SAMEDI 4
NOVEMBRE 2000 A
15H
Rassemblement de soutien au
Peuple palestinien
sur le Quai du
Vieux-Port à Marseille
à l'appel du
Collectif pour les Droits du Peuple palestinien
Point d'information Palestine >
N°111 du 02/11/2000
Réalisé par
l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 -
E-mail : amfpmarseille@wanadoo.frAssociation loi 1901 - Membre de la Plateforme
des ONG françaises pour la PalestinePierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel
Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Si vous ne souhaitez plus recevoir
(temporairement ou définitivement) nos
Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires,
merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante :
amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point d'information est envoyé directement à
1361 destinataires.
Depuis un mois maintenant les
autorités israéliennes répondent par une terrible répression aux revendications
palestiniennes d’avoir un Etat indépendant. Contrairement à ce qui s’était passé
en décembre 1987, lorsqu’éclata la première Intifada, les télévisions et
journalistes du monde entier sont sur le terrain. La mort du petit Mohamed El
Dureh a horrifié les téléspectateurs du monde entier. Sans doute pour la
première fois, les téléspectateurs ont pu voir en direct les pratiques de
l’armée israélienne, et l’un des derniers mythes, celui de l’armée "propre"
s’est passablement écroulé. Très rapidement, la volonté de reprise en main de la
presse s’est faite sentir, mais la présence de journalistes de la presse
internationale sur le terrain compliquait une tâche déjà ardue. Une "reprise en
main" qui s’organise sous plusieurs angles :
- D’abord sur le terrain,
éloigner les journalistes et alimenter les bureaux de presse étrangères
d’informations clés en main (images tournées par l’armée israélienne, visites
guidées sous la protection de Tsahal....).
- Puis à l’étranger, par des
attaques virulentes contre les rédactions de presse, attaques qui conjuguent
accusations de désinformation et d’antisémitisme.
C’est dans ce contexte que
depuis une dizaine de jours, des journalistes étrangers sont les cibles de tirs
de l’armée israélienne, tirs que les journalistes palestiniens connaissent bien
depuis le début des années 90. Jacques-Marie Bourget de l'hebdomadaire Paris
Match a été touché d’une balle réelle au poumon alors qu’il se trouvait à
distance respectable des affrontements, mais à proximité d’une base militaire
israélienne. Ces derniers jours, c’est Ben Wedeman de CNN qui est à son tour
blessé à la poitrine par une balle réelle alors que lui aussi se trouve loin des
affrontements.
Simultanément Paris Match est victime d’une campagne visant à
mettre en doute l’honnêteté et le professionnalisme des reportages ramenés de
Palestine par ses journalistes, dont J-M Bourget qui se remet lentement de sa
blessure dans un hôpital parisien. Sur le terrain, les journalistes
palestiniens, israéliens et étrangers font un remarquable travail dans des
conditions extrêmement difficiles. Ils résistent courageusement aux menaces qui
leur sont faites, mais le maillon faible se trouve dans les rédactions à
l'étranger, plus sensibles aux pressions, surtout si elles vont toutes dans le
même sens. C’est pourquoi, il est indispensable de vous manifester auprès de la
Rédaction de Paris Match, pour témoigner votre solidarité avec Jacques-Marie
Bourget et les reportages publiés par l’hebdommadaire :
Monsieur
Alain Genestar, Directeur adjoint de la rédaction
Paris
Match
- 151, rue Anatole France - 92300 Levallos-Perret
Télécopie : 01 41 34 71 23
- E-mail : agenestar@hfp.fr
Au
sommaire
Témoignages en direct de
Palestine
- Claude Abou-Samra citoyenne de
Ramallah
- Olivier Boudart citoyen d'Al
Bireh
- Hanan Boudart citoyenne d'Al
Bireh
- Chantal Abu Eisheh citoyenne
d'Hébron
Réseau
Palestine
-
Réseau
Palestinien des ONG conditionne la coopération avec les Organisations
israéliennes [traduit de l'anglais par Annie
Fiore]
-
PALESTA organise
une rencontre à l'UNESCO (Paris) le mercredi 15 novembre
2000
-
Deux
déclarations de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine du 18
octobre 2000
-
Statistiques portant sur les morts et blessés palestiniens
[traduit de l'anglais par Annie
Fiore]
-
Les chrétiens
palestiniens ne veulent pas quitter leur
terre
Revue de
presse
- "Cela prendra du
temps mais nous voulons vivre comme les autres peuples" interview de Yasser
arafat par Françoise Demulder in Paris Match du
jeudi 2 novembre 2000
- Le miroir ne ment pas par
Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 1er novembre
2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Le feu israélien cible le Fatah
par Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi 1er novembre
2000
- L'expert israélien Martin Van
Creveld voit un rempart à l'escalade : «Un mur de Berlin, la seule solution»
propos recueillis par Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi
1er novembre 2000
- Lundi 9 octobre, bouleversé par les
images de l'Intifada, Ahmad Chaarawi, jeune écolier cairote, a pris le chemin
de Rafah, espérant rejoindre les Palestiniens de l'autre côté de la frontière
par Dina Heshmat in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 1er novembre 2000
- Le pourquoi de l'échec américain dans le processus de paix
par Hassan Abou-Taleb in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 1er novembre 2000
- Présidentielle américaine - Bush et Al Gore rivalisent dans
leur soutien à Israël : Israël grand gagnant des élections par Hoda
Taoufiq in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er novembre
2000
- Les Arabes américains penchent pour
Bush par Hoda Taoufiq in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
- Omar, clandestin terré comme un rat
par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du mardi 31 octobre
2000
- L'horizon bouché par
l'incompréhension mutuelle par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien
belge) du mardi 31 octobre 2000
- La grande inquiétude des députés
israéliens arabes propos recueillis par Yaël Avran in L'Humanité du
mardi 31 octobre 2000
- Abraham Burg, président travailliste
de la Knesset "La paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y
a qu'un seul vainqueur" propos recueillis par Catherine Dupeyron et
Georges Marion in Le Monde du mardi 31 octobre
2000
- Doubles messages
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 30 octobre 2000
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Arafat : Mubarak a réussi à obtenir
l'unité des Arabes dans leur soutien au peuple palestinien in
Al-Ahram (quotidien egyptien) du samedi 28 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
- Marwan Barghouti : "L'intifada est à
ses débuts" propos recueillis par Walid Charara in Le Magazine
(hebdomadaire libanais) du 27 octobre 2000
- Le Fatah de la clandestinité à la
consécration internationale in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du
27 octobre 2000
- La force peut momentanément écraser,
elle ne saurait vaincre ! par Benazir Bhutto, ancien Premier Ministre
du Pakistan, Secrétaire générale du Parti du Peuple pakistanais in Al-Hayat
(quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
- Damas : un gouvernement d'urgence
signifierait la guerre dans la région in Al-Hayat (quotidien arabe
publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
- Damas : un gouvernement d'urgence
signifierait la guerre dans la région par Salamé Nimat in Al-Hayat
(quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
- Les tueries israéliennes entre la
colère des peuples et les positionnements des autorités gouvernementales dans
les pays arabes par Raghid al-Sulh in Al-Hayat (quotidien arabe
publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000 [traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
- Avant la démocratie, l'état
autoritaire non-totalitaire par Muwaffaq Naïrabiyyéh in Al-Hayat
(quotidien arabe publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Témoignages en
direct de Palestine
1. Claude Abou-Samra citoyenne de
Ramallah
Ramallah, le mercredi 1er novembre 2000.
Enfin on tourne
la page de ce mois d'octobre. Trop long, plus long qu'un autre mois, et on me
dit que ce mois qui commence sera long aussi. Va-t-on continuer à additionner
les victimes ? Ceux qui tombent les premiers, ils ont un nom, mais on ne les
connait pas forcément. On apprend à les connaître par leur photo en poster sur
tous les murs, sur les voitures, sur la place d'al-manarah qui est devenue un
monument aux morts. Cinq lions représentant les grandes familles de Ramallah qui
existaient avant sur cette place et ont été refaits cet été se voient décorés de
couronnes mortuaires pour les martyrs de la région de Naplouse vers le nord, de
Bethléhem et Gaza vers le sud ... Cet hommage aux martyrs reprend sa place dans
notre vie quotidienne. Jour de deuil, on ferme les magasins toute la journée.
Mais les jours de deuil succédant aux jours de deuil, on annonce qu'on
travaillera les matins et qu'on fermera l'après midi. Il faut protéger
l'économie. Et puis comme il y a des funérailles tous les jours, maintenant on
ferme pendant deux heures, le temps de porter en terre, en héros , celui qui a
sacrifié sa vie. Jusqu'au jour où; comme vendredi dernier, je rentre dans notre
quartier et apprends que celui qui vient de tomber, c'est Ghassan, notre plus
proche voisin, qui me disait bonjour chaque matin en ouvrant le magasin de son
père quand je quittais la maison. Je l'ai connu gamin, je suis étonnée quand on
me dit qu'il avait 27 ans. 15 ans qu'on habite ce quartier. Maintenant
c'est sa photo qui est sur la porte du magasin, sur tous les magasins du
quartier, et en montant en ville, je regarde avec plus d'attention les posters
qui se succèdent, déchiffre leur nom, leur donne un âge, une famille, une mère
qui pleure parce qu'il ne rentrera pas ce soir. Les
rideaux de fer sont en
train de se fermer devant moi. Je regarde l'heure : 11 heures. Y a-t-il de
nouvelles directives ? Non, ce sont les funérailles d'un jeune du camp de
réfugiés de Jalazon .... bientôt sa photo s'ajoutera à celles des autres. Je
suis montée en ville parce que j'ai rendez-vous chez le coiffeur. La vie
continue. Les rideaux sont baissés mais on entre par la petite porte. Comme
pendant l'intifada. Un temps qu'on croyait révolu. A l'intérieur, avec les
rideaux baissés, la radio locale diffuse l'éloge funèbre, ce que Na'ël
supporte mal. Il demande de baisser. "Pourquoi, lui dit son collègue, c'est
bien, ce qu'il dit". "Oui, je suis d'accord, mais pas dans un salon de
coiffure". Une femme intervient. Elle ne veut pas entendre cela, parce qu'elle a
un fils de 13 ans pour lequel elle tremble constamment, ne sachant que faire
pour qu'il n'aille pas aux manifestations. On met la radio en sourdine mais
aucune musique ne viendra détendre l'ambiance. En sortant je vois l'annonce
d'une réunion, à l'initiative d'intellectuels, pour organiser la vie quotidienne
dans la résistance. La première est avec le docteur Mustapha Bargouthi,
président du Medical Relief, aujourd'hui à 13H. Demain à 17h le théâtre
Al-Qasaba invite à un spectacle gratuit où tous les artistes qui le souhaitent
improvisent des mimes, des monologues, des poésies, pour faire revivre avec une
autre dimension ce que nous vivons au quotidien. Youssef y était jeudi dernier
et a trouvé cela formidable. A d'autres moments le théâtre propose des
spectacles pour les enfants, à prix réduits, pour qu'ils viennent se détendre,
oublier les bruits des armes, des sirènes, des avions, des menaces quotidiennes.
Comment protéger les enfants, cela revient sans arrêt. Les magasins étant
fermés, il n'y a rien à faire en ville, je redescends chez moi par la rue de la
Poste, profitant au passage des jardins où se mêlent les dernières fleurs de
l'été et les premières fleurs odorantes des askédényas qui seront les premiers
fruits du printemps. Cela pourrait être une belle journée d'automne comme je les
aime à Ramallah, après qu'une première pluie ait lavé la poussière de l'été. Je
pense à la question qu'on me posait hier : "ne penses-tu pas rentrer en France
?". Non, pas maintenant ! Impossible de partir quand la Palestine vit et souffre
à ce rythme et me permet de partager ses espoirs, ses craintes, ses doutes, ses
émotions, même si parfois elles sont trop fortes et trop lourdes à porter. Et
quand rentrée à la maison je lis un illustre Bernard-Henri Levy - entre autres -
"se demander aussi d'où venaient ces enfants, qui les avait mis en
première
ligne, dans le cadre de quelle lugubre stratégie du martyr" (dans le Point du 13
octobre "halte à la diabolisation d'Israël") je le ressens comme une immense
injustice, un grand mépris et une totale ignorance. Et je me décide à écrire.
Comme Shulamit Aloni le dit pour Barak : "il n'a rien compris aux sentiments des
Palestiniens". Cela m'amène à penser que c'est peut-être parce que ces
messieurs pensent que les Palestiniens n'ont pas de sentiments qu'on en est
arrivé là où nous sommes et qu'ils ne comprennent pas ce qui
arrive.
2. Olivier Boudart citoyen d'Al
Bireh
Al Bireh, le lundi 30 octobre
2000.
22h45 : J'ai bien l'impression d'être au milieu d'un film…Ce matin, à
la radio israélienne en arabe, ils nous ont bien annoncé que Tsahal allaient
mener des opérations plus ciblées. D'ailleurs, cela m'a été confirmé cet
après-midi par une dépêche de l'AFP, attrapée sur Internet. Ils nous avaient
prévenus et ils n'ont pas attendu. Nous étions en train de regarder la fin d'un
film, Braveheart, sur Watan, une des chaînes par satellite de Ramallah, lorsque
une amie de travail de ma femme a téléphoné. Braveheart raconte l'histoire d'un
homme qui au 17ème sicle s'est battu jusqu'à la mort pour libérer son pays,
l'Ecosse, de l'occupation anglaise (!) Les films font désormais parti du
combat.
22h30 : L'amie de Hanan nous informe que la télé israélienne vient
d'annoncer que des opérations allaient être menées ce soir sur Ramallah. On
appelle vite notre famille pour les prévenir. Même si cela ne sert pas à grand
chose. Puis on contacte la police palestinienne pour savoir ce qu'ils en savent.
Ceux-ci nous confirment qu'ils ont bien reçu des informations comme quoi le
Fatah allait être attaqué. Je commence un peu à paniquer, enfile ma veste et
prépare 2-3 trucs importants à prendre, au cas où. Prêt à partir vers le centre
de Ramallah, chez ma belle-mère. Puis on reprend on peu nos esprits. On se calme
et se rassure mutuellement avec Hanan.
5 minutes après : Un avion espion de
reconnaissance, ces fameux engins sans pilote, commence à survoler Ramallah.
Depuis la première attaque de ce jeudi 13 octobre, on a appris à les
reconnaître. C'est sûr, ils vont bombarder ce soir. On rallume la télévision,
sur Watan, seule chaîne vraiment " sur " l'info.
5 minutes après : Le premier
bandeau s'affiche en bas de l'écran. Ils ont bombardés les forces de sécurité à
Gaza. 5 minutes après, c'est au tour de Rafah. Cà y est, on a compris. Tout les
territoires vont y passer. C'est au tour de Jericho maintenant. Les services de
sécurité.
On sort 5 minutes dehors, pour voir : Deux grands éclairs
surgissent alors au fond de la nuit vers la colonie de Psagot. Mais bizarrement
aucun bruit. On rentre. Watan nous informe. En effet, c'est bien Al Bireh.
Encore une fois les services de sécurité et le bureau du Fatah ont été
attaqués.
Il est maintenant 22h53 : C'est maintenant Naplouse qui vient
d'être attaqué : le bureau du Fatah, les services de sécurité préventive, ainsi
que deux routes principales qui mènent à Naplouse.
Mais que cherchent-ils à
faire ? Depuis bientôt 5 ans que j'habite ici, je m'était rendu à l'évidence :
les israéliens n'ont pas de visionnaire, quelqu'un qui comprenne qu'il n'y pas
d'autre solution que de coexister en paix, chacun chez soi. Beaucoup l'avaient
répété : Barak est le plus haut gradé de l'armée israélienne. Il le prouve
aujourd'hui. Et il pense vraiment que c'est ce qui va arrêter les palestiniens.
C'est sûrement l'effet contraire qui va se produire. Les gens sont exaspéré et à
bout. Ils ont donné. Avec Oslo, ils ont compris de quelle paix parlent les
Israéliens, de droite comme de gauche. Coïncidence du calendrier (!), on
bombarde le jour même de la rentrée à la Knesset. Alors que la coalition avec
Sharon bat de l'aile.
L'avion espion survole toujours Al Bireh. Nous habitons
juste en face de la base militaire et de la colonie de Bet El. Au dessus de
l'hôtel City Inn, devenu célèbre malgré lui, car lieu des confrontations
quotidiennes sur Al Bireh.
23h16 : L'avion espion ne se fait plus entendre
mais les hélicoptères oui. Nos cœurs battent au rythme de leur son. On
s'étaient, malheureusement, habitués aux confrontations armées et au bruit
furtif des mitraillettes. Le son rugissant des hélicoptères, non. On entend de
nouveau l'avion espion. Ces sons me rappellent étrangement ces documentaires si
nombreux montrant les bombardements de la guerre 40. Je dois donner l'impression
de prendre çà à la légère mais c'est loin d'être le cas. Le stress agit. On a vu
au Liban de quoi est capable l'armée israélienne.
23h33 : Nouvelle info sur
notre écran. Gaza. Ni victimes ni blessés. A Khan Yunis, une manifestation est
en train de converger vers le checkpoint Al Tuffah. Ici, l'avion espion et les
hélicoptères tournent toujours au-dessus de nos têtes. Il faut faire dure,
histoire de nous rendre parano. On se colle à la fenêtre pour essayer de voir
quelque chose. La nuit est bien trop épaisse. Dehors, comme depuis un mois,
c'est un silence lourd et pesant qui règne. Pas une voiture. Si ce n'est les
jeeps militaires israéliennes qui rentrent et sortent de la base. Comme pendant
un couvre-feu me dit Hanan.
23h43 : Tulkarem. Une nouvelle manifestation
s'est formée pour condamner les bombardements. Je me demande à quelle heure on
va se coucher. Mon assistant habite Beit Jala. La semaine dernière, lorsqu'ils
ont commencé à prendre pour cible des habitations du village, les gens
attendaient dehors jusqu'à des 4 heures du matin. De toute manière, on a pas la
tête à dormir. Quelle sera la réaction demain ?
00h07 : Nablus. Confrontation
armée. Il fallait s'y attendre.
00h19 : Message aux habitants des deux villes
jumelles, Ramallah et Al Bireh. Appel à manifestation dans le centre ville.
L'avion espion et les hélicos se sont tus. Hanan décide d'aller se
coucher.
00h45 : Les bombardements sont terminés, pour aujourd'hui. Une
journée de l'Intifada Al Aqsa de plus qui s'achève.
Si j'étais vraiment dans
un film, j'applaudirai, car l'intrigue est franchement bien ficelée. A dire
vrai, je souhaiterais de tout mon cœur être dans un film, car dans les films,
c'est toujours la justice qui triomphe…
3. Hanan Boudart
citoyenne d'Al Bireh
Al Bireh, le vendredi 27 octobre 2000.
La
scène de la mort du petit Mohammad AL DURRA devenue si tristement célèbre de
part le monde, aurait pu se reproduire en cette fin de vendredi après-midi (27
octobre), lorsque mon frère, Mahmoud ARURI chercha à quitter sa maison avec sa
son fils de 4 ans dans les bras.
Mon frère habite dans un immeuble situé sur
une petite colline à quelques mètres de l'hôtel City Inn, lieu des affrontements
quotidiens entre les jeunes palestiniens et les forces militaires d'occupation.
Cet immeuble est situé juste en face de la base militaire israélienne de Beit
El. Depuis des semaines déjà, des tanks et des tireurs d'élite israéliens se
sont postés en face, sur ce promontoire d'où il est si facile de cibler sa
victime. J'entends déjà certains dirent, mais pourquoi restent-ils là ? Mais
parce qu'ils non simplement pas d'autre endroit où aller avec leurs deux
enfants.
