020 et à 24% en 2050. La part des laïcs et religieux modérés, elle, serait en baisse, passant de 75% aujourd'hui à 68% en 2020 et à 59% en 2050. Cela, à supposer que l'ultra-orthodoxie et l'orthodoxie continueront de se transmettre des parents aux enfants, nuance l'auteur, Youssef Courbage.
Autre enseignement de ces chiffres: la fécondité serait en diminution sensible pour les musulmans, un peu moins forte pour les druzes, en légère baisse pour les juifs et les chrétiens arabes, tandis qu'elle sera constante pour les chrétiens non arabes et en augmentation pour les personnes sans religion et les immigrants d'ex-URSS, selon les projections israéliennes les plus plausibles.
Pour cette étude, l'auteur s'est notamment appuyé sur les chiffres communiqués par le Bureau central de statistique d'Israël et par le Bureau central de statistique palestinien. 

10. Le Figaro du jeudi 9 novembre 2000
Un Arafat combatif face à Clinton par Pierre Prier
A la veille de la rencontre entre Yasser Arafat et Bill Clinton, la tension est montée d'un cran, hier, dans les Territoires palestiniens. Cinq jeunes Palestiniens ont été tués lors d'affrontements avec l'armée israélienne, dans la bande de Gaza, et près du village de Naplouse, en Cisjordanie. Une Israélienne de 25 ans a également été tuée lors d'une attaque au sud de la bande de Gaza. Sa voiture a été prise pour cible par des Palestiniens. "Cette attaque est très grave", a déclaré Ehud Barak dans un communiqué. L'attentat a été revendiqué, à Beyrouth, par un groupe extrémiste palestinien, les Forces Omar al-Moukhtar, aile militaire du groupe Fatah Soulèvement. L'armée israélienne a réagi en ordonnant une nouvelle fermeture de l'aéroport de Gaza. Le premier ministre israélien a annoncé, hier, l'ouverture d'une enquête officielle sur les conditions de la mort de 13 Arabes israéliens, tués par la police le mois dernier lors de manifestations de solidarité avec les Palestiniens des Territoires autonomes. De son côté, l'Autorité palestinienne a salué la création d'une commission sur les violences dans les Territoires, annoncée mardi par les Etats-Unis.
Les Israéliens regretteront Bill Clinton. Pas les Palestiniens. Le fossé s'est creusé entre Yasser Arafat et le président américain, qui doivent se rencontrer aujourd'hui. En Israël, au contraire, jamais un président américain n'a été aussi populaire. Eitan Haber, éditorialiste au plus grand journal hébreu, Yediot Aharonot, salue Clinton avec des trémolos dans la plume: "Sa relation avec Israël était unique. Il n'y a jamais eu quelqu'un comme lui, et je doute qu'il y ait un autre Clinton dans le futur."
Ces adieux émus et anticipés ne feront que conforter le leader palestinien dans son opinion. L'entrevue entre les deux hommes ne devrait pas baigner dans la confiance mutuelle. Arafat est désormais convaincu que Clinton a abandonné son rôle d'"intermédiaire honnête". La perte de crédibilité de Clinton parmi les Palestiniens date de Camp David. Arafat, affirment les notables de l'Autorité palestinienne, a l'impression que Clinton et Barak ont voulu lui forcer la main. La vision israélienne, selon le porte-parole Avi Pazner, est qu'"Arafat a été tellement surpris par l'ampleur de nos concessions qu'il n'a pas su comment réagir".
Pour les Palestiniens, et pour certains Israéliens, Bill Clinton et Ehud Barak ont eu tort de mettre sur la table des propositions irréalistes. Le leader palestinien ne voulait pas rester dans l'histoire comme l'homme qui aurait abandonné le droit au retour des réfugiés, accepté un compromis sur Jérusalem et déclaré par-dessus le marché la "fin du conflit". Quand Bill Clinton a ensuite blâmé Arafat pour l'échec du sommet, les Palestiniens en ont conclu que les Etats-Unis avaient définitivement choisi leur camp. Aujourd'hui, même l'un des principaux architectes des accords d'Oslo, le président du Parlement Abou Ala, insiste pour que "d'autres arbitres interviennent, comme l'Europe, la Chine, la Russie, l'ONU...". Marwan Barghouti, l'un des chefs du Fatah, le parti de Yasser Arafat, ajoutait hier: "Je me moque de savoir qui va gagner l'élection américaine. Le vainqueur soutiendra toujours les Israéliens." Ehud Barak, qui doit à son tour rencontrer Clinton dimanche, est bien entendu totalement opposé à l'arrivée de tout nouvel arbitre dans le jeu.
