SAMEDI 4 NOVEMBRE 2000 A 15H
Rassemblement de soutien au Peuple palestinien
sur le Quai du Vieux-Port à Marseille
à l'appel du Collectif pour les Droits du Peuple palestinien
 
Point d'information Palestine > N°111 du 02/11/2000


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Depuis un mois maintenant les autorités israéliennes répondent par une terrible répression aux revendications palestiniennes d’avoir un Etat indépendant. Contrairement à ce qui s’était passé en décembre 1987, lorsqu’éclata la première Intifada, les télévisions et journalistes du monde entier sont sur le terrain. La mort du petit Mohamed El Dureh a horrifié les téléspectateurs du monde entier. Sans doute pour la première fois, les téléspectateurs ont pu voir en direct les pratiques de l’armée israélienne, et l’un des derniers mythes, celui de l’armée "propre" s’est passablement écroulé. Très rapidement, la volonté de reprise en main de la presse s’est faite sentir, mais la présence de journalistes de la presse internationale sur le terrain compliquait une tâche déjà ardue. Une "reprise en main" qui s’organise sous plusieurs angles :
- D’abord sur le terrain, éloigner les journalistes et alimenter les bureaux de presse étrangères d’informations clés en main (images tournées par l’armée israélienne, visites guidées sous la protection de Tsahal....).
- Puis à l’étranger, par des attaques virulentes contre les rédactions de presse, attaques qui conjuguent accusations de désinformation et d’antisémitisme.
C’est dans ce contexte que depuis une dizaine de jours, des journalistes étrangers sont les cibles de tirs de l’armée israélienne, tirs que les journalistes palestiniens connaissent bien depuis le début des années 90. Jacques-Marie Bourget de l'hebdomadaire Paris Match a été touché d’une balle réelle au poumon alors qu’il se trouvait à distance respectable des affrontements, mais à proximité d’une base militaire israélienne. Ces derniers jours, c’est Ben Wedeman de CNN qui est à son tour blessé à la poitrine par une balle réelle alors que lui aussi se trouve loin des affrontements.
Simultanément Paris Match est victime d’une campagne visant à mettre en doute l’honnêteté et le professionnalisme des reportages ramenés de Palestine par ses journalistes, dont J-M Bourget qui se remet lentement de sa blessure dans un hôpital parisien. Sur le terrain, les journalistes palestiniens, israéliens et étrangers font un remarquable travail dans des conditions extrêmement difficiles. Ils résistent courageusement aux menaces qui leur sont faites, mais le maillon faible se trouve dans les rédactions à l'étranger, plus sensibles aux pressions, surtout si elles vont toutes dans le même sens. C’est pourquoi, il est indispensable de vous manifester auprès de la Rédaction de Paris Match, pour témoigner votre solidarité avec Jacques-Marie Bourget et les reportages publiés par l’hebdommadaire :
Monsieur Alain Genestar, Directeur adjoint de la rédaction
Paris Match - 151, rue Anatole France - 92300 Levallos-Perret
Télécopie : 01 41 34 71 23 - E-mail : agenestar@hfp.fr

 
Au sommaire

Témoignages en direct de Palestine
  1. Claude Abou-Samra citoyenne de Ramallah
  2. Olivier Boudart citoyen d'Al Bireh
  3. Hanan Boudart citoyenne d'Al Bireh
  4. Chantal Abu Eisheh citoyenne d'Hébron
Réseau Palestine
  1. Réseau Palestinien des ONG conditionne la coopération avec les Organisations israéliennes [traduit de l'anglais par Annie Fiore]
  2. PALESTA organise une rencontre à l'UNESCO (Paris) le mercredi 15 novembre 2000 
  3. Deux déclarations de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine du 18 octobre 2000
  4. Statistiques portant sur les morts et blessés palestiniens [traduit de l'anglais par Annie Fiore]
  5. Les chrétiens palestiniens ne veulent pas quitter leur terre
Revue de presse
  1. "Cela prendra du temps mais nous voulons vivre comme les autres peuples" interview de Yasser arafat par Françoise Demulder in Paris Match du jeudi 2 novembre 2000
  2. Le miroir ne ment pas par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 1er novembre 2000  [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  3. Le feu israélien cible le Fatah par Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi 1er novembre 2000
  4. L'expert israélien Martin Van Creveld voit un rempart à l'escalade : «Un mur de Berlin, la seule solution» propos recueillis par Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi 1er novembre 2000
  5. Lundi 9 octobre, bouleversé par les images de l'Intifada, Ahmad Chaarawi, jeune écolier cairote, a pris le chemin de Rafah, espérant rejoindre les Palestiniens de l'autre côté de la frontière par Dina Heshmat in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er novembre 2000
  6. Le pourquoi de l'échec américain dans le processus de paix par Hassan Abou-Taleb in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er novembre 2000
