Les médias nous répètent en boucle que le monde d’aujourd’hui est différent
de celui d'hier. Dans celui bipolaire d’hier, les facteurs politiques et
géostratégiques déterminaient principalement les relations entre les Etats.
Aujourd'hui, les rapports économiques priment. La leçon a été apprise, et il ne
faut pas s’étonner que la population égyptienne ait désormais recours à l’arme
économique pour soutenir l'Intifada palestinienne.
« Boycotter les produits
de l’ennemi » donc. L'Hebdo a interviewé 10 managers de fast-food. Les
complaintes sont les mêmes. « Les dernières semaines ont été vraiment dures pour
nous, avec une fréquentation réduite de moitié par rapport à celle que nous
connaissons d'habitude », se plaint un employé de Hardee's, fast-food américain.
Une autre visite dans l'un des Mac Donald's de la capitale ne trahit pas ces
déclarations.
Et face à la perte de rentabilité, les offres spéciales du Mac
Do du coin se multiplient pour faire revenir le consommateur : deux Big Mac au
prix d’un ! L’exemple le plus fort est celui du panneau d'information apposé à
l'entrée du restaurant Chili’s de Maadi : « 10 % de nos profits seront reversés
au peuple palestinien ». Et dans le même élan, RadioSchack, enseigne américaine
de produits électroniques, n'hésite pas à hisser en vitrine les drapeaux
égyptien et palestinien. Bref, ce qui est politiquement correct vendra. Ce qui
ne l'est pas restera en marge. Soutenir le peuple palestinien en boycottant les
produits de son colonisateur et de ses alliés est une bonne cause.
Il est
difficile d'identifier la source de cet appel au boycott, car elle est en fait
diverse. Les principaux initiateurs sont des gens ordinaires dont beaucoup ont
fait usage du courrier électronique pour diffuser l’idée. Et si le mail ne
touche qu'une minorité de la population et surtout les jeunes qui fréquentent
ces fast-foods, à savoir la classe moyenne aisée, parallèlement plusieurs tracts
ont circulé rappelant qu’acheter des produits américains revient à soutenir
l'Etat sioniste.
Deux journaux se sont aussi joints à ces appels. Le premier,
Al-Arabi, porte parole du Parti nassérien, a publié une liste d'organismes et
entreprises ayant des « rapports de normalisation » avec Israël. L’autre,
Al-Osboue, journal indépendant mi-nassérien mi-islamiste, a publié une liste des
alternatives de consommation égyptiennes !
Certaines listes en circulation
proposent des alternatives aux produits à éviter, la cause palestinienne peut
donc fournir une publicité gratuite à quelques entreprises au détriment
d'autres. On peut taxer son compétiteur de « capital juif » comme cela a été le
cas avec Sainsbury's dont un des supermarchés a été endommagé par des
manifestants. La société s'est alors empressée de publier dans les journaux que
son capital était réparti entre plus de 100 000 actionnaires et notamment ses
employés.
Cette incitation au boycott se fait hors des directives
gouvernementales. En effet, l'Etat est resté en dehors de toute cette campagne.
Ainsi, en ce qui concerne les relations commerciales avec Israël, les mesures
officielles sont inexistantes. L'Egypte a exporté pour 180 millions de US$ vers
Israël en 1999, dont 88 % de pétrole. Cesser les exportations pétrolières
pourrait susciter une forte réaction de sa part. Quant aux importations
égyptiennes depuis ce pays, elles ne dépassent pas les 54,4 millions de US$ en
1999, selon les chiffres de l’ambassade d’Israël au Caire, et se composent
principalement d'équipements agricoles ainsi que d'appareils électroménagers.
Malgré ces chiffes minimisés par le ministre égyptien des Affaires étrangères,
la Fédération des chambres commerciales égyptiennes a diffusé un communiqué
appelant les commerçants à boycotter tous les produits israéliens, sans
toutefois préciser les mesures à l'encontre de ceux qui ne respecteraient pas la
décision. En outre, la Chambre centrale maritime basée à Alexandrie regroupant
les agents maritimes a décidé à son tour de boycotter les navires israéliens ...
si les attaques israéliennes contre le peuple palestinien devaient
continuer.
45 % des
produits américains importés substituables
Le président de
l’Association des hommes d’affaires égyptiens, Saïd Al-Tawil, se montre, lui,
peu enthousiaste. « Il est vrai qu'actuellement, il n'est pas dans l'intérêt des
commerçants égyptiens de vendre des produits israéliens, car ils ne trouveront
pas d'acheteurs. Par contre, les profits de l'économie nationale seraient autres
si les produits égyptiens étaient vendus en Israël. Cela améliorerait notre
balance commerciale et l'activité économique en général », déclare-t-il. Quant
aux investissements israéliens en Egypte, en l'absence de chiffres exacts, Saïd
Al-Tawil assure qu'ils sont négligeables. Outre le projet de raffinage du
pétrole qui n'a pas encore vu le jour, l'usine de prêt-à-porter Delta Egypt, au
Caire, reste le symbole d'une coopération bilatérale. « Cette usine ne vend pas
sur le marché égyptien, mais nous ne devons pas minimiser le fait que toute sa
production est vendue pour la chaîne anglaise Marks&Spencer »,
commente-t-il.
Ainsi, il peut paraître facile de boycotter les produits
israéliens, peu nombreux. Quant aux produits américains, bien que quelques-uns
paraissent indispensables comme les logiciels informatiques (mais là aussi il
est possible de se tourner vers des systèmes alternatifs comme Linux), près de
45 % des importations américaines sont remplaçables.
Les Etats-Unis
représentent le deuxième partenaire commercial de l'Egypte, après l'Union
européenne. En 1999, ils ont exporté vers le marché égyptien l'équivalent de 3
milliards de US$, contre des exportations égyptiennes qui ne représentent que
0,43 milliard vers les Etats-Unis. Mais ces importations américaines sont
achetées à hauteur de 55,37 % par le gouvernement, et ne peuvent donc pas être
soumises à boycott, contrairement aux appareils électroménagers, aux automobiles
destinées aux particuliers et dont la substitution est aisée.
Par ailleurs,
malgré l'absence de chiffres exacts concernant l'investissement américain en
Egypte, celui-ci est estimé à plus de 10 milliards de US$, concentré
principalement dans le secteur pétrolier, seuls deux milliards vont vers les
autres secteurs de l'économie. Le boycott de ces investissements est en somme
facile, car ils concernent des marques connues et facilement accessibles comme
les produits de Procter & Gamble (Ariel, près de 40 % du marché, Pampers ou
Camay), Coca-Cola et Pepsi (l'entreprise mère possède une partie de la filiale
égyptienne) ou encore des filiales des banques américaines, comme Citibank et
American Express, ainsi que certaines sociétés d'assurance sont aussi
contournables tout comme les stations services Mobil/Exxon et Caltex qui sont
une licence sous-traitée à des gérants, ainsi que des produits agroalimentaires.
Même Marlboro, que beaucoup de gens prennent comme exemple de boycott nuisible à
la main-d'œuvre égyptienne, est en fait presque purement américain. Il s'agit
d'une sous-traitance commandée par le propriétaire de la licence et tous les
ingrédients proviennent des Etats-Unis, et sont manufacturés par une ligne de
production louée à l'entreprise publique Al-Charqiya pour le tabac. Il n'y a pas
de main-d'œuvre supplémentaire pour cette ligne, ce sont les mêmes ouvriers que
ceux qui font les autres cigarettes. La Chambre de commerce américaine du Caire
(AmCham) refuse de diffuser la liste des investisseurs ainsi que les licences en
sous-traitance.
Selon le porte-parole de l'ambassade des Etats-Unis au Caire,
« les Etats-Unis sont l'un des principaux investisseurs en Egypte. Ces
investissements créent des emplois pour des milliers d'Egyptiens, et payent
aussi des impôts au Trésor, ce qui contribue à la croissance de l'économie. De
plus, l'augmentation de ces investissements est un objectif commun pour les deux
pays. Ainsi, nous nous opposons à tout acte allant à l'encontre de
l'augmentation des capitaux américains en Egypte ».
Et le chômage ?
Les arguments
économiques incitent aussi à une certaine mesure quant à l'appel au boycott des
produits sous licences américaines. En effet, il pourrait se répercuter sur le
taux de chômage national, malgré la création d'un fonds spécial d'indemnisation
des travailleurs égyptiens. Mais plusieurs contre-arguments sont évoqués. En
premier lieu, il est souligné que si au fil du temps il se révèle que la
rentabilité se fait moindre en raison du boycott, les investisseurs se
dirigeront sûrement vers d'autres types de franchises propices à attirer
davantage de clientèle et ainsi, sur le long terme, la main-d'œuvre n'en sera
que peu affectée. En second lieu, les fast-foods et les supermarchés, égyptiens
ou américains, qui se sont multipliés, ont déjà ruiné plusieurs petits
commerçants égyptiens traditionnels. Dans le centre-ville du Caire, les petites
enseignes de nourriture égyptiennes ont quasiment disparu au profit de ces
fast-foods. Un coup d’œil sur la place Tahrir résume le phénomène.
Quelles
seront donc les réactions des hommes d’affaires investissant dans les franchises
américaines ? Sur le court terme, les contre-attaques publicitaires et les prix
revus à la baisse sont de rigueur pour attirer les consommateurs. Mais si le
boycott continue ? Il est fort probable que la plupart adoptent le « wait and
see » de rigueur. Cependant, le boycott ne trouve sa motivation que dans une
actualité particulièrement chaude, l’Intifada palestinienne. Or, la lutte du
peuple palestinien risque de durer encore de longues années comme cela a été le
cas pour la lutte du peuple sud-africain. L'intérêt populaire dans cette affaire
peut décliner avec le temps. Dans ce cas, Mac Donald's supprimera ses offres
spéciales, avant d'augmenter plus tard ses prix ... Mais le boycott aura fait
parler de lui et engagé un débat.
4. Dépêche
de l'Agence France Presse du mardi 7 novembre 2000,
14h11
Cueillette
des olives la peur au ventre en Cisjordanie
KARYOUT (Cisjordanie) -
"Je ramasse des olives comme un homme qui vole des oeufs". Triant ses fruits sur
une bâche au pied d'un arbre, Yousra, une vieille Palestinienne, promène
régulièrement un regard inquiet autour d'elle.
Le champ d'oliviers où elle travaille est dominé
par deux colonies israéliennes, qui alignent leurs villas préfabriquées rouges
et blanches flambant neuves. Karyout, son village tout proche, est déjà entouré
de trois colonies créées au cours des vingt dernières années.
"Ce matin", raconte son mari, Mohammad Barhoom, le
propriétaire des oliviers, "je suis venu au champ avec la main sur le coeur
tellement j'ai peur".
Avec l'Intifada, la révolte palestinienne qui a
débuté le 28 septembre, les incidents et intimidations, réguliers depuis
quelques années, se multiplient entre colons israéliens et habitants de Karyout,
un village fier de ses trois "martyrs" de la cause palestinienne, dont un à
l'origine d'un attentat-suicide meurtrier en 1996 à Tel Aviv.
Comme dans de nombreux villages de Cisjordanie, la
cueillette des olives, entamée à la mi-octobre pour s'achever un mois plus tard,
est capitale pour Karyout et ses 2.750 habitants. Ici, quasiment tout le monde
possède des oliviers, dont les fruits sont réputés pour faire une excellente
huile.
"Vendredi dernier, des colons ont déraciné 400 de
mes oliviers pour les revendre 100 shekels pièce (environ 25 dollars) en
Israël", affirme Esane Sadeq, un paysan de Karyout. "Un peu plus tôt, d'autres
m'avaient volé des olives et avaient blessé mon fils par balle",
assure-t-il.
Sur le chemin des oliviers, quelques arbres
calcinés, d'autres avec la majorité de leurs branches coupées. Une route
asphaltée coupe le champ en deux pour permettre l'accès des Israéliens à leur
colonie.
Celle des villageois palestiniens n'est bitumée
qu'à mi-parcours. "Les colons nous interdisent d'aller au-delà", assure Abdel
Nasser, responsable local du Fatah, mouvement du président palestinien Yasser
Arafat et principale composante de l'OLP.
Sous un arbre, un vieil homme édenté cueille ses
olives dans un silence de mort. "J'ai peur", confie Rateb Asmar. "Je n'ose plus
demander à mon fils de venir m'aider et je dois travailler en me taisant,
sinon...". Avec sa scie égoïne, il mime alors un coup de feu avant d'exhiber de
vieilles cicatrices de coups portés, selon lui, par les colons.
"Normalement", dit-il, "quand je viens en famille,
on peut ramasser en un jour les olives de dix arbres. Maintenant, on arrive tout
juste à faire deux oliviers".
Un peu plus loin, trois hommes et deux femmes
s'activent dans les branches d'un olivier. "Ce matin", raconte Mashhout Abogath,
un jeune ouvrier en construction privé de son habituel travail en Israël, "cinq
soldats israéliens sont venus avec des colons armés pour nous chasser d'ici.
Mais nous sommes restés. C'est notre terre ici. Pas question de
partir".
Dans la très artisanale huilerie du village,
l'heure est au pessimisme. "Il y a cinq ans, on produisait plus de 250.000
litres", souligne Ibrahim Hamed, chef d'équipe.
"Cette année, on devrait atteindre autour de
170.000. Et avec les arbres que les colons nous arrachent et la terre qu'ils ne
cessent de nous voler, la production devrait encore baisser de moitié d'ici à
l'an prochain", conclut-il.
5.
Le Monde du mardi 7 novembre 2000
Pour M. Hajdenberg, Paris est hors
jeu au Proche-Orient par Gilles Paris
Au dîner du CRIF, M. Jospin a demandé « des gestes
significatifs » aux Israéliens et aux Palestiniens
LIONEL JOSPIN était «
attendu », samedi soir 4 novembre, au dîner annuel du Conseil représentatif des
institutions juives de France (CRIF). Moins de deux semaines après le soutien
apporté par la France à une résolution des Nations unies dénonçant « l'usage
excessif de la force » par Israël dans la répression des émeutes palestiniennes,
le premier ministre a été courtoisement mais fermement sommé par le président du
CRIF, Henri Hajdenberg, de s'expliquer.
« Vous aviez contribué personnellement à un
rééquilibrage de la position française lors de votre visite à Jérusalem en
février. Aussi pouvions-nous espérer de la France une autre politique que celle
consistant à faire condamner Israël dans les instances internationales et à le
désigner comme seul coupable des affrontements avec les émeutiers palestiniens,
comme si ces révoltes s'étaient déclenchées spontanément, et comme si Yasser
Arafat n'avait pas de responsabilités dans le refus des négociations de paix et
les affrontements, s'est étonné M. Hajdenberg. Il ne s'agit d'une politique ni
d'une diplomatie équilibrées. Sortant d'une position balancée, la France s'est
mise à nouveau hors jeu. »
« VIOLENCES INADMISSIBLES »
Le président du CRIF s'était efforcé auparavant de
démontrer la responsabilité du chef de l'Autorité palestinienne, soupçonné de
préférer à la négociation « une guérilla longue, une sorte de lutte de
libération nationale, à caractère mythique, au risque de faire échouer certaines
revendications, il faut le dire pourtant légitimes des Palestiniens ». Revenant
à la charge et dénonçant sans le nommer explicitement Jacques Chirac, « l'homme
d'Etat (...) sensible aux images » qui « se laisse vaincre par l'émotion »
devant les affrontements opposant les jeunes Palestiniens à l'armée israélienne,
M. Hajdenberg s'est efforcé de pousser M. Jospin, jugé plus sensible aux thèses
israéliennes, dans ses retranchements.
Il a mis en cause « cette période subtile de
cohabitation dans laquelle nous savons que vous ne voulez pas laisser entrevoir
des différences d'appréciation sur les positions de la France ». « Cette
attitude respectable, a encore dit M. Hajdenberg, a pour effet de stériliser
tout débat de fond concernant la politique de la France au Proche-Orient (...) ,
à moins que vous ne nous en disiez plus. »
Mais M. Jospin s'est gardé de répondre à
l'invitation. « La France qui est, vous le savez, l'amie d'Israël, continue à
soutenir qu'il n'y a pas pour les deux peuples d'autre chemin possible que celui
du dialogue et de la recherche de la paix », a affirmé le premier ministre qui a
demandé « des gestes significatifs dans le sens de l'apaisement » aux deux
parties. Soucieux de la « détresse du peuple israélien qui désespère de la paix
», il a aussitôt indiqué que « du côté du peuple palestinien, la violence
exprime souvent le désespoir de ceux qui ont le sentiment que le temps passe
sans que l'Etat espéré, dans des conditions de dignité et de liberté, voie le
jour ».
M. Jospin savait qu'il ne pourrait pas convaincre
son auditoire de la pertinence de cet « équilibre ». Il a donc évoqué plus
longuement des sujets plus consensuels : la dénonciation des « violences
inadmissibles » perpétrées à l'encontre de la communauté juive tout d'abord, le
« dialogue et le rapprochement » des diverses communautés religieuses célébrés
auparavant par M. Hajdenberg ensuite, le travail effectué par la commission
présidée par Jean Mattéoli sur la spoliation des biens juifs.
Après avoir indiqué qu'il avait proposé à Simone
Veil de prendre la présidence de la future Fondation de la mémoire de la Shoah,
M. Jospin s'est félicité du « travail de vérité » effectué en la matière et
souhaité que « d'autres moments sombres de notre histoire nationale » et plus
précisément la guerre d'Algérie « fassent l'objet du même effort ».
6.
Le Monde du mardi 7 novembre 2000
Eli Barnavi nommé nouvel ambassadeur
d'Israël en France
Le gouvernement israélien a approuvé dimanche 5
novembre la nomination d'Eli Barnavi au poste d'ambassadeur d'Israël en France.
Historien, politologue, professeur au département d'histoire de l'université de
Tel Aviv, celui-ci occupait depuis deux ans le poste de directeur du comité
scientifique du Musée de l'Europe à Bruxelles. Ce médiéviste ne s'est jamais
coupé des combats de l'actualité. Il fait partie de ces hommes de la gauche
israélienne qui défendent le droit des Palestiniens à disposer d'un Etat aux
côtés d'Israël. Il s'en est expliqué dans de nombreux articles - en particulier
dans Le Monde et Le Nouvel Observateur - et ouvrages. Il est l'auteur,
notamment, d' Israël au XX e siècle (Flammarion), de Lettre de l'ami
israélien à l'ami palestinien (Flammarion), d'une Histoire universelle des Juifs
(ouvrage collectif, Hachette) et a patronné avec Saul Friedländer Les Juifs et
le XX e Siècle, dictionnaire critique (ouvrage collectif,
Calmann-Lévy).
7.
L'Orient-Le Jour (quotidien libanais) du mardi
7 novembre 2000
Nouvelles violations par l’État
hébreu du territoire libanais
Le président de la République, le
général Émile Lahoud, a dénoncé hier une nouvelle «agression militaire» d’Israël
contre le territoire libanais. Des avions israéliens ont en effet survolé le Sud
dans la nuit de dimanche à lundi et durant la matinée d’hier, et deux
hélicoptères ont brièvement atterri sur les terres libanaises près du Litani,
dans un village au sud de Tyr. Le président Lahoud a demandé au ministère des
Affaires étrangères d’informer les Nations unies, ainsi que la Finul, de cette
nouvelle violation.