De plus en plus étranglé économiquement, Yasser Arafat s'accroche à l'espoir d'une intervention internationale sous une forme ou sous une autre. Il arrivera à Washington d'humeur combative. Sur le terrain, un certain degré de violence maintient la tension. Plusieurs jeunes Palestiniens ont été tués, ainsi qu'une employée des douanes israélienne, morte dans une embuscade à Gaza. Et Arafat garde toujours en réserve son arme dissuasive, la déclaration unilatérale de l'Etat palestinien, pour laquelle le 15 novembre reste une date possible, malgré le scepticisme de nombreux observateurs. Ce jour-là, a annoncé hier le Fatah, les Palestiniens devront manifester dans l'ensemble des Territoires, même les zones B et C toujours occupées par l'armée israélienne.  

11. Al-Quds (quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre 2000
Pas d'optimisme excessif sur le résultat des élections américaines [traduit de l'arabe Marcel Charbonnier]
Il est naturel que les Palestiniens suivent le déroulement des élections présidentielles américaines, poussés non seulement par la curiosité de savoir qui va occuper le fauteuil de la Maison Blanche et jouir des prérogatives de l'homme le plus puissant au monde, mais aussi pour réfléchir aux orientations politiques du nouveau président des Etats-Unis, notamment en ce qui concerne le problème palestinien et le conflit arabo-israélien.
L'étrange expectative qui a dominé les opérations électorales dans leur dernière phase, celle du dépouillement des résultats, avant de proclamer le candidat vainqueur, est tout-à-fait éloignée de ce qui se passe dans notre région. Il en va de même du très faible écart constaté entre les résultats des deux candidats en concurrence, tant au niveau du vote populaire que du collège des grands électeurs. En effet, il est habituel, chez nous, que le candidat unique à l'élection présidentielle obtienne un score de 99,9% des voix.
En dépit de tout cela, les Palestiniens, occupés par leur lutte nationale pour conquérir leurs droits légitimes, ont suivi les élections américaines avec un détachement total : les deux candidats à la présidence, Georges W. Bush fils et Al Gore, n'ont pas offert l'un plus que l'autre aux Palestiniens, et aux Arabes d'une manière générale, une quelconque possibilité nouvelle de réaliser une paix basée sur la droit et l'équité. Bien au contraire, ils se sont livrés à une surenchère afin de conquérir les voix du lobby juif, promettant d'accorder une aide militaire et économique accrue à Israël et s'engageant à transférer l'ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.
En réalité, ces élections reflètent bien les facteurs intérieurs et extérieurs qui déterminent la politique américaine. Ce qui intéresse au plus haut point les électeurs américains, dans le candidat de leur choix, c'est sa conception de l'action politique en matière de règlement des problèmes intérieurs qui les concernent au premier chef : enseignement, santé et sécurité sociale, conservation de l'environnement, droits des minorités..., beaucoup plus que sa vision de la politique étrangère de leur pays. A ce sujet, ils se déterminent en fonction de leur interventionnisme, pouvant aller jusqu'à des interventions militaires directes dans tel ou tel pays, ou de leur isolationnisme, de leur tendance au repli, de leur préférence pour la sécurité intérieure et de la sauvegarde des âmes et des biens.
Dans l'attente du verdict final de la bataille électorale, et de la certitude du vainqueur, les Palestiniens ne sont pas portés à un enthousiasme qui voudrait que Bush serait meilleur que Gore - ou l'inverse - car la ligne stratégique de la politique américaine continuera à être celle du soutien inconditionnel à Israël, et il est peu probable que Bush, pas plus que Gore, n'en dévieront d'un iota.