  7. Présidentielle américaine - Bush et Al Gore rivalisent dans leur soutien à Israël : Israël grand gagnant des élections par Hoda Taoufiq in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er novembre 2000
  8. Les Arabes américains penchent pour Bush par Hoda Taoufiq in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er novembre 2000
  9. Omar, clandestin terré comme un rat par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du mardi 31 octobre 2000
  10. L'horizon bouché par l'incompréhension mutuelle par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du mardi 31 octobre 2000
  11. La grande inquiétude des députés israéliens arabes propos recueillis par Yaël Avran in L'Humanité du mardi 31 octobre 2000
  12. Abraham Burg, président travailliste de la Knesset "La paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y a qu'un seul vainqueur" propos recueillis par Catherine Dupeyron et Georges Marion in Le Monde du mardi 31 octobre 2000
  13. Doubles messages in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 30 octobre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  14. Arafat : Mubarak a réussi à obtenir l'unité des Arabes dans leur soutien au peuple palestinien in Al-Ahram (quotidien egyptien) du samedi 28 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  15. Marwan Barghouti : "L'intifada est à ses débuts" propos recueillis par Walid Charara in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du 27 octobre 2000
  16. Le Fatah de la clandestinité à la consécration internationale in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du 27 octobre 2000
  17. La force peut momentanément écraser, elle ne saurait vaincre ! par Benazir Bhutto, ancien Premier Ministre du Pakistan, Secrétaire générale du Parti du Peuple pakistanais in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  18. Damas : un gouvernement d'urgence signifierait la guerre dans la région in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  19. Damas : un gouvernement d'urgence signifierait la guerre dans la région par Salamé Nimat in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  20. Les tueries israéliennes entre la colère des peuples et les positionnements des autorités gouvernementales dans les pays arabes par Raghid al-Sulh in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  21. Avant la démocratie, l'état autoritaire non-totalitaire par Muwaffaq Naïrabiyyéh in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Témoignages en direct de Palestine


1. Claude Abou-Samra citoyenne de Ramallah
Ramallah, le mercredi 1er novembre 2000.
Enfin on tourne la page de ce mois d'octobre. Trop long, plus long qu'un autre mois, et on me dit que ce mois qui commence sera long aussi. Va-t-on continuer à additionner les victimes ? Ceux qui tombent les premiers, ils ont un nom, mais on ne les connait pas forcément. On apprend à les connaître par leur photo en poster sur tous les murs, sur les voitures, sur la place d'al-manarah qui est devenue un monument aux morts. Cinq lions représentant les grandes familles de Ramallah qui existaient avant sur cette place et ont été refaits cet été se voient décorés de couronnes mortuaires pour les martyrs de la région de Naplouse vers le nord, de Bethléhem et Gaza vers le sud ... Cet hommage aux martyrs reprend sa place dans notre vie quotidienne. Jour de deuil, on ferme les magasins toute la journée. Mais les jours de deuil succédant aux jours de deuil, on annonce qu'on travaillera les matins et qu'on fermera l'après midi. Il faut protéger l'économie. Et puis comme il y a des funérailles tous les jours, maintenant on ferme pendant deux heures, le temps de porter en terre, en héros , celui qui a sacrifié sa vie. Jusqu'au jour où; comme vendredi dernier, je rentre dans notre quartier et apprends que celui qui vient de tomber, c'est Ghassan, notre plus proche voisin, qui me disait bonjour chaque matin en ouvrant le magasin de son père quand je quittais la maison. Je l'ai connu gamin, je suis étonnée quand on me dit qu'il avait 27 ans. 15 ans qu'on habite ce quartier.  Maintenant c'est sa photo qui est sur la porte du magasin, sur tous les magasins du quartier, et en montant en ville, je regarde avec plus d'attention les posters qui se succèdent, déchiffre leur nom, leur donne un âge, une famille, une mère qui pleure parce qu'il ne rentrera pas ce soir. Les