Cette incursion israélienne est la première en son
genre, depuis l’évacuation et la libération du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest en
mai dernier. Dans la nuit de dimanche à lundi, peu après minuit, cinq
hélicoptères israéliens ont survolé les villages de Aïtit, Mazraat Mechref,
Chkif, Rechkanay, Tibnine, Jouaya, Kfardounine, Bourj Kalaway et Taybé. Quelques
minutes plus tard, deux hélicoptères israéliens se sont posés au village de
Kantara, où ils sont restés plusieurs minutes avant de repasser la frontière.
Il faut préciser que les vols israéliens au-dessus du Liban se sont
multipliés depuis la capture, par le Hezbollah, de quatre soldats ennemis qui se
trouvaient dans la région des hameaux de Chebaa toujours occupés par Israël. Le
représentant du secrétaire général des Nations unies au Liban, M. Rolf Knutsson,
a exprimé hier son inquiétude grandissante à l’encontre de la multiplication des
violations de l’espace aérien libanais par l’aviation israélienne. Il a déclaré,
dans un communiqué publié hier, qu’«il est essentiel que de telles violations
cessent immédiatement, ainsi que d’autres violations de la ligne bleue».
Les
violations de l’intégrité du territoire libanais se sont poursuivies durant
toute la journée d’hier : des avions de chasse ont survolé plusieurs régions
libanaises, franchissant le mur du son au-dessus de Beyrouth et de Saïda. Ces
survols se sont produits alors que le Premier ministre syrien, M. Mohammed Miro,
se réunissait à Beyrouth avec le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri. Par
ailleurs, plusieurs appareils israéliens ont survolé Tyr à plusieurs reprises,
simulant quelquefois des attaques en piqué, et ont franchi le mur du son
au-dessus de Baalbeck.
Démenti israélien
Un
porte-parole militaire à Jérusalem a démenti hier soir que l’aviation
israélienne ait violé l’espace aérien libanais.
«Nous n’avons pas survolé le
Liban lundi», a-t-il affirmé à l’AFP. Auparavant, le même porte-parole avait
donné à penser le contraire en déclarant à l’AFP : «Les appareils israéliens
survolent tous les secteurs qu’il est nécessaire de survoler pour assurer la
sécurité d’Israël et celle de ses ressortissants, en particulier après
l’enlèvement de trois de ses soldats». En fait, les survols ont bel et bien eu
lieu, et des témoins oculaires à Beyrouth ont constaté que des avions de chasse
israéliens avaient survolé lundi plusieurs régions du Liban, franchissant
notamment le mur du son au-dessus de Beyrouth.
La maison d’un membre du Hezbollah
détruite par une explosion
Alors que les avions israéliens
survolaient Beyrouth et le Sud, une maison appartenant à un artificier du
Hezbollah, Dia Moussaoui, a été détruite hier par une explosion d’origine
inconnue dans le village de Nabi Chit au sud de Baalbeck. L’explosion n’a pas
fait de victimes. M. Moussaoui avait quitté son habitation un quart d’heure
avant la déflagration.
Hier, le périmètre de l’explosion a été bouclé par
l’armée libanaise. Rappelons que Nabi Chit est le village d’origine de
l’ex-secrétaire général du Hezbollah, cheikh Abbas Moussaoui, tué en 1992 avec
sa famille dans un raid israélien.
8.
Le Soir (quotidien belge) du lundi 6 novembre
2000
Arafat : "Je ne demande pourtant pas
la lune" par Catherine Piettre
GAZA de notre envoyée spéciale
C'est sous la protection d'une impressionnante
garde rapprochée que Yasser Arafat reçoit tout visiteur à son siège de Gaza.
L'air digne, mais les lèvres tremblant sous l'effet d'un parkinson avancé, le
chef de l'Autorité palestinienne semble avoir perdu toute illusion. Il ira
certes à Washington, comme il l'a promis samedi, mais ne semble pas attendre
grand-chose de sa rencontre avec Bill Clinton... Je ne demande pourtant pas la
lune, rappelle-t-il, seulement de pousser les Israéliens au respect de ce qui a
été signé à la Maison-Blanche et ailleurs. Avec Ehoud Barak et avec ses
prédécesseurs au gouvernement israélien.
L'arrêt des hostilités entre Israéliens et
Palestiniens, décidé dans la nuit de mercredi dernier, au terme de plusieurs
heures de négociation entre le leader palestinien et Shimon Peres, a, lui, fait
long feu : Il n'y a pas de cessez-le-feu, nous sommes attaqués en permanence
HOMMAGE À RABIN
Le mot « cessez-le-feu » a
d'ailleurs été interprété de manière ambiguë par les deux parties : la grande
majorité des tirs a effectivement été le fait de l'armée israélienne, cependant
que la nouvelle intifada est menée, comme la première, avec des pierres. Nous
avons entendu parler de cessez-le-feu, mais pas de « cessez-les-pierres »,
plaisantait, au lendemain de l'accord, Nabil Chaath, un des proches
collaborateurs de Yasser Arafat.
Réitérant son engagement dans le processus de paix,
Arafat a profité de l'anniversaire de la mort de Yitzhak Rabin pour rendre un
hommage appuyé à son partenaire israélien, qui a payé de sa vie pour la paix. Et
pour attaquer vivement Barak : Dans le respect de l'accord passé entre moi et
Rabin, il n'y aurait aucune nouvelle colonie juive, aucun développement des
anciennes colonies, aucune nouvelle habitation, rappelle-t-il. Sous Barak, les
colonies se sont développées deux ou trois fois plus que sous Netanyahou. Il
fait exactement tout ce que les colons demandent.
La triste réalité de la bande de Gaza - pourtant
censée être sous le contrôle de l'Autorité palestinienne, mais où des tanks
israéliens bloquent la route, palestinienne, à chaque passage de colons juifs -
semble d'ailleurs donner raison à Arafat. La situation, déjà tendue, a empiré
depuis le début de la nouvelle intifada déclenchée le 28 juillet. Nous sommes
sous siège, affirme le chef palestinien.
Impossible, en tout cas, pour les Palestiniens de
passer de Gaza en Cisjordanie, les deux blocs des territoires occupés.
Impossible aussi, et plus encore, de travailler en Israël. Quant aux Arabes
israéliens, ils doivent traverser tant de barrages et de postes de sécurité que
tout déplacement d'une région à l'autre devient, au sens propre, un parcours du
combattant... Le bilan économique de cette contre-attaque israélienne face à la
nouvelle intifada se chiffre, selon les statistiques des Palestiniens, à 380
millions de dollars de pertes, rien que pour octobre. Sans compter le lourd
bilan en vies humaines et en blessés graves, qui fait croître, chaque jour un
peu plus, la haine envers l'armée israélienne.
Le sujet ne manquera pas de provoquer de houleuses
discussions à Washington, selon Yasser Arafat lui-même : N'oublions pas
qu'Israël nous attaque avec des armes américaines... Et Arafat sera peut-être
d'autant plus combatif face au président des Etats-Unis que l'opinion publique
palestinienne semble se détourner de son vieux chef : Avant je me moquais de
cheik Yacine - le chef du Hamas palestinien -, se souvient Hazem, un Gazaoui
autrefois proche du Fatah d'Arafat. Maintenant, je me rends compte que c'est lui
qui avait raison...
9.
Al-Watan Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Paris)
du vendredi 3 novembre 2000
Pourquoi les leaders arabes ont-ils
adopté des positions réalistes au sommet du Caire ? par Abd al-Karim
Abu al-Nasr [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Le sommet arabe extraordinaire réuni au Caire les
21 et 22 octobre derniers représente un tournant dans la politique arabe en
matière de processus de paix, même si l'on remonte à son origine : le sommet de
Madrid, tenu à l'automne 1991. Le sommet du Caire a adopté des résolution et des
prises de position sans précédents si l'on se réfère aux sommets arabes tenus
depuis des décennies, en ce qui concerne le conflit israélo-arabe et la lutte du
peuple palestinien.
Au cours de ce sommet, les états arabes ont exprimé,
pour la première fois avec une telle clarté, l'ébranlement de la confiance
qu'ils plaçaient dans le processus de paix, pour ne pas dire : leur refus du
processus de paix sous sa forme actuelle. Ils ont exprimé leur pessimisme,
proche du désespoir, sur la possibilité de parvenir à un règlement pacifique
définitif du conflit avec Israël à court terme. Ils se sont montrés prêts, plus
que jamais par le passé, à geler la normalisation et l'ouverture arabes
vis-à-vis de l'état juif, et à aller même plus loin en ce sens si le
gouvernement israélien devait poursuivre sa politique répressive et violente
contre les Palestiniens et insister à transformer le processus de paix en un
processus de guerre permanente contre le peuple palestinien et en moyen pour
assurer son hégémonie sur la région sous des formes multiples.
Le sommet du
Caire a déterminé un plan de travail politique et diplomatique destiné à faire
face à Israël, au processus de paix et aux grandes puissances au cours de la
phase (nouvelle) qui vient de s'ouvrir, adoptant des décisions exécutives et un
processus de soutien à l'intifada palestinienne basé sur les propositions
formulées par l'Arabie Saoudite. Le sommet a rejeté les conseils adressés par
l'administration américaine à certains états et courants arabes, leur demandant,
en substance, de s'abstenir de toute position dure, sur la forme comme sur le
fond, contre Israël. Ces états et mouvements ont choisi, au contraire, d'entrer
dans une confrontation politique avec Israël, laissant la porte ouverte à un
durcissement de cette confrontation, si nécessaire, à l'avenir.
Tels sont, en
résumé, les travaux du sommet du Caire et les résolutions qui y ont été
adoptées. Mais il faut rentrer dans les détails, si l'on veut donner une
évaluation précise et objective des résultats du sommet, ce qui nous amène à
nous arrêter aux points essentiels suivants :
1 - le programme politique
adopté par le sommet du Caire et destiné à se positionner face à Israël et au
processus de paix dans la phase nouvelle commençante s'ouvre sur les plus graves
accusations à l'encontre d'Israël. Ils va jusqu'à redéfinir les principes sur
lesquels les états arabes devront se baser au cours de cette étape à venir, dans
leurs relations avec l'Etat juif, et qui se conclut par l'adoption de la
décision de faire monter les enchères, si nécessaires, face à ce dernier. Le
sommet a accusé Israël de transformer le processus de paix en "un processus de
guerre dirigée contre le peuple palestinien", lui faisant porter la
responsabilité de ramener la région au climat de tension et de guerre et de
"traiter à la légère" la question de Jérusalem. Le sommet ne s'est pas contenté
d'exiger la constitution d'une commission internationale d'enquête indépendante,
dans le cadre des Nations Unies, sur les causes et les responsabilités de la
dégradation extrêmement grave de la situation dans les territoires palestiniens
occupés : il est allé plus loin, exigeant du Conseil de Sécurité qu'il assure
une protection indispensable au peuple palestinien au moyen de la constitution
d'une force internationale ou d'une présence internationale de nature à
s'interposer. Il a demandé au Conseil de Sécurité de constituer un tribunal
international pour le jugement des criminels de guerre israéliens, responsables
de la perpétration de massacres à l'encontre du peuple palestinien. Que ces
exigences trouvent satisfaction ou non, leur formulation a une grande importance
politique, car elle montre aux grandes puissances la profondeur de la colère des
pays arabes vis-à-vis d'Israël et de ses agissements, et elle permet de
justifier, par la suite, des mesures effectives, sévères, que ces états
pourraient prendre contre l'Etat juif.
Après avoir affirmé ses résolutions
affirmant l'attachement des Arabes au choix de la paix, à condition qu'il y ait,
en face, un engagement similaire de la part d'Israël et que cette paix soit
basée sur les deux principes de la globalité et de la justice, "en tant qu'elles
sont les deux conditions sine qua non de l'acceptation de la paix et de sa
pérennité", ainsi que leur attachement aux principes invariants et aux droits
arabes, le sommet a défini les bases du comportement arabe à adopter vis-à-vis
d'Israël dans la phase à venir, en conditionnant la poursuite de la
normalisation à l'existence d'un processus de paix véritable. Le sommet du Caire
ne s'est pas contenté de cela, il ne s'est, d'ailleurs, même pas contenté de
suspendre toute participation à des négociations multilatérales et de geler tous
les projets et les initiatives en cours de coopération économique régionale avec
Israël, mais il est allé plus loin que tout sommet arabe jusqu'alors, menaçant
de suspendre les relations déjà existantes avec ce pays. La résolution finale du
sommet énonce, ainsi : "le sommet arabe affirme, à la lumière de l'achoppement
du processus de paix, qu'il s'engage à faire face de la manière la plus résolue
aux tentatives israéliennes de s'immiscer dans le monde arabe, quelle que soit
la forme qu'elles adopteraient, et à s'abstenir d'établir quelque forme que ce
soit de relations nouvelles avec Israël. Les participants au sommet
rejettent sur Israël la responsabilité des mesures et des décisions qu'ils sont
amenés à prendre en matière de relations avec ce pays - pouvant aller jusqu'à la
rupture - qui résultent de la nécessité de faire face à l'arrêt du processus de
paix." Des sources diplomatiques arabes et européennes (bien informées) ont
affirmé que ce paragraphe de la résolution finale du sommet signifie clairement
que les Etats arabes sont prêts à élever le niveau de leurs exigences politiques
vis-à-vis d'Israël jusqu'au point de suspendre leurs relations diplomatiques si
les autorités israéliennes devaient continuer à mener leurs opérations de
répression à l'encontre des Palestiniens, à bloquer le processus de paix ou à
imposer leurs conditions aux négociations ou prenaient de nouvelles mesures
d'escalade contre le peuple palestinien.
A ce sujet, des sources
diplomatiques américaines et européennes indiquent qu'il existe une
préoccupation certaine, américaine et européenne, de voir le gouvernement
israélien adopter, dans la période à venir, la décision d'annexer des parties de
la Cisjordanie et de la bande de Gaza actuellement sous administration
palestinienne (risque renforcé par la participation éventuelle du leader du
Likud, Sharon, à ce gouvernement), sous le prétexte "de protéger les colons
israéliens ou les nouveaux quartiers israéliens de la périphérie de Jérusalem".
Si le gouvernement israélien devait procéder à cette annexion, ne fût-ce que
temporairement, les affrontements avec les Palestiniens ne pourraient que gagner
en ampleur et en gravité, ce qui amènerait inéluctablement les Etats arabes à
adopter des résolutions exécutoires plus dures envers Israël.
La responsabilité américaine
2 - la communauté arabe a formulé une condamnation
très articulée du rôle joué par les Américains dans le processus de paix (en
difficulté). Il est vrai que cette condamnation n'apparaît pas dans la
résolution finale adoptée par le sommet du Caire. Mais elle était contenue dans
l'intervention du prince Abdallah Ibn Abdel-Aziz, souverain saoudien.
L'importance de la position exprimée par le prince Abdallah réside dans le fait
qu'il exprimait dans son discours la conviction générale de la communauté arabe,
dans son ensemble, et qu'il parlait en son nom lorsqu'il a déclaré : "les
Etats-Unis, en leur qualité de parrain du processus de paix, ont une
responsabilité particulière dans l'effondrement qui l'affecte. Etre à la hauteur
de ses responsabilités de parrain signifie s'assurer de la validité de la voie
suivie par ce processus et demander des comptes à la partie éventuellement
responsable de sa déviance". Des sources diplomatiques américaines (comme l'on
dit, "bien informées") ont affirmé que l'administration Clinton a apporté une
importance toute particulière à la position exprimée par le prince Abdallah, qui
a exprimé d'une manière tout-à-fait claire la perte de confiance presque totale
des Arabes, en ce qui concerne le rôle américain dans le processus de paix.
3
- le sommet du Caire a adopté des résolutions exécutoires, pragmatiques et
précises, destinées à soutenir l'intifada et le peuple palestinien en lutte
contre les occupants israéliens. Le sommet a répondu favorablement à la
proposition saoudienne de créer deux fonds de soutien. L'un, appelé "le fonds
d'Al-Aqsa", d'un montant de 800 millions de dollars, est destiné à financer des
projets contribuant à la sauvegarde de l'identité arabe et islamique de
Jérusalem et permettant au peuple palestinien de se libérer de la dépendance
économique vis-à-vis d'Israël. Le second fonds, dénommé "caisse de l'intifada
d'Al-Quds (Jérusalem)", d'un montant de 200 millions de dollars, sera consacré
aux victimes de l'intifada. (L'Arabie saoudite assurera un quart du financement
de ces deux fonds de soutien, soit 250 millions de dollars). Le sommet a
également invité les citoyens des pays arabes à verser un montant correspondant
au salaire d'une journée de travail afin de secourir le peuple palestinien en
lutte. Ces décisions sont importantes, dans le sens où il ne s'agit pas
simplement d'initiatives présentant un caractère humanitaire et matériel, mais
de prises de position de nature réellement politique. Ces décisions signifient,
en effet, que le sommet arabe considère (et a la ferme intention de continuer à
considérer -) l'intifada comme une lutte populaire de résistance, menée par les
Palestiniens contre l'occupation israélienne, et appelée à se poursuivre jusqu'à
la création d'un Etat palestinien, dont Jérusalem serait la capitale, et que ce
mouvement de résistance nécessite un soutien arabe continu, sur les plans
politique, diplomatique et matériel.
Les décisions du sommet du Caire sont à
la fois déterminées et réalistes. Mais le réalisme politique jouit d'une
réputation désastreuse dans le monde arabe, tout particulièrement lorsqu'il est
question du conflit avec Israël. Ceci explique pourquoi ces résolutions ont
suscité le désarroi de certains partenaires arabes ou palestiniens, désireux que
les pays arabes aillent plus loin dans la confrontation avec Israël.