En cette fin de vendredi, mon frère décida de quitter son domicile,
sa femme, enceinte de 8 mois et demi, souffrant de maux d'estomac suite à
l'emploi massif de gaz lacrymogènes par les militaires israéliens. Il y avait
quelques échanges de tirs légers depuis quelques minutes et Mahmoud attendit un
moment prolongé de calme pour sortir. Il pris alors son fils Abdallah dans les
bras pour monter dans son véhicule, suivi par sa femme Noura portant quant à
elle sa fille de 2 ans, Yasmina. Lorsque mon frère monta dans son véhicule, des
rafales de tirs provenant de la colline d'en face éclatèrent. Il se réfugia
alors derrière la voiture alors que se femme s'engouffrait rapidement dans la
maison. Mahmoud resta quelques instants accroupi avec son fils derrière son
véhicule lorsqu'il se rendit compte que les tirs, très clairement, les
visaient eux. Il pris alors de risque de retourner dans sa maison et sauta en
contrebas pour rejoindre la porte d'entrée. Bien sûr, dans la panique, son fils
dans les bras, il tomba lourdement à terre, heureusement, derrière le mur qui
entoure sa maison. Profitant de quelques secondes de répit, il rampa jusqu'à à
la porte et finalement rejoigna sa femme et sa fille. Sain et sauf, avec un bras
cassé et des contusions un peu partout sur le corps.
Bloqués, ils durent
rester dans leur maison jusqu'au petit matin. Tous dans un état de choc que l'on
peut facilement comprendre. Sa femme a du être transférée à l'hôpital pour être
suivie de près. Quant aux enfants, ils souffrent de peur et d'anxiété profondes,
qui ne font que s'amplifier dès que les tirs reprennent.
Je tiens ici à
préciser qu'aucuns tirs ne provenaient de leur immeuble. La " sécurité des
militaires israéliens " n'était en aucun cas menacée et ceux-ci ne répondaient
en aucun cas à une " attaque identifiée " (entre guillemets pour reprendre les
arguments israéliens).
L'occupation israélienne, continue et amplifiée,
constitue le véritable et unique obstacle à toute paix juste. Sous toutes ses
formes, présence militaire, confiscation des terres, destruction de maisons, …,
l'occupation nous rend encore plus attachés à cette terre. On en parle peu dans
les médias, mais les raids incessants des colons israéliens dans les villages
palestiniens reculés ont également tué. Ces véritables cow-boys surarmés sèment
la terreur parmi la population rurale. Surtout en cette période de cueillette
des olives où les paysans palestiniens se doivent de se rendre dans leur champ.
Ce sont eux les vrais terroristes.
Notre peuple essaie tant bien que mal de
maintenir son existence sur les restes de la véritable Palestine. Nous tentons
de résister cette occupation vicieuse et raciste. Malheureusement, aujourd'hui,
je suis déçue de l'attitude et du silence de la communauté internationale, qui
ne fait que constater et appeler au calme et cessez-le-feu. Comme si nous avions
une armée ! Déçue par les médias américains mais aussi européens qui jouent sur
les mots, à la recherche d'un équilibre injuste et injustifié, et trompent de ce
fait leurs populations. Nous sommes aujourd'hui dépeints comme les responsables
de l'agressivité israélienne alors que nous demandons simplement l'application
de résolutions internationales. Nous avons cru en 1993 à une paix diplomatique.
Mais 7 ans après le résultat est pour le moins clair.
Ce qui fait peur à
Israël et ses alliés, c'est la détermination d'un peuple sans armes face à la
quatrième armée du monde. Ce qui leurs fait peur, c'est la détermination des ces
enfants de réfugiés pour revenir chez eux. Nous sommes bien conscients que nous
devons ne compter que sur nous-mêmes pour faire face cette injustice contrôlée
par les américains. Mais nous nous répétons chaque jour que le peuple vietnamien
n'était en rien meilleur que nous pour confronter les américains.
J'espère
seulement qu'un jour américains et européens reconnaîtront leur erreur dans ce
conflit. Je n'ai jamais été si fière d'être palestinienne qu'aujourd'hui.
Appartenant à une nation qui doit payer cher pour sa dignité et ses droits.
Faisant face à des hélicoptères et des tanks avec des pierres et des poitrines
nues. Ces jeunes sont de véritables héros.
4. Chantal Abu Eisheh
citoyenne d'Hébron
Hébron, le samedi 28 octobre 2000.
Le cable
d'hebronet n'est pas réparé car Bezeq (la compagnie de télécomunication
israelienne) ne veut pas intervenir à Halhoul et sans eux, rien n'est
possible... Vous pouvez protester auprès de www.bezeq.co.il en attendant je me
bats au cafe internet avec un menu en arabe et un clavier hebreu, anglais,
arabe... A part cela les tirs continuent la nuit et on est toujours coincés,
aujourd'hui la route des tunnels via Gilo est fermée et Bethléem aussi, on
commence a suffoquer... à plus.
Réseau
Palestine
1. Réseau Palestinien des
ONG conditionne la coopération avec les Organisations israéliennes [traduit de l'anglais par Annie
Fiore]
Déclaration de l’Assemblée Générale des ONG
Palestiniennes : Alors que les attaques de l’Armée Israélienne contre notre
Peuple se poursuivent, alors que les massacres perpétrés reflètent les pires
facettes du racisme et de l’extrémisme israélien, alors qu’une campagne
médiatique israélienne s’emploient à modifier les faits afin de blâmer le Peuple
Palestinien, le Réseau des ONG Palestinienne s’est réuni pour une Assemblée
Générale le Dimanche 22 Octobre afin de se prononcer sur la situation politique
actuelle. De cette réunion résultent les décisions suivantes.Le PNGO appelle
toutes les ONG Palestiniennes a cesser tout programme conjoint, et toutes
activités avec des organisation siraéliennes, en particulier les projets qui
s’inscrivent dans le cadre du programme " Peuple à Peuple ", l’Institut Péres
pour la Paix, et le "Joint Projects Programme " financé par l’Agence Américaine
pour le Développement International (USAID), ainsi que tout autre projet visant
à la normalisation avec Israël. Le PNGP appelle toutes les ONG ainsi que les
institutions gouvernementales Palestiniennes, à stopper immédiatement tout
projet régional incluant Israël. Nous demandons aussi aux Institutions de
l’autorité Palestinienne de stopper et boycotter ces projets. Le PNGP appelle
toutes les ONG Palestiniennes et Arabes à stopper toute forme de projet commun
avec des organisationss israéliennes jusqu'à ce que cesse l’occupation des
Territoires Palestiniens occupés en 1967, y compris Jérusalem - Est. Le PNGO
appelle toutes les ONG Palestiniennes à interrompre toutes relations et
activités avec les ONG Israéliennes jusqu'à ce que ces dernières annoncent
publiquement leur soutien aux droits du Peuple Palestinien à un Etat indépendant
sur sa terre occupée en 1967 (Cisjordanie et Bande de Gaza) avec Jérusalem comme
capitale, ainsi qu’au droit au retour des réfugiés Palestiniens sur leurs
terres, et dans leur maison. Le PNGO fournira une liste d’Associations
Palestiniennes et Arabes qui violent cette position et publiera celle-ci tant à
traavers la communauté Palestinienne que dans le monde Arabe. Ces décisions ne
s’appliquent pas à la coopération avec des projets de solidarité mis en place
par des organisations de Droits de l’Homme israéliennes, ou les institutions qui
soutiennent le droit du Peuple Palestinien à la liberté et à un Etat, ainsi qu’à
une Paix juste et durable dans le cadre de ces droits
nationaux.
PNGO, Ramallah
- Palestine - www.badil.org
2.
PALESTA organise une rencontre à l'UNESCO (Paris) le mercredi 15 novembre 2000
PALESTA (Palestinian Scientists and
Technologists Abroad), est un réseau basé en Palestine a pour but de connecter
les professionnels de la diaspora palestinienne à la Patrie et d'utiliser leur
expertise au service du développement dans ce pays. Dans la perspective de
conscientisation de la communauté palestinienne en France, une rencontre est
organisée le mercredi 15 novembre 2000, de 15h00 à 19h00, à l'UNESCO (1, rue
Miollis - Paris 15ème - Salle N° 16).
- Ordre du jour :
15h00-15h45 :
Ouverture par Ahmad Abdel Razek (Délégué Palestinien à l'UNESCO) et Omar Masalha
(à confirmer)
15h45- 16h45 : Présentation de PALESTA, par son directeur Sari
Hanafi
16h45-17h00 : Pause
17h00- 18h00 : Discussions
18h00- 19h00 :
Mise en réseau des professionnels et les scientifiques palestiniens de France et
de l'Europe
Renseignements : Sari Hanafi, directeur du PALESTA -
www.palesta.net
Telefax : 972 2 298 39 12 - Mobile: 972 59 47 37 98 -
http://www.muwatin.org/sari/sari.htm
3. Deux déclarations de la
Plateforme des ONG françaises pour la Palestine du 18 octobre 2000
PREMIERE
DECLARATION - Les associations regroupées au
sein de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine demandent à la
France, à l’Union européenne et à la communauté internationale de s’engager
résolument pour une paix juste et durable au Proche-Orient. Nous sommes
profondément choqués par les massacres de populations civiles et appelons à un
arrêt immédiat de la violence et de cette répression aveugle. Les affrontements
meurtriers entre Palestiniens - en majorité des civils- et l’armée israélienne,
qui se déroulent depuis le 28 septembre, mettent en cause la responsabilité du
gouvernement israélien :
Il a autorisé la visite sur l’esplanade des
Mosquées de M Ariel Sharon, connu pour ses faits de guerre sanglants et pour ses
provocations répétées à l’égard du peuple palestinien et ce, à un moment aussi
critique des négociations de paix. Il a pris, le 12 octobre, en réponse au
lynchage de deux soldats israéliens – que nous dénonçons fermement- la
responsabilité de bombarder des infrastructures de l’Autorité palestinienne. A
ce jour, ces violences ont fait déjà plus de 107 morts du côté palestinien et 9
du côté israélien et plus de 3000 blessés. Nous interpellons le gouvernement
français et les média pour que soit reconnue l’inégalité des forces en présence
et pour faire admettre qu’il y a bien un Etat occupant et un peuple opprimé. Ces
révoltes violentes résultent bien de 33 ans d’occupation militaire et de
violations systématiques des libertés fondamentales du peuple palestinien. Nous
saluons les efforts déployés par les responsables politiques français et
européens pour aboutir à un arrêt rapide des affrontements. Nous demandons à la
France et à l’Union européenne :
1. D’exiger l’envoi d’une commission
d’enquête internationale indépendante permanente ;
2. D’imposer à Israël le
libre accès de tous les rapporteurs spéciaux de la Commission des Droits de
l’Homme des Nations unies aux territoires palestiniens ;
3. De demander aux
Hautes Parties contractantes à la 4ème Convention de Genève de convoquer une
conférence des HPC, en vue d'adopter des mesures pour faire appliquer la 4ème
convention dans les Territoires occupés, y compris à Jérusalem Est ;
4. De
faire jouer les clauses de respect des droits de l’Homme, incluses dans l’accord
d’association entre Israël et l’Union européenne ;
5. De reconnaître l’Etat
palestinien dès sa proclamation et d’intervenir concrètement pour que cet Etat
puisse exercer pleinement sa souveraineté et son indépendance. Cela passe par
l’application des résolutions votées par l’ONU (en particulier, les résolutions
242, 338 et 194) et donc le retrait d’Israël de l’ensemble des territoires
occupés en 1967, ce qui inclut Jérusalem Est, et la mise en oeuvre d’une
solution juste au problème des réfugiés.
SECONDE DECLARATION
- Les associations regroupées au sein de la Plateforme des ONG
françaises pour la Palestine condamnent avec fermeté les violences racistes,
dans les mots et dans les actes, qui peuvent se manifester en France, notamment
les provocations non revendiquées qui se prétendent des échos aux violences
israéliennes contre la population palestinienne en Palestine occupée et contre
les Palestiniens d'Israël. Le racisme, d'où qu'il vienne, quel que soit son
destinataire, est injustifiable et nuisible tant pour l'avenir de la société en
France que pour la recherche d'une paix juste au Proche-Orient. On ne saurait
identifier une communauté ou les individus de telle ou telle confession à la
politique d'un Etat quel qu'il soit, et quels que soient les appels à
identification qui ont pu être proférés. Il est donc indispensable de retrouver
le chemin d'un dialogue, non pas fondé sur le droit du plus fort, mais sur les
principes d’égalité et de la réciprocité dans le respect de l’autre.
- Membres : AITEC, Association des
Palestiniens de France, Association France Palestine, AMFP, Association des
villes françaises jumelées avec des camps de réfugiés palestiniens, CCFD,
Cedetim, CEMEA, CICUP, Cimade, CVPR, Enfants Réfugiés du Monde, Forum des
Citoyens de la Méditerranée, GREF, Ligue des Droits de l’Homme, Palestine 33,
Pays de la Loire – Gaza – Jérusalem, Quartiers sans Frontières, Terre des
Hommes, Union Juive Française pour la paix, Vétérinaires sans Frontières
-
Observateurs : Agir ensemble pour les droits de l’Homme, Amnesty International,
Coordination Sud, CRID, Enfants du Monde – Droits de l’Homme, Francas, Handicap
International/Action Nord-Sud, Médecins du Monde, Peuples Solidaires, SIDI
Plateforme des ONG
françaises pour la Palestine
14, passage Dubail - 75010 Paris - Tél :
33 1 40 36 41 46 - Fax : 33 1 44 72 93 73
E-mail : pfpalest@club-internet.fr
- Site :
http://plateforme-palestine.netliberte.org
4. Statistiques portant sur les morts et blessés palestiniens [traduit de l'anglais par Annie
Fiore]
Lundi 30 octobre 2000 - Le
Docteur Mustafa Bargouthi, Président de l'Union des Comités de Secours d'Urgence
Palestiniens (UPMRC) a tenu ce jour une conférence de presse à l'Hôtel
Ambassadeur de Jérusalem-Est. Le but de cette Conférence de Presse est de
dissiper certains mythes et présenter des preuves factuelles qui
contredisent directement les déclarations des Forces de Défense d'Israël quant
au présent conflit. Actuellement, 144 Palestiniens ont été blessés et environ
5.000 sont blessés à la suite des actions israéliennes. L'un des mythes qui a
récemment émergé est que les Palestiniens utilisent leurs enfants comme
boucliers dans les affrontements, et les envoient intentionnellement dans les
rues pour manifester. Pourtant, les statistiues prouvent toute autre chose.
Alors qu'un nombre troublant d'enfant a été tué, la majorité sont des adultes.
Par tranche d'âge, les morts enregistrées se situent ainsi : 13.8% de moins de
15 ans, 20.3% entre 16 et 18 ans, 50% entre 19 et 29 ans, 8.7% entre 30 et 39
ans, 3.6% entre 40 et 49 ans, 3.6% entre 50 et 59 ans.
Beaucoup parmi les
enfants tués ne participaient pas aux affrontements. Ainsi Muyyad Usma Jawarish,
13 ans, a été abattu et tué par un sniper israélien à Bethléhem alors qu'il
rentrait de l'école et ne se trouvait pas dans une zone d'affrontement. De même,
Sara Abdul Azeem, 18 mois, a été tué d'une balle dans la tête par un colon. Elle
rentrait chez elle avec son père et ne se trouavit pas dans une zone
d'affontement. Un enfant de 6 mois a aussi été tué. La réalité est que les
Forces de Défense d'Israël attaquent des civils Palestiniens désarmés avec une
précision mortelle, créant une situation que le Dr Barghouti décrit comme "une
guerre sans guerre". Principales causes des morts : Balles 92%, Gaz lacrymogèbes
1.4%, Torture 1.4%, Interdiction d'accèder au traitement médical à cause du
blocus 2.2%. Les blessures provoquant la mort étaient localisées : Pour 48.1%
dans la tête et le cou, Pour 50.4% dans la poitrine et l'abdomen et pour 1.6%
dans les membre inférieur. Pour les blessures, les statistiques sont elles aussi
parlantes : 26% dans la tête et le cou, 70% dans la partie supérieure du
corpdont 58% dans la partie supérieure du corp (en excluant les membres
supérieurs). Ces chiffres montrent que, contrairement aux déclarations des
Forces de défense d'Israël, l'armée israélienne tire pour tuer des Palestiniens
désarmés... Entre 95 et 98 % des affrontements ont eu lieu entre des
Palestiniens armés de pierres, et des soldats israéliens armés de balles
recouvertes de caoutchouc, de gaz lacrymogènes, de balles réelles, de chars,
d'hélicoptères et de balles de calibre 50. Les Forces de Défense d'Israël
prétendent agir en légitime défense, mais les chiffres montrent que de nombreux
palestiniens ont été touchés à la tête, certains dans la nuque alors qu'ils
tentaient de fuir loin des balles. Les snipers ont aussi été utilisés pour
assassiner des Palestiniens, acte qui n'est pas compatible avec l'argument de
"légitime défense"... Les attaques israéliennes ont blessé une proportion
conséquente de la population palestinienne. Si l'ont applique le même
pourcentage à la population civile des Etats unis, on obtient 7.500 morts et 433
000 blessés.
The Union of
Palestinian Medical Relief Committees - http://www.upmrc.org
5. Les
chrétiens palestiniens ne veulent pas quitter leur
terre
Jérusalem, le lundi 30 octobre 2000 -
On veut faire croire que les chrétiens palestiniens ont peur et qu'ils sont
prêts à quitter le pays. C'est totalement faux. Nous sommes tous ici et nous y
resterons. » C'est en ces termes que le Patriarcat latin a réagi à une nouvelle
largement diffusée à partir d'une rumeur de source israélienne. Sur la foi d'un
article du « Jerusalem Post » qui citait ses sources, l'agence CIP a rapporté,
le 27 octobre, que « des centaines de familles chrétiennes arabes » auraient
quitté Israël depuis le début des violences. Ces familles auraient reçu l'aide
notamment des ambassades de Grande-Bretagne, du Canada et de Chypre, mais aussi
du ministère israélien des Affaires étrangères. Cette information a fortement
surpris le Patriarcat latin de Jérusalem, qui s'est empressé de la démentir : «
Après avoir procédé à des vérifications auprès des différentes parties
concernées, spécialement auprès des ambassades mentionnées et auprès de nos
communautés chrétiennes, nous sommes sûrs que la nouvelle rapportée contenait de
la désinformation. Des diplomates étrangers nous ont raconté que seuls des
résidents étrangers se sont fait enregistrer auprès de leurs consulats ou de
leurs ambassades respectifs. Parmi ces résidents étrangers, certains sont des
Arabes chrétiens et des Arabes musulmans qui ont une nationalité étrangère. Peu
de ces familles ont quitté le pays. En revanche, personne ne nous a rapporté une
quelconque intervention étrangère pour "aider" des familles chrétiennes à fuir
les Autorités palestiniennes. La réaction immédiate de certains diplomates a été
: "Je suis surpris d'entendre dire que. Je ne crois pas que c'est vrai. et nous
ne nous sommes occupés que de nos propres ressortissants. » Chancelier du
Patriarcat latin de Jérusalem, le Père Raed Abusahlia se dit donc « étonné que
le ministère israélien des Affaires étrangères aide nos familles à quitter les
territoires sous Autorité Palestinienne alors que les Israéliens revendiquent un
bouclage strict des territoires où notre peuple subit un siège militaire et
qu'ils refusent même d'assurer aux travailleurs les laissez-passer nécessaire
pour entrer en Israël et à Jérusalem afin de gagner leur pain quotidien ». Quant
aux récentes attaques effectuées contre certaines propriétés chrétiennes à Gaza,
elles sont ont été commises par « quelques individus radicaux », précise le
Patriarcat, qui relève qu'une « solution immédiate » a été apportée à ce
problème par l'Autorité Palestinienne : les auteurs ont été arrêtés et ordre a
été donné immédiatement de déterminer tous les préjudices. Le Père Raed
Abusahlia ajoute : « la Communauté chrétienne arabe dans les Territoires
palestiniens est partie intégrante du peuple palestinien. Elle souffre avec lui,
se réjouit avec lui et partage avec lui les mêmes espoirs et les mêmes
aspirations. Par conséquent, les rumeurs israéliennes récentes sur l'implication
de la ville de Beit Jala dans les récents affrontements n'est pas une
coïncidence :
elles visent à "diviser pour régner" sur
l'unique peuple palestinien. » Le Patriarcat latin de Jérusalem a renouvelé son
appel à tous les dirigeants pour une reprise des négociations de paix « dans
l'espoir qu'on parviendra entre Palestiniens et Israéliens à un accord juste et
global qui garantisse la liberté, la sécurité et la stabilité dans notre région,
de sorte que nos deux peuples puissent "vivre dans la beauté de la paix". »
(cip)
Fr. Raed Awad
Abusahlia
Chancellor of the latin Patriarchate
of Jerusalem, Personal Secretary of H.B. Patriarch Michel
Sabbah
1. Paris Match du jeudi 2 novembre 2000
"Cela prendra
du temps mais nous voulons vivre comme les autres peuples" interview de Yasser
arafat par Françoise Demulder
Paris Match. Que s'est-il passé entre
la réunion de Camp David du mois de juillet, où la paix semblait encore
possible, et ce mois d'octobre à Gaza frappé par une effroyable
tragédie?