rideaux de fer sont en train de se fermer devant moi. Je regarde l'heure : 11 heures. Y a-t-il de nouvelles directives ? Non, ce sont les funérailles d'un jeune du camp de réfugiés de Jalazon .... bientôt sa photo s'ajoutera à celles des autres. Je suis montée en ville parce que j'ai rendez-vous chez le coiffeur. La vie continue. Les rideaux sont baissés mais on entre par la petite porte. Comme pendant l'intifada. Un temps qu'on croyait révolu. A l'intérieur, avec les rideaux baissés,  la radio locale diffuse l'éloge funèbre, ce que Na'ël supporte mal. Il demande de baisser. "Pourquoi, lui dit son collègue, c'est bien, ce qu'il dit". "Oui, je suis d'accord, mais pas dans un salon de coiffure". Une femme intervient. Elle ne veut pas entendre cela, parce qu'elle a un fils de 13 ans pour lequel elle tremble constamment, ne sachant que faire pour qu'il n'aille pas aux manifestations. On met la radio en sourdine mais aucune musique ne viendra détendre l'ambiance. En sortant je vois l'annonce d'une réunion, à l'initiative d'intellectuels, pour organiser la vie quotidienne dans la résistance. La première est avec le docteur Mustapha Bargouthi, président du Medical Relief, aujourd'hui à 13H. Demain à 17h le théâtre Al-Qasaba invite à un spectacle gratuit où tous les artistes qui le souhaitent improvisent des mimes, des monologues, des poésies, pour faire revivre avec une autre dimension ce que nous vivons au quotidien. Youssef y était jeudi dernier et a trouvé cela formidable. A d'autres moments le théâtre propose des spectacles pour les enfants, à prix réduits, pour qu'ils viennent se détendre, oublier les bruits des armes, des sirènes, des avions, des menaces quotidiennes. Comment protéger les enfants, cela revient sans arrêt. Les magasins étant fermés, il n'y a rien à faire en ville, je redescends chez moi par la rue de la Poste, profitant au passage des jardins où se mêlent les dernières fleurs de l'été et les premières fleurs odorantes des askédényas qui seront les premiers fruits du printemps. Cela pourrait être une belle journée d'automne comme je les aime à Ramallah, après qu'une première pluie ait lavé la poussière de l'été. Je pense à la question qu'on me posait hier : "ne penses-tu pas rentrer en France ?". Non, pas maintenant ! Impossible de partir quand la Palestine vit et souffre à ce rythme et me permet de partager ses espoirs, ses craintes, ses doutes, ses émotions, même si parfois elles sont trop fortes et trop lourdes à porter. Et quand rentrée à la maison je lis un illustre Bernard-Henri Levy - entre autres - "se demander aussi d'où venaient ces enfants, qui les avait mis en
première ligne, dans le cadre de quelle lugubre stratégie du martyr" (dans le Point du 13 octobre "halte à la diabolisation d'Israël") je le ressens comme une immense injustice, un grand mépris et une totale ignorance. Et je me décide à écrire. Comme Shulamit Aloni le dit pour Barak : "il n'a rien compris aux sentiments des Palestiniens". Cela m'amène à penser que  c'est peut-être parce que ces messieurs pensent que les Palestiniens n'ont pas de sentiments qu'on en est arrivé là où nous sommes et qu'ils ne comprennent pas ce qui arrive.

2. Olivier Boudart citoyen d'Al Bireh
Al Bireh, le lundi 30 octobre 2000.
22h45 : J'ai bien l'impression d'être au milieu d'un film…Ce matin, à la radio israélienne en arabe, ils nous ont bien annoncé que Tsahal allaient mener des opérations plus ciblées. D'ailleurs, cela m'a été confirmé cet après-midi par une dépêche de l'AFP, attrapée sur Internet. Ils nous avaient prévenus et ils n'ont pas attendu. Nous étions en train de regarder la fin d'un film, Braveheart, sur Watan, une des chaînes par satellite de Ramallah, lorsque une amie de travail de ma femme a téléphoné. Braveheart raconte l'histoire d'un homme qui au 17ème sicle s'est battu jusqu'à la mort pour libérer son pays, l'Ecosse, de l'occupation anglaise (!) Les films font désormais parti du combat.
22h30 : L'amie de Hanan nous informe que la télé israélienne vient d'annoncer que des opérations allaient être menées ce soir sur Ramallah. On appelle vite notre famille pour les prévenir. Même si cela ne sert pas à grand chose. Puis on contacte la police palestinienne pour savoir ce qu'ils en savent. Ceux-ci nous confirment qu'ils ont bien reçu des informations comme quoi le Fatah allait être attaqué. Je commence un peu à paniquer, enfile ma veste et prépare 2-3 trucs importants à prendre, au cas où. Prêt à partir vers le centre de Ramallah, chez ma belle-mère. Puis on reprend on peu nos esprits. On se calme et se rassure mutuellement avec Hanan.
5 minutes après : Un avion espion de reconnaissance, ces fameux engins sans pilote, commence à survoler Ramallah. Depuis la première attaque de ce jeudi 13 octobre, on a appris à les reconnaître. C'est sûr, ils vont bombarder ce soir. On rallume la télévision, sur Watan, seule chaîne vraiment " sur " l'info.
5 minutes après : Le premier bandeau s'affiche en bas de l'écran. Ils ont bombardés les forces de sécurité à Gaza. 5 minutes après, c'est au tour de Rafah. Cà y est, on a compris. Tout les territoires vont y passer. C'est au tour de Jericho maintenant. Les services de sécurité.