Pour
être juste, il faut dire que le réalisme politique, en matière de processus de
paix et de conflit arabo-israélien, résulte essentiellement de facteurs
objectifs fondamentaux, dont les plus prégnants sont les suivants :
a - il
est impossible, du point de vue de la politique mondiale, d'effacer Israël de la
carte ou de lui infliger une défaite militaire, car les Etats-Unis et la plupart
des grandes puissances interviendraient militairement aux côtés d'Israël pour
assurer sa protection et venir à son secours s'il en était besoin, au cas où ce
pays serait confronté à un danger réel et sérieux menaçant son existence.
b -
il est impossible, en l'état du rapport de force existant dans la région,
après l'effondrement de l'Union soviétique et du bloc de l'Est, et compte tenu
du fait qu'Israël détient des armes de destruction totale (bombes nucléaires,
notamment, NdT) et un équipement militaire extrêmement sophistiqué, bien
supérieur à celui de tous les pays arabes mis ensemble, d'entrer en guerre, à
armes égales, contre l'état juif, sans que cela n'entraîne des destructions
irréparables dans les états arabes qui y participeraient et sans que les Arabes
ne perdent leur souveraineté sur des territoires supplémentaires (au profit
d'Israël).
c - le combat du peuple palestinien ne tire pas seulement sa force
des affrontements avec les occupants israéliens et des victimes et des martyrs
qu'ils causent, mais de la force des Arabes, de la force de la position arabe et
de la force de l'union de combat arabo-palestinienne. Tout affaiblissement de la
position arabe trouverait sa traduction inéluctable dans celui de la position
palestinienne. Un tel affaiblissement se produirait si les pays arabes
agissaient en dehors du cadre de la légalité internationale et s'ils ignoraient
la nécessité de gagner le soutien des grandes puissances, et au premier chef
d'entre elles, des Etats-Unis et de l'Europe, aux prises de position et aux
causes arabes et s'ils devaient faire des comptes erronés en ce qui concerne la
situation tant régionale qu'internationale, en ignorance totale du principe de
réalité. Le soutien politique à l'intifada est fondamental : le peuple
palestinien a pu obtenir quelques avancées, au cours des années écoulées, pas
seulement grâce aux affrontements militaires avec les Israéliens mais aussi - et
surtout - grâce au fait que la direction palestinienne a su s'appuyer sur ces
affrontements pour agir politiquement, et grâce au soutien international apporté
à cette même direction palestinienne lorsqu'elle a fait le choix de la
négociation. Ce besoin (du soutien) des grandes puissances n'empêche,
naturellement, en rien, les pays arabes d'exprimer leur colère et leur
désapprobation du rôle américain dans le processus de paix et de la politique
américaine, comme l'a fait le prince Abdallah Ibn Abdel-Aziz dans son
intervention devant les participants au sommet du Caire. Mais l'objectif arabe,
ce n'est pas la rupture totale avec l'Amérique et les grandes puissances, dont
les Arabes comme les Palestiniens ont besoin afin de faire pression sur Israël
et d'être à même d'effectuer une quelconque avancée sur le plan du processus de
paix et d'assurer une protection, indispensable, au peuple palestinien.
d -
enfin, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont les otages d'Israël, qui
les traite comme les gouvernements israéliens successifs, dont les politiques,
différentes dans la présentation mais non sur le fond, ont constamment eu pour
but de réduire leurs prétentions et leurs aspirations en recourant à la
répression militaire et politique contre eux, de les obliger à se contenter
d'une infime partie de leurs droits légitimes et de pérenniser sur eux
l'hégémonie israélienne. Toute position adoptée par les pays arabes afin de
soutenir et d'aider les Palestiniens ou pour déterminer leur comportement
vis-à-vis de la cause palestinienne doit obligatoirement prendre en compte cette
réalité douloureuse et dramatique. Ceci implique de prendre des résolutions de
soutien aux Palestiniens qui soient étudiées, conscientes, concrètes,
déterminées, applicables, se tenant scrupuleusement à l'écart de toute
surenchère et de toute menace matamoresque.
C'est à la lumière de ces quatre
facteurs décisifs que le sommet du Caire a adopté ses
résolutions.
10.
Le Point du vendredi 3 novembre
2000
Saddam soutient l'euro par
Romain Gubert
Il aura fallu trois heures au comité des Sanctions
de l'Onu pour se décider. Mais, finalement, les diplomates des Nations unies se
sont rendus à l'évidence : « Il n'y a pas de base légale pour bloquer la demande
de l'Irak. » Saddam Hussein, comme il le souhaitait, pourra libeller en euros et
non plus en dollars ses transactions pétrolières et commerciales. Le président
irakien peut donc faire un pied de nez aux Etats-Unis au moment où ceux-ci
restent intransigeants quant aux sanctions qui frappent son pays, tandis que
certains pays européens - la France en tête - multiplient les gestes de bonne
volonté à son égard.
Toutefois, la décision de Saddam Hussein risque
fort de n'avoir qu'un impact limité sur le cours de la monnaie européenne. Le
montant des exportations de l'Irak est dérisoire - celles-ci n'ont représenté
que 35 milliards de dollars depuis 1996. Et plus encore celui de ses
importations (8 milliards depuis 1996). Une goutte d'eau. A moins, bien sûr que
la production irakienne (actuellement de 2,7 millions de barils par jour, soit 5
% des exportations mondiales) n'augmente significativement dans le cadre du
programme « pétrole contre nourriture ».
11.
The New York Times (quotidien américain) du
dimanche 5 novembre 2000
Israël cherche à tirer les leçons de
l’assassinat de Rabin en 1995 par Deborah Sontag [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Tel-Aviv, 4 novembre - Cinq ans après l’assassinat
de Yitzhak Rabin, la très grave crise israélo-palestinienne menace son héritage
d’homme de paix. Dalia Rabin-Pelosoff, une juriste "colombe", a déclaré à des
amis proches, récemment, qu’elle s’efforçait de chasser de son esprit, sans y
parvenir totalement, l’idée que son père serait mort en vain.
"Pour ceux qui étaient proche de lui, cette année
ressemble plus que toute autre à celle durant laquelle Rabin fut assassiné", a
déclaré Uri Savir, parlementaire qui avait été le principal négociateur au
service de Monsieur Rabin pour l’accord intérimaire d’Oslo, en 1993,
ajoutant : "je ressens nostalgie et douleur, et une certaine amertume".
Cet après-midi, 100 000 Israéliens se sont figés
dans une manifestation silencieuse, en mémoire des trois coups de feu qui
avaient percé l’air durant cette nuit dramatique de 1995, un samedi, se pressant
en une foule compacte sur la place-même de l’attentat. Cette année, cette minute
de silence intervint durant un meeting destiné à redynamiser un camp de la paix
très abattu et dont la foi a été mise à rude épreuve au cours des dernières
semaines, et encore aujourd’hui, les affrontements continuant en Cisjordanie et
à Gaza.
Tandis même qu’ils tendaient des cierges dans l’air
embaumé et qu’ils chantaient la paix en une manière de défi, beaucoup des
personnes qui rendaient hommage ce soir à M. Rabin nous ont dit qu’ils étaient
engagés dans une profonde réévaluation de l’espoir pragmatique qui les guidait
jusque-là.
Michal Cohen, en larmes, nous dit :
"l’atmosphère est très lourde. La confusion des esprits règne. Mais nous ne
pouvons pas laisser cette place devenir un monument funéraire à la paix, comme
elle l’est pour Rabin".
Lorsque M. Rabin, général multi-médaillé et l’un
des pères fondateurs de l’état d’Israël, prit la main de Yasser Arafat, avec une
réticence visible, il prit au nom d’Israël la décision capitale que la terre
devait être divisée entre deux peuples pour assurer la sécurité à l’avenir.
Cette décision devait lui coûter la vie, mais les années suivantes, ses
héritiers, assoiffés de normalité et de solution, ne l’ont jamais remise en
cause.
Cette année, ils se demandent s’ils n’ont pas été
naïfs - et même, si Rabin ne l’a pas été lui-même - de croire en la
volonté de M. Arafat de mettre un terme au conflit par les voies diplomatiques.
Cette interrogation amène certains de ceux qui révèrent la mémoire de M. Rabin à
tenter de séparer toute association entre son legs et les accords d’Oslo, et
même, entre les accords d’Oslo et ce qui serait une paix véritable.
Au cours d’une cérémonie en mémoire de M. Rabin, au
Parti travailliste, vendredi, la célèbre photographie de la poignée de mains
échangée avec M. Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche ne figurait pas dans
un mur d’images présenté à cette occasion.
"C’est vrai, il n’y a pas eu de photo d’Arafat,
mais il y a eu un extrait du discours que Rabin lui a adressé alors", commenta
Yerach Tal, porte-parole du Parti travailliste. Dans l’extrait retenu,
toutefois, M. Rabin n’embrassait pas en M. Arafat le partenaire de la
paix : il le "mettait en garde contre les ramifications de la
violence".
C’est le moment que choisissent certains
Israéliens, qui n’appartiennent pas au camp de la paix, pour se réclamer de M.
Rabin. Ils insistent sur le fait que sa mémoire appartient à l’ensemble
d’Israël, et qu’il ne saurait être identifié à celui qu’il fut sur la fin de sa
vie, mais comme "le dernier des pères d’Israël", qui avait commencé sa longue
carrière militaire durant la guerre d’indépendance.
"Je pense que si Rabin était ici, vivant, à sa
propre commémoration, il insisterait sur le fait que sa vie ne se résume pas à
Oslo", nous a confié Dan Meridor, un juriste centriste. "Mais la gauche a joué
dangereusement avec sa mémoire. Elle a accolé son assassinat - pour lequel
il a été pratiquement déifié - à son héritage politique. Mais si Rabin,
c’est Oslo, et si Oslo est un désastre, Rabin était-il un désastre ? Je ne
le pense pas."
La famille de M. Rabin et ses plus proches anciens
collaborateurs pensent que sa mémoire ne peut être dissociée du fait qu’il a été
assassiné pour avoir recherché la paix avec les Palestiniens. Après s’être
colletés, durant plusieurs années, avec le fait accompli de son assassinat et
tout ce qu’il signifiait de profondes divisions internes pour Israël, les
Israéliens doivent maintenant, qu’ils le veuillent ou non, se concentrer sur ce
pour quoi, finalement, il luttait, disent-ils.
Néanmoins, certains Israéliens pensent que même les
leçons de son assassinat n’ont pas nécessairement été tirées. Tommy Lapid, un
parlementaire, a introduit un projet de loi, cette semaine, proposant que si un
premier ministre devait être tué, il n’y aurait pas de nouvelles élections : un
autre membre du parlement, de son parti, le remplacerait.
"Je ne veux pas que l’incitation au crime qui a tué
Rabin puisse exister encore de nos jours", a déclaré M. Lapid. "En effet, que se
passerait-il si quelqu’un pensait, maintenant, que tout ce qu’il a à faire est
de tuer Barak pour que Netanyahu puisse être élu à sa place ?"
Certains avocats de la paix mettent au défi les
prétentions du premier ministre Ehud Barak à être le successeur de M. Rabin, à
être lui aussi un général converti à la paix, même s’ils lui avaient remis le
sceptre en se rassemblant spontanément par dizaines de milliers sur la Place
Rabin la nuit de son élection.
Ils pensent qu’à la différence de M. Rabin, M.
Barak n’a jamais complètement viré sa cuti en matière de mentalité militaire.
Certains le comparent au Rabin de son premier mandat, avant Oslo. "Barak en est
encore au stade du Rabin de première époque, du politicien soupçonneux incapable
de rien voir au-delà des considérations de la sécurité nationale", écrit Akiva
Eldar dans Haaretz de vendredi dernier.
Tandis que M. Rabin ne cachait pas son irritation
contre les colons, M. Barak a indiqué dès sa prise de fonction qu’il se sentait
plus proche des colons que de la gauche, disent-ils. Alors que M. Rabin avait
gelé la construction des colonies, M. Barak a autorisé leur extension. Alors que
M. Rabin avait dépassé son aversion pour M. Arafat afin d’établir une relation
avec lui, M. Barak a été incapable de créer un tel lien, disent ses
critiques.
Certains blâment M. Barak pour l’aggravation du
conflit, pour avoir traité les Palestiniens trop durement, trop précipitamment
et d’une manière trop paternaliste. Ils se demandent tout haut ce qui se serait
passé si M. Rabin avait pu mener à bien ce qu’il avait entrepris. Au premier
chef, sa veuve, Lea qui, très malade - elle a un cancer au poumon - a
été hospitalisée vendredi.
Madame Rabin, dont la présence au rassemblement
était prévue, a donné dans sa chambre à coucher (dans l’armoire de laquelle les
vêtements de son époux disparu sont toujours rangés), une interview à un journal
israélien. "Tout aurait pu être différent", a-t-elle déclaré. "Je suis sure
qu’Arafat n’aurait pas osé déclencher ces émeutes si Yitzhak avait été encore
là, comme premier ministre. La relation entre Yitzhak et Arafat était faite de
respect".
Elle s’est adressée à Arafat directement, à la
télévision : "Rappelez-vous, vous êtes partenaires avec Yitzhak", a-t-elle
dit d’une voix éteinte. "Yitzhak n’est plus là, c’est pourquoi vous devez porter
le fardeau pour tous les deux".
Ce soir, M. Barak, dans l’une de ses interventions
les plus marquantes depuis le début du conflit, s’est adressé à M. Arafat depuis
la tribune : "c’est d’ici, ce soir, que je vous exhorte à mettre un terme à
la violence et à tendre votre main pour conclure la paix des braves". "La paix à
laquelle nous rêvions - celle à laquelle vous et Yitzhak rêviez - cette
paix viendra un jour".
Mais le héros du jour fut M. Peres qui, quelques
jours seulement après avoir été envoyé par M. Barak comme émissaire auprès de M.
Arafat, en revint porteur du dernier accord de trêve, le plus effectif depuis le
début des affrontements.
"Notre bateau a perdu son capitaine, mais il
continue sa course", déclara M. Peres dans un discours inspiré qui amena la
foule à scander son nom et à lancer le slogan : "Peres premier
ministre".
Beaucoup d’Israéliens pensent qu’il est simpliste
de tenir M. Barak pour responsable personnellement ou d’imaginer que tout autre
leader israélien aurait pu éviter l’explosion violente à laquelle nous
assistons. Certains disent que le problème, c’est l’accord d’Oslo en lui-même,
en tant qu’accord intérimaire qui a été à l’origine d’une approche progressive
de résolution du problème. Cet accord a défini, à l’origine, un calendrier de
cinq ans, qui fut porté ensuite à sept ans, destiné en théorie à établir
progressivement la confiance entre les deux parties, afin de rendre les
décisions finales - les plus ardues - plus faciles à prendre.
"Le processus d’Oslo comportait en lui-même tous
les ingrédients d’une explosion" a dit M. Méridor, le législateur. "Nous leur
avons donné la respectabilité, nous leur avons donné la terre et nous leur avons
donné des fusils avant d’avoir aplani les questions les plus sensibles. Il était
vraiment naïf de croire que, en seulement cinq ans, les gens, des deux côtés,
oublieraient leur idéologie, leurs rêves, leur attachement à
Jérusalem".
Beaucoup d’avocats de la paix, cependant, insistent
sur le fait qu’Oslo a fait du chemin de manière irréversible. "Vous savez,
l’accord d’Oslo n’était pas parfait", dit Galia Golan, membre fondateur du
groupe "La paix maintenant". "Mais Oslo a representé une percée historique, la
reconnaissance mutuelle des deux parties. Oslo n’a jamais prétendu être la
solution définitive. Il nous a mis sur la voie, et il nous y a
maintenus".
"Chez nous, dans le camp de la paix, je ne pense
pas qu’il y ait régression ; juste de la désillusion", dit-elle. "Nous
sommes aussi pragmatiques que les gens aiment à nous considérer naïfs ou
crédules. Il n’y a pas d’alternative. C’est cette certitude que Rabin a emporté
dans sa tombe."
12.
Libération du samedi 4 et dimanche 5 novembre 2000
Israël doit trouver les mots par Stéphane Trano
Stéphane Trano, journaliste, écrivain.
Ex-chef du service politique de «Tribune juive», ex-rédacteur en chef de «la
Lettre économique palestinienne». Auteur de «Mitterrand, les amis d'abord» (éd.
l'Archipel, janvier 2000).
Je sais, nous ne comprenons plus. La colère est en
nous, comme l'amertume. Mais nous savions que la route serait longue. Le monde
juge le peuple juif et le peuple israélien. Il n'entend rien aux fondements de
l'histoire, au sens des mots. L'antisémitisme latent s'exprime en tirant profit
d'une conjoncture politique insupportable. Son expression la plus perverse est
l'usage des lieux communs freudiens: la victime se fait bourreau. Les images de
la tragédie palestinienne ensevelissent peu à peu nos actes et nos paroles, nos
intentions, et rétablissent les murs du silence à l'intérieur desquels nous
sommes seuls.
Shimon Pérès eut une vision. Yitzhak Rabin lui donna forme.
Benjamin Netanyahou stoppa le cours de l'histoire. Ehud Barak jongle avec un
héritage trop lourd pour lui. Aujourd'hui, les militants de la paix se sentent
trahis par Yasser Arafat qui ne les entend plus. Mais que de trahisons en
chemin, de part et d'autre. Trahison des pays arabes, si attentistes, si murés
dans leurs intransigeances dictatoriales, qu'ils ont accompagné le nouveau-né à
sa tombe à peine venait-il de voir le jour. Trahison de nos hommes de foi,
passés dans le camp de l'idolâtrie, prêts à sacrifier tout un peuple au nom de
la ville sainte. Trahisons des colons qui pour un bunker exposent nos lieux
saints aux flammes.
Nous aurions pu faire confiance aux Palestiniens.
Parce qu'il sembla, à un moment, qu'ils se libéraient de l'instrumentalisation
par leurs frères arabes. Parce que la reconversion d'Arafat en homme de paix, si
difficilement acceptable fut-elle, laissait entrevoir une possibilité sans
précédent. Parce que la maturité du peuple d'Israël semblait lui permettre
d'affronter un avenir plus contraignant.
Plus contraignant, mais plus juste. Parvenus aux
portes des ténèbres, où le nom de Dieu est invoqué de part et d'autre comme une
promesse sanglante, il nous faut rompre avec la justification historique. Nous
avons survécu parce qu'Israël, Etat, patrie du cœur et de l'âme, espoir, prière,
Etat de nouveau, fut une réalité constante dans notre mémoire. Nous souffrons
parce que le monde s'empare d'Israël, niant par là même ce lien vital et
privilégié qui est notre fil d'Ariane. Mais nous avons sous nos yeux la
souffrance humaine. Celle de ceux qui souffrent terriblement et qui, donc, font
des choses terribles. Les Palestiniens veulent ce que nous avons construit: un
possible. Ils dérivent dans un champ de haines et de fantômes. Il est de notre
responsabilité devant l'histoire de passer outre la violence injectée dans leurs
veines par des Etats terroristes, pour leur ouvrir la voie. Un Etat. Une patrie.
Un drapeau. Une capitale. Une identité. Ils le veulent. Ils sont une réalité
constante sous nos yeux, quand bien même certains d'entre nous voudraient en
nier l'existence.
Oui, nous avons peur pour les nôtres. Nous avons
peur de revoir nos rues ensanglantées. Nous avons peur de ces regards qui nous
brûlent et nous égorgent comme symbole de l'injustice planétaire tout entière.
Mais avons-nous jamais affronté cela? N'avons-nous pas retrouvé notre route une
fois sortis des camps? Sommes-nous devenus si amnésiques, si névrosés, que notre
mémoire ne puisse plus nous permettre d'avoir les gestes et les mots qu'il faut?
Où es-tu Israël? Où est ta jeunesse? Où sont les
soirées de Tel-Aviv où ta ferveur se faisait entendre de tes voisins? Où est
cette confiance qu'enfin, tu apprenais à placer dans l'autre, sûr qu'il te
protégerait si ton choix de la paix devait te mettre en péril? Nous ne
baisserons pas les bras. Réveille-toi. Lève-toi. Marche aux portes de tes
villes. Souviens-toi. Ne les laisse pas livrées aux mains des spécialistes de la
terreur. Ce sont des hommes. Puissent-ils trouver face à eux d'autres hommes.