Yasser Arafat. A Camp David, Barak nous a fait la surprise de
demander à Jérusalem le contrôle des lieux saints chrétiens et islamiques, ce
que nous, Palestiniens, refusons. Il n'a pas seulement demandé la souveraineté
israélienne sur ces lieux, mais aussi le contrôle du quartier arménien, ce
qu'aucun Arabe, aucun musulman, aucun chrétien ne peut accepter.
P.M. Que
répondez-vous à ceux qui répètent: "Arafat ne veut pas sincèrement la paix"
?
Y.A. Pourquoi alors ai-je accepté de signer un accord avec Rabin,
Netanyahu, Shimon Peres et même avec Barak au Caire, à Charm el-Cheikh, à Taba
et à Paris. Je voudrais juste que vous vous rappeliez que Barak a essayé de se
dérober aux engagements qui ont été conclus à Paris malgré les efforts du
président Chirac pour le convaincre de les respecter. A Charm el-Cheikh, le
président Clinton, le président Moubarak, Kofi Annan, le roi Abdallah de
Jordanie, Javier Solana et moi-même avons ensemble demandé à Barak de retirer
ses chars et ses avions qui nous bombardent. Or, le siège s'accentue sur nos
villes, en Cisjordanie et à Gaza. Pour cette raison, je demande l'intervention
d'une force internationale, et, pour la première fois, que cette force soit
européenne.
P.M. Est-il exact que le président Chirac vous a convaincu, au
cours de cette réunion, de ne pas signer d'accord avec Barak?
Y.A. Ces propos
sont honteux, c'est le moins que je puisse dire.
P.M. Vous accrochez-vous
toujours à la résolution 242 des Nations unies, c'est-à-dire à la restitution de
tous les territoires palestiniens?
Y.A. Le sommet de la Ligue arabe l'a
confirmée. Mais Barak, lui, est-il vraiment attaché à cette résolution? Jusqu'à
présent, il n'a rien exécuté de ce qui a été convenu en présence des différents
chefs d'Etat.
P.M. On a l'impression que vous êtes pris entre deux options:
la poursuite de l'Intifada ou le choix militaire conduisant à une guérilla qui
aurait pour but d'imposer le repli des Israéliens comme l'a fait le Hezbollah au
Sud-Liban?
Y.A. Ça ne dépend pas de moi mais de Barak. Le chef d'état-major
de l'armée israélienne dans la zone centre de Cisjordanie, Yitzhak Eitan,
déclare aujourd'hui que les dispositions sont prises pour occuper les villes
palestiniennes.
P.M. Quelle était votre stratégie en annonçant la création
d'un Etat palestinien?
Y.A. Il s'agit d'une décision du Conseil national
palestinien (C.n.p.) datant de 1988. N'oubliez pas que nous sommes membres à
part entière de la Ligue arabe, que nous appartenons à l'Organisation de la
conférence islamique, au Mouvement des pays non alignés et que nous sommes
observateurs à l'Organisation de l'unité africaine (O.u.a.), dont nous sommes le
seul pays non africain. De plus, nous sommes reconnus par un plus grand nombre
de pays européens que ne l'est Israël.
P.M. Vous avez déclaré, à propos de la
souveraineté sur les lieux saints: "Je ne veux trahir ni mon peuple, ni les
Arabes, les chrétiens ou les musulmans du monde entier." Quelle serait cette
trahison?
Y.A. La souveraineté israélienne qui nous est proposée est
inacceptable. P.M. Quelles sont vos relations avec le Hamas, apparaissant comme
une force qui refuse toute concession à Israël?
Y.A. Il existe une colère
générale du peuple palestinien. En cette période de crise où il est exposé au
feu, chaque citoyen doit s'engager à garantir l'unité des différentes
composantes.
P.M. Quel bilan tirez-vous de l'action de la France dans le
drame du Moyen-Orient? Vous souvenez-vous que Lionel Jospin a été la cible des
pierres de vos étudiants?
Y.A. L'importance de la France ne tient pas
seulement au fait qu'elle préside l'Union européenne. Elle se préoccupe de la
stabilité de la région parce qu'elle y possède des intérêts. Le président Chirac
a répété que celle-ci était conditionnée par la réalisation des droits légitimes
du peuple palestinien. L'incident auquel M. Jospin a été confronté à Birzeit
était dû à un petit groupe d'étudiants en colère. Il ne peut être mesuré à
l'accueil chaleureux qui lui a été réservé par les dirigeants et les gens d'ici.
P.M. Depuis 1948, les réfugiés attendent retour et indemnisations.
Qu'espérez-vous dans ce domaine?
Y.A. La création de l'Etat d'Israël, il y a
plus d'un demi-siècle, a engendré le problème des réfugiés dont il doit assumer
seul la responsabilité. Pas seulement en Palestine mais dans tous les camps
disséminés dans les pays arabes, les Palestiniens souffrent du manque de fonds
internationaux et du soutien de l'U.n.r.w.a. Nous espérons que l'agence va enfin
respecter ses engagements. Nous sommes décidés à résoudre ce problème en prenant
pour base les différentes résolutions des Nations unies qui stipulent le retour
de ces réfugiés sur leur terre. La France soutient l'application de ces
résolutions depuis qu'elles ont été votées. Il faut qu'Israël reconnaisse le
droit à ces réfugiés de rentrer chez eux.
P.M. A propos du lynchage des deux
soldats israéliens et de la destruction du tombeau de Joseph, on a entendu dire:
"Arafat n'a pas le contrôle de son peuple." Y.A. Israël veut nous obliger à
accepter ses conditions politiques qui visent à priver notre peuple de sa
liberté et de son indépendance et à mettre des obstacles dans le processus de
paix. Elle se dérobe à l'accord qu'elle a signé, déstabilise notre confiance et
notre capacité à faire progresser notre pays. Le monde en est témoin. Certaines
erreurs ont été commises parce que les gens sont emportés par la colère et le
désespoir, comme à Ramallah. En tant qu'Autorité, nous faisons tout pour
empêcher ce genre d'accident. Les forces de police ont essayé de protéger les
soldats au risque d'être blessées. Ces situations incontrôlables existent dans
d'autres pays. Personne n'a parlé de ce bus israélien traversant la ville
palestinienne de Kalkilya, en Cisjordanie, et que notre police a protégé. La
seule solution est le retrait de l'armée, l'ouverture des postes frontières, la
levée immédiate du blocus sur nos villes et l'acceptation d'une commission
d'enquête internationale sur les récents événements. Nous voulons vivre comme
les autres peuples dans un Moyen-Orient pacifié et stable. Nous sommes prêts à
participer au progrès et à la prospérité de cette région du monde. Mais cela
prendra du temps.
P.M. Dans le passé, vous étiez très présent dans les
médias, qui furent votre arme. Aujourd'hui, vous avez presque disparu des
écrans. Pourquoi cette stratégie?
Y.A. Notre problème ne peut être résolu par
des interviews à la radio ou à la télévision, ni par des reportages. Il faut
l'affronter par un contact sérieux et permanent entre toutes les parties afin de
mettre un terme à ce massacre dont souffre notre peuple.
2. Ha'Aretz (quotidien
israélien) du mercredi 1er novembre 2000
Le miroir ne ment pas par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Il est tout-à-fait normal, n’est-ce pas, que 40
000 personnes soient soumises à un couvre-feu total depuis plus d’un mois dans
la Vieille Ville d’Hébron afin de protéger la vie et le bien-être de 500 Juifs.
Il est parfaitement normal que pratiquement aucun Israélien ne mentionne cet
état de faits, ou même, n’en sache quelque chose, non ? De même, rien d’anormal
à ce que 34 écoles, accueillant normalement plusieurs milliers d’écoliers
palestiniens, soient fermées depuis plus d’un mois et à ce que ces enfants
restent prisonniers et suffoquent jour et nuit dans leurs domiciles surpeuplés,
tandis que les enfants de leurs voisins - de leurs voisins juifs, j’entends -
sont libres de folâtrer comme d’habitude dans la rue, avec et au milieu des
soldats israéliens en faction. Comme il est naturel qu’une mère palestinienne
doive supplier un soldat israélien pour lui demander l’autorisation de se
faufiler entre les allées du marché à ciel ouvert pour aller acheter un remède
pour soigner la crise d’asthme de son enfant ou du pain pour sa famille.
(Exceptionnellement, le soldat israélien a le courage de désobéir aux ordres,
mais, le plus souvent, confronté à ce genre de situation, il ordonnera à la
femme de rentrer chez elle).
Il est parfaitement compréhensible que les
Forces de Défense israéliennes prennent le contrôle d’un nombre toujours plus
important de terrasses des maisons palestiniennes dans la Vieille Ville d’Hébron
et que les soldats israéliens ainsi positionnés ouvrent le feu sur d’autres
Palestiniens, tandis qu’en bas, dans la rue, les colons juifs ont tout loisir de
rouler les mécaniques impunément, de montrer qui est le chef, aux dépens des
pare-brise et des pneus des voitures des Palestiniens. N’est-il pas dans l’ordre
des choses qu’un lieu de prière musulman tel que la mosquée d’Abraham soit fermé
et déclaré "hors zone" pour des milliers de fidèles musulmans ?
La facilité
avec laquelle un couvre-feu a pu être imposé sur Hébron et la perception que ce
couvre-feu est un non-événement ne sont pas le fruit des quelques semaines
écoulées. (Mentionnons au passage que les habitants du village de Hawara, à
proximité et sur les terres duquel la colonie de Yitzhar a été construite, sont
aussi soumis au couvre-feu ; mais depuis plus de trois semaines).
Après le
massacre organisé par Baruch Goldstein dans la mosquée d’Abraham, connue aussi
comme le Tombeau des Patriarches, ceux qui ont été punis ont été les
Palestiniens, la punition prenant la forme de couvre-feu, blocus,
"désengagement", condamnation de rues entières et surveillance hostile et
perpétuelle par les soldats et les officiers de police israéliens. Une punition
supplémentaire fut infligée aux Palestiniens : la catastrophe
économique.
Toutefois, Hébron n’est qu’un microcosme, une illustration du
tableau général. Le couvre-feu prolongé imposé à Hébron et la manière dont
l’opinion israélienne l’a admis comme étant parfaitement naturel, donnent, en
raccourci, l’histoire de l’occupation israélienne de la Palestine, en général,
et l’essence du mode de pensée israélien qui a grandi à l’ombre d’une
supériorité militaire évidente. Le couvre-feu, à Hébron, et la facilité avec
laquelle il a pu être imposé, ne font qu’illustrer l’histoire de discrimination
et de déracinement subis par les Palestiniens du fait des Israéliens : une
histoire sans fin, qui remonte aussi loin que l’ère d’Oslo et la période du
soi-disant "processus de paix".
Les Juifs vivent aujourd’hui à Hébron soit
en raison de "droits historiques" ou parce qu’ils peuvent apporter la preuve que
telle ou telle propriété a appartenu à un Juif dans un passé pas trop ancien. Il
est tellement naturel que des Juifs puissent vivre où ils l’entendent sur la
Terre d’Israël, des deux côtés de la Ligne Verte... Il est tellement évident
qu’un Juif né à Tel-Aviv puisse déménager pour venir habiter à Hébron ou à
Yitzhar si cela lui chante... Il est tellement normal que des Palestiniens ne
puissent jouir des mêmes droits et ne puissent pas aller vivre à Tel-Aviv ou à
Haïfa, même si leurs familles y possèdent des maisons et des terrains.
Quoi
de plus naturel qu’Israël, jusqu’au jour où je vous parle, soit en train de
développer la communauté juive d’Hébron : Israël n’est-il pas en train de
développer toutes les colonies juives dans les territoires ? Il est bien normal
que, jusqu’à ce jour, les Palestiniens doivent compter avec les nombreuses
limitations imposées à tout projet de développement de leurs propres
collectivités : en effet, la plupart des terrains de la Cisjordanie - leur
principale ressource en terrains - sont sous contrôle de l’administration
israélienne. Non, les Palestiniens n’ont pas besoin du même espace que les
Israéliens pour étendre leurs jambes.
Il est parfaitement normal que les
Palestiniens doivent obtenir un permis de circuler des autorités israéliennes
(qui n’est accordé qu’à une minorité d’entre eux), pour pouvoir pénétrer dans
Jérusalem-Est ou la Bande de Gaza, dans le cadre de la politique israélienne de
blocus, inaugurée en 1991 et encore en vigueur aujourd’hui. En contre-partie,
les Juifs ont toute liberté de passer de Cisjordanie en Israël et vice-versa,
grâce à des autoroutes dernier cri, construites sur les terrains gagnés sur les
villages palestiniens par expropriation.
Durant l’été, à Hébron, l’eau est
coupée, parfois pour quelques jours, voire quelques semaines, dans les maisons
palestiniennes. Heureusement, les voisins juifs des hébronites palestiniens,
dans la Vieille Ville ou dans le quartier juif voisin de Kiryat Arba n’ont aucun
problème en ce qui concerne leur approvisionnement en eau...
La situation qui
prévaut dans la plupart des villages et villes palestiniens est la même dans
toute la Cisjordanie : là où les Palestiniens n’ont pas d’eau, les résidents des
colonies juives soignent leurs gazons verdoyants. La raison est qu’Israël a, en
effet, imposé un quota sur la quantité d’eau que les Palestiniens sont autorisés
à consommer, c’est-à-dire sur le droit d’utiliser des ressources en eau
supposées accessibles indifféremment aux Israéliens et aux Palestiniens sur le
territoire qu’ils ont en partage.
Voilà un récit, qu’il faut recommencer
encore et toujours - presque jusqu’à épuisement - car il dépeint une situation
qui est va tellement de soi aux yeux des Israéliens qu’ils ne peuvent même pas
entrevoir qu’il y ait là un quelconque problème. Il est tellement facile de
considérer les Palestiniens comme un peuple violent et cruel et d’ignorer la
cruauté, accumulée depuis trente-trois ans, et dirigée durant cette période
interminable contre un peuple entier. C’est le type de cruauté inhérente à tout
régime d’occupation. C’est la cruauté qui a empiré au cours des années d’Oslo à
cause du hiatus entre les beaux discours sur le "processus de paix" et la
réalité.
Le couvre-feu à Hébron, en lui-même, et le fait qu’il soit considéré
comme quelque chose de parfaitement normal par la société israélienne reflètent
le type de perversion de la pensée qui s’est développé dans les esprits des
Israéliens au cours des années d’Oslo. D’après cette pensée biaisée, les
Palestiniens étaient supposés accepter une situation de coexistence dans
laquelle ils ne seraient pas sur un pied d’égalité avec les Israéliens, et dans
laquelle ils seraient catégorisés comme des personnes pouvant prétendre à moins,
beaucoup moins, que les Juifs. Toutefois, à la fin des fins, les Palestiniens ne
voulaient pas vivre avec ce type de compromis.
La nouvelle Intifada, qui
présente les caractéristiques tant d’une révolte populaire que d’une
insurrection quasi-militaire, est une ultime tentative de mettre un miroir
devant les yeux des Israéliens et de leur dire : "Regardez-vous bien et voyez à
quel point vous êtes devenus racistes".
3.
Libération du mercredi 1er novembre 2000
Le feu
israélien cible le Fatah par Jean-Pierre
Perrin
Les tirs de Tsahal ont visé l'Autorité palestinienne. En «dissuasion».
Jérusalem envoyé spécial
L'armée israélienne s'est en pris directement à
l'Autorité palestinienne en faisant bombarder par ses hélicoptères, lundi soir,
des objectifs militaires et des infrastructures politiques en Cisjordanie et
dans la bande Gaza. Les appareils de Tsahal ont attaqué le quartier général du
Tanzim (la branche armée du Fatah, principale composante de l'OLP) à Ramallah,
un bureau du Fatah à Naplouse et un local de la Force 17 (la garde prétorienne
de Yasser Arafat), au sud de Gaza. Des roquettes ont également été tirées sur le
camp de réfugiés de Rafah, sur la frontière égyptienne. Ces bombardements sont
une riposte aux meurtres, lundi, de deux Israéliens à Jérusalem-Est: un garde de
sécurité et un habitant du quartier de colonisation juive de Gilo. «Ces attaques
ne constituaient pas une punition, mais une forme de dissuasion pour faire
comprendre que l'armée israélienne a les moyens d'agir et la capacité d'infliger
des coups beaucoup plus durs aux institutions et aux intérêts de l'Autorité
palestinienne», a déclaré le conseiller du Premier ministre, Danny Yatom. Par
médias interposés, Yasser Arafat lui a répondu: «Toutes ces attaques contre le
Fatah et l'Autorité palestinienne n'effrayeraient pas même un garçon palestinien
portant une pierre pour défendre Jérusalem, la capitale de la Palestine.» Le
vice-ministre israélien de la Défense, Ephraïm Sneh, a estimé qu'il s'agissait
du «début d'une guerre de guérilla». Effectivement, un convoi de l'armée
israélienne a été attaqué hier à la grenade dans la bande de Gaza, où les
affrontements se sont poursuivis comme en Cisjordanie, faisant deux morts du
côté palestinien, ce qui porte le bilan total des victimes à 158 morts depuis le
début de la révolte palestinienne, le 28 septembre. A Gaza, un journaliste de la
chaîne américaine CNN a été blessé par une balle dans le dos tirée par un soldat
israélien. Sur le front intérieur israélien, Ehud Barak a renoncé à constituer
un gouvernement d'«urgence nationale» avec le Likoud. Son chef, Ariel Sharon, a
proclamé hier son intention de «tout faire pour renverser le cabinet» du Premier
ministre.
4. Libération du mercredi 1er
novembre 2000
L'expert israélien Martin Van Creveld voit un rempart à
l'escalade : «Un mur de Berlin, la seule solution» propos recueillis par Jean-Pierre Perrin
Jérusalem envoyé
spécial
Spécialiste des questions de défense, chercheur à l'Université
hébraïque de Jérusalem, Martin Van Creveld est l'un des rares experts israéliens
iconoclastes et qui ne soit pas lié à l'establishment militaire (1). Au point
que ses analyses suscitent la colère de l'état-major. Plutôt proche de la
gauche, en particulier du parti Meretz, il estime que la seule solution au
conflit israélo-palestinien est la construction d'un mur séparant l'Etat hébreu
de l'entité palestinienne dont le tracé le plus probable épouserait la frontière
d'avant 1967 entre Israël et la Jordanie.
- Au fur et à mesure que se poursuit l'Intifada, on parle de
plus en plus dans les médias israéliens d'un plan de séparation. Est-ce une idée
réalisable?
Tout le monde parle de
séparation, c'est devenu le mot le plus populaire en hébreu, et Ehud Barak
l'évoque depuis longtemps. Cependant, il n'a pas l'environnement politique
nécessaire pour mener à bien ce projet, c'est peut-être pour cela qu'il a besoin
de cette Intifada, pour que les gens comprennent qu'Israël a besoin de cette
séparation. Moi-même, j'en parle depuis quinze ans, notamment parce que j'ai vu
que le mur de Berlin fonctionnait parfaitement. Le Mur a été la réalisation la
plus parfaite de la guerre froide. Bien sûr, comme tout le monde, je l'ai
d'abord trouvé cruel, inhumain, jusqu'à ce que je prenne conscience qu'il a
évité une escalade. Avant sa construction, les deux camps étaient si proches
l'un de l'autre qu'il y avait chaque jour des incidents pouvant conduire à une
guerre mondiale. Après sa construction, tout est devenu paisible, car chaque
camp savait la limite à ne pas dépasser. Idem avec la Corée où le Mur a rempli
aussi sa mission, au point que, aujourd'hui, on pourrait l'abattre. Nous avons
besoin d'une chose similaire.