On sort 5 minutes dehors, pour voir : Deux grands éclairs surgissent alors au fond de la nuit vers la colonie de Psagot. Mais bizarrement aucun bruit. On rentre. Watan nous informe. En effet, c'est bien Al Bireh. Encore une fois les services de sécurité et le bureau du Fatah ont été attaqués.
Il est maintenant 22h53 : C'est maintenant Naplouse qui vient d'être attaqué : le bureau du Fatah, les services de sécurité préventive, ainsi que deux routes principales qui mènent à Naplouse.
Mais que cherchent-ils à faire ? Depuis bientôt 5 ans que j'habite ici, je m'était rendu à l'évidence : les israéliens n'ont pas de visionnaire, quelqu'un qui comprenne qu'il n'y pas d'autre solution que de coexister en paix, chacun chez soi. Beaucoup l'avaient répété : Barak est le plus haut gradé de l'armée israélienne. Il le prouve aujourd'hui. Et il pense vraiment que c'est ce qui va arrêter les palestiniens. C'est sûrement l'effet contraire qui va se produire. Les gens sont exaspéré et à bout. Ils ont donné. Avec Oslo, ils ont compris de quelle paix parlent les Israéliens, de droite comme de gauche. Coïncidence du calendrier (!), on bombarde le jour même de la rentrée à la Knesset. Alors que la coalition avec Sharon bat de l'aile.
L'avion espion survole toujours Al Bireh. Nous habitons juste en face de la base militaire et de la colonie de Bet El. Au dessus de l'hôtel City Inn, devenu célèbre malgré lui, car lieu des confrontations quotidiennes sur Al Bireh.
23h16 : L'avion espion ne se fait plus entendre mais les hélicoptères oui. Nos cœurs battent au rythme de leur son. On s'étaient, malheureusement, habitués aux confrontations armées et au bruit furtif des mitraillettes. Le son rugissant des hélicoptères, non. On entend de nouveau l'avion espion. Ces sons me rappellent étrangement ces documentaires si nombreux montrant les bombardements de la guerre 40. Je dois donner l'impression de prendre çà à la légère mais c'est loin d'être le cas. Le stress agit. On a vu au Liban de quoi est capable l'armée israélienne.
23h33 : Nouvelle info sur notre écran. Gaza. Ni victimes ni blessés. A Khan Yunis, une manifestation est en train de converger vers le checkpoint Al Tuffah. Ici, l'avion espion et les hélicoptères tournent toujours au-dessus de nos têtes. Il faut faire dure, histoire de nous rendre parano. On se colle à la fenêtre pour essayer de voir quelque chose. La nuit est bien trop épaisse. Dehors, comme depuis un mois, c'est un silence lourd et pesant qui règne. Pas une voiture. Si ce n'est les jeeps militaires israéliennes qui rentrent et sortent de la base. Comme pendant un couvre-feu me dit Hanan.
23h43 : Tulkarem. Une nouvelle manifestation s'est formée pour condamner les bombardements. Je me demande à quelle heure on va se coucher. Mon assistant habite Beit Jala. La semaine dernière, lorsqu'ils ont commencé à prendre pour cible des habitations du village, les gens attendaient dehors jusqu'à des 4 heures du matin. De toute manière, on a pas la tête à dormir. Quelle sera la réaction demain ?
00h07 : Nablus. Confrontation armée. Il fallait s'y attendre.
00h19 : Message aux habitants des deux villes jumelles, Ramallah et Al Bireh. Appel à manifestation dans le centre ville. L'avion espion et les hélicos se sont tus. Hanan décide d'aller se coucher.
00h45 : Les bombardements sont terminés, pour aujourd'hui. Une journée de l'Intifada Al Aqsa de plus qui s'achève.
Si j'étais vraiment dans un film, j'applaudirai, car l'intrigue est franchement bien ficelée. A dire vrai, je souhaiterais de tout mon cœur être dans un film, car dans les films, c'est toujours la justice qui triomphe…
 
3. Hanan Boudart citoyenne d'Al Bireh
Al Bireh, le vendredi 27 octobre 2000.
La scène de la mort du petit Mohammad AL DURRA devenue si tristement célèbre de part le monde, aurait pu se reproduire en cette fin de vendredi après-midi (27 octobre), lorsque mon frère, Mahmoud ARURI chercha à quitter sa maison avec sa son fils de 4 ans dans les bras.