Puissions-nous braver la parole de ceux qui veulent nous imposer une manière
d'être juif en prétendant détenir les clés du Temple. Mieux vaut mourir pour
Israël que tomber pour Jérusalem.
13.
Le Nouvel Afrique Asie du mois de novembre
2000
La guerre pour l’indépendance par Simon
Malley
Lundi, 25 septembre. Pour la première fois depuis
l’échec du sommet de Camp David II, du 11 au 24 juillet, Ehoud Barak prend
l’initiative d’inviter Yasser Arafat à un dîner privé chez lui. Sans en
connaître l’objet, le leader palestinien se rend chez le Premier ministre
israélien. Il ne s’agissait pas de négocier quoi que ce soit, mais d’échanger
des opinions. Conflictuelles certes, mais courtoises. "Avant de nous séparer, je
croyais sincèrement, nous confiait Arafat, que nous allions trouver une approche
rationnelle au conflit qui nous oppose." Ils sont en fait tombés d’accord pour
admettre le caractère passionnel, voire irrationnel, des questions religieuses.
Dès que l’on s’approche de ces questions, le débat s’enflamme et tout accord
politique, même temporaire, devient quasiment impossible. Il était donc plus
réaliste de s’attaquer d’abord aux questions fondamentales – sur lesquelles des
progrès tangibles ont été réalisés, sans toutefois qu’aucun accord ait été
trouvé –, à savoir la délimitation des frontières du nouvel Etat palestinien, le
partage de l’eau, le retour des réfugiés, le démantèlement des colonies, plutôt
que de s’empêtrer dans des discussions byzantines sur le futur statut d’une
ville trois fois sainte revendiquée par les trois religions monothéistes.
A
la surprise générale, les Américains ont imprudemment soulevé cette question à
Camp David II sans en avertir préalablement Yasser Arafat. Ignoraient-ils qu’en
agissant de la sorte ils allaient ouvrir la voie à un nouveau cycle de violences
en Palestine, déclencher une nouvelle Intifada ? Les négociateurs palestiniens,
qui n’ignorent rien de la charge émotive de ce problème – qui ne concerne pas
uniquement les Palestiniens, puisqu’il implique aussi l’islam et la chrétienté
dans le monde entier – n’avaient-ils pas constamment mis en garde contre
l’irruption du religieux dans le politique en expliquant à leurs interlocuteurs
le grand danger qu’il y a à placer le troisième Lieu saint de l’islam, dont
l’esplanade des Mosquées est partie intégrante, situé au cœur du Jérusalem arabe
occupé en 1967, sous souveraineté juive ? N’avaient-ils pas attiré l’attention
des Américains sur le dérapage meurtrier qui pourrait se produire si l’Etat
hébreu, gauche et droite confondues, persistait à employer Jérusalem comme
argument théologique et nationaliste justifiant le maintien de l’occupation ? Un
argument que certains zélotes juifs pourraient retourner en leur faveur pour
justifier leur plan de destruction de la Mosquée d’Al Aqsa et de son esplanade
afin de construire à la place le temple détruit par les Romains. Un plan
diabolique qui, faute de pouvoir réédifier un temple mythique, ouvrirait une
autoroute vers l’enfer d’une guerre de religion certaine. Ehoud Barak, et les
Américains aussi, auraient dû avoir présent à l’esprit le bain de sang provoqué
par la décision du sinistre Netanyahou et de ses prédécesseurs de creuser,
tunnel après tunnel, sous l’Esplanade dans le but de retrouver les vestiges
archéologiques de ce deuxième temple. Recherches qui n’ont abouti à rien.
A
Camp David, l’erreur des Américains et des Israéliens fut de soulever la
question de Jérusalem. C’était une faute tactique car tout a aussitôt dérapé. Ni
Arafat ni ses négociateurs ne demandaient une solution immédiate pour le statut
de la ville. La question de savoir qui devrait exercer la souveraineté sur
l’esplanade des Mosquées était prématurée et dangereuse. On a vu encore plus
grave : les négociateurs américains proposant un partage en couches du sous-sol
du Mont du Temple, ou encore un partage des lieux sur l’Esplanade même. Aucun
Palestinien, aucun Arabe, aucun musulman ne pouvait tolérer cela.
C’est dans
ce contexte que le faucon Sharon est intervenu. Sa visite à l’esplanade des
Mosquées, avec une escorte de plusieurs centaines de soldats, a provoqué les
affrontements inévitables entre Palestiniens et Israéliens. Un déchaînement de
violence et des images insoutenables qui ont bouleversé le monde entier. La
machine de guerre israélienne entrait en action contre un peuple palestinien
désarmé. Des mains nues, des pierres contre des fusils mitrailleurs, des
cocktails Molotov contre des hélicoptères de combat, des chars menaçant de tirer
contre des manifestants… Le David palestinien contre le Goliath israélien.
L’Etat le plus puissant de la région déclarant la guerre à un Etat qui n’existe
même pas encore !
"Ce n’est pas la première fois qu’Israël a recours à un
arsenal répressif contre des manifestants palestiniens et retourne ensuite la
situation pour accabler les victimes. (…) Israël a un autre choix : admettre ses
erreurs (…), s’asseoir à la table des négociations avec des propositions
compatibles avec le droit international." Ces propos ne sont pas les nôtres, ce
sont ceux d’un des quotidiens les plus influents des Etats-Unis, le Los Angeles
Times. La même analyse et la même exigence de justice sont proclamées par tous
ceux qui militent pour une paix juste en Palestine.
Le camp de la paix en
Israël, même si on n’a pas beaucoup entendu sa voix dans le tumulte des combats,
ne partage pas moins cette analyse. En France, des voix juives – dont celles du
résistant Raymond Aubrac, de Rony Braumann, de Gisèle Halimi, de Pierre
Vidal-Naquet – se sont élevées pour dénoncer l’imposture sioniste qui veut
donner l’impression que tous les juifs du monde sont solidaires du gouvernement
israélien dans sa politique d’annexion, de colonisation et de répression. Ces
voix s’insurgent contre la prétention de l’Etat d’Israël de "s’arroger le droit
de parler, malgré nous, en notre nom". "Dans l’escalade de la violence,
déclarent-elles, des actes inadmissibles sont commis des deux
côtés. C’est
hélas le lot de toute logique de guerre. Mais les responsabilités politiques ne
sont pas également partagées. L’Etat d’Israël dispose d’un territoire et d’une
armée. Les Palestiniens des territoires occupés et des camps de réfugiés sont
condamnés à vivre sous tutelle, avec une économie mutilée et dépendante, dans
une société estropiée, sur un territoire en lambeaux, lacéré de routes
stratégiques et semé de colonies israéliennes." Et de conclure : "Partisans de
la fraternité judéo-arabe, nous réclamons la relance d’un processus de paix qui
passe nécessairement par l’application des résolutions de l’Onu, par la
reconnaissance d’un Etat palestinien souverain et du droit au retour des
Palestiniens chassés de leur terre. C’est par là que la coexistence pacifiée de
différentes communautés culturelles et linguistiques sur un même territoire peut
devenir possible."
Les dirigeants israéliens ne sont pas, hélas, sur cette
longueur d’ondes. Avec Oslo, tous ceux qui avaient cru en la paix pensaient
avoir, enfin, rendez-vous avec l’Histoire. Les tergiversations, les manquements
à la parole donnée, les mesquineries dont ont fait preuve les successeurs
d’Ytzhak Rabin donnent l’image dégradante de discussions de bazar, d’épicerie.
Plus que les provocations criminelles d’un Ariel Sharon, le bourreau de Sabra et
Chatila, c’est cet état d’esprit, ce sentiment de gâchis et de rendez-vous
manqué qui ont mis le feu aux poudres.
Quels que soient les résultats
pratiques du sommet de Charm El-Cheik, du sommet arabe du Caire, voire d’autres
sommets à venir, un pas décisif vient d’être franchi : le peuple palestinien a
d’ores et déjà déclenché sa guerre pour l’indépendance. Elle ne cessera que le
jour où il aura conquis le droits d’être souverain, de vivre en paix et en
sécurité, de ne subir ni diktat, ni domination, ni colonialisme. Le rendez-vous
avec l’Histoire que les négociateurs palestiniens d’Oslo ont vainement attendu,
ce sont les victimes et les héros palestiniens de ces semaines d’Intifada qui
vont l’obtenir.
14.
Le Nouvel Afrique Asie du mois de novembre 2000
Les
convulsions de la "pax americana" par Subhi Hadidi
Vers la fin du mois d’août, le célèbre chroniqueur
américain William Pfaff écrivait dans l’International Herald Tribune : "La
faiblesse des Etats-Unis réside dans le fait qu’ils sont la dernière puissance
planétaire qui se croit investie d’une mission universelle". Partant de là, ils
fondent leur politique étrangère et leur identité nationale sur une idéologie
décrétant que le modèle américain est le meilleur, sinon l’unique modèle pour la
société humaine de demain. Et Pfaff de conclure : "La pax americana, comme la
pax britannica, comme avant elle la pax romana, est nécessairement une mission
limitée dans le temps et il y a fort à parier que les jours de cette mission
sont comptés et qu’elle va prendre fin plus vite qu’on ne le croyait".
C’est peut-être au Moyen-Orient, bien plus
qu’ailleurs dans le monde, que les signes manifestes annonçant la prochaine fin
de la pax americana sont aujourd’hui les plus décelables. L’ambiance qui y règne
est en tout cas très différente de l’euphorie qui avait suivi la "victoire"
américaine dans la guerre du Golfe, qui avait permis au président américain
George Bush d’inaugurer le "nouvel ordre international". Ce déclin est
clairement entamé dans trois domaines : l’effondrement de la doctrine du double
endiguement (contre l’Iran et l’Irak) – effondrement qui se traduit par
l’effritement de l’embargo imposé à l’Irak depuis bientôt dix ans –, le recul du
rôle américain dans le processus de paix israélo-palestinien et enfin la chute
vertigineuse de la crédibilité des Etats-Unis auprès de l’opinion publique
arabe, qui est à son niveau historique le plus bas.
Les avions civils qui
débarquent depuis bientôt un mois sur l’aéroport international Saddam à Bagdad,
à un rythme de plus en plus accéléré, brisent le blocus aérien qui frappe ce
pays depuis la guerre du Golfe en 1991. Les pays qui envoient leurs appareils
braver l’embargo illégal n’ignorent pas qu’ils contribuent ainsi à faire voler
en éclats le blocus implacable et multiforme imposé à ce pays depuis bientôt une
décennie. En agissant de la sorte, c’est-à-dire en contribuant à effriter
l’embargo, ils visent une option centrale de la politique américaine au
Proche-Orient : la doctrine du double endiguement dont on assiste, ces jours-ci,
aux dernières heures, voire à l’enterrement. L’Irak et l’Iran, les deux pays
"parias" visés par cette doctrine commencent en effet à sortir de la "cage" dans
laquelle Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat américaine, avait, selon ses
propres expressions, voulu les enfermer.
En même temps, Martin Indyk,
l’architecte de cette doctrine du double endiguement se trouve à son tour
"endigué", si l’on peut s’exprimer ainsi, puisque le Département d’Etat l’a
suspendu de ses fonctions d’ambassadeur américain à Tel-Aviv, le suspectant
d’avoir enfreint les consignes de sécurité en vigueur dans l’administration
américaine relatives à la protection des documents ultraconfidentiels auxquels
il avait accès. Avec l’explosion des violences au Proche-Orient, cette mesure a
été certes levée, mais l’enquête continue. Les mésaventures personnelles d’Indyk
sont en tout cas venues à point nommé pour braquer les projecteurs sur
l’éclatement de la doctrine qui porte sa signature, celle du double
endiguement.
Cette doctrine, faut-il le rappeler, avait dès son élaboration
souffert de plusieurs graves lacunes.
1. En dépit de la complexité de ce
concept, il n’en demeure pas moins qu’il donne l’impression d’une doctrine
stratégique cohérente et rationnelle dans la mesure où ce sont les forces armées
américaines qui auront la charge exclusive de le mettre en application, avec
toutefois le financement intégral des monarchies du Golfe. Mais si ces dernières
rechignaient ou se trouvaient dans l’incapacité de porter un tel fardeau
financier, c’est le contribuable américain qui serait appelé à prendre la
relève. Est-il prêt à payer ?
2. Sur les trois principaux pôles qui se
partagent la région du Golfe – l’Irak, l’Iran et les pétromonarchies – , le
double endiguement n’implique une association qu’avec le pôle le plus vulnérable
: les monarchies du Golfe. Or ce partenaire régional exclusif des Etats-Unis
dans la mise en œuvre de la stratégie du double endiguement, à savoir les six
monarchies du Conseil de coopération du Golfe, se trouve lui-même empêtré et
déchiré par les innombrables conflits frontaliers et politiques qui opposent ses
différents membres. Il est aussi très divisé sur la question du maintien de
l’embargo contre l’Irak, pierre angulaire de la doctrine du double endiguement.
Les Emirats arabes unis ont déjà envoyé un avion humanitaire se poser à Bagdad.
Ils seront suivis par d’autres.
3. Les architectes de la doctrine du double
endiguement considèrent que le soutien d’Israël, de la Turquie et de l’Egypte
est indispensable à sa réussite. En analysant de près le cas de chacun de ces
partenaires présumés, on réalise à quel point cette entreprise semble
périlleuse. L’Etat hébreu est certes intéressé par l’endiguement de l’Irak et de
l’Iran, mais il ne peut contribuer militairement à son application. L’éventuelle
participation de l’armée israélienne à une guerre américaine contre un pays
arabe ou musulman est "improductive" psychologiquement et désastreuse
stratégiquement pour les intérêts américains et ceux de ses alliés arabes
régionaux. Quant à la Turquie, qui a payé un prix exorbitant en raison de la
poursuite de l’embargo économique contre l’Irak, il semble que non seulement
elle ne veut pas s’impliquer dans une nouvelle aventure militaire aux
conséquences désastreuses, mais qu’elle a, au contraire, réussi, par des voies
détournées et non avouées, à vider cet embargo de son contenu. Tout retour en
arrière sur ce plan est exclu, tant les enjeux économiques de ces échanges
informels sont importants.
Enfin l’Egypte, troisième allié régional supposé,
n’a pas la volonté, et encore moins les moyens, de récidiver. Elle se considère
en tout cas très mal récompensée par les monarchies du Golfe pour sa
participation à la Tempête du désert. La Déclaration de Damas, une sorte
d’alliance militaire et économique née sur les décombres de l’Irak à la fin de
la guerre regroupant les six monarchies du Golfe, la Syrie et l’Egypte, est
mort-née.
4. Les architectes de la doctrine du double endiguement excluaient
tout rapprochement objectif entre l’Irak et l’Iran, les deux victimes de cette
stratégie. Ils estimaient que l’amertume des Iraniens vis-à-vis de l’Irak après
la première guerre du Golfe, qui avait opposé les deux pays de 1980 à 1988,
était encore vivace. Mais est-il raisonnable de bâtir une politique sur la seule
amertume ? L’Iran ne pourra pas continuer à tourner infiniment le dos à son
voisin endigué, au même titre que lui, par les Etats-Unis, leur ennemi commun.
L’amertume, aussi profonde soit-elle, ne guide pas les intérêts des Etats. La
preuve en a été administrée par la rencontre à New York entre le président
iranien Mohamed Khatami et le numéro deux irakien, Taha Yassine Ramadhan, dans
le cadre du Sommet du millénaire (septembre), suivie, un mois plus tard, par la
visite du ministre iranien des Affaires étrangères à Bagdad, où il fut reçu par
Saddam Hussein.
5. Le double endiguement implique le maintien de l’embargo
contre l’Irak jusqu’à une date indéterminée. Un tel pari ne tient pas compte,
c’est le moins qu’on puisse dire, de l’évolution de la communauté internationale
par rapport à l’embargo. D’autant que Bagdad s’est conformé à toutes les
conditions prévues par les résolutions 661 et 687 du Conseil de sécurité de
l’Onu, sans parler des conditions qui y ont été ajoutées, sous le diktat
américain, sans aucun fondement juridique. Comme par exemple l’interdiction de
fait, illégale, des liaisons aériennes avec l’Irak.
6. A tous ces facteurs
qui rendent cette doctrine inopérante, voire caduque, il convient d’en ajouter
un, soigneusement occulté ces dernières années en dépit de son importance
capitale dans toute l’histoire du Moyen-Orient: le prix du baril du brut.
Aujourd’hui, alors que ce prix s’envole, frôlant les 38 dollars, le pétrole se
rappelle au bon souvenir des consommateurs et des décideurs occidentaux. Cette
irruption est de nature à renverser l’approche internationale de la question
irakienne de fond en comble. L’embargo imposé à l’Irak ne suscite plus
l’unanimité au Conseil de sécurité. Une fracture nette sépare désormais l’axe
Washington-Londres, partisan implacable du maintien de l’embargo, de l’axe
Paris-Moscou-Pékin qui demande la levée rapide des sanctions iniques frappant la
population irakienne.
Mais ce n’est pas seulement à propos de l’Irak que la
pax americana est battue en brèche. Dans le processus de paix
israélo-palestinien, le parrain américain voit son rôle malmené. L’échec du
sommet de Camp David II a montré, entre autres, que le président Yasser Arafat
n’est pas si désarmé qu’il apparaît. Son arme secrète et efficace c’est le
pouvoir de dire "non". En s’en servant, il a prouvé qu’il avait la capacité de
mettre dans l’embarras les plans américains de règlement – trop calqués sur ceux
de Barak–, de contraindre ses interlocuteurs et ses adversaires à une
redistribution des cartes et de modifier les rapports de forces à la table des
négociations ou sur le terrain. Le monde entier a été d’ailleurs témoin, ces
dernières semaines, du fait que les Etats-Unis ne sont plus l’unique acteur ou
l’unique parrain des négociations de paix entre l’Autorité palestinienne et
l’Etat hébreu. Au sommet de Charm el-Cheikh (16 et 17 octobre), l’Onu,
représentée par son secrétaire général, et l’Union européenne, ont, fait
rarissime depuis une décennie, fait un retour certes timide mais remarqué.
Le
sang a coulé, début octobre, après le déclenchement de ce qu’il est convenu
désormais d’appeler l’Intifada de l’Aqsa, et la propagation des confrontations
aux villes arabes de Nazareth, Om al-Fahm, Jafa, situées à l’intérieur de la
ceinture verte, avec la mort de dizaines d’arabes israéliens sous les balles de
Tsahal, avec l’usage excessif, disproportionné, sauvage et gratuit de la force
contre les Palestiniens, comme l’assassinat du jeune Mohamed al-Dourrah... Tous
ces développements ont conduit Madeleine Albright à s’en remettre aux bons soins
de la diplomatie française pour sortir le processus de paix moribond de
l’impasse. C’est d’ailleurs à la demande de Yasser Arafat, qui ne souhaitait
plus un tête-à-tête exclusif avec les Américains et les Israéliens, que la
conférence de Paris a eu lieu en présence de Kofi Annan. Il est aussi étonnant
que le président Clinton, après les échecs successifs du sommet de Paris et de
celui de Charm el-Cheikh, n’ait pas réussi à convaincre les Palestiniens et les
Israéliens de se rencontrer de nouveau à Washington. Il a été par ailleurs
extrêmement contrarié quand les deux antagonistes ont refusé son offre de se
rendre personnellement en Israël et dans les territoires palestiniens autonomes.