- Y a-t-il déjà un plan pour ce
mur?
Non, on en parle vaguement, malheureusement. On a fait
quelques pas, comme ce mur protégeant Gilo (colonie qui touche Jérusalem). C'est
un début. Peut-être que la persistance du soulèvement fera réaliser à Israël que
ce mur est la seule solution.
- Mais il y a une différence
immense entre les deux Allemagnes et Israël: les colonies.
Bien sûr, mais nous devons dire un jour ou l'autre aux colons:
nous allons partir d'ici, soit vous partez et nous vous aidons à vous
réinstaller, soit vous restez et alors débrouillez-vous. Mais, au fond, je pense
que ces colonies sont sans avenir, destinées à mourir. 95 % des colons
n'accepteront pas que leurs enfants risquent chaque jour leur vie pour une
idéologie stupide.
- Certaines
perdureront quand même.
Très peu. Si
nous voulons que nos ennemis soient de l'autre côté du mur, nous ne devons pas
être responsables d'elles.
- L'idée de ce mur vient-elle plutôt
de la gauche ou de la droite?
En fait, tout le monde est
d'accord sur la séparation. La seule question, c'est: où construira-t-on la
clôture? Sera-t-elle le long de l'ancienne frontière ou de la vallée du
Jourdain, comme le veulent les extrémistes de droite. Moi, je préférerais le
long du Jourdain, mais ce n'est pas réaliste à moins de risquer une guerre
majeure.
- Combien de temps demandera la construction d'un tel
mur?
De six mois à un an. Mais, pour le construire, il faut
que la situation se calme. Ce qu'Israël devrait faire, c'est attendre le moment
où de nouveaux soldats seront tués, leurs corps brûlés ou jetés par la fenêtre,
pour frapper une seule fois mais très fort, sans faire d'excuses, et utiliser ce
moment précis pour commencer la construction.
- Tout le monde a salué la chute du mur de Berlin. En créer
un nouveau, ce sera dommageable à l'image d'Israël?
Elle ne sera pas pire que celle que
nous avons aujourd'hui à cause de l'Intifada.
- Vous étiez très
sévère dans vos jugements sur les «performances» de Tsahal lors de la précédente
Intifada. Etes-vous aussi critique aujourd'hui?
En ce moment,
Tsahal se comporte plutôt bien face à l'insurrection. Elle a appris de la
précédente: les soldats sont plus disciplinés, moins en proie à la panique,
mieux ravitaillés. Mais ça ne va pas durer toujours. A long terme, l'Intifada va
démoraliser l'armée israélienne comme la dernière fois, surtout si on utilise
les réservistes. Imaginez leur état d'esprit quand ils devront s'arrêter de
travailler, d'étudier pour passer leurs journées à garder des points de contrôle
aux portes des colonies ou à patrouiller dans Hébron.
- Du côté
palestinien, le moral est-il affecté par les lourdes pertes?
Non, car, pour eux, chaque perte est une raison de plus
d'aller se battre. Leur motivation est extrêmement élevée. Généralement, le camp
qui a la plus forte motivation gagne. Comment l'armée israélienne peut-elle être
motivée en luttant contre un ennemi aussi faible? Chaque perte nous déprime un
peu plus et les élève davantage. Avant, c'était comme ça pour nous aussi. C'est
ainsi que nous avons battu les Britanniques, puis gagné nos autres guerres:
parce que nous affrontions des ennemis plus forts.
- Si cela
s'aggrave, que va-t-il se passer?
Si les Palestiniens vont
trop loin, des représailles terribles les attendent. Ils le savent et cela les
effraie. En plus, leur propre contrôle sur leurs gens n'est pas total et on ne
sait jamais ce que les éléments les plus fanatiques préparent. Je ne pense pas
que la situation va s'aggraver, mais l'insurrection va durer longtemps. Et le
dilemme est le suivant: si vous combattez un ennemi qui est beaucoup plus faible
que vous, vous êtes un criminel, mais si vous le laissez vous tuer, vous êtes un
imbécile.
- L'Intifada rend-elle service
à Barak?
Je ne sais pas si Barak a
encore une politique. Il est dans la confusion. Il n'a pas de coalition. Pour le
moment, il fait un one man show.
- Et Ariel Sharon?
Il a promis de faire la paix. C'est sans doute vrai, mais
c'est parce qu'il empêche tout autre que lui de la faire.
(1) Deux ouvrages
de Martin Van Creveld sont traduits en français: «Tsahal: une histoire de
l'armée israélienne» et «la Transformation de la guerre» (Ed. du Rocher,
1998).
5.
Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Lundi 9
octobre, bouleversé par les images de l'Intifada, Ahmad Chaarawi, jeune écolier
cairote, a pris le chemin de Rafah, espérant rejoindre les Palestiniens de
l'autre côté de la frontière par Dina
Heshmat
Sur les pas de l'Intifada
Il a 13 ans, mais il est déjà célèbre.
Les journalistes sont nombreux à appeler sur le portable de son père, pour
demander une interview. L'histoire d'Ahmad est déjà parue dans la presse écrite,
(Al-Gomhouriya et Al-Ahram Al-Arabi), et à la télévision sur la première chaîne
et sur la chaîne satellite ... Et surtout, son aventure est sur toutes les
lèvres ; des femmes de ménage cairotes aux paysans du Delta, en passant par les
journalistes ou les étudiants, tous sont intrigués par le périple de cet
adolescent. Au club Al-Nasr à Héliopolis, où je l'ai rencontré, un petit
attroupement se fait autour de lui et les questions fusent : « C'est toi qui as
été à Rafah ? », « C'est bien, tu as eu raison ». Les hommes ont un petit
sourire d'amusement sur les lèvres et le ton reste celui, un peu rude, d'un
adulte qui s'adresse à un enfant. Mais malgré tout, on sent dans les regards
pointer une admiration qui a du mal à s'exprimer plus clairement. Lui,
légèrement gêné, voire agacé, les mains dans les poches de son pantalon
d'uniforme bleu, répond par des « oui » brefs ou des mimiques polies. Il est mal
à l'aise dans son nouveau personnage, ce nouveau personnage né avec son aventure
de quelques jours, qui a soulevé tant d'intérêt et tant d'unanimisme, et qui a
fait de lui un adolescent différent de tous les autres.
A première vue
cependant, rien ne le différencie de ses camarades d'école. Il grandit entre un
père ingénieur et une mère enseignante, sa sœur est aujourd'hui étudiante en
première année à l'Académie Sadate. La famille habite à Helmiyet Al-Zeitoun,
mais Ahmad est scolarisé à l'école Abdel-Aziz Al-Séoud à Héliopolis. Tout ce
qu'il y a de plus ordinaire. Mais, déjà, Ahmad aime lire, surtout les ouvrages
d'Histoire — un intérêt qu'il tient de sa mère — et s'intéresse en particulier à
l'histoire de la Palestine et de Jérusalem.
Lorsque l'Intifada des jeunes
Palestiniens éclate fin septembre, Ahmad est comme tous ses concitoyens — jeunes
et moins jeunes. Il suit les événements sur le petit écran, admire les chabiba
qui tiennent bon face aux tirs des soldats israéliens et assiste à la mort en
direct de Mohamad Al-Dorra, assassiné dans les bras de son père. Comme tous ses
concitoyens, les événements le préoccupent, il en discute autour de lui, entend
parler des manifestations des étudiants dans toutes les universités d'Egypte, et
voit les élèves sortir spontanément dans la rue dans son quartier. Lui n'a pas
participé aux manifestations. « Les manifs ne vont rien changer. En Egypte, on
n'a pas le droit de manifester. Ça ne devrait pas être comme ça. Dans n'importe
quel autre pays, dans un pays européen par exemple, si le peuple manifeste, ses
revendications vont se réaliser. Mais ici ...Vous avez vu l'Indonésie ? Ça,
c'est des manifs, de vraies, qui ont obtenu des choses. C'étaient des manifs
importantes, violentes, avec de la casse ».
Indonésie ou pas, lui, il a autre
chose en tête. Il veut aller là-bas, lutter côte à côte avec les enfants
palestiniens qu'il voit à la télé. L'idée grandit dans son esprit. Il en parle à
ses amis. Qui hésitent, tergiversent mais finalement refusent. Qu'à cela ne
tienne. Il ira seul. Le lundi 9 octobre, après l'école, il rentre chez lui et
décide de partir. Prend une soixantaine de livres dans le tiroir de son père,
des vêtements, sort de la maison et décide de prendre le premier train à
destination d'Arich. Mais il découvre qu'il n'y a pas de ligne directe pour
Arich et embarque donc pour Alexandrie — avec un billet première classe. Arrivé
à Alexandrie, il apprend qu'il n'y pas de train pour Arich, qu'il doit prendre
le Super Jet, qui ne part que le lendemain matin. Il décide donc de passer la
nuit dans la gare. Il se trouve un banc, et s'endort. S'il n'a pas peur ? Non,
pas du tout. « Personne ne m'a embêté de toute façon ».
Pendant ce temps, le
père, rentré du travail, s'inquiète de ne pas trouver son fils à la maison.
Commence à interroger les voisins et les amis de son fils. Quand l'ont-ils vu
pour la dernière fois ? Lorsqu'un des amis de son fils finit par raconter à la
mère d'Ahmad que celui-ci pensait partir pour Gaza, parce qu'il voulait aller
lutter auprès des Palestiniens. Le père découvre alors qu'il manque de l'argent
dans le tiroir : « Jamais il n'avait fait ça ». Il en déduit donc qu'Ahmad est
réellement parti, et entame le périple des postes de police, des centres de la
sûreté générale, et autres services administratifs du même type.
Ahmad, quant
à lui, se réveille à l'aube du mardi 10 octobre et se prépare à prendre le Super
Jet pour Arich. Il est ennuyé parce que le Super Jet coûte 28 L.E., alors qu'il
ne lui reste plus que 21 L.E. Il tente de quémander quelques livres aux
voyageurs dans la salle d'attente. Peine perdue. Puis décide de raconter une
histoire inventée de toutes pièces au fonctionnaire installé derrière le guichet
: ses parents travaillent à Arich, et il doit absolument les rejoindre. Le
fonctionnaire lui donne l'argent nécessaire pour payer le reste du billet, et de
la nourriture. Lorsqu'il arrive à Arich, il fait nuit. « Je me suis dit que je
n'allais pas voyager de nuit. Si j'arrivais là-bas de nuit, qu'est-ce que
j'allais faire ? J'ai donc dormi dans une mosquée. Après un petit temps, un
homme est venu me réveiller en me demandant ce que je faisais là, qu'ils
pouvaient venir me demander ma carte d'identité. Je me suis échappé alors ». Il
prend un taxi collectif et arrive à Rafah. Dans le taxi, il rencontre un jeune à
qui il raconte que sa famille habite loin de Rafah-centre et qu'il ne pourra pas
les rejoindre le jour même. Il passe donc la nuit chez la famille de ce jeune.
Dès le lendemain, il se dirige vers la frontière, observe, examine les
possibilités de passage. « La surveillance était très dure, je me suis dit que
j'allais essayer de traverser le point de passage. J'ai été là-bas, j'ai marché
à côté des barbelés, mais je me suis perdu dans le désert ». Il demande à l'un
des soldats comment il peut retrouver la rue principale. Le soldat, bien sûr,
s'étonne. Il y a de quoi : un jeune garçon de 13 ans qui se balade au bord des
barbelés de Rafah ! Il l'amène donc chez un officier, qui le fouille et lui pose
des questions. Une fois de plus, Ahmad invente une histoire : son oncle va venir
le chercher et le faire passer, pour qu'ils entrent ensemble à Gaza. Il quitte
alors le poste et retourne de nouveau chez le jeune où il avait passé la nuit.
C'est là qu'un soldat vient le chercher. « Au poste, ils ont appelé mon père ».
Le père d'Ahmad vient le chercher. « Sur le chemin du retour, j'étais triste de
rentrer. J'avais l'impression que le projet avait échoué ». La famille, elle,
est soulagée. « Vous ne pouvez pas imaginer l'inquiétude qu'on a vécue pendant
toutes ces journées. La sœur d'Ahmad, qui jeûnait le jour de son départ, n'a pas
mangé jusqu'à son retour. Moi, j'étais effondré, même si j'essayais de maîtriser
mes nerfs. Je n'ai pas dormi 72 heures de suite », raconte le père. La famille
Chaarawi n'est cependant pas au bout de ses peines, parce que pour Ahmad, les
choses sont claires : « Quand je serai grand, j'irai là-bas ». Quand on lui
demande ce qu'il pense de la cause palestinienne ou de la « paix », Ahmad répond
que pour lui, il n'y a pas de paix. La guerre ? « Si les gouvernements arabes se
décidaient à la faire, ça serait une bonne chose. Mais en même temps, la guerre,
c'est la destruction ».
En attendant, les médias ont fait de lui un héros
national. Ce qui est quelque part révélateur quant à la pénurie de héros «
standard », plus âgés, sur le marché. Révélateur aussi de la politique adoptée
par les médias depuis le début de l'Intifada. Les médias pouvaient difficilement
passer sous silence la révolte de toute une population, le courage de
générations de jeunes, de ces autres héros de la solidarité avec le peuple
palestinien. Tous ces élèves, filles et garçons, qui sont descendus par milliers
dans la rue, tous ces étudiants qui se sont affrontés aux forces de la sûreté
générale, dont certains sont encore en ce moment même détenus à la prison de
Tora. Mais le fait est que ce type d'héroïsme n'a pas droit d'être cité dans nos
médias nationaux, il fallait donc trouver quelque chose de moins dangereux,
c'est-à-dire, quelque chose de moins collectif. L'aventure d'Ahmad pouvait faire
l'affaire. Elle reflète en effet l'état d'ébullition et de révolte qui agite
tous les adolescents et les jeunes du pays, tout en témoignant d'une
détermination et d'un courage étonnants. Ahmad, quant à lui, a le ton un peu
monocorde quand il raconte son histoire et le regard sérieux sous les sourcils
épais. A la question : « Tu n'en as pas marre des journalistes ? », il finit par
se détendre et répond sans hésiter : « Si, carrément ! ».
6. Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er
novembre 2000
Le pourquoi de l'échec américain dans le processus de paix
par Hassan Abou-Taleb
Le paradoxe est
particulièrement flagrant. L'Administration Clinton a été la plus active dans le
processus de paix, mais elle est celle qui a connu le plus grand échec dans la
réalisation d'un progrès palpable sur la voie d'une paix stable, juste et
globale. Il est également paradoxal que cette administration soit l'unique à
avoir formé une équipe spéciale dirigée par un coordinateur du processus de
règlement qui est Dennis Ross, alors même que cette équipe semble la plus
incapable à comprendre la nature du processus qu'elle doit aider.
Ces
paradoxes expliquent partiellement l'effondrement du processus de règlement qui
a eu pour seul parrain pendant dix ans, les Etats-Unis, dont 8 sous le mandat de
Clinton. Cet effondrement, nous le voyons clairement dans les attaques
israéliennes féroces contre un peuple désarmé, et dans la menace contre les
intérêts américains.
Les paradoxes américains ne se limitent pas à
l'Administration. Il faut citer le Congrès qui a voté une résolution désignant
les Palestiniens comme responsables du déclenchement de la vague de violences
dans les territoires occupés. Cette résolution exprime également un soutien
complet à Israël dans sa politique répressive contre les Palestiniens. Quant aux
médias américains, que ce soit la presse ou la télévision, ils n'ont jamais été
aussi alignés et impartiaux qu'aujourd'hui en couvrant les événements de
l'Intifada. Le criminel est devenu victime et la victime criminel. Les analyses
publiées par la presse américaine sont remplies de haine contre tout ce qui est
arabe et palestinien sans aucune tentative de comprendre les racines des
problèmes, de connaître le point de vue palestinien ou même d'être un tant soit
peu objectif envers cette cause.
Ces paradoxes ne seraient finalement pas si
étranges, puisque le pouvoir sioniste est présent dans toutes les institutions
américaines législatives et exécutives, et domine les médias, les arts et le
monde universitaire. Par conséquent, la réponse naturelle serait qu'il n'y a pas
de place pour d'autre point de vue, tant qu'il est question d'Israël. De plus,
il y a maintenant aux Etats-Unis d'autres événements importants comme le combat
électoral présidentiel et le renouvellement de la moitié du Congrès. Tout le
monde tente de s'approprier les voix juives. Tout ceci est vrai, mais ne suffit
nullement à expliquer de tels paradoxes flagrants qui contredisent les principes
de base de la société américaine, notamment les droits de l'homme et la
justice.
Le pouvoir sioniste, quelle que soit sa force, peut attirer une
partie de l'élite ou des classes moyennes, mais pas une majorité, ceci nécessite
plus que le facteur de force. Le pragmatisme américain peut donner une
explication plus globale des paradoxes de la position américaine envers
l'Intifada d'Al-Aqsa. Cette méthode est basée sur la dissociation en éléments
séparés des causes quel que soit leur degré de complexité. Cette méthode est
responsable de cette simplification abusive, qui transforme la réalité en deux
camps, le bien et le mal, abstraction faite de la réalité et des événements qui
prouvent le contraire.
Dans la pensée américaine contemporaine, le conflit
arabo-israélien se résume à des concessions faites par Barak au président Arafat
à Camp David II. Mais ce dernier, parce qu'il n'aime pas la paix, a refusé ces
concessions, préférant recourir à la violence et au terrorisme pour en obtenir
plus ! En contrepartie, les Israéliens ont refusé ce chantage de la part
d'Arafat, et n'avaient d'autre choix que de se défendre face à la violence
palestinienne.
Cette conception américaine d'un conflit si compliqué comme le
conflit arabo-israélien reflète une pensée formelle qui sépare les événements de
leurs racines. Dans ce cas, l'échec est assuré, puisque le point même de départ
est incapable d'assimiler les différents facteurs qui constituent une crise
complexe, nécessitant aussi des remèdes complexes.
Selon cette pensée
américaine, l'engagement de l'Etat occupant à rendre les territoires est devenu
simples concessions de la part du premier ministre de cet Etat antagoniste. Et
l'insistance d'Arafat à sauvegarder les droits de son peuple est devenu exaction
contre les Israéliens. La tuerie des Palestiniens désarmés par les soldats
israéliens sous les regards du monde entier est devenue une simple autodéfense.
Et Israël qui jouit d'une suprématie militaire et qui est l'unique Etat à
posséder l'arme nucléaire dans la région est devenu un Etat encerclé par les
ennemis et les terroristes.
Voici un ensemble de conceptions illogiques et
inéquitables, mais elles reflètent une façon de pensée myope qui élimine les
côtés historiques pour se contenter de tout ce qui est passager.
De nombreux
Orientaux proches de l'Administration américaine et même des membres du Congrès
ont mis en garde contre les dangers de cette perspective incomplète et contre
ses répercussions sur les intérêts américains importants dans la région arabe et
islamique. Mais en vain. Un événement tel que l'explosion du destroyer américain
USS Cole dans le port yéménite d'Aden transmet de nombreux messages sur la
politique américaine inéquitable. Mais du point de vue américain, c'est un acte
terroriste dont les auteurs doivent être punis. Cette explosion devrait pousser
les institutions américaines à adopter une nouvelle politique, ou au moins à
saisir les significations réelles d'un tel acte. Il règne un sentiment de colère
et de déception à cause de la politique américaine de deux poids, deux mesures.
Mais malheureusement les réactions n'annoncent aucune révision de la politique
américaine avant les résultats des élections
présidentielles.
7. Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er
novembre 2000
Présidentielle américaine - Bush et Al Gore rivalisent
dans leur soutien à Israël : Israël grand gagnant des élections
par Hoda Taoufiq
Washington de notre
correspondante
La course pour la Maison Blanche touche à sa fin. Bien que la
bataille opposant les deux candidats républicain et démocrate ait atteint son
paroxysme, la bataille reste indécise entre George W. Bush et Al Gore. Mais une
chose est certaine : tous ceux qui ont perdu confiance en les deux partis
républicain et démocrate voteront pour le candidat des Verts Ralph Nader. Nous
avons à titre d'exemple les Américains d'origine arabe qui ont perdu l'espoir en
l'impartialité des deux candidats républicain et démocrate envers les causes
arabes.
Pour les leaders arabes américains, en cas de sa réussite, la
partialité aveugle d'Al Gore en faveur Israël portera un coup dur au processus
de paix au Proche-Orient. Ces mêmes leaders s'opposent d'autre part à la
politique que Bush affiche vis-à-vis de l'Iraq, des sanctions internationales
qui le frappent et de l'ingérence extérieure dans la région du Golfe. Cette
politique est sans doute plus intransigeante que celle du Parti démocrate. Bush
continue en effet de parler de la coalition internationale contre l'Iraq, alors
que ce dernier accueille de plus en plus d'avions arabes, européens et autres
transportant des aides humanitaires. En outre, le monde entier a commencé à
montrer de la sympathie envers cet Etat qui étouffe sous l'emprise des sanctions
les plus drastiques jamais connues dans l'Histoire.
Le choix que doit faire
l'électeur américain d'origine arabe est donc difficile. En ce qui concerne la
politique des deux partis vis-à-vis des causes arabes, les divergences sont
minimes. Sous l'Administration Clinton, on bombarde régulièrement l'Iraq. Durant
leur campagne électorale, Bush et Al Gore n'ont pas prononcé un seul mot contre
ces attaques.
En même temps, les deux candidats focalisent sur la sécurité
d'Israël, l'alliance avec lui et la conclusion d'un accord de paix qui va de
pair avec les intérêts et les exigences de l'Etat hébreu et qui ignore la
légitimité internationale et les droits palestiniens. Cette politique est
exprimée régulièrement par Bush qui ne cesse de répéter inlassablement à chaque
occasion : « Nous sommes avec Israël, Israël est notre allié, mais les
Etats-Unis ont en même temps des amis dans la région et ont des intérêts vitaux
dans le Golfe ». Quant à Al Gore, il fait de son mieux pour satisfaire Israël et
prendre son parti.
En tout cas, la politique étrangère n'a pas joué un rôle
influent dans la campagne électorale américaine. Cependant, les dernières
évolutions, les bains de sang et la guerre israélienne déclenchée contre les
enfants palestiniens désarmés ont mis le conflit du Proche-Orient au devant de
la scène. Et ce pour une simple raison : c'est au prochain président américain
qu'incombera la charge de trouver un règlement à ce problème. On ne peut plus
dorénavant ignorer l'agression israélienne que le monde entier suit sur les
écrans de télévision.
Ainsi s'est-on intéressé à nouveau au conflit du
Proche-Orient, en raison de la situation explosive qui prévaut. Et ce, malgré
les espoirs du président Bill Clinton qui aspirait à réussir le pari de mettre
un terme au conflit palestino-israélien et instaurer la paix dans la région. Les
rêves de Clinton se sont certes dissipés, car le problème s'est révélé plus
compliqué pour les Américains qu'ils ne l'imaginaient. En effet, le conflit
n'est plus un simple conflit palestino-israélien, car les hostilités, le sommet
arabe et la détérioration de la situation ont donné à la crise une dimension
arabe, islamique et internationale. Et ce, contre le gré des autorités de
l'occupation israélienne. D'autre part, les négociateurs israéliens au sommet de
Camp David II ont transformé le conflit sur des territoires occupés par Israël,
en un conflit religieux opposant juifs et musulmans. L'Etat hébreu a fait valoir
des prétentions religieuses qui datent de milliers d'années, selon lesquelles
les juifs habitaient ces terres.
Une région
dangereuse
Interrogé par Al-Ahram Hebdo, Mark Ginsberg, chef
de l'équipe politique d'Al Gore, a réaffirmé qu'Israël est l'allié des
Etats-Unis. Ceux-ci le soutiendront toujours. Ginsberg a dénoncé les tentatives
palestiniennes de recourir au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale de
l'Onu pour faire condamner Israël, en raison de la guerre qu'il mène contre les
Palestiniens. Ginsberg a également dénoncé la dernière résolution du Conseil de
sécurité, qu'il qualifie de « dégoûtante », parce qu'elle a condamné Israël.
Pour Ginsberg, cette résolution rappelle l'époque où l'Onu assimilait le
sionisme au nazisme ! Ainsi, les positions exprimées par les assistants d'Al
Gore sont identiques à celles de l'Etat hébreu sinon plus
intransigeantes.
Quant au professeur Bruce Jentelson, l'un des membres de
l'équipe politique d'Al Gore, et ancien diplomate au département d'Etat chargé
de la coopération régionale multilatérale, il a reconnu que les derniers
incidents ont montré aux Américains que le Proche-Orient est une région
dangereuse et difficile. Ils leur ont de même montré qu'il faut déployer des
efforts et montrer davantage d'intérêt à ce conflit. Partant, l'assistant d'Al
Gore a insisté sur l'importance d'élire le président qui a le plus d'expérience
et de connaissances dans le conflit du Proche-Orient à savoir, Al Gore. « Al
Gore sait comment il faut traiter avec ce problème. Et ce grâce à ses positions,
son expérience et ses amitiés avec les Arabes et les Israéliens ». M. Jentelson
poursuit : « Je ne peux pas imaginer qu'il existe au monde une région plus
importante pour les Etats-Unis que le Proche-Orient. On a besoin qu'Al Gore soit
président pour faire face à ce problème ». Selon lui, une fois élu, Al Gore
commencera dès le 20 janvier 2001, date de la prise de pouvoir du nouveau
président, à traiter avec la crise. Mais comment va-t-il le faire ? Jentelson
répond : « Oslo n'a pas réalisé tout ce qu'il fallait comme on l'espérait ». Il
a affirmé à Al-Ahram Hebdo que les efforts seront poursuivis afin de résoudre
non seulement les problèmes palestino-israéliens, mais aussi syro-israéliens,
tout en continuant à œuvrer dans le cadre de la coopération régionale et des
négociations régionales multilatérales.
La position de Bush relative au
conflit israélo-arabe est par contre assez fade. Il lui manque l'enthousiasme
pour une question si importante. Selon Condoleezza Rice, chef de l'équipe de la
politique étrangère de Bush, ce dernier appuie la politique de Clinton vis-à-vis
du Proche-Orient. Bush réclame la non implication des troupes américaines dans
des régions tels le Kosova et la Bosnie, mais que ces troupes soient mobilisées
en tant que force de dissuasion au Golfe. Et en cas d'échec, elles assumeront
leur responsabilité militaire. Il est clair que Bush vise à récupérer la gloire
de son père, l'ancien président George Bush, qui avait mené la bataille contre
l'Iraq en 1990. En même temps, il souligne la nécessité de demander à Arafat de
calmer la situation, d'arrêter l'Intifada et de mettre fin à la
violence.
Jusqu'à présent, les chances des deux candidats sont égales. La
balance penche un jour en faveur d'Al Gore et le lendemain en faveur de Bush. La
bataille ne sera tranchée que le 7 novembre, jour des élections, d'autant plus
que plusieurs Etats n'ont pas encore déterminé leur
choix.
8.
Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Les Arabes
américains penchent pour Bush par Hoda Taoufiq
Pour la première fois, la voix de l'électeur arabo-américain acquiert une
importance dans les élections présidentielles aux Etats-Unis. En effet, Al Gore
et George Bush essayent de s'arracher les voix dans des Etats marqués par une
présence massive d'Américains d’origine arabe, notamment au Michigan qui abrite
une grande communauté arabo-américaine à Detroit.
Maintenant, les deux
candidats essayent de s'attirer la sympathie des voix arabes et musulmanes en
faisant des promesses et des engagements à cette communauté. Cependant, les
promesses des deux candidats pour cette communauté concernent des affaires
internes et des problèmes dont souffrent les Arabes américains tels le racisme,
la persécution, l'inégalité dans le domaine des droits civils, ainsi que des
lois du Congrès permettant la détention, l'incarcération et l’expulsion sans
preuves et ce conformément à la loi connue sous le nom des « preuves secrètes
».
Quant aux questions étrangères importantes pour la communauté arabe, il
n'y a pas une grande divergence entre les politiques des deux candidats. Cette
semaine, Bush a réussi à gagner la confiance des Américains arabes.
L'Organisation Council on American Islamic Relations a annoncé son soutien pour
le gouverneur de Texas, George W. Bush.
Selon des sondages d'opinions, les
positions des communautés islamiques et arabes américaines sont identiques.
Selon le dernier sondage, 40 % d'Arabes américains appuient Bush, 25 % Ralf
Nader et 24 % uniquement Al Gore. L'appui accordé à Nader, candidat des Verts,
s’explique par la nomination de Lieberman comme colistier d’Al Gore. Il serait
le premier juif à être vice-président si Al Gore remporte les élections. Les
Arabes américains doutent de la neutralité de Lieberman vis-à-vis des causes
arabes. Celui-ci a essayé de s'approcher des Arabes américains en tenant des
rencontres avec eux et en s'engageant à défendre leurs droits civils.
Mais
avec le déclenchement de la crise dans les territoires palestiniens, Lieberman a
été le premier à lancer des accusations et des critiques à l'Autorité
palestinienne et aux Palestiniens. Ces attaques ont angoissé les Arabes et ont
mis en cause sa neutralité vis-à-vis du processus de paix. Ahmed Shabani,
président de la Chambre américano-arabe au Michigan, dit à cet égard que : « Le
médiateur intègre doit être neutre dans ses positions et ce afin de gagner la
confiance des deux parties » du conflit proche-oriental. Les craintes des Arabes
américains ont pris naissance à la suite du récent discours de Lieberman à Los
Angeles au cours duquel il a fait l'éloge du premier ministre israélien ainsi
que de ses positions, tout en blâmant Arafat.
9. Le Soir (quotidien
belge) du mardi 31 octobre
2000
Omar, clandestin terré comme un rat par Serge Dumont
Depuis un mois, je me terre comme un rat. Je dors
dans des caves, je fouille les poubelles et je mendie à la sortie des mosquées.
Omar, 29 ans, est palestinien. Il est marié, père de quatre enfants, et il est
employé clandestinement en Israël. Du moins, il l'était. Car depuis le début des
émeutes, l'Etat hébreu a décrété le bouclage de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza. De ce fait, 115.000 travailleurs palestiniens légaux ne peuvent plus
franchir la « ligne verte » qui sépare Israël des territoires palestiniens.
Quant aux clandestins résidant à l'intérieur de l'Etat hébreu, ils n'osent plus
se montrer sur les chantiers de peur d'être reconnus et dénoncés.
Mon épouse
et mes enfants sont restés à Dir-el-Balah (un camp de réfugiés de la bande de
Gaza) et je ne sais pas ce qu'ils deviennent. Ils n'ont pas le téléphone et mes
voisins non plus, affirme Omar. Est-ce que ma famille mange à sa faim ? Est-ce
que mes enfants vont à l'école ? J'y pense tout le temps et ça me
ronge.
Jusqu'au 1er octobre dernier, Omar était carreleur. Il était
travailleur au noir pour l'un des entrepreneurs les plus connus de Tel-Aviv. Je
gagnais 4.000 shekels par mois (40.000 francs belges) en travaillant de dix à
douze heures par jour et six jours par semaine. Pour aller plus vite je dormais
sur le chantier, raconte-t-il.
« J'AI PEUR DES ISRAÉLIENS ET DES PALESTINIENS
»
C'était dur mais l'argent rentrait et je retournais chez moi une fois par
mois. J'étais fier puisque je gagnais plus qu'un policier de Gaza. Maintenant,
je suis un fugitif. Je n'ose pas sortir dans la rue. J'ai peur des Israéliens
qui pourraient me prendre pour un terroriste du Hamas et j'ai peur que, si je
retourne à Gaza, mes voisins me prennent pour un collaborateur du Shabak (Sûreté
générale israélienne) et qu'ils me battent.
Omar n'est pas le seul à vivre ce
cauchemar. Selon les estimations des organisations de défense des droits de
l'homme, de dix à quinze mille clandestins palestiniens vivraient aujourd'hui
d'expédients sur le territoire israélien. Certains trouvent encore des petits
travaux comme ouvriers journaliers, mais la plupart se cachent.
Ces derniers
jours, la police a d'ailleurs organisé des opérations « coup de poing » dans les
squats de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv, où vivent illégalement de
nombreux étrangers. Les Russes, les Roumains et les Africains interpellés ont
été laissés en liberté. Les Palestiniens ont été embarqués pour être remis à la
frontière.
Lorsque nous l'avons rencontré, Omar logeait dans la remise d'une
épicerie de Tira, un village arabe israélien situé à quelques kilomètres en face
de Kalkilya (la première ville palestinienne de Cisjordanie). Le plus dur, c'est
de savoir que je me trouve à dix minutes en voiture de la Palestine et que je ne
peux y retourner, soupire-t-il.
Il ajoute : Souvent, le soir, je regarde les
lumières de Kalkilya briller au loin. Lorsque le vent souffle dans la direction
de Tira, j'entends l'appel du muezzin à la mosquée. J'ai même l'impression de
sentir les odeurs de là-bas. Je retourne alors dans ma remise, je me couche sur
mon matelas de boîtes en carton et je pleure. Qu'est-ce que je pourrais faire
d'autre ?
10.
Le Soir (quotidien belge)
du mardi 31 octobre
2000
L'horizon bouché par l'incompréhension mutuelle par Baudoin Loos
De tous côtés, un angoissant
constat bouche l'horizon proche-oriental : aucune perspective de solution ne se
fait jour. Israéliens et Palestiniens, que l'on avait crus proches d'un accord
cet été, semblent maintenant - 154 morts plus tard - comprendre qu'il n'en était
rien.
ANALYSE
Quelques jours passés dans les territoires palestiniens
tendent à convaincre qu'un point de non-retour a été atteint. Pour les
Palestiniens, rien ne sera désormais plus comme avant. Pour les Israéliens non
plus, d'ailleurs... Beaucoup conviennent que la visite-provocation de
l'ultranationaliste Sharon près des saintes mosquées à Jérusalem n'aura été que
la goutte qui a fait déborder le vase. Ou plutôt l'étincelle qui a mis le feu au
baril de poudre. L'explosion aura été d'autant plus importante que la répression
israélienne fut, dès le début, disproportionnée. Comme si, disent les
Palestiniens, Israël avait voulu imposer sa solution par la force.
Ehoud
Barak éprouve des difficultés à comprendre la pensée de Yasser Arafat, écrit la
presse israélienne. Qui cherche à analyser l'origine de l'impasse qui a mené aux
violences actuelles. Imaginons juste un moment, écrit ainsi dimanche un
éditorialiste du « Haaretz », que les propositions de Barak Òau sommet de Camp
David, en juillet, qui se clôtura par un « niet » palestinien, NDLRÓ, même si
elles dépassaient de loin toutes les propositions israéliennes antérieures
(...), étaient encore inacceptables pour les Palestiniens. Et de décrire ces
propositions qui aboutissent à créer un Etat palestinien divisé en trois parties
non reliées, parsemées de groupes de colonies juives, routes de contournement et
zones militaires. Les Palestiniens considèrent cela comme un piège. Arafat
aurait pris un énorme risque en signant cela. (...) Les Palestiniens sentent
qu'ils mènent une guerre inévitable.
D'innombrables témoignages palestiniens
corroborent ce constat. Et, partant, annoncent le pire pour demain. Tout se
passe comme si Arafat et son Autorité palestinienne avaient désormais pris la
mesure du ressentiment de la « rue » palestinienne, laquelle crie depuis
longtemps, des années en fait, à qui veut l'entendre sa déception, pour dire le
moins, relative aux accords intérimaires d'Oslo.
PLUS DE PARTENAIRES POUR
L'INSTANT
Car l'occupation militaire continue - sauf pour moins de 20 % de la
Cisjordanie et 70 % de la bande de Gaza -; la colonisation juive se développe
sans discontinuer; l'économie reste dépendante d'Israël qui peut couper l'eau,
l'électricité et le téléphone, comme si les Palestiniens étaient de mauvais
locataires... de leurs propres terres. Savez-vous que l'Autorité palestinienne
doit même faire enregistrer par Israël chaque naissance ?, nous a lancé un
intellectuel à Ramallah, amer comme tout le monde.
D'où cette impression
tenace que la détermination palestinienne n'a jamais été aussi froide, malgré le
rapport des forces que chacun, chaque Palestinien, sait pencher en faveur
d'Israël de manière écrasante. Les Israéliens doivent comprendre, disait
vendredi au même « Haaretz » le général Tawkif Tirawi, chef des services secrets
palestiniens, que nous Palestiniens possédons deux choses qui sont beaucoup plus
fortes que tout votre armement militaire : la foi en notre foyer national et en
la justice de notre voie, et la puissance de notre volonté.
L'incompréhension
entre les ex-protagonistes du processus de paix semble maintenant totale. Quand
Barak déclare, comme hier encore à la Knesset, qu'il n'existe plus pour le
moment de partenaire pour le dialogue côté palestinien, la réponse fuse en face
: il n'y a, de fait, pas de partenaire pour accepter la paix aux conditions
israéliennes, mais il y en a pour appliquer la légalité internationale,
c'est-à-dire l'évacuation par Israël des territoires occupés en 1967.
Mais
comment revenir à la table des négociations alors que tant de Palestiniens
disent vouloir continuer l'intifada aussi longtemps que l'occupation durera - et
qu'aucun leader, et sûrement pas Arafat, ne se risque à contredire cette
détermination ? Ledit Arafat s'est refait une popularité bien érodée, mais au
prix d'une fermeté qui épouse la ferveur de son peuple.
Le pessimisme paraît
décidément devoir s'imposer car, côté israélien, le Premier ministre Barak
croit, en toute bonne foi, apparemment, avoir « offert » aux Palestiniens le
maximum de concessions que son opinion publique peut accepter. Pour compliquer
le tout, les conditions politiques sur l'échiquier israélien sont telles
qu'Ehoud Barak, minoritaire à la Knesset, négocie tant bien que mal la mise sur
pied d'un « gouvernement d'urgence nationale » avec Ariel Sharon, l'incarnation
du diable pour les Arabes.
11.
L'Humanité du mardi 31 octobre 2000
La grande
inquiétude des députés israéliens arabes propos recueillis par Yaël Avran
De notre correspondante
particulière en Israël.
Mohamed Kinan est membre du Parti arabe unifié. Ce
rassemblement, qui regroupe des représentants des mouvements musulmans et du
Parti démocratique arabe, compte 5 députés. Il a répondu aux questions de
l'Humanité quelques heures avant l'ouverture de la session parlementaire.
Entretien.
- La rentrée parlementaire se déroule dans une
atmosphère extrêmement tendue. Pensez-vous que la situation pourrait mener à un
affrontement lors des débats ?
Mohamed Kinan. La tension est
perceptible dans les couloirs de la Knesset, notamment en raison des
déclarations des députés de la droite qui remettent en cause la légitimité des
députés arabes. Certains députés ont en effet proposé de décréter les mouvements
musulmans hors la loi ou d'éprouver la fidélité des députés arabes en leur
demandant de prêter serment à l'Etat d'Israël, Etat juif et démocratique. Ces
propositions contredisent toute tradition démocratique. J'espère que nous
pourrons éviter l'usage de la force. Mais nous ne pourrons pas endurer
indéfiniment des menaces venant de nos collègues juifs.
-
Plusieurs partis arabes, dont le vôtre, exigent la mise en place d'une
commission d'enquête indépendante pour examiner les événements du mois dernier,
qui ont fait 13 morts parmi les Israéliens arabes. Pourtant, une commission
fonctionne déjà. Ne suffit-elle pas ?
Mohamed Kinan.