12. Al-Ayyam (quotidien palestinien) du jeudi 9 novembre 2000
Aide d'urgence de l'Union Européenne à l'Autorité palestinienne, d'un montant de 27 millions d'Euros [traduit de l'arabe Marcel Charbonnier]
La Commission européenne a annoncé, hier, qu'elle vient de donner son aval à l'attribution d'une aide d'un montant de 27 millions d'Euros à l'Autorité autonome palestinienne. Cette aide est destinée à couvrir des dépenses courantes exceptionnelles, telles que les salaires des employés du secteur public, après qu'Israël ait empêché le transfert des aides mensuelles régulières allouées à l'Autorité palestinienne au titre du mois d'octobre 2000.
La somme débloquée sera transférée via un fonds spécial, créé en 1998, destiné à apporter une aide financière sous forme d'avances récupérables versées à l'Autorité palestinienne dans les situations particulières où les autorités israéliennes n'assurent pas le transfert des fonds à l'Autorité palestinienne à due échéance. Il convient de noter que cette procédure exceptionnelle est utilisée par la Commission Européenne pour la première fois. 
Le protocole de Paris, signé par l'OLP et le gouvernement israélien, en 1994, énonce qu'Israël doit verser, mensuellement, à l'Autorité palestinienne, le montant des impôts et des droits de douane qu'il collecte. Israël ne s'est pas acquitté de cette obligation pour le mois d'octobre dernier, entraînant des difficultés financières pour l'Autorité palestinienne.
La Commission a indiqué hier, dans un communiqué, qu'elle a pris sa décision après avoir été informée par l'Autorité palestinienne du non-versement par Israël des sommes dues, collectées durant le mois d'octobre, et après vérification de cette information auprès du Fonds Monétaire International, chargé par les Etats donateurs du suivi du budget de l'Autorité palestinienne,
La Commission européenne a déclaré, dans son communiqué qui nous est parvenu directement au journal "espérer contribuer par ce geste à alléger les difficultés financières rencontrées par les fonctionnaires palestiniens".

13. Déclaration du Porte-parole du Quai d'Orsay du mardi 7 novembre 2000
- La demande palestinienne d'envoi d'une force des Nations unies pour protéger les Palestiniens aurait le soutien des Américains. Mais, ils n'ont pas encore sollicité d'envoyer une unité de contrôle des Nations unies pour protéger les Palestiniens contre les attaques de l'armée israélienne. Etes-vous au courant, et que pense la France ?
- Nous comprenons que la réflexion qui est demandée au Conseil de sécurité vise à protéger les populations civiles de la violence et vous savez que le Conseil de sécurité est saisi de cette demande, que des consultations informelles ont déjà eu lieu et se poursuivent, entre les membres du Conseil, les différentes parties intéressées et le Secrétaire général des Nations unies. Naturellement nous participons à ces réflexions.
- Pas les civils, les Palestiniens. Vous avez dit les civils ?
- Les civils palestiniens, oui. C'est de cette demande-là que le Conseil de sécurité est saisi, effectivement, par les Palestiniens.
- Comment peut-on expliquer la banalisation des assassinats quotidiens de Palestiniens, 2, 3 ou 4, 5, la multiplication des blessés, comme si pour la France c'était quelque chose de banal, mais quand un israélien tombe ou est assassiné, tout le monde réagit avec violence, dénonce ... Comment l'expliquez-vous ?
- Je crois que ce n'est pas exact. Parce que, nous ne sommes pas indifférents et nous ne banalisons pas la violence qui a lieu dans les territoires palestiniens.
- Avez-vous le temps d'écouter les radios françaises ?
- Oui, enfin on essaie.
- Tous utilisent le mot ''territoire'', comme si ces terres n'appartenaient à personne...