Finalement, un deuxième sommet a eu lieu à Charm el-Cheikh avec des objectifs
fort modestes : le retour au statu quo ante.
Parallèlement à ces déconvenues
américaines, la rue arabe est parvenue à contraindre les régimes arabes
récalcitrants à convoquer enfin une réunion au sommet, la première depuis la
guerre du Golfe, à laquelle l’Irak, et Saddam Hussein personnellement, est
invité. La préférence de l’Administration américaine allait, on l’aura deviné, à
un sommet quadripartite regroupant Arafat, Barak, Clinton et Moubarak, plutôt
qu’à un sommet arabe, dont les décisions ne pourraient que contrarier les plans
américains. En confortant d’abord la position des négociateurs palestiniens sur
les grandes lignes du règlement définitif du conflit et plus particulièrement
sur la question de Jérusalem. En ouvrant aussi le dossier du retour de l’Irak
dans le concert des pays arabes, ce qui est en soi une mesure constamment
combattue par les Etats-Unis depuis la Tempête du désert. Il est d’ailleurs très
significatif de noter que l’Arabie Saoudite, après un refus initial, a fini par
autoriser un avion civil yéménite, en partance pour Bagdad, à survoler son
territoire. Dans le même contexte, Ryadh a demandé officiellement au comité des
sanctions de l’Onu l’ouverture d’un point de passage sur la frontière
irako-saoudienne en vue d’acheminer l’aide humanitaire à l’Irak.
Un dernier
symptôme de la lézarde dans le "nouvel ordre américain" au Moyen-Orient est
perceptible dans la recrudescence de l’antiaméricanisme dans la rue arabe,
parallèlement au recul de la popularité et de la sympathie dont les Etats-Unis
étaient crédités dans certains pays protégés, comme le Koweit par exemple. Pour
la première fois depuis 1991, quand les Marines américains étaient accueillis
comme des libérateurs, des milliers de manifestants koweitiens sont descendus
dans les rues en scandant "A bas l’Amérique". Idem dans le sultanat d’Oman qui a
connu, pour la première fois de son histoire, des manifestations antiaméricaines
et anti-israéliennes. A Damas, en Syrie, des milliers de manifestants ont
investi spontanément les rues pour se diriger vers l’ambassade américaine où,
après des accrochages avec les forces de sécurité, ils ont brûlé la bannière
étoilée et le drapeau israélien.
C’est d’ailleurs pour ne pas attiser la
colère des foules arabes et musulmanes que les Etats-Unis n’avaient pas opposé
leur veto à une résolution du Conseil de sécurité condamnant implicitement
Israël. La raison de cette abstention s’explique aussi par la volonté américaine
de réaliser une percée avant la tenue du sommet arabe du Caire afin de le
court-circuiter. Toutefois le Hezbollah libanais, en enlevant trois soldats
israéliens qui patrouillaient dans le réduit occupé des Fermes de Chaba’a, et en
demandant de les échanger contre la vingtaine de prisonniers libanais encore
détenus dans les geôles israéliennes, a réduit la marge de manœuvre de la
politique américaine et aggravé son isolement. Il a fallu ainsi faire appel à
d’autres médiateurs, à savoir la Russie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la
France, mais aussi Kofi Annan, pour désamorcer la bombe et contraindre Israël à
repousser de quatre heures l’ultimatum qu’il avait lancé au Hezbollah, au Liban
et à la Syrie à une date indéterminée. Loin de plier devant les menaces
israéliennes, le Hezbollah a franchi une nouvelle étape en enlevant un colonel
du Mossad qui cherchait à l’infiltrer. L’attentat meurtrier dans le port d’Aden
(Yémen) contre l’un des bâtiments les plus modernes de la flotte américaine
chargée de faire respecter l’embargo contre l’Irak, causant la mort de dix-sept
militaires, est venu rappeler, si besoin en était, les convulsions de la pax
americana au Moyen-Orient.
La pax romana et la pax britannica consistaient,
essentiellement, en un ensemble d’arrangements régionaux et planétaires dont la
finalité était la défense des intérêts de l’empire, en s’adaptant, si besoin
était, à certains compromis spécifiques pour atteindre cet objectif. La pax
americana, elle, suppose d’emblée la convergence, voire l’identification totale,
entre les intérêts américains et ceux de l’humanité tout entière. Sous cet
angle, les Etats et les mouvements politiques qui s’opposent à ce principe de
convergence et d’identification, sont, par définition des "rebelles", des
"parias" qui veulent du mal à l’empire américain. Déclarer la guerre à ces
rebelles devient, par conséquent, une mission sacrée au service de l’humanité et
pour la défense de la communauté internationale. L’empire américain est ainsi
constamment amené à déclarer une croisade permanente et sans cesse renouvelée
pour l’avènement d’un monde "convenable", "libre" et "démocratique".
Il y a
quelques mois, l’économiste et penseur français Jacques Attali a estimé que la
caractéristique dominante de notre époque était l’effondrement (crash) de la
civilisation occidentale et non pas le choc (clash) de cette civilisation contre
les autres cultures. Il ironise ainsi sur la théorie du penseur américain Samuel
Huntington à propos du choc des civilisations. Dans l’un des derniers numéros de
la revue américaine de politique étrangère Foreign Affairs, Attali conclut : "En
dépit de l’idée dominante selon laquelle l’économie de marché et la démocratie
se sont unifiées pour constituer un puissant outil de soutien et de
développement du progrès humain, il n’en demeure pas moins que ces deux valeurs
sont incapables de garantir la survie de la civilisation humaine. Elles sont
pleines de contradictions et de points de lacunes. Et si l’Occident, et à sa
tête les Etats-Unis qui se sont autoproclamés leader de cet Occident, ne se
hâtent pas de reconnaître les défauts et les crises de l’économie de marché et
de la démocratie, la civilisation occidentale ne tardera pas à se décomposer
progressivement avant de s’autodétruire."
15.
Le Nouvel Afrique Asie du mois de novembre 2000
Le sommet
arabe du Caire : Service minimum par Majed Nehmé
Depuis la Tempête
du désert, déclenchée le 16 janvier 1991, l’unité du monde arabe a volé en
éclats. Des armées arabes (les six monarchies du Golfe, l’Egypte et la Syrie
s’étaient jointes à la plus importante coalition militaire depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale (une trentaine de pays en tout) pour livrer, sous la
bannière américaine et au grand soulagement de l’Etat hébreu, une guerre totale
à l’Irak. Le but avoué était la "libération" du Koweit... Si cet objectif fut
rapidement atteint et l’émirat vite remis à ses émirs, le monde arabe, en
revanche, s’en est trouvé complètement bâillonné, et en partie occupé par le
"libérateur" américain, qui fait depuis la pluie et le beau temps au
Proche-Orient.
C’est sous ce rapport de forces, ô combien déséquilibré, que
fut engagée en 1991 la conférence de paix de Madrid, puis, deux ans plus tard,
le processus de paix israélo-palestinien d’Oslo. Pendant ces années de
tractations stériles, sous le regard du seul parrain américain, l’Irak fut
maintenu sous embargo et toute velléité d’indépendance arabe interdite.
Paralllèlement, Washington poussait les capitales arabes à normaliser leurs
relations avec Tel-Aviv. Avec quelques succès.
L’échec du sommet de Camp
David II en juillet, conjugué au refus israélien de payer le juste prix de la
paix, a fait déborder le vase. L’intifada est repartie de plus belle, ébranlant,
du coup, tout l’ordre américano-israélien dans la région. Les chefs d’Etat
arabes, poussés par leur opinion publique, survoltée, ont dû se réunir d’urgence
au Caire, en présence, pour la première fois depuis 1990, du "paria" irakien,
pour soutenir la révolte du peuple palestinien. De beaux discours de solidarité
et de réprobation. La normalisation gelée. Un milliard de dollars d’aide
alloués. Bref, un service minimum. Un nouveau rendez-vous est pris pour mars
2001. S’ils ont évité d’annoncer le décès du processus de paix, c’est pour en
laisser la responsabilité à Ehoud Barak, qui s’est empressé de décréter une
"pause". Une pause qui pourrait se prolonger jusqu’après les élections
américaines de novembre et, pourquoi pas, des élections israéliennes
anticipées.
16.
Le Figaro du lundi 6 novembre
Pérès : "Arafat, seul
partenaire pour la paix" par Luc de Barochez
A la veille des
déplacements que Yasser Arafat, puis Ehud Barak, doivent effectuer cette semaine
à Washington, le prix Nobel de la paix israélien reste optimiste. Il estime,
dans un entretien exclusif au Figaro, que le président palestinien reste un
interlocuteur valable «à 100%».
Vous êtes venu à Paris inaugurer un
parc au nom de Yitzhak Rabin. Après les affrontements des dernières semaines,
peut-on considérer que l'accord d'Oslo a échoué?
A Oslo, nous avons
jeté les fondations de la paix. Avant Oslo, les Palestiniens se référaient à la
carte des Nations unies (du partage de 1947) qui leur conférait 80% du
territoire (de la Palestine historique). Israël voulait 100%. Il n'y avait
aucune chance d'aboutir à un compromis. Depuis Oslo, les Palestiniens ont adopté
la carte de 1967, qui leur donne 22%. Nous, nous avons accepté l'idée d'une
partition. La différence n'est plus que de 2% ou 3% du territoire. Pour la
première fois, nous avons une carte sur laquelle nous pouvons édifier la paix.
Deuxièmement, à Oslo, nous avons gagné un partenaire palestinien, l'OLP, qui a
renoncé au terrorisme et a commencé à le combattre. Troisièmement, Israël a
évacué la plupart des villes et villages des Palestiniens. Aujourd'hui, 97%
d'entre eux ne vivent plus sous notre administration. Et quatrièmement, grâce à
Oslo, nous avons pu faire la paix avec la Jordanie. Il est possible aujourd'hui
au Proche-Orient de bâtir quelque chose qui ressemble au Benelux, avec une
coopération économique transfrontière.
L'OLP et Arafat sont-ils
encore des partenaires de paix?
Oui, à 100%.
Vous rêviez d'un nouveau Moyen-Orient
de coopération. Cette ambition s'est-elle effondrée?
Regardez
l'Europe. En quarante ans, de 1914 à 1945, elle a traversé deux guerres.
Cinquante millions d'Européens ont été tués, sans compter ceux qui ont été
assassinés dans la Shoah. Si quelqu'un avait dit en 1944 que dans trois ans on
verrait une Europe différente, il aurait déclenché des rires. Cela montre qu'il
y a dans les populations des forces cachées en faveur de la paix. La
construction européenne est devenue un succès éclatant. Au Proche-Orient, nous
sommes situés entre l'Europe et l'Afrique. La région peut devenir une extension
de l'une ou de l'autre. Nous voulons la transformer en extension de l'Europe,
pour échapper à la malédiction africaine.
Qu'est devenu le camp de la paix
israélien après les événements récents? Hier soir, il y avait moins de
manifestants que d'habitude pour l'anniversaire de l'assassinat de Yitzhak
Rabin...
Non, c'était une très grande manifestation. Il y avait
150000 personnes. Il est vrai qu'ils ont perdu leur enthousiasme en voyant les
morts, les fusillades...
Plus personne ne veut la paix
aujourd'hui?
Ce n'est pas ça. Mais beaucoup sont devenus
sceptiques. Au fond, leur opinion n'a pas changé. Ils ont juste perdu un peu de
leur confiance.
Et vous-mêmes, êtes-vous sceptique?
Moi, non. Je sais bien que rien ne s'obtient dans la facilité, sans
revers, sans déceptions, sans interruptions. Mais personne n'a d'alternative à
la paix. Et une véritable guerre n'est pas possible, car depuis la fin de la
guerre froide, il n'y a pas de superpuissance qui pourrait donner des armes et
de l'argent pour financer des guerres. Aujourd'hui, les Palestiniens ne peuvent
pas devenir un pays terroriste. Ils sont responsables de 3 millions de
personnes. Ils ont une administration de 120000 personnes. Ils ont leur
bien-être à préserver. C'est pourquoi, en dépit des derniers événements, qui
sont regrettables et difficiles, je vois toujours la lumière au bout du tunnel.
Comment peut-on progresser vers la
paix?
C'est une lutte constante entre l'émotion et la raison, entre
la rue et les dirigeants. Les nouveaux médias sont du côté de la rue. Ils ne
peuvent pas répandre la raison, mais seulement l'émotion. Malgré tout, la raison
finira par prévaloir.
Israël peut-il toujours prétendre
vouloir la paix et conserver les colonies dans les territoires?
A
cause des colonies, ce ne sont plus deux œufs côte-à-côte que nous voyons sur
les cartes, mais une omelette. On ne peut plus distinguer le blanc du jaune. On
ne peut donc plus envisager de frontières défendables. On ne peut pas garantir
la sécurité d'une partie simplement avec des barbelés. Il faut de nouvelles
relations. En ce qui concerne les implantations, nous étions très proches d'un
accord à Camp David (en juillet). Quelque 150000 des colons vivent sur 3 ou 4%
de la Cisjordanie. Il y avait l'idée de faire un échange de territoire. Une
solution est possible.
Vous ne croyez pas au projet de
séparation entre Israéliens et Palestiniens?
Non, cela n'a pas de
sens. Toute l'économie moderne est fondée sur le concept de frontières ouvertes.
Israël fait une erreur en se reposant trop sur la diplomatie et l'armée.
Aujourd'hui, l'économie est plus importante.
La France a critiqué l'emploi
excessif de la force par Israël pendant la récente crise. Quelle est votre
réaction?
Nous ne pouvons pas être toujours d'accord. Nous devons
œuvrer de concert, même lorsque nous sommes en désaccord.
Barak et Arafat doivent aller à
Washington cette semaine. Reste-t-il une possibilité de dialogue entre eux?
Oui. Ce qu'on peut obtenir par des négociations directes est plus
prometteur qu'une négociation triangulaire. A Oslo, il n'y avait que les
Israéliens et les Palestiniens; le résultat a été révolutionnaire.
Quelle solution envisagez-vous pour
Jérusalem, qui reste le problème principal?
Ce n'est pas le
problème principal, c'est le problème pour lequel nous n'avons pas de solution.
Nous devrions commencer par appliquer tout ce dont nous sommes convenus. C'est
une très longue liste, y compris l'Etat palestinien. Ensuite, nous devrions
négocier sur toutes les questions sur lesquelles nous restons en désaccord. Je
ne conseille pas d'attendre que nous soyons d'accord sur
tout
17.
L'Humanité du vendredi 3 novembre
2000
Grogne arabe contre Washington
par Françoise Germain-Robin
La colère de plus en plus ouvertement exprimée de
nombreux pays arabes alliés des Etats-Unis commence à embarrasser
l'administration américaine. Elle n'est sans doute pas pour rien dans les
pressions qui s'exercent sur Israël pour la reprise du processus de
paix.
Même l'Arabie Saoudite - si proche de Washington
que 4 000 militaires américains sont déployés sur son territoire et viennent
d'être mis en état d'alerte maximum - ne cache plus son irritation à l'égard des
Etats-Unis. Elle vient de les avertir qu'ils seraient bien avisés de tenir un
meilleur compte " de leurs intérêts stratégiques dans la région ". Une manière
de rappeler que Riyad est le premier fournisseur de pétrole des
Etats-Unis.
Réuni lundi dernier sous la présidence du roi Fahd,
le Conseil des ministres a estimé que Washington avait " un rôle crucial à jouer
pour mettre fin aux agressions israéliennes contre le peuple palestinien ". " Je
crois, a précisé le ministre de la Défense, Sultan Abdlaziz, que l'intérêt de
l'administration américaine consiste à ne pas adopter les mêmes positions que le
Congrès, car les intérêts réels de cette administration se trouvent dans les
pays arabes. "
Les Arabes en général et les Saoudiens en
particulier n'ont pas du tout apprécié l'adoption le 26 octobre par la Chambre
des représentants américaine d'une résolution exprimant " sa solidarité avec
l'Etat et le peuple d'Israël " et condamnant l'Autorité palestinienne. Bien que
généralement peu enclin à tenir compte de l'opinion publique, le régime saoudien
ne peut ignorer l'élan de solidarité que suscite dans le pays la très dure
répression des manifestants palestiniens par l'armée israélienne.
Le ton avait déjà été donné lors du sommet arabe du
Caire par le prince héritier Abdallah Ben Abdel Aziz, qui avait rendu les
Etats-Unis, " en tant que parrain du processus de paix, responsables de son
effondrement ".
Dans les autres pays arabes traditionnellement
alliés de Washington et qui ont signé un accord de paix avec Israël, comme
l'Egypte ou la Jordanie, on critique ouvertement la partialité américaine.
Surtout, on s'indigne de la cour effrénée faite aux électeurs juifs américains
par les deux candidats à l'élection présidentielle du 7 novembre, George Bush et
Al Gore, qui se sont alignés sur les positions israéliennes. " Malgré la colère
arabe et internationale face au massacre des Palestiniens par les troupes
israéliennes, les deux candidats continuent à se disputer par tous les moyens le
vote juif et à assurer leur soutien à Israël dans leurs discours ", écrit
Ibrahim Nafie, rédacteur en chef d'Al-Ahram, le plus grand quotidien
égyptien.
" Le lobby juif (...) a fait du Congrès américain
son terrain de jeux ", estime pour sa part le quotidien jordanien Al-Doustour.
Les journaux syriens vont plus loin et affirment qu'" il n'existe pas de
politique américaine au Proche-Orient, mais une politique israélienne exécutée
par les Etats-Unis ".
18.
Le Monde du vendredi 3 novembre
2000
Les Palestiniens entre craintes,
espoirs et spéculations par Sylvain Cypel
RAMALLAH et JÉRUSALEM-EST de notre envoyé spécial
Il y a les déclarations publiques en situation de
crise, et ce qui se dit sans micros. Voici ce que des conversations avec des
proches de Yasser Arafat et des analystes palestiniens permet de savoir des
réflexions au sein de l'Autorité palestinienne. Sachant qu'au-delà des objectifs
finaux (l'Etat souverain, sa capitale à Jérusalem), la situation se gère au jour
le jour dans la tension et la confusion. Un de nos interlocuteurs ajoute : « Le
camp d'en face est dans le même état. »
La nouvelle Intifada va-t-elle se poursuivre ? A
court terme, certainement. « Nous ne tenons la rue qu'à 70 %. » Entre « la rue »
(c'est-à-dire, aussi, partis et militants) et la direction de l'OLP, c'est le
vide sidéral. Les institutions embryonnaires de l'Etat palestinien ne
fonctionnent plus. A moyen terme, la mobilisation populaire prolongée pose un
problème, celui du « chaos : un risque pour l'Autorité ». « L'idéal, ce serait
un mouvement pacifique continu de protestation. Mais l'évolution dépend des
Israéliens, qui ont l'essentiel des cartes en main. » Les dirigeants
palestiniens, malgré les morts civils quotidiens, sont conscients du fait
qu'Israël « se refrène ». « Ils tapent de plus en plus fort, dit un ministre ,
entraînant chaque fois une contre-escalade, mais ils sont loin de leur puissance
maximum. » Au moins jusqu'à mercredi, les Palestiniens ont ordonné à leurs
polices d'être le moins présentes possible dans les affrontements (les
Israéliens le savent). D'autant qu'Israël, maître de fait du budget de
l'Autorité, des voies de communication, de la distribution d'eau et
d'électricité, etc., dispose de moyens de coercition. Pour le moment, l'escalade
de la répression « accroît la détermination des gens ». Donc le risque de chaos.