Certainement pas ! Une commission d'enquête indépendante est nommée par le
président de la Cour suprême, et ne dépend pas du gouvernement. Or les violences
qui ont secoué le pays le mois dernier ont provoqué la mort de civils innocents,
et la responsabilité en incombe à la police, au ministre de l'Intérieur, Shlomo
Ben Ami, et au premier ministre, Ehud Barak. La commission telle qu'elle existe
dans sa formule actuelle ne sera pas libre d'interroger les personnes
impliquées, et c'est pour cela que nous exigeons la mise en place d'une
commission libre de toute pression.
- Si le projet d'un
gouvernement d'union nationale avec le Likoud échouait, votre parti
accepterait-il de se joindre à un gouvernement réduit regroupant, entre autres,
les partis arabes, le parti laïque Meretz et le Parti centriste
?
Mohamed Kinan. Cela me paraît impossible à l'heure actuelle.
Le Parti arabe unifié ne pourra pas collaborer avec le gouvernement étant donné
les récents événements, et en particulier la responsabilité directe du premier
ministre. Nous avons déposé une motion de censure qui doit être débattue la
semaine prochaine (6 motions de censure ont été déposées jusqu'à présent -
NDLR). Non seulement le gouvernement n'a pas répondu aux attentes des Israéliens
arabes, mais il continue de nous décevoir par ses hésitations et ses
bégaiements. C'est extrêmement frustrant, surtout si l'on se rappelle que ce
gouvernement bénéficiait du soutien absolu du secteur arabe. Il n'y a plus de
différence aujourd'hui entre un gouvernement de gauche ou de
droite.
- Peut-on malgré tout revenir au statu quo qui prévalait
entre juifs et Arabes avant les événements du mois de septembre ?
Mohamed Kinan. Il faudra faire des efforts surhumains des deux
côtés pour réussir à rétablir la confiance. Les agressions anti-Arabes se sont
poursuivies après les manifestations, sans être toujours signalées. Surtout tant
que la police n'aura pas libéré les manifestants détenus depuis bientôt un mois,
la situation ne pourra pas revenir à la
normale.
12. Le Monde du
mardi 31 octobre 2000
Abraham Burg, président travailliste de la Knesset "La
paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y a qu'un seul
vainqueur" propos recueillis par
Catherine Dupeyron et Georges Marion
- Quelle analyse
faites-vous de la situation actuelle ?
Yasser Arafat avait deux options possibles :
ou bien recevoir un Etat palestinien ou bien s'en saisir. Recevoir signifie
négocier l'accord d'Israël et de la communauté internationale. S'en saisir
signifie, comme vous dites en français, »prendre la Bastille«, faire une
»révolution« et mener une guerre héroïque. Bref c'est »Allons, enfants de la
patrie, le jour de gloire est arrivé !«. J'ai le sentiment que Yasser Arafat
préfère »le jour de gloire« à une réconciliation politique. C'est la première
explication.
La seconde concerne les profondes frustrations des Palestiniens.
Certains pensent qu'Israël aurait dû être plus généreux, d'autres qu'il faut
mettre un terme à la corruption palestinienne. Ce que perçoit la rue
palestinienne, en tous cas, est qu'une minorité seulement profite de la paix.
Pour eux, Oslo, Rabin, Barak, quelle différence si tout persiste comme avant, si
seul un petit noyau devient de plus en plus riche et que les autres deviennent
de plus en plus pauvres ? De façon très intelligente, Yasser Arafat a réussi à
canaliser contre Israël toutes les énergies négatives qui étaient dirigées
contre lui et contre l'Autorité palestinienne. Si vous mettez ensemble la guerre
héroïque et les frustrations, vous obtenez une situation
explosive.
- Cette explication ne sous-estime-t-elle pas les
responsabilités israéliennes ? C'est vous qui avez fait tirer sur l'esplanade
des Mosquées au lendemain de la visite d'Ariel
Sharon.
Jusqu'à ce qu'Israéliens et Palestiniens
signent un accord final de paix qui abordera aussi cette question, le mont du
Temple est de notre responsabilité. Jamais le site n'a bénéficié d'une telle
liberté d'accès et de culte que durant ces 33 dernières années [après qu'Israël
l'a conquis sur les Jordaniens durant la guerre de 1967]. Dans une contexte de
discussion démocratique tel qu'il existe en Israël, il est légitime d'être
partisan de telle ou de telle solution quant à l'avenir de la Vieille Ville, de
Jérusalem-Est ou du mont du Temple. La visite d'Ariel Sharon exprimait deux
choses : d'abord que nous sommes toujours souverains sur cet endroit, et ensuite
qu'il a le droit démocratique d'exprimer ses conceptions. Tactiquement, était-ce
intelligent d'y aller ? Je n'en suis pas sûr. Si j'avais été à sa place, je n'y
serais pas allé. Mais il y est allé, ce qui n'était que l'expression de ses
convictions.
Quant à Arafat, il avait deux possibilités : dire qu'il n'aime
pas que Sharon se promène sur le mont du Temple, mais qu'il lui déroule quand
même le tapis rouge pour bien montrer comment les Palestiniens géreront le mont
du Temple et les Lieux saints : la meilleure expression de leur désir de paix.
Mais au lieu du tapis rouge, Arafat a choisi le piège sanglant. Bon, d'accord,
Sharon avait tort. Mais est-ce qu'on corrige une erreur par une autre erreur ?
C'est pour cela que je ne n'accepte pas de dire qu'Israël est responsable de ce
qui s'est passé sur le mont du Temple. Sharon sur le mont du Temple, ce n'était
pas intelligent, mais la réaction des Palestiniens a tout
accéléré.
- Mais les tirs ?
La visite de Sharon s'est passée dans le
calme parce que les Palestiniens n'avaient pas tout de suite réalisé l'occasion
en or qu'ils avaient. Le jour suivant, ils avaient compris. Je voudrais
cependant faire une précision. La seule légitimité qu'ont des soldats ou des
policiers à ouvrir le feu au cours de manifestations de civils c'est uniquement
lorsqu'on leur tire dessus, ou lorsque leur vie est en danger. Tout le reste est
injustifié. Ce vendredi, le commissariat de police a été pris d'assaut et la vie
des policiers menacée. Ce n'était pas un jeu. C'était une situation
violente.
- Etes-vous déçu de l'attitude d'Arafat
?
Oui. Lorsque, durant trente ans, mon camp
politique parlait de paix, nous pensions à des valeurs occidentales telles que
l'amour, l'affection, la réconciliation, la proximité, telles qu'elles se sont
développées en Europe durant ces cinquante dernières années. Apparemment, les
Palestiniens ont une autre conception de la chose. Dans le meilleur des cas, la
paix est pour eux une situation de non-guerre, un terme qui signifie que je
contrôle mon désir de faire la guerre, mais je ne l'oublie pas. Nous, nous
voulions une paix qui remplacerait le besoin de guerre.
Le résultat de tout
cela, c'est qu'il faudra du temps pour revenir à la situation antérieure. La
paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y a qu'un seul
vainqueur. Et je n'ai pas du tout l'intention d'être le
perdant.
- Négocierez-vous encore avec Arafat
?
Bien sûr que nous reprendrons les
négociations, mais à quelles conditions ? S'il y a des tirs sur notre capitale,
il n'est pas question de négocier. Nous pouvons attendre, mais pas les
Palestiniens. Notre économie est tellement forte, et la leur est tellement
faible ! A Ramallah, ce n'est pas aux manifestants ou aux politiciens qu'il faut
parler, mais aux commerçants, aux hôteliers, aux restaurateurs. Combien de temps
peuvent-ils survivre économiquement sans la paix ? Leur réponse déterminera la
durée du conflit.
- Quelle est votre estimation ? Combien de
temps peuvent-ils tenir ?
Je ne peux pas vous répondre. Yasser Arafat
et les siens, qui ont des parts dans le casino de Jéricho, ont gagné tellement
d'argent qu'ils pourraient tenir des années, mais celui qui fait le ménage dans
le casino ne survivra pas plus d'un mois. Je ne veux pas qu'il meure de faim,
mais je n'ai pas non plus envie de l'aider dans une telle situation. Je suis
d'abord préoccupé par les miens.
- Comment en sortir
?
Barak a deux possibilités. Ou bien il fait
une alliance avec les Palestiniens, et maintenant il n'aura pas le soutien de la
majorité des Israéliens, ou bien il fait une alliance à l'intérieur d'Israël.
C'est l'un ou l'autre. Si nous sommes amenés à faire une alliance avec Sharon,
cela prendra des mois avant de revenir à la table des négociations. Si, en
revanche, les Palestiniens laissent entendre qu'ils sont prêts à répondre aux
propositions de Clinton, Barak repoussera la perspective du gouvernement de
coalition. La clé est dans les mains d'Arafat.
- Vous,
personnellement, en tant que travailliste, soutiendriez-vous un gouvernement de
coalition ?
Je préfère tout nouveau gouvernement à de
nouvelles élections. La situation est une situation d'urgence qui nécessite un
gouvernement d'urgence nationale plutôt qu'un gouvernement d'union nationale. Si
demain un tel cabinet devait être mis en place, je n'aurais qu'une condition
pour le soutenir : que Sharon n'ait aucun droit de veto sur le processus de
paix. En cas contraire, je pense que je ne le soutiendrai pas.
-
Pensez-vous Barak sérieusement menacé ?
Je pense qu'il est beaucoup plus avancé avec
Sharon qu'on ne le croit. Par ailleurs, je pense aussi qu'il négocie
discrètement avec le Shass... Il joue sur les deux tableaux.
-
Vous avez récemment dit que vous aviez beaucoup de reproches politiques à faire
à Ehoud Barak, mais que vous n'en diriez alors pas plus. Pouvez-vous en dire un
peu plus maintenant ?
Dans une situation politique normale, je
n'aurais pas hésité une seconde à dire ce que je pense de certains incidents,
mais aujourd'hui la moindre critique affaiblit le gouvernement et ce n'est pas
quelque chose que j'ai envie de faire. J'aurai toujours le temps de dire ce que
je pense. »
13.
Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi
30 octobre 2000
Doubles messages [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
A
la fin de la semaine dernière, l'un des chefs de la sécurité palestinienne,
Djibril Rajoub, a pris la peine d'inviter des journalistes israéliens à une
conférence de presse afin d'y exposer le point de vue palestinien au public en
Israël. Le chef de l'équipe palestinienne des négociateurs, Saeb Erekat, a fait
de même en menant une discussion avec le ministre israélien Amnon Lipkin-Shahak
sur une chaîne de télévision. Il serait souhaitable de considérer avec tout le
sérieux nécessaire cette campagne d'information et de communication, parce
qu'elle témoigne de l'importance de l'opinion publique israélienne, pour les
dirigeants palestiniens. Ils connaissent bien le fonctionnement de la démocratie
israélienne et la capacité de l'opinion à peser sur les positions du
gouvernement.
Mais le message palestinien n'est pas clair. Le public
israélien, qui a vu ses relations avec les Palestiniens se dégrader
considérablement, refuse d'entendre un double message. Si, parallèlement à sa
campagne d'information et de communication, l'Autorité palestinienne ne parvient
pas à empêcher les tirs d'armes à feu sur les immeubles d'habitations de Guilo
ou de Psagot, si des extrémistes font exploser des engins piégés au passage de
véhicules israéliens, (...), le message verbal n'a que peu de sens.
Israël
n'est pas exempt non plus de doubles messages trompeurs. Le Premier ministre
souligne certes que le processus de paix n'est pas encore mort et se dit prêt à
envisager de répondre favorablement à l'invitation du président Clinton (...),
mais, parallèlement, il s'est empressé de proclamer l'interruption du processus
de paix afin de réévaluer la situation, menace de mettre en oeuvre une
séparation unilatérale d'avec les Palestiniens, etc...
Les deux parties
s'efforcent à présent de remporter un point supplémentaire auprès de l'opinion
publique mondiale et de limiter les dommages endurés au cours du mois dernier.
Arafat cherche à redevenir persona grata aux Etats-Unis, et Israël
souhaite retrouver le statut qu'il avait acquis en Europe. De plus, il est
impossible de négliger l'importance de la dégradation des relations entre Israël
et les pays arabes.
Mais la campagne publique menée tant par Israël que par
l'Autorité palestinienne, aussi importante soit-elle, ne peut se substituer au
processus de paix.
14. Al-Ahram (quotidien
egyptien) du samedi 28
octobre 2000
Arafat : Mubarak a réussi à obtenir l'unité des Arabes dans
leur soutien au peuple palestinien. [traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Le Président palestinien, dans un entretien exclusif avec notre
journal : "Personne ne peut porter atteinte à l'Egypte, ni à l'unité (de vues)
égypto-palestinienne. Le sommet arabe a répondu aux demandes de la Palestine et
apporte son soutien à notre insurrection".
Le Président de la Palestine,
Yasser Arafat a affirmé que le Président (égyptien) Husni Mubarak a réussi à
réunir les Arabes en vue de venir au secours du peuple palestinien, de
l'appuyer, de le soutenir. En effet, le sommet arabe réuni à l'invitation du
Président Husni Mubarak a permis de satisfaire aux exigences palestiniennes,
arabes et mondiales, de réaffirmer les constantes des positions palestiniennes
et arabes dans le processus de paix et d'apporter un soutien moral au peuple
palestinien, surtout sur les plans financier, politique, médical et médiatique.
Le Président Arafat a déclaré à notre correspondant à Gaza que "personne ne peut
porter atteinte à (la réputation) de l'Egypte, qu'il s'agisse de son Président,
de son peuple, de son rôle international et des sacrifices auxquels elle
consent. Les relations égypto-palestiniennes ne sauraient non plus être mises en
doute".
Le Président palestinien a tenu à remercier l'Egypte et le Président
Mubarak et à réaffirmer l'importance de l'union d'appartenance nationale qui
attache le peuple palestinien au peuple de Kinana (l'Egypte) et à son Président.
Il a, de même, remercié et tous les peuples et les responsables arabes pour le
soutien qu'ils apportent au peuple palestinien insurgé, les assurant de sa haute
estime, insistant sur l'importance du sommet arabe extraordinaire, qui marquera
une date importante dans les (nécessaires) réconciliations inter-arabes.
Y.
Arafat nous a indiqué que la Nation arabe est à même de faire face à tous les
défis et que le Conseil Central Palestinien se réunira le mois prochain afin de
prendre une décision en ce qui concerne la proclamation de l'Etat palestinien
indépendant, avec (la sainte ville de) Jérusalem pour capitale.
Répondant à
une question sur le plan israélien de séparation totale, visant à isoler et à
encercler les villes et les villages palestiniens, en coupant toutes leurs inter
relations, Y. Arafat nous a déclaré : "Nous sommes en faveur de la séparation
politique basée sur le tracé des frontières de 1967 et pour (l'application des)
résolutions de la légalité internationale, (toutes choses) amenant à
l'établissement de l'Etat palestinien, avec Jérusalem pour capitale. Nous sommes
contre une séparation qui ne serait que géographique et économique".
Y.
Arafat nous a indiqué que le peuple palestinien espérait l'envoi rapide d'une
protection internationale et d'une commission internationale d'enquête sur les
massacres commis par l'armée israélienne à son encontre.
Il a affirmé que la
réponse israélienne au message de paix que lui a envoyé le sommet arabe n'a pas
été autre chose que l'escalade dans l'agression et le durcissement du blocus.
Pis : le premier ministre israélien, Yhud Barak, a décidé de suspendre les
négociations et de poursuivre la concentration de troupes et l'escalade
militaire, ce qui équivaut - officiellement et politiquement - à une fin de
non-recevoir.
Pour Y. Arafat, nous devons ne pas perdre de vue que nous avons
signé les accords d'Oslo, avec les responsables israéliens, à la Maison-Blanche,
avec Ishaq Rabin, qui n'a pas échappé aux mains des extrémistes israéliens, puis
d'autres accords, à Taba, au Caire, à Paris, à Washington, à Wye-River, avec
Netanyahou, et aussi l'accord d'Hébron et deux accords fondamentaux à Sharm
al-Shaykh avec Barak lui-même... Et, malheureusement, pas un seul point de
l'accord de Sharm al-Shaykh n'a connu un début de mise en application.
Y.
Arafat a tenu à jouter que le président américain William Clinton sera
indisponible jusqu'au 7 novembre, car la campagne présidentielle touche à sa
fin, mais que nous ne devons pas oublier les efforts sincères et constants qu'il
a déployés pour sauvegarder le processus de paix.
15. Le Magazine
(hebdomadaire libanais) du 27 octobre 2000
Marwan Barghouti : "L'intifada est à ses débuts"
propos recueillis par Walid Charara
Dans un entretien accordé à Magazine par téléphone à partir de Paris, le
chef du Fatah en Cisjordanie et membre du Conseil législatif palestinien, Marwan
Barghouti, ennemi public numéro un en Israël, affirme que l'intifada n'en est
qu'à ses débuts et appelle les peuples arabes à la soutenir.
Questions à un
homme de terrain.
PARIS, DE NOTRE CORRESPONDANT
- Que
pensez-vous des résolutions du sommet arabe ?
Ces résolutions
sont en deçà de nos attentes et de nos espoirs. Bien que la tenue d'un sommet
arabe, une première depuis la crise du Golfe, ait été rendue possible par
l'intifada, ces résolutions ne sanctionnent absolument pas Israël. Nous nous
attendions au moins à une rupture des relations diplomatiques et de toute forme
de relation politique, économique et culturelle entre les pays arabes et ce
dernier. Nous nous attendions aussi à des sanctions contre les Etats-Unis, dont
le soutien inconditionnel à Israël est à l'origine de sa politique de répression
et de massacre contre notre peuple. Ça n'a pas été fait. Cela dit, une
résolution positive doit être signalée, celle suggérée par Son Altesse le prince
Abdallah ben Abdel Aziz de créer deux fonds de soutien au peuple palestinien.
- Quelles sont les perspectives de l'intifada alors que le
soutien politique officiel arabe est aussi limité ?
L'objectif
de l'intifada est un retrait total de l'occupant israélien de l'ensemble de nos
territoires occupés en 1967. Nous voulons, par le biais de l'intifada, changer
les règles du jeu. Israël imaginait que nous étions devenus les otages de la
table de négociation sans capacité d'action sur le terrain, sans moyens de
pression quelconques. Or des moyens de pression, nous en avons... Nous ne sommes
pas opposés au processus de paix, à condition qu'il aboutisse à la création d'un
Etat palestinien pleinement indépendant et souverain avec Jérusalem-Est comme
capitale. En attendant, l'intifada continuera et nous refuserons tout accord qui
viserait à l'arrêter avant la réalisation de nos objectifs nationaux.
- L'image d'Israël a été ternie par les crimes commis par son
armée en direct devant les caméras du monde entier. Mais mis à part cette
«victoire médiatique», quelle est votre capacité de nuisance pour faire payer à
l'occupant le prix le plus lourd possible ?
L'intifada n'en
est qu'à ses débuts. C'est un mouvement populaire insurrectionnel qui va
s'installer dans la durée et qui nécessite de la patience, des sacrifices, de
l'obstination et une longue haleine. Nous avons commencé pour le moment par une
campagne de boycott des produits israéliens, et vous savez que nous sommes le
deuxième marché au monde pour ces produits. Nous avons aussi bloqué les routes
de contournement construites pour les colonies israéliennes et créé des comités
populaires armés pour protéger notre peuple contre les agressions des colons...
Le mouvement est à ses débuts et va augmenter en intensité dans les semaines et
mois qui viennent.
- Un gouvernement d'union
nationale va peut-être voir le jour en Israël. Allez-vous répondre par la
création d'une direction unifiée avec l'ensemble des organisations de résistance
?
L'unité nationale est l'une des caractéristiques de notre
intifada. Depuis le début, nous avons créé un comité composé de représentants de
treize organisations et partis palestiniens qui se réunit pres-que
quotidiennement pour évaluer la situation et décider des initiatives à prendre.
Nous allons bien sûr resserrer encore plus les rangs aujourd'hui.
- Quelles sont les
relations entre le Fatah et l'Autorité palestinienne ?
Le président du Fatah est,
comme vous le savez, le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat.