- Je redis donc : ''les territoires palestiniens'' et j'en reviens à mon propos : il n'y a pas banalisation, M. le ministre, Hubert Védrine, est en contact quasiment tous les jours avec les acteurs utiles dans la région pour précisément réduire, mettre fin à ces violences dont, et tout le monde le sait, les premières victimes, les plus nombreuses, sont la population civile palestinienne. Donc vous ne pouvez pas dire qu'il y a banalisation. Par ailleurs il n'y a pas non plus, je crois, deux poids, deux mesures en ce qui concerne nos réactions visant les victimes. Il y a aussi des morts israéliens, même s'ils sont moins nombreux, et nous ne réagissons pas de manière individualisée à chaque fois non plus. Nous réagissons en fait lorsqu'il y a une augmentation qualitative, une forme nouvelle de violence qui apparaît, parce qu'elle nous paraît représenter un développement dangereux de plus. Bref, nous réagissons par une mobilisation exceptionnelle dans cette situation exceptionnelle et je conteste que nous appliquions deux poids, deux mesures.
- M. Jospin, avant hier au CRIF a parlé comme s'il n'y avait pas d'assassinats de Palestiniens, il a évoqué seulement les problèmes de la communauté juive en France, et fait la promesse de protéger le lien entre cette communauté et Israël.
- C'est très grave, il n'a rien dit sur ce qui se passe. C'était l'occasion pour lui d'attirer l'attention de la communauté juive française sur les actes de l'armée israélienne, parce qu'ils s'expriment comme s'ils n'étaient pas des citoyens français, mais M. Jospin n'a rien dit.
- La déclaration de M. Hajdenberg était également choquante, avez-vous un commentaire ?
Aucun commentaire sur la déclaration de M. Hajdenberg. Soyez sûrs par ailleurs que le Premier ministre a à cœur qu'il n'y ait pas deux poids et deux mesures.
- Mais il y en a deux à Bir Zeit, M. Jospin avait qualifié le Hezbollah de terroriste, et c'est pour cela qu'il a été caillassé par les Palestiniens. Pourquoi n'a-t-il pas qualifié de même les Israéliens ? Ce n'est pas un autre pays, c'est la France...
- Je ne peux que contester vivement votre présentation qui n'engage que vous.
- Vous parlez de violences. De qui l'augmentation des violences est-elle le fait ? Des Palestiniens, des Israéliens ?
- La violence augmente en spirale, d'un côté puis de l'autre. Ce qu'il faut c'est mettre fin à cette spirale de violences.
- Je n'ai pas compris la position française concernant les réflexions actuelles au sein du Conseil de sécurité sur la protection des civils palestiniens.
- Nous abordons cette réflexion avec un esprit ouvert bien sûr, mais je vous rappelle que sur le fond, le ministre, à l'issue de ses entretiens avec M. Ben Ami, avait rappelé qu'il y avait un certain nombre d'hypothèses et de difficultés spécifiques qui devaient être envisagées et résolues pour que l'on puisse utilement discuter du déploiement d'une telle force.
- Question très simple : la France estime-t-elle que la population palestinienne a besoin d'être protégée ?
- Oui, nous comprenons tout à fait ce besoin de protection. Mais cette protection, tout le monde en a besoin, et pas seulement la population civile palestinienne. La violence touche les deux côtés, il y a une spirale de violences.
- Est-ce que l'armée israélienne a besoin de protection ?
- Je n'ai pas parlé spécifiquement de l'armée israélienne. Dans cette crise, ce que nous voulons c'est que la violence dans son ensemble diminue et que le calme revienne. Notre position est très claire.
- Il est question que la conférence interministérielle euroméditerranéenne, qui suppose la présence de quelques personnes de chaque pays, adopte une charte sur la sécurité ?
- J'ai dit vendredi que ce dossier ne paraissait pas mûr pour Marseille, et que je doutais qu'il le soit. On fera peut être un point sur l'avancement des travaux mais je ne pense pas que le sujet soit mûr pour décision.
- Dans le cadre d'Euromed a été lancée l'idée d'avoir un espace de paix et de sécurité dans la région...
- C'est notre objectif.
- ...alors qu'il y a un peuple qui subit tous les jours des agressions terribles de la part d'un état de la région qui fait partie de cette conférence, et il n'y a pas de mesures de protection du peuple palestinien. Comment peut-on avoir confiance dans un tel partenariat ?