Mon frère habite dans un immeuble situé sur une petite colline à quelques mètres de l'hôtel City Inn, lieu des affrontements quotidiens entre les jeunes palestiniens et les forces militaires d'occupation. Cet immeuble est situé juste en face de la base militaire israélienne de Beit El. Depuis des semaines déjà, des tanks et des tireurs d'élite israéliens se sont postés en face, sur ce promontoire d'où il est si facile de cibler sa victime. J'entends déjà certains dirent, mais pourquoi restent-ils là ? Mais parce qu'ils non simplement pas d'autre endroit où aller avec leurs deux enfants.
En cette fin de vendredi, mon frère décida de quitter son domicile, sa femme, enceinte de 8 mois et demi, souffrant de maux d'estomac suite à l'emploi massif de gaz lacrymogènes par les militaires israéliens. Il y avait quelques échanges de tirs légers depuis quelques minutes et Mahmoud attendit un moment prolongé de calme pour sortir. Il pris alors son fils Abdallah dans les bras pour monter dans son véhicule, suivi par sa femme Noura portant quant à elle sa fille de 2 ans, Yasmina. Lorsque mon frère monta dans son véhicule, des rafales de tirs provenant de la colline d'en face éclatèrent. Il se réfugia alors derrière la voiture alors que se femme s'engouffrait rapidement dans la maison. Mahmoud resta quelques instants accroupi avec son fils derrière son véhicule lorsqu'il se rendit compte  que les tirs, très clairement, les visaient eux. Il pris alors de risque de retourner dans sa maison et sauta en contrebas pour rejoindre la porte d'entrée. Bien sûr, dans la panique, son fils dans les bras, il tomba lourdement à terre, heureusement, derrière le mur qui entoure sa maison. Profitant de quelques secondes de répit, il rampa jusqu'à à la porte et finalement rejoigna sa femme et sa fille. Sain et sauf, avec un bras cassé et des contusions un peu partout sur le corps.
Bloqués, ils durent rester dans leur maison jusqu'au petit matin. Tous dans un état de choc que l'on peut facilement comprendre. Sa femme a du être transférée à l'hôpital pour être suivie de près. Quant aux enfants, ils souffrent de peur et d'anxiété profondes, qui ne font que s'amplifier dès que les tirs reprennent.
Je tiens ici à préciser qu'aucuns tirs ne provenaient de leur immeuble. La " sécurité des militaires israéliens " n'était en aucun cas menacée et ceux-ci ne répondaient en aucun cas à une " attaque identifiée " (entre guillemets pour reprendre les arguments israéliens).
L'occupation israélienne, continue et amplifiée, constitue le véritable et unique obstacle à toute paix juste. Sous toutes ses formes, présence militaire, confiscation des terres, destruction de maisons, …, l'occupation nous rend encore plus attachés à cette terre. On en parle peu dans les médias, mais les raids incessants des colons israéliens dans les villages palestiniens reculés ont également tué. Ces véritables cow-boys surarmés sèment la terreur parmi la population rurale. Surtout en cette période de cueillette des olives où les paysans palestiniens se doivent de se rendre dans leur champ. Ce sont eux les vrais terroristes.
Notre peuple essaie tant bien que mal de maintenir son existence sur les restes de la véritable Palestine. Nous tentons de résister cette occupation vicieuse et raciste. Malheureusement, aujourd'hui, je suis déçue de l'attitude et du silence de la communauté internationale, qui ne fait que constater et appeler au calme et cessez-le-feu. Comme si nous avions une armée ! Déçue par les médias américains mais aussi européens qui jouent sur les mots, à la recherche d'un équilibre injuste et injustifié, et trompent de ce fait leurs populations. Nous sommes aujourd'hui dépeints comme les responsables de l'agressivité israélienne alors que nous demandons simplement l'application de résolutions internationales. Nous avons cru en 1993 à une paix diplomatique. Mais 7 ans après le résultat est pour le moins clair.
Ce qui fait peur à Israël et ses alliés, c'est la détermination d'un peuple sans armes face à la quatrième armée du monde. Ce qui leurs fait peur, c'est la détermination des ces enfants de réfugiés pour revenir chez eux. Nous sommes bien conscients que nous devons ne compter que sur nous-mêmes pour faire face cette injustice contrôlée par les américains. Mais nous nous répétons chaque jour que le peuple vietnamien n'était en rien meilleur que nous pour confronter les américains.
J'espère seulement qu'un jour américains et européens reconnaîtront leur erreur dans ce conflit. Je n'ai jamais été si fière d'être palestinienne qu'aujourd'hui. Appartenant à une nation qui doit payer cher pour sa dignité et ses droits. Faisant face à des hélicoptères et des tanks avec des pierres et des poitrines nues. Ces jeunes sont de véritables héros.

4. Chantal Abu Eisheh citoyenne d'Hébron
Hébron, le samedi 28 octobre 2000.