Notre mouvement est représenté dans les différents appareils et structures
de l'Autorité, mais il existe aussi en tant que cadre organisationnel en dehors
des structures de l'Autorité, en tant qu'organisation populaire de résistance.
- Que pensez-vous des deux opérations du Hezbollah (la capture
des militaires israéliens) en soutien à l'intifada ?
Je tiens
à adresser via Magazine mes plus sincères et chaleureuses salutations
fraternelles à mes frères du Hezbollah. Leurs opérations héroïques ont eu un
rôle fondamental dans la consolidation du moral de notre peuple et nous ont
incités à redoubler d'ardeur dans notre lutte contre l'occupant. Je profite de
l'occasion pour leur lancer un appel au nom des familles des prisonniers
palestiniens les invitant à joindre la liste de ces prisonniers à la leur en cas
de négociation. Nous avons des prisonniers qui ont déjà passé plus de vingt-cinq
ans en prison.
- Un dernier mot aux Libanais et aux Arabes...
Nous et les Libanais sommes en réalité un seul peuple. Nous
nous sommes battus côte à côte contre Israël et nos sangs se sont mêlés. Nous
n'oublierons jamais les sacrifices consentis par les Libanais pour notre cause.
Nous avons le même destin et le même ennemi et devons être plus que jamais unis.
La mobilisation de nos frères arabes à nos côtés est aussi essentielle pour
nous. Nous appelons à la poursuivre et à la développer. Du résultat de la partie
qui se joue aujourd'hui en Palestine dépendra l'avenir de toute la nation arabe.
[Qui est-il ? - Marwan Barghouti est l'un
des leaders les plus actifs du Fatah en Cisjordanie, dont il est le secrétaire
général. Il joue un rôle central dans l'intifada. Né en 1959 dans le village de
Kaobar, en Cisjordanie, il rejoindra, dès le début des années 70, les rangs du
Fatah et sera emprisonné en 1978 durant six ans. En 1987, avec le début de la
première intifada, il sera arrêté et expulsé vers la Jordanie. Il reviendra en
Palestine après les accords d'Oslo. Elu membre du Conseil législatif de
l'Autorité palestinienne (Parlement) en 1995, il consacrera une grande partie de
son activité à réorganiser le Fatah. Son épouse n'est autre que la fille de
Khalil el-Wazir, Abou Jihad, tué en 1988 à Tunis par les Israéliens. Abou Jihad
était considéré comme le «chef d'orchestre» de la première intifada
(1987-1992).]
16. Le Magazine
(hebdomadaire libanais) du 27 octobre
2000
Le Fatah de la clandestinité à la
consécration internationale
Le Mouvement de libération de la
Palestine ou Fatah est le groupe politique et militaire palestinien qui
constitue la principale faction au sein de l'Organisation de libération de la
Palestine (OLP). Actif depuis le milieu des années cinquante, il se composait à
l'origine d'un réseau hétéroclite de groupes disséminés dans des camps de
réfugiés. Yasser Arafat, Salah Khalaf (Abou Ayad) et, plus tard, Khalil el-Wazir
(Abou Jihad), figurent parmi ses membres fondateurs. Sa création officielle, le
1er janvier 1965,
a été annoncée par un premier communiqué qui revendiquait
une opération au nom de sa milice,
Al-Asifa.
A l'origine groupe de
guérilla clandestine, il acquiert de l'importance après la guerre des Six-Jours.
En 1968, le Fatah rejoint l'OLP, dont il prend le contrôle en 1969 avec
l'élection de Yasser Arafat à la présidence de son Comité exécutif. La mise sur
pied de milices dans les pays bordant les frontières israéliennes conduit à une
série d'actions de représailles contre les Palestiniens, notamment en Jordanie,
dont les forces palestiniennes sont expulsées en septembre 1970.
La plupart
des chefs historiques du Fatah sont morts assassinés par Israël: Abou Jihad,
Abou Ayad, Abou el-Hassan Salamé, Abou el-Hol...
Actuellement, l'orientation
politique générale de l'OLP repose sur les résolutions du Conseil national
palestinien (CNP) de 1988, qui appelait à une solution négociée prévoyant la
reconnaissance de l'Etat d'Israël et la création d'un Etat indépendant. Les
fidèles de Yasser Arafat demeurent majoritaires au sein de l'OLP, et les postes
les plus importants du Comité exécutif sont détenus par des membres du
Fatah.
17. Al-Hayat (quotidien
arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre
2000
La force peut momentanément écraser, elle ne saurait
vaincre ! par Benazir Bhutto, ancien Premier Ministre du Pakistan,
Secrétaire générale du Parti du Peuple pakistanais [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Le processus de paix
d'Oslo gît dans son propre sang, dans les rues de Ramallah et de
Jérusalem.
Une vague de violence extrême a été déclenchée par Yhud Barak,
réveillant un volcan de colère dans l'ensemble du monde musulman. Les pertes en
vies humaines sont importantes, parmi lesquelles beaucoup d'enfants.
Le monde
entier a été témoin de ce spectacle affreux : l'assassinat de l'enfant
palestinien Muhammad Al-Dirra, fauché par les balles dans les bras de son père.
Ces vues ont incarné pour beaucoup la violence aveugle qui s'est emparée du
Moyen-Orient depuis plus d'un demi-siècle. Le refus, de la part du gouvernement
israélien, d'ouvrir une enquête sur ce crime barbare ou de mettre un frein à
l'escalade de la violence pratiquée par ses forces armées n'ont pu que renforcer
des préjugés déjà bien ancrés dans les esprits, ce qui a entraîné le lynchage
des deux soldats israéliens.
Le processus de paix a reçu un coup violent
lorsque la communauté internationale s'est montrée incapable d'agir au cours des
deux premières semaines de troubles et d'affrontements qui ont entraîné la mort
de plus de cent trente personnes, des Palestiniens dans l'écrasante majorité.
Les événements de Cisjordanie et de Gaza ont remis dans les mémoires les
massacres dont les Musulmans ont été les victimes en Bosnie, au Kosovo et en
Tchétchénie.
Ainsi, une fois de plus, nous constatons la passivité de la
communauté internationale face à une crise qui pourrait avoir les plus graves
conséquences. Nombreux sont ceux, de part le monde, qui auront pu avoir
l'impression que le monde n'a tenté d'intervenir politiquement dans la crise
qu'après la mort des deux soldats israéliens.
De là découle l'impression que
la communauté internationale accorde à la vie de deux soldats israéliens une
valeur supérieure à celle de cent Palestiniens. Que cette impression soit fondée
ou non, elle ne peut que susciter, entre autres choses, la colère du monde
musulman et nourrir les mouvements extrémistes qui sont actifs en son
sein.
La situation internationale actuelle est la suivante : les Nations Unis
et Washington, ainsi que les riches capitales des grands pays industrialisés
(G7) se tiennent à l'écart des événements, ce qui a pour effet que la majorité
des gens dans le monde musulman rejettent leur colère sur les gouvernements de
ces pays riches, les accusant de faiblesse et d'incapacité, ce qui ne peut que
contribuer à affaiblir toute politique modérée.
Il en allait autrement, du
temps de la guerre froide : l'ordre mondial était en équilibre entre deux
grandes puissances, et les états, ou les peuples, lorsqu'ils ressentaient une
oppression, regardaient avec espoir en direction de l'une ou de l'autre. Mais la
fin de la guerre froide a entraîné l'installation d'un monde unipolaire, et il
s'agit d'un monde qui n'a pas encore jeté les bases d'un système juridique
assurant la justice. La majorité de la société internationale se tourne vers les
Etats-Unis, les Nations Unies, et même le Conseil de Sécurité, ayant échoué à
affirmer son efficacité dans ce domaine.
Il est indispensable de créer des
instances internationales permettant d'aplanir les conflits ou de les prévenir.
A défaut de telles instances, le danger existera que des politiques sanguinaires
ne nourrissent des politiques de haine. Il y a aussi les politiques
électoralistes et les sondages qui révèlent les tendances de l'opinion publique,
afin de déterminer la capacité des gouvernements à répondre - ou à ne pas
répondre. Nous pensons que les Etats-Unis, occupés actuellement par les
élections présidentielles, s'intéressent moins aux questions internationales. Le
problème est que les musulmans américains ne disposent pas de l'influence
électorale qui leur permettrait d'exercer une pression suffisante en vue d'une
intervention qui mettrait un terme au massacre dès ses premières manifestations.
En Israël-même, la vague de violence sanguinaire déclenchée par la visite
d'Ariel Sharon sur l'esplanade des mosquées a contribué à renforcer la position
politique d'Yhud Barak, les sondages ont montré que sa popularité a fait un bond
de trente pour cent, passant de 20% à 50% d'opinions favorables. Dans le monde
politique d'aujourd'hui, qui est le monde des sondages d'opinion et des groupes
de pression capables de s'exprimer avec efficacité, les hommes politiques sont
contraints, de part leur nature-même d'hommes politiques, à prendre en compte
ces forces et ces indices. Et dans le monde d'aujourd'hui, il y a peu de vrais
hommes d'Etat, le monde en aurait grand besoin s'il veut vivre en paix. Il
s'agit de ces dirigeants capables de prendre les décisions indispensables,
fussent-elles impopulaires.
Changer l'état des choses existant exige du
courage, une capacité à assumer un déficit temporaire de popularité en vue de
gagner une place éternelle dans l'histoire.
La vague de violence
actuelle peut aboutir à une remise en considération des dimensions géographiques
et religieuses du problèmes d'une manière qui contribue à permettre
l'instauration de la paix. La dispersion des Palestiniens entre des enclaves
éparses et isolées, dans des frontières contrôlées par les Israéliens ne pouvait
que pérenniser la tension. Peut-être ceci était-il utile, d'une certaine
manière, avant la création de l'Autorité autonome palestinienne. Mais depuis
lors, il semble qu'il eût été préférable de passer à une situation plus
rationnelle.
Le chemin vers la paix est semé d'embûches, car les extrémistes
des deux côtés enflamment les sentiments et font de la surenchère dans les
objectifs, et tant Yasser Arafat qu'Yhud Barak ont fait preuve de courage
lorsqu'ils ont accompli leur pas commun vers la paix. Mais de nos jours, à
l'époque des télécommunications ultra-rapides, les gens demandent des solutions
immédiates. Mais le monde est fondé sur les affects et les volontés humaines,
qui ne permettent pas les solutions rapides. Oui, il y a encore beaucoup de
problèmes en suspens, et leur solution demandera certainement quelque
temps.
Le Pakistan et le Bengladesh sont deux pays musulmans, et ils ne sont
pas encore parvenus, jusqu'à ce jour, à régler plusieurs problèmes pendants
entre eux, depuis la sécession de 1971. Ceux qui blâment Yasser Arafat pour
avoir accepté des solution en-deçà de l'objectif recherché font preuve d'une
sévérité injuste, car il est indispensable de trouver où poser le pied lorsqu'on
est devant le seuil, avant de pouvoir pénétrer dans la maison. En d'autres
termes, en acceptant une paix faible et vermoulue, Yasser Arafat ouvre la voie
vers une solution du problème. Ce serait faire preuve de manque de vision que
considérer que ce que Yasser Arafat a accepté jusqu'ici correspond à la solution
définitive.
Il y a aujourd'hui, dans le monde, près d'un milliard de
musulmans, et ce poids démographique leur donne une force particulière. Mais
beaucoup de musulmans vivent dans un cercle vicieux d'amertume et de pessimisme
- ce cercle vicieux qui a commencé avec la défaite de 1948. Ces sentiments n'ont
pas tardé à se transformer en un profond abattement lorsque ces musulmans se
sont retrouvés confrontés à l'impasse de l'injustice qui s'est abattue sur eux,
d'une part et, d'autre part, de l'impuissance à y faire face. La violence n'est
qu'une des conséquences de l'impasse. Nous voici, au seuil du vingt et unième
siècle, découvrant que la paix que l'on nous promettait au siècle passé est
menacée des plus graves dangers. Cette paix repose sur la capacité du président
Arafat - qui avance en âge - et du régime de Barak - qui se durcit de plus en
plus - à aller de l'avant. Dans une telle situation, il ne sert à rien,
assurément, de recourir aux hélicoptères et à l'artillerie lourde. Le
gouvernement de Barak, en employant ces moyens militaires, donne l'impression
qu'il ne veut pas la paix avec son adversaire, mais qu'il veut le contraindre à
la soumission au moyen de la terreur.
Militairement, Israël domine, c'est un
pays qui dispose de l'arme nucléaire. Une telle supériorité militaire devrait
donner à Barak une confiance en lui suffisante, qui lui permette de dépasser ses
craintes et de faire les pas décisifs nécessaires, en vue de la paix, en
direction des Palestiniens.
Une chance de paix existe encore tant que le chef
palestinien sera là. Les protagonistes doivent la saisir. Si cela n'est pas
fait, le danger est grand que les fantômes du passé ne reviennent menacer le
Moyen-Orient.
Si l'histoire peut nous offrir une leçon, c'est bien que la
force peut écraser, momentanément, mais qu'elle ne saurait vaincre
définitivement.
18. Al-Hayat
(quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre
2000
Damas : un gouvernement d'urgence
signifierait la guerre dans la région [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Damas.
Les journaux gouvernementaux syriens ont
qualifié la décision du premier ministre israélien Yhud Barak de procéder à des
consultations avec le chef du Likoud, Ariel Sharon, en vue de la constitution
d'un "gouvernement d'urgence" de "déclaration ouverte de guerre" contre les pays
arabes. Ils ont indiqué que le Moyen-Orient est "à la veille de développements
peut-être parmi les plus dangereux" de toute l'histoire du conflit
arabo-israélien.
Le journal Al-Baath, organe du parti au pouvoir, écrit dans
son édition d'hier : "en recourant au gel du processus de paix et à des
négociations approfondies avec le terroriste Sharon pour former ce qu'il appelle
un "gouvernement d'urgence", Barak fait tomber les derniers masques de son
cursus obstinément destructeur et déclare ouvertement la guerre à l'ensemble de
la nation arabe, et non pas seulement au peuple palestinien, plaçant le
Moyen-Orient face à des développements qui sont peut-être les plus dangereux de
toute l'histoire du conflit arabo-israélien. Al-Baath ajoute : "ce n'est plus un
secret pour personne que l'ensemble de la situation et des développements à
l'intérieur d'Israël ne font pas autre chose que pousser les choses avec
obstination et suivant un plan préétabli vers la guerre".
De son côté, le
journal Tishrin écrit, dans son édition d'hier également, que Barak a, depuis
toujours, utilisé Sharon comme "épouvantail", mais que cet épouvantail a perdu
tous ses effets. Barak lui-même ne dispose pas d'autre arme, après avoir recouru
à toute l'artillerie lourde possible pour terroriser la population palestinienne
et tenter de faire ployer sa volonté, de baillonner son insurrection et le
contraindre par la force à renoncer à ses droits à son Jérusalem et à ses lieux
saints", indiquant que la formation par Barak d'un gouvernement de coalition
avec Sharon ne signifierait pas autre chose que "la destruction par Israël du
processus de paix et la fuite en avant dans des aventures militaires insensées
qui ne sauraient aboutir qu'au dévoilement d'une partie supplémentaire du visage
hideux d'Israël, de sa menterie, de son hypocrisie et de son aversion pour la
paix, prédisant qu'"Israël ne récolterait de telles aventures que la déception
et le chaos" et qu'"il ne pourrait que renforcer la conviction de l'ensemble du
monde arabe et du monde, d'une manière générale, que les dirigeants israéliens
ne veulent pas la paix, pas plus à l'avenir qu'aujourd'hui, et qu'ils
nourrissent les desseins les plus noirs à l'encontre de la région arabe".
Tishrin ajoute que les Arabes ne peuvent rien faire d'autre que "résister à
l'agression et oeuvrer à faire échouer ses objectifs, en dépit de leur
attachement sincère à la paix".
19.
Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
du mercredi 25 octobre 2000
Damas : un
gouvernement d'urgence signifierait la guerre dans la région
par Salamé Nimat [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Violents affrontements durant
plus de quatre heures à proximité du pont Al-Husseïn
Près de cent personnes,
parmi lesquelles douze policiers jordaniens, ont été blessées au cours
d'affrontements qui ont éclaté, hier, lorsqu'une dizaine de milliers de
manifestants participant à la "Marche du Retour" ont tenté de s'approcher du
Pont Al-Huseïn qui relie la Jordanie à la Cisjordanie, afin d'exprimer leur
solidarité avec le peuple palestinien confronté aux agressions
israéliennes.
Les forces de police ont utilisé les gaz lacrymogènes, les
canons à eau et les matraques, afin d'empêcher les participants à la marche de
se diriger vers le pont, les bloquant environ trois kilomètres avant
celui-ci.
La pluie, très violente, n'a pas dissuadé plusieurs autres milliers
de personnes de se rassembler, mais la police leur a interdit de se joindre à la
marche de protestation dès que le nombre de participants a dépassé celui qui
avait été fixé d'un commun accord, avant-hier, entre les organisateurs et la
police, déterminant ainsi un seuil au-delà duquel la manifestation serait
déclarée illégale. Les autorités ont indiqué avoir procédé à quarante six
arrestations parmi les manifestants, au cours d'affrontements qui se sont
poursuivis durant environ quatre heures, assurant que tous avaient été libérés
par la suite.
Le ministre de l'intérieur jordanien, Awadh Khuleïfat, avait
rencontré la commission du conseil des syndicats professionnels, dirigée par
Salah al-Armuti, et avait donné son accord au départ du cortège, M. Khuleïfat
limitant le nombre d'autobus autorisés à transporter les participants à
quarante-cinq, mais le nombre des participants a été, de beaucoup, supérieur, ce
qui a amené les forces de l'ordre à empêcher un grand nombre de personnes de se
rendre au point de rendez-vous fixé pour le départ de la Marche du Retour, au
pied du monument aux martyrs de la bataille de Karaméh, où fut récitée la prière
musulmane de la Fatiha "pour le repos des âmes des martyrs de l'armée arabe et
de l'Intifada d'Al-Aqsa". Des gerbes (couronnes) de fleurs furent
déposées.
Treize partis d'opposition étaient parties prenantes à la
manifestation, aux côtés des syndicats, après qu'une autorisation eût été
obtenue des autorités au cours d'une réunion avec des représentants du
gouvernement, en présence du directeur de la sécurité générale.
Salah
al-Armuti a déclaré que la manifestation avait pour objectif d'affirmer le droit
au retour des réfugiés palestiniens et les droits arabes et islamiques sur
Jérusalem. Les manifestants ont demandé la rupture des relations diplomatiques,
sous toutes leurs formes, avec Israël, et ont appelé à la lutte (jihad) en vue
de la libération de la Palestine. Certains avaient endossé des tee-shirts
décorés de la carte de la Palestine naturelle, comprenant les parties de la
Palestine dévolues à l'Etat d'Israël.
Tout au long du parcours de la
manifestation ont été vus des véhicules blindés appartenant aux forces de
l'ordre, tandis que des hélicoptères le survolaient, et que se multipliaient les
mesures renforcées de maintien de l'ordre. D'autres mesures de prévention des
troubles avaient été prises par les instances sécuritaires dans d'autres régions
du pays, afin de couper court à tout débordement.
20.
Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
du mardi 24 octobre 2000
Les tueries
israéliennes entre la colère des peuples et les positionnements des autorités
gouvernementales dans les pays arabes par
Raghid al-Sulh [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Raghid al-Sulh
est un chercheur libanais)
Les responsables israéliens évoquent très souvent
la démocratisation des pays arabes au cours de leurs débats au sujet de l'idée
d'une paix possible avec les Arabes. Ces deux concepts, paix et démocratisation
arabe, vont de paire dans l'esprit d'une large couche de responsables
israéliens, qui répètent que les peuples arabes sont favorables à la paix et la
veulent, mais que le problème est, de leur point de vue, celui des élites
politiques arabes qui font obstacle à la paix à cause de "leurs intérêts
étriqués et de leurs calculs égoïstes". Les élites arabes craindraient, selon
ces théories, que leurs peuples ne soient influencés, dans le cas où une paix
israélo-arabe s'instaurerait, par l'exemple du progrès israélien, basé sur les
principes démocratiques et socialistes, et fondamentalement opposé aux modèles
absolutistes et élitistes en vigueur dans la région arabe, c'est ce qui
amènerait les gouvernements arabes à combattre Israël et à refuser toute paix
avec ce pays. Les élites gouvernementales arabes choisiraient, selon la
conception israélienne des choses, le langage de la guerre et de la lutte,
désireuses qu'elles seraient de distraire les peuples arabes des problèmes
internes et de se gagner une popularité sur le compte de la résistance
palestinienne. Les tenants de cette théorie ajoutent que les élites
gouvernementales arabes ne perdent rien en délaissant la paix au profit du
langage de la guerre et de la confrontation. Ce sont, en effet, les peuples qui
paient le prix économique et militaire des conflits, dans leur vie quotidienne.