Le partenariat Euromed est un partenariat qui vise à développer des relations harmonieuses entre la rive Nord et la rive Sud, ce n'est pas un partenariat qui vise à permettre à l'un des deux côtés, en l'espèce l'Union européenne, de s'ingére dans les affaires des Etats de l'autre côté. Ce n'est pas non plus un partenariat qui vise à ce que l'Union européenne se substitue à des partenaires qui doivent faire la paix. Dans ces conditions, nous pouvons faire ce qui nous apparaît utile, et ce qui nous apparaît utile dans la situation difficile actuelle, c'est de contribuer à créer des conditions qui favoriseront un retour à une paix juste, durable, équitable, une paix d'ensemble. Si le partenariat Euromed présente un certain nombre d'avantages objectifs pour les partenaires de la rive Sud, il ne prétend pas se substituer à ce qui doit être fait dans d'autres enceintes : s'agissant du rétablissement de la sécurité dans les territoires et au Proche Orient, il y a pour cela un processus, dont la dernière manifestation a été la réunion de Charm el-Cheikh. Et il y a aussi bien sûr la tutelle d'ensemble des Nations unies. C'est là, qu'il faut poser votre question d'abord.
- Pour nous, l'Europe est absente, même si vous dites que M. Solana était là à Charm el-Cheikh, l'Europe est absente. Il n'y pas d'action de la part de l'Europe dans cette situation qui est vraiment grave pour l'Europe.
- Je ne suis pas sûr que ce que vous dites appelle un commentaire spécifique de ma part puisque c'est un jugement de la votre. Ce que je peux dire, c'est que nous cherchons à nous acquitter de nos responsabilités, de manière efficace, mais sans créer d'illusions dangereuses en annonçant que nous voulons jouer un rôle qui ne serait pas le nôtre.
- Avez-vous reçu, de la part de pays du Sud de la Méditerranée, des demandes officielles d'ajournement de la réunion de Marseille ?
- Non, je n'en suis pas informé pour l'instant.
- Sur la question des observateurs des Nations unies pour les territoires palestiniens, et autre chose, il semble qu'il existe actuellement une idée d'observateurs sur le modèle Hébron. Est-ce que la France pourrait jouer un rôle médiateur entre les deux positions ?
- S'il y avait un accord qui émerge là-dessus, nous serions évidemment tout-à-fait disposés à jouer un rôle utile.
- Est-ce que vous avez reçu le refus du Liban de participer à la conférence ?
Nous avons pris note de déclarations publiques mais nous n'avons pas reçu communication d'une intention négative à ce sujet de leur part. La réponse est non.
- Mais qu'est qui vous permet de maintenir que cette réunion va se tenir, parce que d'après la position du sommet arabe...
-Vous savez qu'une réunion de suivi devrait se tenir à Doha, très prochainement...
- Ca n'a rien à voir...
Si cette réunion n'a rien à voir, les informations qui sont en notre possession à ce stade et qui ne devront alors donc plus changer, nous donnent à penser que la réunion de Marseille pourra se tenir utilement. Elle aura lieu, de toute manière.
- Sur le niveau de violence utilisé par l'armée israélienne, est-ce que la France estime toujours que cette violence est disproportionnée et excessive à l'égard des Palestiniens ?
- Dès l'instant qu'il y a des morts, cela me parait clair.
- Il y a des voix diplomatiques dont celle du ministre russe pour contester plus ou moins la formule du parrainage américain du processus de paix. Est-ce qu'il pourrait y avoir d'autres initiatives susceptibles de détrôner le parrainage américain? Parce que c'est une formule qui s'est soldée par un échec jusqu'à maintenant. Est-ce que vous êtes prêts par exemple à saisir la perche russe, à réfléchir à un aspect multilatéral pour résoudre le problème ?
- Un, je trouve que c'est un jugement trop rapide de dire que ça s'est soldé par un échec : vous savez ce que nous pensons des résultats des discussions de Camp David qui ont permis des percées importantes. Deux, vous savez que nous réfléchissons, nous travaillons et que nous avons décidé d'intensifier nos réflexions avec les Russes. Trois, je ne suis pas informé d'une initiative particulière pour l'instant.
- J'ai constaté que depuis quelques temps dans les médias français on ne parle plus des ''Territoires occupés'', mais des ''Territoires''. Vous avez un commentaire ?
- La presse est indépendante, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit toujours objective.