« Les colons religieux attaquent de plus en plus les paysans et les villageois.
Nous devons absolument éviter la balkanisation, sinon ce sera le bain de sang et
personne ne sait comment cela finira ».
Des négociations peuvent-elles s'engager ? A chaque
phase de l'escalade, le « téléphone rouge » entre proches de Yasser Arafat et
d'Ehoud Barak a toujours fonctionné, et des rencontres ont lieu. Les
conversations ne portent cependant que sur les problèmes de sécurité, ou
presque. Or l'Autorité ne peut imposer un retour au calme sous les roquettes,
elle perdrait tout crédit. L'accalmie suppose des « gestes » israéliens
(négocier malgré la violence, se retirer loin des villes palestiniennes). Mais
sur le fond, c'est l'impasse, pour deux raisons. Premièrement, juge un analyste,
« si nous avons des objectifs clairs et une perspective floue sur les moyens d'y
parvenir, les Israéliens, eux, ont une tactique simple, nous faire plier, mais
une politique illisible. Imaginent-ils vraiment nous imposer une paix à leurs
conditions ? Une nouvelle Intifada reprendrait tôt ou tard ». Deuxièmement, «
Clinton est en fin de mandat. Pour un déblocage, il faut attendre une nouvelle
administration américaine ». Dilemme : des responsables sont conscients qu'ils
ne pourront éternellement exiger l'application par les Israéliens des accords
intérimaires signés, donc revenir au cadre d'Oslo, et insister pour sortir de la
logique d'Oslo.
Qu'attendent les Palestiniens d'Ehoud Barak ?
Presque plus rien. Autant des Israéliens comme Yossi Beilin, Shlomo Ben Ami (qui
a pourtant perdu beaucoup de crédit) et Shimon Pérès restent des partenaires
possibles, autant « le cas Barak est désespéré ». « Il fonctionne par oukases.
Avec lui, c'est toujours à prendre ou à laisser. Il a failli avec nous. Et ce
comportement échoue avec ses propres partenaires en Israël ». Après Camp David,
M. Arafat aurait proposé de réfléchir à nouveau sur la base de l'accord
officieux Beilin-Abou Mazen de 1996 (96 % des territoires aux Palestiniens avec
un transfert de terres près de Gaza), tout en repoussant la question de
Jérusalem et l'acceptation palestinienne de la « fin du conflit ». M. Barak
aurait refusé net. Après, il y a eu les morts sur l'esplanade des Mosquées. Fin
de l'épisode Barak. D'autant plus que son avenir politique personnel leur semble
bouché. « Soit il fait un gouvernement d'union nationale et il est l'otage du
Likoud, soit il perdra des élections. Pourquoi négocier avec un homme
politiquement mort ? »
Jugent-ils que le temps joue en leur faveur ? A
court terme, disent-ils, l'Intifada a « redonné conscience à la communauté
internationale des points clefs de la question palestinienne, qui semblaient
oubliés : le respect des frontières, l'illégalité des colonies et le droit au
retour des réfugiés ». Ils constatent aussi un début de division dans
l'état-major israélien entre partisans d'une répression accrue et ceux qui la
jugent improductive. Pareillement, la position d'une minorité du mouvement
pacifiste israélien La Paix Maintenant de revenir à l'exigence d'un retrait
israélien aux frontières du 6 juin 1967 est perçue comme un début de maturation
en Israël. A long terme « l'apartheid colonial est sans avenir ». Le problème,
c'est le moyen terme. « Tout peut arriver, de la divine surprise type Oslo sur
de nouvelles bases à la tragédie totale. » « Le déséquilibre des
forces est trop grand, mais ils [les Israéliens] ne peuvent pas se débarrasser
de nous. Pendant des années nous pouvons connaître une Intifada-processus de
paix en alternance. Ce sera notre way of life. »
Croient-ils possible de changer les règles du jeu ?
L'objectif est de réintégrer dans la négociation l'ONU, les Européens, la Russie
et les pays arabes. Ils espèrent y parvenir. Ils espèrent l'envoi de troupes
internationales d'interposition afin de protéger les civils palestiniens. Mais
dans l'immédiat, « les Etats-Unis restent la seule superpuissance, donc décisifs
», ils sont opposés à un tel envoi. Quant aux Européens, « ils se disent nos
amis en privé mais sont diplomatiquement couards ». Et de rappeler leur récent
vote à l'ONU, où six d'entre eux se sont abstenus de condamner
Israël.
Vont-ils déclarer l'Etat indépendant le 15 novembre
? Il semble que non, mais le débat est important autour de Yasser Arafat. Pour
les partisans de l'annonce, « c'est la seule arme non violente dons nous
disposons en ce moment ». Arguments des opposants : « Israël n'attend que ça
pour tout remettre en cause », « la rue y verra une gesticulation qui ne change
rien », « nous perdrons tous nos acquis diplomatiques ».
L'Autorité craint-elle les islamistes ?
Officiellement, c'est l'union nationale En réalité, les dirigeants palestiniens
sont terrorisés à l'idée d'attentats suicides en Israël. Ils ont libérés des
militants du Hamas, mais aucun de ses responsables militaires. « Le Hamas est en
veilleuse. Ses gens sont peu dans la rue. Il attend son heure. Si on reprend
langue avec les Israéliens, il agira pour tout faire échouer.
»
Les Palestiniens craignent-ils des mesures
unilatérales israéliennes, telle la « séparation physique » ? Ils n'y croient
pas. « Encore un projet fumeux d'Ehoud Barak. » Si la séparation préserve
les colonies, elle est impossible à mettre en oeuvre, vu leur imbrication avec
les villages arabes. Et « pour nous parquer dans 60 % du territoire avec des
barbelés autour, Barak devra démanteler des colonies. Sans accord avec nous, il
n'aura pas la légitimité populaire en Israël pour le faire. Sans parler de
l'image de l'Etat juif dans le monde ». Ni de la résistance farouche
qu'opposeraient les Palestiniens.
19.
Le Soir (quotidien belge) du samedi 4 novembre
2000
L'Israélien Barak ne veut pas d'une « aventure » militaire
par Baudoin Loos
Difficile de parler d'accalmie dans les violences
quand trois Palestiniens ont encore perdu la vie vendredi, à Naplouse, Tulkarem
et Ramallah, et quand des dizaines d'autres ont été blessés. Pourtant, une
certaine décrue dans l'amplitude des heurts entre Palestiniens et Israéliens
était notée vendredi, en début de soirée, alors que la population israélienne
avait vécu la journée dans l'anxiété des attentats à la bombe, comme celui de
jeudi à Jérusalem qui coûta la vie à deux civils.
Plusieurs déclarations des autorités israéliennes
ont mis l'accent sur le fait que l'espoir de voir les efforts de paix triompher
demeure. Ainsi par exemple, Danny Yatom, le plus proche conseiller du Premier
ministre Ehoud Barak, s'est refusé à accabler Yasser Arafat : Nous avons
constaté que les ordres et les instructions (du chef palestinien) ont été
donnés, mais les résultats ne nous satisfont pas du tout. Il s'agit d'un
processus et il était tout à fait clair que Yasser Arafat ne pourrait pas d'un
coup de baguette magique arrêter toutes les activités violentes, a-t-il dit,
relayé dans cette appréciation par le ministre du Développement régional, Shimon
Peres, qui avait rencontré Arafat l'avant-veille. Il se peut que plusieurs jours
soient nécessaires pour que les résultats des instructions de Yasser Arafat se
fassent sentir sur le terrain, a dit l'ex-Premier ministre. Jeudi, l'Autorité
palestinienne a publiquement invité les Palestiniens à poursuivre leur lutte par
des moyens pacifiques. A Washington, la Maison blanche a indiqué qu'une
rencontre Clinton-Arafat-Barak pourrait avoir lieu en fin de semaine
prochaine.
TACHES CONTRADICTOIRES
Le retour en force du
père du processus de paix dit d'Oslo, jusqu'ici maintenu dans l'ombre par Ehoud
Barak, s'explique sans doute par la volonté du Premier ministre israélien de
renouer le fil du dialogue avec les Palestiniens. De toute manière, dans son
calcul, il doit se dire que toute escalade militaire israélienne ne bénéficie,
en dernier ressort, qu'à Arafat. Ainsi, Barak, à l'insistance de Peres
semble-t-il, a-t-il renoncé aux représailles militaires prévues jeudi matin
après que trois soldats eurent été tués par des balles palestiniennes mercredi
soir.
Le chef du gouvernement israélien a voulu expliquer
hier à ses concitoyens le sens de sa politique : Nous ne récompenserons pas la
violence et nous ne nous laisserons pas entraîner dans une aventure dont les
résultats pourraient être des plus dangereux pour Israël, a-t-il dit devant des
militants du parti travailliste. L'armée israélienne est forte et elle agira à
l'endroit et avec les moyens que nous choisirons pour défendre nos intérêts
réels et non pas en fonction des états d'âme ou des coups de sang, y compris de
certains membres du gouvernement (une « pique » à l'adresse des « faucons » de
son cabinet). Il n'y a pas de solution miracle pour tout régler d'un coup, mais
nous ne reculerons pas et ferons tout ce qui est possible pour réduire
l'effusion de sang. Nous persévérerons dans nos efforts de paix. a-t-il
conclu.
Dans cette situation malaisée à contrôler, le
Premier ministre Ehoud Barak se doit de naviguer entre différents buts parfois
contradictoires. Le voilà en effet devant la tâche de, tout à la fois, restaurer
le calme dans les territoires, assurer la sécurité de ses compatriotes, rouvrir
le dialogue avec les Palestiniens et préserver l'image d'Israël de sorte que les
pressions internationales se raréfient.
COMMENT REVENIR À LA TABLE ?
Ces derniers mois,
Barak a basé toute sa carrière de Premier ministre sur le processus de paix avec
les Palestiniens. Entériner un fiasco équivaudrait à reconnaître un échec
personnel peut-être synonyme de mort politique. Voilà sans doute pourquoi il n'a
pas réussi à s'entendre, jusqu'à présent, avec le chef de la droite dure, Ariel
Sharon, pour la constitution d'un gouvernement « d'urgence nationale » : Sharon
voulait devenir « Premier ministre bis » pour prévenir toute espèce de progrès
avec les Palestiniens.
Mais pour remettre ce processus de paix sur rail,
Barak a besoin d'un partenaire, qui ne peut être autre qu'Arafat, qu'il sait
plus modéré que bien d'autres dirigeants palestiniens malgré son attitude pour
le moins ambiguë, aux yeux israéliens, depuis le début des violences. Or, pour
revenir à la table des négociations, Arafat doit pouvoir montrer à sa population
qu'elle n'a pas enduré les souffrances et les pertes de ces dernières semaines
pour rien. Cela, alors que Barak, de son côté, ne peut s'autoriser à paraître
récompenser la violence palestinienne...
Depuis le début des événements, le 28 septembre,
176 personnes, dont une douzaine d'Israéliens juifs, ont perdu la vie de manière
violente.
20.
Le Soir (quotidien belge) du samedi 4 novembre
2000
Le Jihad irakien contre l'agresseur
américain par Philippe Berkenbaum
Le régime de Saddam a su tourner l'embargo à son
avantage, vis-à-vis du peuple et du monde. Un défi aux Etats-Unis.
Outre le détail des activités quotidiennes de leur
président Saddam Hussein, que les Irakiens ne voient jamais qu'à la télévision,
deux sujets reviennent plusieurs fois par jour sur les écrans des trois chaînes
de la télé publique - la seule autorisée. Le premier concerne les raids aériens
présentés comme quotidiens conduits par les chasseurs américains et britanniques
au-dessus du territoire irakien : une infographie, commentée d'une voix
monocorde, détaille l'itinéraire des avions et les zones prétendument
bombardées, parfois le nom des victimes. Mais d'images, jamais.
Le second est un montage d'images d'archives. Des
images très dures, filmées dans les territoires... palestiniens. Lanceurs de
pierres, et surtout victimes des balles israéliennes, blessés ou morts
dégoulinant de sang. Le martyre du petit Mohammed al-Doura, tué avec son père
sous les caméras de France 2, repasse ainsi inlassablement, près d'un mois après
le drame. Mais le plus frappant, est cette scène intercalée, montrant Madeleine
Allbright esquissant un pas de danse, hilare, comme si elle se réjouissait du
spectacle. Une scène filmée voici trois semaines lors du voyage de la secrétaire
d'Etat américaine... en Corée. Aucun rapport avec le drame
palestinien.
« NOTRE PÈRE À TOUS »
L'ennemi est ainsi désigné
à la vindicte populaire. Qui sont les terroristes, les Américains ou nous ?,
demandait lundi le vice-président Taha Yassine Ramadhan, revolver à crosse de
nacre au ceinturon, au ministre wallon Serge Kubla en visite officielle.
Regardez ce qu'ils font à nos frères palestiniens, après toutes les souffrances
qu'ils nous font endurer, se lamentait une vieille femme sans âge, rencontrée
dans un quartier populaire de Bagdad. J'ai perdu mes trois fils à la guerre,
deux sur le front iranien, le troisième au Koweït... Faut-il qu'ils tuent encore
mes filles et mes petits-enfants en continuant à nous bombarder ? Et d'évoquer
longuement l'embargo, qu'elle attribue, comme le lui souffle la propagande
officielle, à la volonté américaine d'anéantir la nation arabe...
A l'université al-Moustansiriya, énorme complexe
d'allure assez moderne dont les facultés abritent 30.000 étudiants, l'accueil
est poli, mais ferme : Sans autorisation du ministère des Affaires étrangères,
nous dit la secrétaire de la faculté des langues appliquées, vous ne pouvez
interroger les étudiants dans l'enceinte de l'université. Rien ne vous empêche
de le faire dehors, glisse-t-elle.
Treize heures, la sortie des cours, le campus
déverse des flots de jeunes étudiants, garçons et filles, impeccables dans leurs
uniformes gris et blanc aux coupes hétéroclites. Discuter avec un étranger ?
L'aubaine : un attroupement se forme rapidement, mixte, souriant, ouvert. C'est
à celui - ou celle - qui parlera le plus fort. Nous aimons Saddam, vous
comprenez ? C'est notre père à tous. Sans lui, nous n'aurions pas survécu à ce
que l'Amérique - encore elle - nous fait subir injustement, dit l'un. Cette
guerre est politique, surenchérit un autre, les Etats-Unis veulent garder le
contrôle du pétrole du Moyen-Orient. Et empêcher que l'Irak redevienne un pays
riche et puissant, ajoute un troisième.
- Mais la liberté de la presse, le multipartisme,
la démocratie ? L'Irak est un pays en guerre, coupe un étudiant en philosophie.
Tout cela arrivera quand l'Occident nous laissera nous développer comme nous en
avons le droit. D'ailleurs, personne ne nous interdit de dire ce que nous
pensons... Difficile pourtant, pour ne pas dire impossible, de trouver dans
Bagdad un seul interlocuteur critique vis-à-vis du régime. Beaucoup refusent
d'en parler.
Un autre terme revient, en revanche, dans les
conversations : « résistance ». Le président résiste, et l'on est fier de lui.
Avec lui, diront beaucoup.
Jusqu'à un certain point, le régime des sanctions
imposé par l'ONU a eu l'effet inverse de celui escompté, commente un diplomate
occidental : Saddam paraît aujourd'hui plus populaire que jamais. Les Irakiens
se réjouissent du fait que de plus en plus de pays, même alliés traditionnels
des Américains, nouent les contacts avec le régime jadis honni. Economiques
d'abord, politiques ensuite. La télé multiplie les images des délégations
étrangères de passage à Bagdad, auxquelles le gouvernement déroule le tapis
rouge. Se sont ainsi succédé, des Turcs, des Jordaniens, des Egyptiens, des
Espagnols, des Belges, et bien d'autres encore. Trop de pays n'écoutent que la
version des ennemis de l'Irak, dit encore Taha Yassine Ramadhan. Pour pouvoir
nous juger, il faut écouter les deux parties, venir et se rendre compte sur
place. (...) Nous sommes un pays libre et indépendant, nous voulons la paix mais
pas celle imposée par la force.
Avec l'aide des soutiens extérieurs, l'Irak
parvient à offrir au monde une vitrine presque rassurante d'un pays qui relève
fièrement la tête après dix années de privations. Les Bagdadis se plaisent à
montrer au visiteur comment ils ont retroussé leurs manches pour reconstruire,
seuls, ce que les bombardements alliés ont détruit en 1991 et lors du bras de
fer du début 1999 : les ponts, les routes, les bâtiments officiels, les usines,
dont la raffinerie de Doura, entièrement détruite et qui tourne aujourd'hui à
pleine capacité.
Nous sommes autosuffisants, capables de subvenir à
nos propres besoins, malgré l'embargo, l'absence de moyens, le gel de nos
avoirs, affirme le ministre du Commerce Mohamed Mehdi Saleh. Les sanctions ont
développé la capacité du pays à se débrouiller seul. L'Irak est le pays le moins
dépendant du monde, et le monde va devenir de plus en plus dépendant de l'Irak,
qui sera un jour le premier producteur mondial de pétrole. Certes, la vitrine
peut paraître alléchante. Mais il reste bien difficile d'aller voir
derrière...
21.
Le Soir (quotidien belge) du samedi 4
novembre 2000
"Frères martyrs"
A titre d'exemple, voici l'éditorial publié mardi
par le quotidien en langue anglaise « The Baghdad Observer ».
Le martyr irakien Asa'ad Ali Sultan, 24 ans,
nouvelle victime des bombardements US du 28 octobre, a rejoint ses frères, les
martyrs de l'Intifada d'Al Qods (Jérusalem). Mohamed al-Doura fut martyrisé en
Palestine par les balles sionistes, (...) un meurtre prémédité de sang-froid.
Asa'ad Ali Sultan fut assassiné à Mossoul par les chasseurs
américano-britanniques qui bombardent perpétuellement l'Irak et tuent ses gens
avec autant de préméditation.
Un avion palestinien a transporté en Irak les
blessés de l'Intifada pour qu'ils partagent le sort des victimes des
bombardements US (...) malgré les sanctions de l'ONU et l'absence de
médicaments. Les Irakiens partagent avec les héros de l'Intifada ce qu'ils
possèdent, même en petite quantité, avec amour, compassion et solidarité
fraternelle pour la même cause. La cause arabe est la même et unique. La
conspiration impérialiste, qui trouve son origine dans la partition de la nation
arabe, se concrétisa ensuite par la création de l'entité sioniste.