Le cable d'hebronet n'est pas réparé car Bezeq (la compagnie de télécomunication israelienne) ne veut pas intervenir à Halhoul et sans eux, rien n'est possible... Vous pouvez protester auprès de www.bezeq.co.il en attendant je me bats au cafe internet avec un menu en arabe et un clavier hebreu, anglais, arabe... A part cela les tirs continuent la nuit et on est toujours coincés, aujourd'hui la route des tunnels via Gilo est fermée et Bethléem aussi, on commence a suffoquer... à plus.
Réseau Palestine

 
1. Réseau Palestinien des ONG conditionne la coopération avec les Organisations israéliennes [traduit de l'anglais par Annie Fiore]
Déclaration de l’Assemblée Générale des ONG Palestiniennes : Alors que les attaques de l’Armée Israélienne contre notre Peuple se poursuivent, alors que les massacres perpétrés reflètent les pires facettes du racisme et de l’extrémisme israélien, alors qu’une campagne médiatique israélienne s’emploient à modifier les faits afin de blâmer le Peuple Palestinien, le Réseau des ONG Palestinienne s’est réuni pour une Assemblée Générale le Dimanche 22 Octobre afin de se prononcer sur la situation politique actuelle. De cette réunion résultent les décisions suivantes.Le PNGO appelle toutes les ONG Palestiniennes a cesser tout programme conjoint, et toutes activités avec des organisation siraéliennes, en particulier les projets qui s’inscrivent dans le cadre du programme " Peuple à Peuple ", l’Institut Péres pour la Paix, et le "Joint Projects Programme " financé par l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID), ainsi que tout autre projet visant à la normalisation avec Israël. Le PNGP appelle toutes les ONG ainsi que les institutions gouvernementales Palestiniennes, à stopper immédiatement tout projet régional incluant Israël. Nous demandons aussi aux Institutions de l’autorité Palestinienne de stopper et boycotter ces projets. Le PNGP appelle toutes les ONG Palestiniennes et Arabes à stopper toute forme de projet commun avec des organisationss israéliennes jusqu'à ce que cesse l’occupation des Territoires Palestiniens occupés en 1967, y compris Jérusalem - Est. Le PNGO appelle toutes les ONG Palestiniennes à interrompre toutes relations et activités avec les ONG Israéliennes jusqu'à ce que ces dernières annoncent publiquement leur soutien aux droits du Peuple Palestinien à un Etat indépendant sur sa terre occupée en 1967 (Cisjordanie et Bande de Gaza) avec Jérusalem comme capitale, ainsi qu’au droit au retour des réfugiés Palestiniens sur leurs terres, et dans leur maison. Le PNGO fournira une liste d’Associations Palestiniennes et Arabes qui violent cette position et publiera celle-ci tant à traavers la communauté Palestinienne que dans le monde Arabe. Ces décisions ne s’appliquent pas à la coopération avec des projets de solidarité mis en place par des organisations de Droits de l’Homme israéliennes, ou les institutions qui soutiennent le droit du Peuple Palestinien à la liberté et à un Etat, ainsi qu’à une Paix juste et durable dans le cadre de ces droits nationaux.
PNGO, Ramallah - Palestine - www.badil.org

2. PALESTA organise une rencontre à l'UNESCO (Paris) le mercredi 15 novembre 2000
PALESTA (Palestinian Scientists and Technologists Abroad), est un réseau basé en Palestine a pour but de connecter les professionnels de la diaspora palestinienne à la Patrie et d'utiliser leur expertise au service du développement dans ce pays. Dans la perspective de conscientisation de la communauté palestinienne en France, une rencontre est organisée le mercredi 15 novembre 2000, de 15h00 à 19h00, à l'UNESCO (1, rue Miollis - Paris 15ème - Salle N° 16).