Les élites gouvernementales, elles, n'en souffrent aucunement.
Ainsi, il n'y
aurait donc pas de problème entre les Israéliens, d'une part, et les peuples
arabes, d'autre part, et les Arabes n'auraient par conséquent aucun motif de se
plaindre d'Israël, de boycotter et de refuser de reconnaître ce pays et ses
intérêts. Le problème serait tout autre, forgé de toutes pièces par une infime
minorité de "gouvernants rétrogrades et tyranniques" qui prennent dans le dos de
leurs peuples, comme disent les Israéliens, les décisions de faire la guerre ou
de faire la paix et les positions hostiles, pacifiques ou amicales. Se basant
sur cette théorie présentée par certains dirigeants israéliens comme expliquant
les causes du conflit arabo-israélien et les ressorts de sa perpétuation, un
discours se répand en Israël, selon lequel la démocratisation des régimes arabes
est la condition sine qua non de l'établissement de la paix, permettant seule de
l'établir de manière durable et de donner son contenu à une conciliation
israélo-arabe. En effet, au cours du processus de Madrid, initié en 1991, Ishaq
Rabin, premier ministre israélien, avait exigé, dans deux discours successifs,
devant le Congrès juif européen et devant le Parlement européen, "des Etats
arabes qu'ils fassent des pas concrets en direction de la démocratie", en
prémisse aux négociations de paix avec Israël. Après la signature de l'accord de
paix jordano-israélien, à l'automne 1994, le journal israélien Jérusalem Post a
salué cet accord, mais en considérant sa validité comme conditionnée au fait que
le roi Huseïn, souverain de l'époque et le prince Hasan, resteraient sur le
trône hachémite. Vînssent le roi ou le prince à disparaître, l'accord serait
exposé à toutes les surprises possibles si un chef d'état tyran hostile à Israël
venait à s'emparer du pouvoir en Jordanie, les mêmes raisons ayant les mêmes
effets que dans les autre pays arabes. Que faire, alors ? Comment, dans ces
conditions, garantir à l'avenir la paix jordano-israélienne ? Le journal
israélien répond à cette interrogation en avançant que la seule voie est
d'accélérer l'instauration d'un régime démocratique représentatif, car alors -
et alors, seulement - l'écrasante majorité des Jordaniens, désireux de paix et
ne nourrissant aucune animosité à l'encontre d'Israël, seraient les garants de
l'accord de paix, et que la liberté de leur choix serait la garantie de sa
longévité. C'est le discours que tiennent les responsables israéliens, quelles
que soient leurs orientations partisanes, depuis Natan Sharansky, chef du parti
Israël-Aliya, en passant par Shimon Pérès, ancien leader du parti Travailliste,
et pour finir - last but not least - par Ariel Sharon, chef du Likoud,
lorsqu'ils parlent de la paix avec les Arabes. Ils considèrent qu'à tout pas
effectué par Israël en direction de la paix doit correspondre la garantie d'un
progrès des régimes arabes d'un pas en avant équivalent en direction de la
démocratie, afin que les peuples arabes, "qui ont soif de paix avec les
Israéliens" puissent imposer leur volonté sur leurs gouvernements et que
prennent fin les tensions dans la région, que s'effacent des esprits et des âmes
les réminiscences amères de l'agressivité envers Israël.
Bien entendu, les
événements abondent qui mettent à nu la faiblesse de cette prétention qui
voudrait que les problèmes rencontrés par Israël et le sionisme ne les opposent
qu'aux élites gouvernementales - et non aux peuples - arabes. Le dernier en date
de ces événements n'est autre que la réaction populaire aux actes de violence
perpétrés par les forces israéliennes contre les Palestiniens. Même si des
évaluations chiffrées et quantitatives de ces réactions n'ont pas encore été
réalisées par des instituts de sondage ou par des consultations populaires, les
expressions puissantes des sentiments des populations qu'ont connu la plupart
des pays arabes donnent une indication significative du positionnement de
l'opinion publique arabe vis-à-vis du sionisme et de l'agressivité israélienne.
C'est ce que les caractéristiques de ces actions de réprobation, énoncées
ci-après, établissent assez nettement :
1 - l'ampleur et le nombre des
manifestations de protestation sont les premières caractéristiques notables,
relevées par les observateurs unanimes à les considérer comme les mouvements
populaires les plus importants jamais observés dans le monde arabe, à l'instar
de la manifestation de Rabat suivie par près d'un demi-million de personne, tant
manifestantes que manifestants. Le caractère massif et profond de la révolte
populaire se mesure également au fait que les manifestations ont eu lieu
également dans les villes de province dans plusieurs pays, notamment en Syrie,
en Jordanie et au Yémen. Dans certains cas, comme en Jordanie, ces
manifestations se sont répétées quasi-quotidiennement et des manifestations ont
eu lieu dans des pays non-arabes, des capitales mondiales telles que Londres et
Paris ayant connu des actions suivies en soutien à l'"Intifada d'Al-Aqsa".
2
- dans certains pays arabes, les mouvements populaires de soutien à la cause
palestinienne ont été organisés avec l'encouragement des élites
gouvernementales, comme aux Emirats Arabes Unis ou au Maroc, dans d'autres, à
l'initiative de ces élites, comme en Syrie ou en Irak. Mais, dans d'autres pays
arabes comme, par exemple, l'Algérie, ce sont des formations d'opposition et des
associations indépendantes qui en ont eu l'initiative. Dans certains cas, les
personnes à l'initiative des manifestations, ou certaines d'entre elles, ont été
en butte à la répression des forces de sécurité, comme cela s'est produit en
Mauritanie, en Algérie ou au Maroc. Même dans les pays où ce sont les partis
gouvernementaux qui ont pris l'initiative des mouvements de protestation, il y a
parfois eu des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, comme cela
s'est produit à Damas, où l'enthousiasme des manifestants a failli faire se
départir leur mouvement de son caractère pacifique initial.
3 - la profondeur
de l'indignation de l'opinion publique arabe contre Israël et ses projets
expansionnistes a entraîné des manifestations populaires d'une ampleur sans
précédent par leur taille et par le pluralisme des participants, ainsi que par
la nature des slogans proclamés dans des contextes arabes des plus variés,
incluant le Sultanat d'Oman et les Emirats Arabes Unis.
4 - les
manifestations de masse et les protestations organisées en Jordanie et en
Egypte, c'est-à-dire dans les deux pays arabes signataires d'accords de paix
avec Israël et qui ont connu des pas conséquents sur la voie de l'ouverture
politique et d'une relative démocratisation, furent parmi les plus importantes
et des plus actives du monde arabe et cela, bien que les autorités de ces deux
pays aient pris des mesures sécuritaires très sévères afin de contenir les
réactions populaires aux opérations de répression menées par Israël contre les
Palestiniens. Il est extrêmement significatif, du point de vue de l'appréciation
de l'état de l'opinion populaire et des sentiments des citoyens et des
citoyennes arabes, que se soit déroulée au Koweït la plus importante
manifestation que ce pays ait connu depuis 1991, en solidarité avec les
Palestiniens, et en dénonciation des exactions israéliennes, si l'on garde
présent à l'esprit le fait que le Koweït est extrêmement soucieux de n'entacher
en rien ses relations avec l'administration américaine et que l'opinion tant
populaire qu'officielle est, dans ce pays, extrêmement hostile à la direction
palestinienne.
Dans la plupart des cas, ces manifestations n'ont rien
d'artificiel et elles ne sont pas organisées par les autorités gouvernementales,
comme dans les cas que nous avons évoqués, elles découlent, au contraire, bien
souvent, d'initiatives spontanées, les autorités laissant alors les populations
exprimer leurs opinions, soit qu'elles les partagent elles-mêmes, soit parce que
la sagesse politique leur dicte de ne pas défier leur opinion publique
lorsqu'elle atteint un niveau de mobilisation et de colère contre Israël tel que
celui constaté ces derniers jours. Dans tous les cas, la démocratisation des
régimes arabes ne limitera en rien la crise israélienne et ne contribuera en
rien à l'amélioration des relations de ce pays avec les pays arabes. Au
contraire, la démocratisation ne saurait aboutir qu'à l'effet inverse, à
l'augmentation de la tension. La théorie kantienne sur la paix entre états
démocratiques ne trouvera pas d'application ici, parce qu'Israël lui-même est
fondé sur des principes de ségragation raciale et religieuse et parce que la
démocratie d'Israël ne diffère pas fondamentalement de la démocratie de
l'apartheid en Afrique du Sud, fondée sur la déprivation des habitants
originaires du pays de leurs droits démocratiques, nationaux et humains
fondamentaux. Le déni des droits des Palestiniens dont nous sommes les témoins
aujourd'hui dans les territoires palestiniens occupés n'est pas autre chose que
la traduction dans les faits de ces
principes.
21.
Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres)
du mardi 24 octobre 2000
Avant la démocratie,
l'état autoritaire non-totalitaire par
Muwaffaq Naïrabiyyéh [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Muwaffaq
Naïrabiyyéh est un chercheur syrien)
Le concept de "totalitarisme" est
souvent employé dans le logos politique arabe et l'auditeur (ou le lecteur)
ressent que quelque chose, dans ce terme - pour peu qu'il en connaisse certaines
des pertinences historiques - ne s'applique pas aux typologies politiques ainsi
qualifiées. L'auditeur (ou le lecteur) donc, perçoit une certaine différence
entre les modèles de l'Italie fasciste, de l'Allemagne nazie ou de la Russie
communiste et les types de gouvernements dictatoriaux qui sévissent de nos
jours, pour la plupart d'entre eux, dans le tiers-monde.
La majorité des
spécialistes de sociologie politique tombent d'accord sur le fait que le
totalitarisme est un type de gouvernement qui n'autorise aucune liberté
individuelle, et qui oeuvre à soumettre et conformer tous les aspects de la vie
des individus au carcan de l'état. Mussolini a employé le premier le terme
de "totalitaire" - il en est même le créateur - dès le début des années vingt et
il a explicité le régime qu'il entendait instaurer en disant que ce serait un
régime "dans lequel tout est dans l'Etat, personne n'est en-dehors de l'Etat,
personne ne peut être contre l'Etat". Après la seconde guerre mondiale, le terme
"totalitaire" a servi à résumer le concept de pouvoir absolu et hégémonique d'un
régime de parti unique.
En Amérique latine, on n'hésita pas à employer un
autre concept pour désigner le type de gouvernement qui a marqué
particulièrement la deuxième moitié du siècle, c'est celui d'"autoritarisme". Il
s'agit pour l'essentiel du "principe de soumission totale à l'état, avec ce que
cela comporte de dénégation de la liberté individuelle de penser et d'agir". Ce
concept se traduit, dans la structure du régime, par la concentration du pouvoir
entre les mains d'un chef ou d'une élite très restreinte, exempts de toute
responsabilité constitutionnelle devant le peuple. Ce genre de gouvernements
autoritaires exercent leur pouvoir de manière arbitraire, sans se préoccuper des
lois existantes et sans offrir la moindre possibilité de changement par le biais
d'un choix volontaire des citoyens entre différents candidats en concurrence
pour l'accès aux responsabilités gouvernementales. Ainsi, la liberté de
constituer des partis d'opposition, ou toute forme d'instance alternative, est
très limitée, ou purement formelle, voire inexistante. Malgré l'interpénétration
des deux concepts (totalitarisme et autoritarisme) - en particulier, du point de
vue formel - l'autoritarisme se distingue du totalitarisme en ce que les régimes
du type autoritaire sont en général dépourvus d'une idéologie cohérente et
mobilisatrice et qu'ils respectent le pluralisme dans l'organisation sociale.
Ces régimes autoritaires sont généralement incapables de canaliser les
populations vers des objectifs collectifs, se contentant d'exercer la
mobilisation de ces dernières dans les limites de buts connus, que l'on peut
leur fixer d'avance, et de manière relative.
Les prémisses de l'autoritarisme
sont nées du populisme latino-américain, le représentant le plus éclatant en fut
le régime de Juan Peron en Argentine, leader qui sut s'attirer la sympathie et
répondre aux demandes des ouvriers et des couches populaires dès son accession
aux cadres du gouvernement militaire régnant, en 1943. Grâce à son programme,
dans lequel il donna la primauté à la question de la justice sociale, il
remporta les élections présidentielles de 1946. Grâce à la continuité de son
discours politique favorable au prolétariat, aux pauvres, et fustigeant l'élite
ultra-privilégiée, Peron avait réussi à créer autour de sa personne une aura de
charisme personnel - nombreux furent les dictateurs à l'imiter, par la
suite, sous une forme ou une autre - dans tout le sous-continent
sud-américain.
Ainsi naquit, au Venezuela, un parti dirigeant, le Parti
Démocratique du Travail, qui était un parti réformateur au populisme assez
marqué, mais qui ne réussit pas à imposer un leader charismatique à l'image de
l'Argentin Peron. Puis ce parti perdit peu à peu sa popularité, en raison du
maintien d'un système capitaliste digne du dix-neuvième siècle et d'un
gaspillage aigu des ressources pétrolières.
Il y eut une tentative,
également, au Brésil, menée par le président Joselino Kubtschik, entre 1952 et
1961. Ce président brésilien avait multiplié les promesses dont il ne tint
aucune, si ce n'est la création de toutes pièces de la ville de Brasilia,
capitale moderne et gigantesque musée de l'architecture contemporaine, chantier
titanesque qui entraîna une flambée inflationniste insurmontable, cause de la
paupérisation des couches de la population qui avaient, précisément, porté sur
leurs épaules Joselino, l'homme qui leur avait promis de les aider sur les plans
économique et social.
Durant cette même période, les démocrates chrétiens, au
Salvador (jusqu'aux années quatre-vingt, marquées par l'enlisement dans la
guérilla contre les maquis révolutionnaires de gauche) et au Venezuela, prirent
le relais (changement dans la continuité) des démocrates-sociaux. Cela advint
aussi au Chili, entre 1964 et 1970, année où ils durent céder le pouvoir, après
leur échec aux élections présidentielles, à Salvador Allende.
Puis l'image
des régimes du type "bureaucratique-autoritaire" commença à se configurer, en
réponse - c'est une cause parmi d'autres de son apparition - à la faiblesse de
l'administration des populistes dans les domaines économique et social comme en
matière de discours, avec le coup d'état de Pinochet, parmi les plus célèbres et
retentissants. Un régime fort s'instaura, s'appuyant sur les militaires issus
des couches moyennes de la société, capable d'imposer des mesures économiques
drastiques et impopulaires pour faire face à l'inflation et au marasme, en vue
d'encourager les investissements locaux et étrangers au Chili. La croissance
économique décolla en flèche, jusqu'au stade où elle ne pouvait plus se
poursuivre sans le retour à la démocratie politique, à l'ombre de l'hégémonie
des militaires et de leurs pratiques, avec ce que cela pouvait comporter de
contradictions entre une bureaucratie autoritariste et la liberté du marché,
avec une chute des taux de croissance et des assurances sociales en dépit de la
chute du taux d'inflation.
Entre 1964 et 1985, l'armée joua, au Brésil, un
rôle prééminent, en association avec la bureaucratie, dans l'administration de
l'économie du pays. Il en alla de même en Argentine, entre 1976 et 1983 ; en
Uruguay, après 1973. Après 1967, les militaires péruviens proclamèrent un
programme radical de réforme sociale et économique, puis ils furent confrontés à
des crises successives insurmontables et cédèrent le terrain au type de régime
bureaucratique autoritaire courant dans la région. Durant toutes les
métamorphoses successives de ce régime, une répression constante fut exercée à
l'encontre des populations, et tout particulièrement de ceux qui osaient
s'opposer ouvertement à lui : ils furent emprisonnés, torturés ou "disparurent".
Puis des formes timides de régime démocratique se succédèrent, chacune "unique
en son genre". Des élections plus libres eurent lieu après 1980, en Colombie, au
Costa-Rica, au Venezuela et au Mexique.
D'une manière générale, au cours des
deux dernières décennies du siècle, s'est mise en route une conversion acharnée
au néo-libéralisme économique, dans l'ensemble de l'Amérique latine, doublement
impulsée par des pression extérieures diverses (apparues dès avant la fin de la
guerre froide, et intensifiées depuis) et par l'impossibilité de conserver le
pouvoir dans un contexte de mal-gouvernance et de déliquescence administrative.
C'est alors que prit son essor un mouvement de libération des marchés, dans le
cadre des critères du Fond Monétaire International et des institutions du même
type. Chose remarquable : même Cuba n'a pas hésité longtemps à franchir le seuil
d'une certaine réforme économique, sans que cela ne soit accompagné d'une
quelconque volonté de réforme politique concomitante... A la fin des années
quatre-vingt dix, la situation en est parvenue au point où un gouvernement élu
démocratiquement - ou quelque chose de très approchant - est devenu le modèle
dominant sur le continent.
Ainsi, la typologie du gouvernement autoritaire
ou du gouvernement bureaucratico-autoritaire est liée aux régimes sud-américains
au pouvoir sur une bonne partie - et en particulier, durant le dernier quart -
du vingtième siècle. Ce type de régime se distingue du totalitarisme - à la
notable exception cubaine - par les traits pertinents que nous avons indiqués.
Le régime totalitaire implique l'intégration de la société à l'état,
jusqu'au point où il est rare qu'un seul citoyen reste en-dehors de l'une au
moins des organisations populaires qui se rattachent à leur tour à l'état par
des "liens organiques", organisations auxquelles nul individu ne saurait
échapper, ni s'opposer si ce n'est secrètement, tout en continuant à faire
semblant de les servir en paroles et en actes, pour la galerie. Avec le temps,
l'idéologie étatique déteignant sur la langue des citoyens, le mensonge devient
un comportement admis et finit par altérer la conviction ou être confondu avec
elle, à des degrés divers entre milieux et individus différents.
Tandis que,
dans l'état totalitaire, le chef conserve le rôle essentiel, il en découle des
rôles partiels très importants, impartis à des responsables gouvernementaux ou
administratifs, dans toute l'étendue du pyramidage hiérarchique ; c'est le règne
des ordres autoritaires et personnels, qui prennent le pas sur les règlements et
les lois, ces derniers n'étant appliqués qu'à l'immense majorité de ceux qui
sont en-dehors des élites régnantes, composées d'individualités et de groupes
dont le souci constant est d'imiter le comportement de ceux qui se trouvent
au-dessus d'eux dans tous les domaines. L'idéologie perd toute influence - dans
le cas où il y en aurait une, prétendument, en vigueur - avec le temps, au point
de ne devenir un aliment que pour les derniers chaînons du système de pouvoir :
les plus inférieurs, en quelque sorte.
La différence qui existe entre les
deux types de gouvernement - autoritaire et totalitaire - n'exclut pas
l'existence de types hybrides, totalitaires dans leur apparence et autoritaires
dans leur comportement, qui se caractérisent, dans bien des cas, par une
stabilité remarquée sur le long terme... Un tel type de gouvernement n'est
pas véritablement totalitaire, il s'y produit un certain changement, qui garde
généralement un caractère souple, pacifique, rationnel ; ce changement est basé
sur la conscience qu'ont les gouvernants que la continuation de l'état des
choses existant est impossible. On entre alors dans une phase de transition,
complexe et de courte durée... C'est ce qui est advenu - à des degrés divers,
certes - dans certains pays d'Amérique du
Sud.