Barak, Sharon et Netanyahou sont tous criminels
contre l'humanité. (...) Quelle que soit l'attitude gouvernementale dans
l'entité sioniste, l'administration US est là pour leur donner plus de soutien,
de financement et d'armement. Le pacte américano-sioniste est stratégique. (...)
Mais une nation résolue aux sacrifices ne peut se laisser subjuguer par les
signes du démon. La lutte arabe doit dès lors se poursuivre aussi longtemps que
dure la conspiration. C'est ce qu'a prouvé à nouveau le martyr de Asa'ad Ali
Sultan et de Mohamed al-Doura.
22.
Le Magazine (hebdomadaire libanais)
du vendredi 3 novembre 2000
La
presse française et l'intifada : Convictions et présupposés
par Walid Charara
La répression
israélienne sanglante de l'intifada palestinienne a suscité de vives émotions en
France. Malgré une évolution timide au sein de l'opinion publique et de la
presse, les préjugés persistent.
PARIS, DE NOTRE CORRESPONDANT
La principale victoire de l'actuelle intifada
palestinienne est d'ordre médiatique. Les images témoignent, encore une fois,
contre Israël... L'assassinat en direct de Mohammad el-Dorra et de dizaines
d'autres enfants palestiniens devant les caméras du monde entier fait
brutalement resurgir la réalité de l'occupation israélienne au-delà des discours
dominants sur la paix et ses bienfaits. Ces derniers avaient permis un
travestissement total de cette réalité et même des origines du conflit
israélo-palestinien. Comme l'a souligné à plusieurs reprises Edouard Saïd, les
accords d'Oslo comportaient une reddition «symbolique» palestinienne non moins
dévastatrice que la reddition politique ou militaire. Elle était tout d'abord
illustrée par le discours de Arafat à la cérémonie de signature des accords à la
Maison-Blanche. A l'opposé du discours de Rabin qui récapitula 2000 ans
d'histoire juive en mettant l'accent sur la souffrance et les persécutions,
Arafat occulta dans le sien les souffrances de son peuple, se limitant à une
apologie de la paix et à des remerciements aux médiateurs dans les négociations.
Oubliés l'origine du conflit, l'oppresseur et l'opprimé, la nature colonialiste,
raciste et expansionniste d'Israël, la privation du peuple palestinien de ses
droits fondamentaux.
Quand arrive l'embarras
La nouvelle intifada permettra l'irruption du peuple palestinien
sur la scène politique et médiatique internationale après sept années durant
lesquelles la figure du Palestinien sera cantonnée dans celle du négociateur. En
France, la répression israélienne suscitera dans un premier temps beaucoup
d'émotion suivie d'un embarras évident et de la persistance de certains
présupposés.
De L'Humanité, en passant par Le Monde et Libération, jusqu'au
Figaro, l'ensemble de la presse française fera porter à Ariel Sharon la
responsabilité d'avoir mis le feu aux poudres. Sa visite, qualifiée par tous de
provocation, et la répression disproportionnée des manifestations palestiniennes
feront la «une». L'image de l'assassinat de Mohammad el-Dorra sera reproduite
dans tous les journaux et sur toutes les chaînes télévisées, et les commentaires
incriminaient directement l'armée israélienne (mis à part Alexandre Schwartzbrod
de Libération et quelques autres journalistes qui parleront de balles perdues
jusqu'au moment où le porte-parole de l'armée israélienne reconnaîtra sa
responsabilité). Plantu, le célèbre caricaturiste du Monde, consacrera, deux
jours consécutifs, sa caricature de première page au martyr Dorra. Une
répression sanglante qui tournait de plus en plus au massacre de civils ne
pouvait qu'émouvoir en ces temps d'ingérences humanitaires, de guerre au nom du
droit et de la conscience universelle. Pourtant, aucun commentaire n'évoquera
l'éventualité d'une sanction quelconque contre Israël. Les mêmes journalistes
(Laurent Joffrin de Libération, Jacques Julliard du Nouvel Observateur,
Jean-Marie Colombani du Monde, etc.) qui s'époumonaient en appelant à la guerre
au Kosovo ou en Irak brilleront par leur silence. Et du moment que les
Palestiniens ne sont plus que des victimes, avec le lynchage des trois soldats
israéliens, un changement de ton devient clairement perceptible. Il s'agit à
nouveau de violence, de la violence au Proche-Orient, sans constater la
différence de nature entre une violence prenant pour cible les civils et une
autre visant une armée d'occupation. Quant aux trois soldats, la thèse retenue
sera celle avancée par l'armée israélienne, à savoir qu'ils se seraient perdus
et non qu'ils faisaient partie de l'unité des arabisants, unité particulièrement
meurtrière contre les militants palestiniens depuis la première intifada. Le
même Plantu se sentira obligé de consacrer une caricature mettant côte à côte
les soldats israéliens et l'enfant palestinien dans une position de victimes
innocentes d'un conflit qui les dépasse. Le quotidien Libération consacrera sa
première page à la photo du jeune Palestinien exhibant ses mains tachées du sang
des soldats israéliens en titrant: «La haine».
Pétition juive contre Israël
Les pages «Opinions» du Monde et «Rebonds» de Libération publieront
nombre d'articles polémiques sur le sujet en permettant l'expression des points
de vue de manière relativement équitable. Une pétition publiée dans les pages
«Opinions» intitulée «En tant que Juif» retiendra l'attention car elle constitue
la première dissociation collective de figures intellectuelles et médiatiques
d'origine juive de la politique israélienne (Gisèle Halimi, Daniel Bensaïd, Rony
Brauman, Eyal Sevan, etc.). Cette pétition aura d'autant plus de retentissement
que la totalité des institutions communautaires juives de France (CRIF, KKL,
consistoire national) affirmait un soutien inconditionnel à Israël. La
solidarité populaire arabe avec l'intifada rencontrera-t-elle moins de
compréhension dans la presse française? Présentée comme une solidarité quasi
instinctive, d'essence religieuse ou ethnique, irrationnelle en tout cas, elle
serait facteur de radicalisation et de fanatisation des Palestiniens.
Révolte politique ou religieuse?
Cette perception de la solidarité panarabe n'est pas nouvelle. Les
mêmes commentaires avaient été proférés durant la guerre du Golfe. A chaque fois
qu'il s'agit du monde arabe, l'approche privilégiée est psychanalytique (la
frustration qui serait à l'origine de la violence et du fanatisme) ou
théologique (l'essence même de l'islam serait intolérante). Une digne
illustration de ce discours est l'article de Daniel Sibony, psychanalyste,
publié dans Libération: «N'y a-t-il pas meilleur usage pour la colère de ce
peuple que d'en faire le fer de lance du refus islamique d'Israël, ce qui
revient tout simplement à le sacrifier? Si le peuple palestinien sacrifie ses
enfants, il risque dans la foulée de se retrouver lui-même l'enfant sacrifié de
la oumma, l'enfant porteur de sa vérité collective absolue et ultime, qui ne
s'inscrit que dans le sacrifice réel de soi.» Exit les raisons politiques
(l'occupation et ses conséquences, les violations des droits humains
fondamentaux) car les Arabes et les Palestiniens ne sont pas encore entrés dans
l'ère de la politique. S'ils se révoltent, c'est par surdétermination
religieuse. Le racisme qui sous-tend ce discours habite aussi les notions comme
la «rue arabe». S'agissant d'Israël, ils diront l'opinion israélienne, notion
qui renvoie à l'existence d'individualités libres, capables de jugement, alors
que la notion de rue renvoie à l'image de masses grouillantes subjuguées par un
délire collectif.
Ces présupposés et stéréotypes colonisent encore
l'imaginaire occidental et limitent sérieusement la capacité de nombre
d'observateurs à comprendre les enjeux véritables des événements dans cette
région. Imaginez combien leurs réactions seraient différentes, si Mohammad (12
ans) et Sarah (2 ans), enfants assassinés, avaient été juifs et les assassins
arabes.
23.
Le Soir (quotidien belge) du jeudi 2
novembre 2000
L'Egypte veut se montrer solidaire
par Catherine Piettre
LE CAIRE de notre correspondante
particulière
Walid, six ans, est allé avec les grands lancer des
pierres sur les soldats israéliens. Aujourd'hui, il se retrouve dans une unité
de soins intensifs de l'Institut médical Nasser, au Caire. Au-dessus de son lit
d'hôpital, là où les enfants de son âge accrochent la photo de leur joueur de
foot préféré, Walid a suspendu l'image de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem,
troisième lieu saint de l'islam.
Je voulais mourir en martyr pour al-Aqsa. La vie ne
m'est rien, l'important est que j'aille au paradis, murmure-t-il avec un sourire
innocent. Des mots qu'il semble avoir appris par cœur, peut-être aussi avec les
grands. Atteint de deux balles au milieu du corps, Walid en sera quitte pour un
boitement et une vilaine cicatrice sur le ventre.
L'Egypte, comme la Jordanie, l'Irak ou l'Arabie
Saoudite, a tenu à accueillir des blessés du « pays frère » palestinien. Le
nombre des admis au prestigieux Institut Nasser reste limité : 9 personnes, dont
deux enfants. On aimerait en accueillir plus, mais l'évacuation des blessés est
devenue impossible depuis que les Israéliens ont fermé l'aéroport de Gaza,
s'excuse le docteur al-Naggar, vice-directeur de l'établissement. Mais leur
nombre n'empêche pas les patients d'être au centre de l'attention des médias.
Les caméras ont accompagné Hosni Moubarak, venu témoigner sa sollicitude
présidentielle aux blessés. Deux jours après, elles étaient avec les stars du
cinéma égyptien pour immortaliser les fleurs et les peluches offertes au petit
Ibrahim, défiguré par une balle dans l'œil.
Depuis le début de l'« Intifada 2000 », les
Egyptiens ont exprimé massivement leur solidarité avec les Palestiniens.
Etudiants, lycéens et écoliers ont tenu en alerte les forces de l'ordre par
leurs manifestations de rue, pourtant interdites en Egypte au nom de la loi
d'urgence. Et la mosquée al-Azhar au Caire, où la foule appelle au jihad (guerre
sainte), après la prière du vendredi, est devenue un rendez-vous anti-sioniste
rituel. Le peuple égyptien est d'abord musulman comme nous, il est prêt à se
battre pour nous, assure Oussama, un Palestinien venu suivre ses études au
Caire.
Pourtant, malgré la violence rhétorique d'une
frange de la population où se mêlent jeunes, intellectuels, gauchistes ou
islamistes, la majorité des Egyptiens ne pense pas à la guerre. Moi, je veux
bien qu'on fasse le jihad, à condition qu'on attende la fin de mon service
militaire, plaisante Hani, un conscrit. Ceux qui ont vécu les deux derniers
conflits contre Israël (1967 et 1973) se remémorent avec terreur la puissance
militaire de l'Etat juif : La nuit, je fais de nouveau des cauchemars de
bombardements israéliens, avoue Mohammed, enfant de la région de Suez souvent
pilonnée après la guerre des Six jours.
LES AMBIGUÏTÉS DU RÉGIME
Le ton nettement
pro-palestinien du gouvernement égyptien et des médias officieux ne parvient pas
non plus à faire oublier les ambiguïtés du régime, qui tient un discours bien
plus neutre à l'extérieur, allié américain oblige. Et la « cause sacrée » de la
Palestine ne peut gommer les problèmes intérieurs. Malgré des possibilités
d'expression démocratique limitées, des électeurs moins rares que d'habitude ont
exprimé leur raz-le-bol : aux élections législatives, qui se déroulent
actuellement, le parti d'Hosni Moubarak a enregistré un recul
inattendu.
24.
Ha'Aretz (quotidien israélien)
du mercredi 1er novembre
2000
L'exposition Bonnard au Musée de Tel-aviv est remise à plus tard
par Dan Guildman
[traduit de l'hébreu
par le service de presse de l'ambassade de France à
Tel-Aviv]
La situation en matière de
sécurité rend difficile l'obtention d'oeuvres se trouvant à l'étranger.
L'exposition des oeuvres du peintre français Pierre Bonnard au musée de
Tel-Aviv n'ouvrira pas ses portes mardi prochain, comme initialement prévu.
L'exposition était censée réunir une soixantaine de toiles en provenance de
musées et de collections privées en France, en Suisse, en Belgique, en
Angleterre, aux Etats-Unis au Canada et en Israël. En raison de la situation en
matière de sécurité, de nombreuses annulations de prêts ont été enregistrées au
cours du mois dernier de la part de musées et de collectionneurs privés
(notamment en France).
Certains disent que l'exposition a été annulée à cause
de la situation en matière de sécurité, d'autres insistent sur le fait que les
raisons seraient d'ordre politique. "Certains se montrent plus prévenants dans
leur formulation, d'autres sont plus directs", explique Nehama Gourelnik, la
conservatrice de l'exposition. "Le musée belge, par exemple, a fait savoir que
tant que les tirs ne cesseraient pas sur le terrain et que l'on ne retournerait
pas à la table des négociations, il ne pourrait y avoir de prêt." Même le musée
du Milwaukee aux Etats-Unis a annoncé l'annulation du transport des oeuvres à
exposer".
L'annulation la plus significative a été faite sous la directive du
président français Jacques Chirac qui a fait savoir, au début des émeutes en
Israël et dans les territoires, qu'il interdisait que des oeuvres d'art de
musées et de collections privées en France soient déplacées en direction du
Moyen-Orient. Les deux tiers des oeuvres exposées devaient provenir de musées et
de collections privées en France. A la suite de l'intervention de personnalités
politiques et diplomatiques, le président Jacques Chirac est revenu sur son
communiqué en déclarant qu'il autorisait l'envoi des oeuvres, à la condition
qu'elles soient assurées en cas de guerre. Une telle assurance, aux dires de Mme
Gourelnik, est très onéreuse. Son coût est presque trois plus élevé que celui
d'une assurance ordinaire.
"Il ne s'agit pas seulement du coût, mais de
l'idée même d'une telle assurance," explique Mme Gourelnik. "Un article couvrant
ce genre de cas n'apparaît généralement pas dans les polices d'assurance. En ce
moment, nous sommes en pourparlers avec les compagnies d'assurances de Londres,
mais nous n'avons toujours pas reçu de réponse définitive. Nous tentons de
mettre sur pied un cautionnement d'Etat qui puisse être fourni au gouvernement
français comme solution de remplacement à une procédure d'assurance. Nous nous
sommes adressés au ministère de la Culture qui s'est lui-même tourné vers le
ministère des Finances. Ces deux ministères sont censés nous donner une réponse
prochaine. Sans l'envoi des oeuvres en provenance de France, l'exposition n'aura
pas lieu".
25.
Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
du mercredi 25 octobre 2000
La
diplomatie américaine des embrassades aurait-elle échoué à domestiquer Arafat ?
par Fawaz Jirjis [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Fawaz Jirjis est professeur de relations
internationales et diplomatiques, Université Sarah Lawrence, New-York)
Il
existe une certaine unanimité, dans les hautes sphères de la politique
extérieure américaine, sur le fait que le président palestinien Yasser Arafat
serait derrière l'Intifada d'Al-Aqsa, qu'il serait l'instigateur et l'animateur
des manifestations qui ont éclaté après la visite d'Ariel Sharon, le chef du
parti israélien de droite, le Likud, sur l'esplanade des mosquées, à Jérusalem,
de même qu'il serait responsable des affrontements sanglants entre les citoyens
palestiniens et l'armée d'occupation israélienne, affrontements qui ont causé la
mort de plus de cent Palestiniens, parmi lesquels des dizaines d'enfants, et les
blessures de près de deux mille civils. Les gouvernements américain et israélien
ont fait porter à Yasser Arafat en personne, et à l'Autorité autonome
palestinienne, de manière générale, la responsabilité du déclenchement des
troubles et les ont accusés de les attiser en jouant sur les sentiments
exacerbés des Palestiniens. Ils ont dénoncé la participation d'éléments de la
police et des forces de sécurité palestiniennes aux échanges de coups de feu
contre les soldats israéliens, et ils ont demandé à Arafat de retenir le
mouvement "Fatah", qui dépend de lui, de le contrôler et d'empêcher ses membres
de provoquer l'armée israélienne.
L'observateur des positions américaine et
israélienne et de la couverture médiatique de l'intifada dans les deux pays est
à même de comprendre très aisément la stratégie de Washington et de Tel Aviv,
qui consiste à faire porter au président palestinien la responsabilité des
troubles sanglants dans les territoires occupés et à renforcer la pression à son
encontre afin qu'il y mette un terme et qu'il les empêche d'entrer dans une
escalade, voire, si possible, de les réprimer.
Si nous faisons abstraction
des objectifs principaux de la stratégie américano-israélienne, la vision
simplificatrice qui est la leur ne prend aucunement en compte la situation
palestinienne, complexe et en crise, et en particulier la gestation
politico-économique et sociologique que vivent les différentes couches de la
société palestinienne, ni les changements régionaux et internationaux qui ne
manquent pas de peser sur une société ployant sous le fardeau d'une occupation
militaire violente et humiliante. La vision américano-israélienne, qui résume la
situation et le destin d'un peuple entier qui endure les pires souffrances à une
seule personne, Yasser Arafat, non seulement manque de profondeur historique,
mais refuse de poser les questions embarrassantes sur les causes réelles de
l'explosion populaire dans les territoires occupés et sur les causes de l'échec
des politiques de marchandages par étapes, de fuite en avant, d'impasse sur les
données objectives, les réalités historiques et les décisions de la légalité
internationale.
Bien entendu, Washington et Tel-Aviv n'ont plus
l'initiative. Elles ne veulent pas reconnaître l'échec de leurs méthodes
provocatrices, et préfèrent rejeter la responsabilité de l'explosion sur la
personne du leader palestinien, qui berçait leur espoir depuis longtemps, depuis
la signature de l'accord secret d'Oslo, en 1993, et jusqu'au printemps dernier,
qu'il ferait des concessions supplémentaires jusqu'au point de refermer le
dossier du conflit palestino-israélien avant la fin de ses jours.
L'intifada
d'Al-Aqsa représente un échec patent pour la diplomatie américaine, et en
particulier pour l'administration Clinton qui avait fait le pari, depuis le
début, qu'elle serait capable de réemballer et de présenter les propositions
israéliennes, sur Jérusalem et le problème des réfugiés palestiniens, à
l'Autorité palestinienne et à son chef Arafat, en utilisant diverses méthodes,
couvrant tout le panel entre la carotte et le bâton.
On ne peut comprendre
l'investissement de l'administration Clinton dans la personne d'Arafat depuis la
fin de 1993 et jusqu'à cette année autrement que comme destiné à faire passer
dans les faits un accord de paix en-dehors du cadre de la légalité
internationale et des résolutions des Nations Unies. Clinton a ouvert les portes
de la Maison Blanche à Arafat, il lui a fait sentir qu'il était un chef
important, possesseur d'atouts majeurs dont les Etats-Unis avaient besoin pour
le succès du processus de paix, il lui a prodigué les pluies de pétales de roses
et les promesses, de manière à gagner sa confiance et à faire que l'ancien fedaï
se sente bien dans les bras de l'Oncle Sam, et qu'il accepte de faire les
concessions "indispensables" qui lui étaient demandées, pour signer l'accord de
règlement. Clinton a trouvé, en la personne d'Arafat, l'hôte idoine, enclin et
assoiffé d'entendre ses propos mielleux et ses promesses mirobolantes et creuses
d'aides financières pour son peuple épuisé et pour ses appareils pléthoriques.