- Ordre du jour :
15h00-15h45 : Ouverture par Ahmad Abdel Razek (Délégué Palestinien à l'UNESCO) et Omar Masalha (à confirmer)
15h45- 16h45 : Présentation de PALESTA, par son directeur Sari Hanafi
16h45-17h00 : Pause
17h00- 18h00 : Discussions
18h00- 19h00 : Mise en réseau des professionnels et les scientifiques palestiniens de France et de l'Europe
Renseignements : Sari Hanafi, directeur du PALESTA - www.palesta.net
Telefax : 972 2 298 39 12 - Mobile: 972 59 47 37 98 - http://www.muwatin.org/sari/sari.htm


3. Deux déclarations de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine du 18 octobre 2000
PREMIERE DECLARATION
- Les associations regroupées au sein de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine demandent à la France, à l’Union européenne et à la communauté internationale de s’engager résolument pour une paix juste et durable au Proche-Orient. Nous sommes profondément choqués par les massacres de populations civiles et appelons à un arrêt immédiat de la violence et de cette répression aveugle. Les affrontements meurtriers entre Palestiniens - en majorité des civils- et l’armée israélienne, qui se déroulent depuis le 28 septembre, mettent en cause la responsabilité du gouvernement israélien :
Il a autorisé la visite sur l’esplanade des Mosquées de M Ariel Sharon, connu pour ses faits de guerre sanglants et pour ses provocations répétées à l’égard du peuple palestinien et ce, à un moment aussi critique des négociations de paix. Il a pris, le 12 octobre, en réponse au lynchage de deux soldats israéliens – que nous dénonçons fermement- la responsabilité de bombarder des infrastructures de l’Autorité palestinienne. A ce jour, ces violences ont fait déjà plus de 107 morts du côté palestinien et 9 du côté israélien et plus de 3000 blessés. Nous interpellons le gouvernement français et les média pour que soit reconnue l’inégalité des forces en présence et pour faire admettre qu’il y a bien un Etat occupant et un peuple opprimé. Ces révoltes violentes résultent bien de 33 ans d’occupation militaire et de violations systématiques des libertés fondamentales du peuple palestinien. Nous saluons les efforts déployés par les responsables politiques français et européens pour aboutir à un arrêt rapide des affrontements. Nous demandons à la France et à l’Union européenne :
1. D’exiger l’envoi d’une commission d’enquête internationale indépendante permanente ;
2. D’imposer à Israël le libre accès de tous les rapporteurs spéciaux de la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies aux territoires palestiniens ;
3. De demander aux Hautes Parties contractantes à la 4ème Convention de Genève de convoquer une conférence des HPC, en vue d'adopter des mesures pour faire appliquer la 4ème convention dans les Territoires occupés, y compris à Jérusalem Est ;
4. De faire jouer les clauses de respect des droits de l’Homme, incluses dans l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne ;
5. De reconnaître l’Etat palestinien dès sa proclamation et d’intervenir concrètement pour que cet Etat puisse exercer pleinement sa souveraineté et son indépendance. Cela passe par l’application des résolutions votées par l’ONU (en particulier, les résolutions 242, 338 et 194) et donc le retrait d’Israël de l’ensemble des territoires occupés en 1967, ce qui inclut Jérusalem Est, et la mise en oeuvre d’une solution juste au problème des réfugiés.
SECONDE DECLARATION - Les associations regroupées au sein de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine condamnent avec fermeté les violences racistes, dans les mots et dans les actes, qui peuvent se manifester en France, notamment les provocations non revendiquées qui se prétendent des échos aux violences israéliennes contre la population palestinienne en Palestine occupée et contre les Palestiniens d'Israël. Le racisme, d'où qu'il vienne, quel que soit son destinataire, est injustifiable et nuisible tant pour l'avenir de la société en France que pour la recherche d'une paix juste au Proche-Orient. On ne saurait identifier une communauté ou les individus de telle ou telle confession à la politique d'un Etat quel qu'il soit, et quels que soient les appels à identification qui ont pu être proférés. Il est donc indispensable de retrouver le chemin d'un dialogue, non pas fondé sur le droit du plus fort, mais sur les principes d’égalité et de la réciprocité dans le respect de l’autre.
- Membres : AITEC, Association des Palestiniens de France, Association France Palestine, AMFP, Association des villes françaises jumelées avec des camps de réfugiés palestiniens, CCFD, Cedetim, CEMEA, CICUP, Cimade, CVPR, Enfants Réfugiés du Monde, Forum des Citoyens de la Méditerranée, GREF, Ligue des Droits de l’Homme, Palestine 33, Pays de la Loire – Gaza – Jérusalem, Quartiers sans Frontières, Terre des Hommes, Union Juive Française pour la paix, Vétérinaires sans Frontières
- Observateurs : Agir ensemble pour les droits de l’Homme, Amnesty International, Coordination Sud, CRID, Enfants du Monde – Droits de l’Homme, Francas, Handicap International/Action Nord-Sud, Médecins du Monde, Peuples Solidaires, SIDI
Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
14, passage Dubail - 75010 Paris - Tél :  33 1 40 36 41 46 - Fax : 33 1 44 72 93 73
E-mail : pfpalest@club-internet.fr - Site : http://plateforme-palestine.netliberte.org


4. Statistiques portant sur les morts et blessés palestiniens [traduit de l'anglais par Annie Fiore]
Lundi 30 octobre 2000 - Le Docteur Mustafa Bargouthi, Président de l'Union des Comités de Secours d'Urgence Palestiniens (UPMRC) a tenu ce jour une conférence de presse à l'Hôtel Ambassadeur de Jérusalem-Est. Le but de cette Conférence de Presse est de dissiper certains mythes  et présenter des preuves factuelles qui contredisent directement les déclarations des Forces de Défense d'Israël quant au présent conflit. Actuellement, 144 Palestiniens ont été blessés et environ 5.000 sont blessés à la suite des actions israéliennes. L'un des mythes qui a récemment émergé est que les Palestiniens utilisent leurs enfants comme boucliers dans les affrontements, et les envoient intentionnellement dans les rues pour manifester. Pourtant, les statistiues prouvent toute autre chose. Alors qu'un nombre troublant d'enfant a été tué, la majorité sont des adultes. Par tranche d'âge, les morts enregistrées se situent ainsi : 13.8% de moins de 15 ans, 20.3% entre 16 et 18 ans, 50% entre 19 et 29 ans, 8.7% entre 30 et 39 ans, 3.6% entre 40 et 49 ans, 3.6% entre 50 et 59 ans.