Clinton a réussi à utiliser à son profit le complexe d'infériorité et de manque
d'Arafat, recourant sans vergogne à la diplomatie des embrassades dans laquelle
le leader palestinien excelle, pour se rapprocher de lui, gagner son estime et
son amitié.
Il est connu que Clinton est un diplomate hors-pair, capable de
mobiliser le facteur personnel et humain afin de se rapprocher de son
interlocuteur, de construire une amitié qui soit à même de l'aider à atteindre
ses objectifs. Le président américain a compris l'importance du rôle joué par
Arafat dans la mise en oeuvre du projet de règlement, et il a déployé des
efforts constants pour renforcer ses liens d'amitié personnelle avec son
homologue palestinien.
Clinton n'a pas été seul, dans son
administration, à essayer de se concilier Arafat et de gagner son amitié. Le
Secrétaire d'Etat, Madeleine Albright s'est efforcée de marcher sur les brisées
de Clinton, et d'établir une amitié personnelle avec Arafat, avec tout ce que
cela comporte de distributions gratuites d'accolades diplomatiques et
d'invitations à dîner, par exemple, dans son appartement privé dans le quartier
huppé de Georgetown, à Washington. Ainsi, Arafat est devenu l'un des leurs,
partageant le pain et le sel avec la ministre-copine, cette même ministre qui
avait déclaré, dès le lendemain de sa nomination par le président Clinton, qu'il
lui serait difficile de devoir serrer la main du président palestinien, en
raison des actes de terrorisme qu'il avait perpétrés à l'encontre d'Israël et
des Etats-Unis dans le passé. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas
d'avis !
La ministre surdouée n'éprouve aucune réticence aujourd'hui à
embrasser l'ancien fidaï "terroriste" et à l'inviter chez elle à partager le
pain et le sel, "du passé faisant table rase"!
Eh là ! Doucement, cher
lecteur... L'administration Clinton pose tout de même une très légère condition
: Arafat doit signer un document sans importance qui mette fin au conflit
palestino-juif et qui le soulage des peines d'une lutte stérile contre l'état
hébreu et son grand gaillard d'allié, les Etats-Unis d'Amérique. On ne demande
pas à Arafat plus que de renoncer à ce qu'on appelle les décisions de la
légalité internationale, de triste réputation, et de s'en remettre, les yeux
fermés, aux efforts de la diplomatie américaine et du président Clinton
pour ce qui est de satisfaire les aspirations du peuple palestinien à diriger
ses propres affaires !
Mais, attention à ne plus perdre de temps à faire des
caprices sur des problèmes secondaires qui ennuient les Israéliens, et tout
particulièrement Jérusalem, Est et Ouest, et le droit au retour des réfugiés
palestiniens...
Ce n'est que dans les derniers mois de leur idylle qu'Arafat
a compris à quel point le prix demandé par l'administration américaine en
contre-partie de cette amitié naissante était exorbitant. Arafat pensait à la
manière arabe : ils nous prodiguent des bonnes paroles, et nous leur prodiguons
en retour des paroles doucereuses, nous échangeons accolades et embrassades,
nous nous faisons des courbettes... Soit, qu'avons-nous à y perdre ? Notre vieil
ami Arafat avait oublié que la mentalité américaine diffère totalement des
manières simples et un peu naïves qu'il affectionne. L'investissement américain
a des règles précises, documentées et paraphées auquel on n'échappe pas, en
matière de remboursement ! Soit tu paies l'avance jusqu'au dernier "cent", à
l'échéance prévue, ou les intérêts en cas de retard, soit tu déposes le
bilan...
Le dépôt de bilan n'est pas chose aisée aux Etats-Unis : le failli y
perd toute possibilité de repartir dans la vie, d'obtenir à nouveau un prêt,
tant qu'il n'a pas épuré sa dette ou obtenu un règlement à l'amiable. Mais
revenons à nos moutons : l'administration américaine en était venue à être
convaincue, ces derniers mois, que le temps était arrivé pour elle de récupérer
les intérêts de son investissement dans l'Autorité palestinienne et son chef ;
Yasser Arafat.
L'administration Clinton en était arrivée à la certitude que
le moyen idéal de parvenir à une avancée, c'était d'isoler Arafat de son
entourage et de fermer hermétiquement les ouverture d'où aurait pu lui parvenir
quelque air pur, le pressurer violemment et le contraindre à franchir toutes les
lignes rouges et à mettre au panier toutes les décisions de la légalité
internationale.
Voilà planté le décor de l'invitation américano-israélienne
au sommet de Camp David, au mois de juillet dernier. Malgré les réticences de la
direction palestinienne à la tenue d'un tel sommet important sans préparation ni
de l'atmosphère, ni de l'ordre du jour, et sans essayer au préalable de combler
le fossé insondable entre les deux parties israélienne et palestinienne,
l'administration Clinton a insisté sur la nécessité d'aller de l'avant et de
tenir ce sommet. Il semble que la patience du président américain et de son
équipe de négociateurs ait été épuisée par la temporisation d'Arafat et son
esquive permanente afin de ne pas faire les concessions et les sacrifices
"indispensables". Le temps commençait aussi à presser Clinton, dont le second
mandat est sur le point de s'achever et qui est très désireux de réaliser une
avancée spectaculaire dans le processus de paix israélo-arabe afin de couronner
son passage aux affaires par un éclat historique de taille à faire quelque peu
oublier ses gaudrioles, qui ont gravement terni son aura, et de pérenniser son
legs à l'Histoire. Il semble, de plus, que le principal objectif de la tenue du
sommet de Camp David était d'aider le premier ministre israélien, Yhud Barak, à
dépasser la crise gouvernementale dans laquelle il se débattait en arrachant à
Arafat un accord de paix qui mette un terme au conflit entre les deux peuples.
Arafat a hésité, au début, à accepter l'invitation à Camp David, ne cachant pas
son pessimisme et exprimant ouvertement ses réserves au Secrétaire d'Etat
américain, Madeleine Albright, mais il a succombé à l'envie d'imiter
l'administration américaine et de ne pas la provoquer, et donc, de se rendre à
Washington, fût-ce à contre-coeur.
Je ne pense pas que le président
palestinien savait ce qui l'attendait dans la résidence d'été présidentielle de
Camp David. L'équipe des négociateurs américains se contenta de transmettre les
propositions israélienne aux négociateurs palestiniens et de tenter de leur les
vendre, autant que faire se pouvait. Les quelques idées et points de vue mis sur
la table par les négociateurs américains ne différèrent que dans leur forme des
propositions israéliennes. Je ne doute pas un instant que l'administration
Clinton escomptait qu'Arafat se rende aux pressions et aux promesses
américaines, après la série de concessions très importantes qu'il avait entamée
depuis la fin 1993. Le cursus du négociateur Arafat avait convaincu les
gouvernements américain et israélien de sa faiblesse et de son incapacité à
résister, en dépit de la pugnacité de son discours. Grande fut la surprise des
négociateurs américains et israéliens, à Camp David, lorsqu'ils constatèrent
qu'Arafat n'avait pas bougé d'un pouce de sa position en matière de souveraineté
palestinienne sur Jérusalem-Est...
Les communiqués de presse montrent que le
président américain est entré dans une rage folle lorsqu'Arafat a refusé
d'accepter les propositions israéliennes, il a frappé du poing, s'est fâché tout
rouge, a averti et menacé, proférant les pires châtiments qui attendaient les
Palestiniens si Arafat ne reculait pas et ne faisait pas les concessions
attendues, admettant le fait accompli, dicté par le rapport des forces
militaires, et non pas par la légalité internationale. Stupéfiant de voir
comment, tout d'un coup, l'ami éternel se mue en quasi ennemi-juré ! C'est ainsi
que notre pauvre patriarche Arafat a découvert que le prix de l'amitié de
l'administration américaine était tout-à-fait exorbitant : il devait rembourser
séance tenante toutes les visites protocolaires à la Maison Blanche et les
accolades diplomatiques.
Le tragi-comique de cette situation, c'est le
constat que l'avoir politique et financier d'Arafat, extraordinairement faible,
ne saurait rassasier un Clinton et un Barak, à l'appétit
pantagruélique...
Lorsque notre pauvre patriarche Arafat a insisté sur sa
volonté de proclamer l'Etat palestinien de manière unilatérale, la machine
diplomatique américaine s'est mise en campagne offensive afin de lui faire peur,
de le sidérer de trouille, et d'aider Barak à limiter la casse causée par
l'échec du sommet de Camp David. Clinton a mis Arafat, personnellement, en garde
contre les conséquences funestes de la proclamation de l'Etat palestinien,
menaçant d'imposer les sanctions les plus draconiennes aux Palestiniens s'ils
osaient franchir ce pas fatal.
Clinton alla même plus loin, déclarant qu'il
songeait sérieusement à transférer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à
Jérusalem avant la fin de l'année, c'est-à-dire, avant les élections
présidentielles américaines, qui doivent se dérouler courant novembre.
La
campagne américaine dirigée contre Arafat et les responsables arabes s'est
intensifiée après que la nonchalance qu'ils mettaient à créer le climat et à
apporter les aides morales et politiques de nature à encourager Arafat à
franchir le pas ait été constatée : Arafat ne faisait toujours pas à Barak les
concessions de nature à le sortir de l'impasse politique qui donnait tous les
signes qu'elle aurait raison de lui, tôt ou tard.
Les Américains ont oublié
(ou ont fait semblant d'oublier) qu'il y a des lignes rouges qu'aucun
responsable palestinien ne saurait franchir, tout particulièrement lorsqu'il est
question de sujets tels que Jérusalem ou les réfugiés. Les Américains ont oublié
(ou fait semblant d'oublier) qu'étouffer Arafat et l'humilier aurait des
résultats inverses à ceux escomptés sur la scène politique et l'agora
palestiniennes. Ils ont oublié (ou fait mine d'oublier) que les énormes
concessions faites par Arafat tout au long des sept années écoulées l'ont
affaibli personnellement et ont créé une atmosphère à couper au couteau parmi
les élites palestiniennes et ont exacerbé la frustration et l'exaspération dans
la société palestinienne. Les Américains ont oublié (ou ont voulu oublier) que
le peuple palestinien n'a jamais perçu les avantages de la paix ni a fortiori
recueilli ses fruits, bien au contraire, tout ce qu'il a gagné, c'est que ses
conditions de vie ont empiré et régressé après la signature de l'accord secret
d'Oslo.
Résumons. Les politiques américaine et israélienne ont affaibli
Arafat indirectement, boostant les forces populaires qui exigent le changement,
non seulement dans la nature et l'essence du processus de paix, mais également
dans la pratique politique à l'intérieur des territoires placés sous
administration de l'Autorité autonome palestinienne.
Arafat n'est pas
responsable de l'explosion de la nouvelle intifada, on ne peut pas même
l'accuser d'en attiser les braises. Les événements en cours montrent qu'il
existe un facteur plus important que les considérations personnelles tellement
en vogue à Washington et à Tel-Aviv : la renaissance du rôle de la culture de
résistance dans la société palestinienne. Il faudra bien en
reparler.
26.
Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
du mercredi 25 octobre 2000
Le
coup d'état militaire de Barak par
Marwan Bishara [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Les contacts se
poursuivent, entre le général Yhud Barak et le général Ariel Sharon, en vue de
la constitution d'un "gouvernement d'union nationale", et en préparation de
l'annexion des groupements de colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza,
et de l'imposition d'un blocus militaire aux Palestiniens. Barak espère pouvoir
imposer par la force aux Palestiniens ce qu'il n'a pas pu leur imposer par la
diplomatie, et changer les règles de coopération avec l'Autorité palestinienne,
ce qui lui permettrait de refixer les termes des accords politiques et
sécuritaires avec cette dernière, en conformité avec les seules exigences de la
sécurité d'Israël.
Le premier ministre, qui n'a pas manqué au cours des mois
écoulés de tresser des couronnes de laurier à Sharon, se sent à l'aise en
compagnie de son collègue militaire, beaucoup plus qu'avec des ministres et des
responsables du parti travailliste tels que Shimon Pérès ou Yossi Beïlin. Il
n'est nullement étonnant que Barak s'efforce de se rapprocher du criminel de
guerre Sharon, en vue de la constitution d'un pouvoir dominé par l'armée et régi
par une logique de guerre. En effet, Barak - le général Barak - a apporté la
démonstration qu'il n'était en rien un homme d'Etat, mais un militaire, lui qui
a servi durant trois décennies et demie dans l'armée, et qui n'a rien connu
d'autre jusqu'au moment où il a rejoint le gouvernement d'Itzhaq Rabin. C'était
en 1995, et Barak faisait partie des faucons du gouvernement. Et tandis qu'il
fait rentrer la région dans la guerre après avoir lancé sa répression contre les
Palestiniens, il prépare la domination directe de l'armée sur le gouvernement
israélien. Israël est confronté à un coup d'état militaire à tous les sens du
terme, et ceci représente un grave danger pour la région toute
entière.
Barak, dès sa victoire aux élections, il y a un an et demi de cela,
a immédiatement procédé à la militarisation du gouvernement, en vue de la
réalisation de sa stratégie, en nommant un grand nombre de militaires aux postes
sensibles, en particulier, dans son cabinet, qui devint le "conseil de la
sécurité nationale" de l'Etat, plus proche d'un succédané de "Maison blanche"
que du cabinet d'un premier ministre. Dès lors, Barak a pu épuiser le parti
travailliste, défier sa direction, qui avait misé sur son palmarès militaire
pour l'emporter sur Netanyahu, ce qui a pavé la voie à sa monopolisation
personnelle du pouvoir et à sa capacité à imposer sa politique militaire tant au
gouvernement qu'au processus de paix. Le premier ministre Barak a occupé le
poste de ministre de la défense, et il s'est emparé du dossier des affaires
étrangères, ne laissant en place les ministres David Levy et Ben Ami,
successivement, que pour le décorum.
Barak a réussi à détruire le "processus
de paix" en deux semaines, en donnant l'ordre de tuer les civils, ses forces
armées ont attaqué des objectifs civils au moyen d'hélicoptères et de chars
d'assaut, ce qui a entraîné des massacres, et la mort de cent trente personne,
avec des milliers de blessés, ce qui représente plus que le nombre des personnes
tombées durant quatre mois de la première Intifada. Si l'on compare cette
réponse de Barak à celle de Netanyahu aux "affrontements du Tunnel" (de
Jérusalem), il apparaît clairement que Barak est beaucoup plus extrémiste et
violent que ses collègues de droite. Barak, on le sait, a refusé d'appliquer en
totalité ce que Netanyahu avait signé à Wye River, tout en accélérant la
colonisation et en rendant encore plus étanche le blocus imposé à Jérusalem,
continuant la politique d'épuration ethnique dans la ville. A Camp David, il a
imposé à la direction palestinienne deux alternatives, mais sans possibilité de
choix réelle, lorsqu'il a exigé soit qu'elle accepte ses "lignes rouges" (à lui,
Barak), soit que le peuple palestinien reste sous occupation. La réponse du
peuple palestinien ne s'étant pas fait attendre, claire, dans le sens de la
résistance et du sacrifice pour la défense de sa patrie et de sa dignité, cela
n'a nullement dissuadé Barak de poursuivre sa campagne militaire.
Par
le passé, Barak a pu manifester son opposition aux accords d'Oslo, pour des
raisons de sécurité, en 1995, il a refusé de voter en faveur de leur
ratification, alors qu'il était ministre de l'intérieur. De même, il a condamné
les "concessions" faites par Netanyahu au sommet de Wye River, ironisant sur les
concessions de la droite dans le Sinaï et à Hébron, et se vantant de n'avoir
jamais cédé un seul pouce de la "Terre d'Israël". Barak a toujours considéré les
questions politiques de son point de vue de militaire : pour lui, tout et le
reste étaient des questions de sécurité nécessitant d'être traité militairement.
Ainsi, il voyait dans Yasser Arafat et la direction palestinienne des menaces
pour la sécurité d'Israël et non des partenaires dans le processus de paix, il
considérait le retrait du Liban comme une tactique militaire destinée à extraire
l'armée du bourbier, et non pas à sortir Israël de l'épreuve, tant il était
convaincu qu'il n'y a pas de solution pacifique avec la Syrie et le Liban, même
si l'enjeu se limite à quelques arpents occupés dans le Golan. Il semble bien,
donc, que Barak était déterminé depuis le début à casser les accords d'Oslo, à
casser l'influence palestinienne de manière à pouvoir remodeler les relations
israélo-palestiniennes sur une base entièrement nouvelle, destinée à éviter à
tout prix de leur accorder l'autonomie politique ou sécuritaire, et de leur
reconnaître une souveraineté.
Barak exerçant son hégémonie sur le
gouvernement, c'est du même coup l'armée qui y règne en maître avec lui. Il a
oeuvré à réduire en pièces les relations avec la minorité palestinienne en
Israël, tentant là aussi de les remodeler sur les bases de la peur et de
l'aliénation, et sur des considérations sécuritaires et tout bonnement
totalitaires. Il n'a cessé de "dialoguer" avec les citoyens arabes, au cours de
ces derniers mois, par l'intermédiaire des forces de l'ordre, causant la mort de
13 martyrs parmi les citoyens israéliens, et des milliers de blessés, au cours
des derniers affrontements. Cette situation a amené les responsables de la
minorité arabe à demander une protection internationale pour faire face à la
politique fasciste perpétrée par le gouvernement, politique qui a donné le feu
vert à des ratonades anti-arabes sur l'ensemble du territoire
israélien.
Ajoutons à cela que Barak a réussi, également, à faire avorter les
mouvements "pacifistes" israéliens et à contenir ce qu'on appelle la gauche
israélienne libérale, surtout après que le parti Meretz eût annoncé qu'il était
prêt à faire partie d'un gouvernement "d'union nationale" auquel Sharon
participerait, la majorité de la direction de ce partie attaquant les Arabes et
les Palestiniens, bien loin de critiquer et, a fortiori, de condamner la
politique fasciste du gouvernement.
Toutefois, la domination exercée par
l'armée sur la décision politique israélienne, et la capacité de Barak à
entraîner derrière lui la rue israélienne dans ses provocations racistes ont
entraîné le passage à une logique de guerre qui va jusqu'à la menace de
réoccuper les territoires palestiniens. Les évolutions politique à l'intérieur
de la société israélienne s'orientent rapidement vers le fascisme malgré
quelques critiques formulées par certains ministres travaillistes à l'encontre
de Barak, l'accusant de geler le processus de paix de manière unilatérale. Barak
visant à des opérations d'annexion et de séparation par la force, l'hégémonie de
l'armée sur le pouvoir est maintenant appelée à durer. Elle entraînera la remise
en ordre des priorités nationales en Israël, en fonction des stratégies des
généraux, à l'ombre du putsch barakien.