Beaucoup parmi les enfants tués ne participaient pas aux affrontements. Ainsi Muyyad Usma Jawarish, 13 ans, a été abattu et tué par un sniper israélien à Bethléhem alors qu'il rentrait de l'école et ne se trouvait pas dans une zone d'affrontement. De même, Sara Abdul Azeem, 18 mois, a été tué d'une balle dans la tête par un colon. Elle rentrait chez elle avec son père et ne se trouavit pas dans une zone d'affontement. Un enfant de 6 mois a aussi été tué. La réalité est que les Forces de Défense d'Israël attaquent des civils Palestiniens désarmés avec une précision mortelle, créant une situation que le Dr Barghouti décrit comme "une guerre sans guerre". Principales causes des morts : Balles 92%, Gaz lacrymogèbes 1.4%, Torture 1.4%, Interdiction d'accèder au traitement médical à cause du blocus 2.2%. Les blessures provoquant la mort étaient localisées : Pour 48.1% dans la tête et le cou, Pour 50.4% dans la poitrine et l'abdomen et pour 1.6% dans les membre inférieur. Pour les blessures, les statistiques sont elles aussi parlantes : 26% dans la tête et le cou, 70% dans la partie supérieure du corpdont 58% dans la partie supérieure du corp (en excluant les membres supérieurs). Ces chiffres montrent que, contrairement aux déclarations des Forces de défense d'Israël, l'armée israélienne tire pour tuer des Palestiniens désarmés... Entre 95 et 98 % des affrontements ont eu lieu entre des Palestiniens armés de pierres, et des soldats israéliens armés de balles recouvertes de caoutchouc, de gaz lacrymogènes, de balles réelles, de chars, d'hélicoptères et de balles de calibre 50. Les Forces de Défense d'Israël prétendent agir en légitime défense, mais les chiffres montrent que de nombreux palestiniens ont été touchés à la tête, certains dans la nuque alors qu'ils tentaient de fuir loin des balles. Les snipers ont aussi été utilisés pour assassiner des Palestiniens, acte qui n'est pas compatible avec l'argument de "légitime défense"... Les attaques israéliennes ont blessé une proportion conséquente de la population palestinienne. Si l'ont applique le même pourcentage à la population civile des Etats unis, on obtient 7.500 morts et 433 000 blessés.
The Union of Palestinian Medical Relief Committees - http://www.upmrc.org

5. Les chrétiens palestiniens ne veulent pas quitter leur terre
Jérusalem, le lundi 30 octobre 2000 - On veut faire croire que les chrétiens palestiniens ont peur et qu'ils sont prêts à quitter le pays. C'est totalement faux. Nous sommes tous ici et nous y resterons. » C'est en ces termes que le Patriarcat latin a réagi à une nouvelle largement diffusée à partir d'une rumeur de source israélienne. Sur la foi d'un article du « Jerusalem Post » qui citait ses sources, l'agence CIP a rapporté, le 27 octobre, que « des centaines de familles chrétiennes arabes » auraient quitté Israël depuis le début des violences. Ces familles auraient reçu l'aide notamment des ambassades de Grande-Bretagne, du Canada et de Chypre, mais aussi du ministère israélien des Affaires étrangères. Cette information a fortement surpris le Patriarcat latin de Jérusalem, qui s'est empressé de la démentir : « Après avoir procédé à des vérifications auprès des différentes parties concernées, spécialement auprès des ambassades mentionnées et auprès de nos communautés chrétiennes, nous sommes sûrs que la nouvelle rapportée contenait de la désinformation. Des diplomates étrangers nous ont raconté que seuls des résidents étrangers se sont fait enregistrer auprès de leurs consulats ou de leurs ambassades respectifs. Parmi ces résidents étrangers, certains sont des Arabes chrétiens et des Arabes musulmans qui ont une nationalité étrangère. Peu de ces familles ont quitté le pays. En revanche, personne ne nous a rapporté une quelconque intervention étrangère pour "aider" des familles chrétiennes à fuir les Autorités palestiniennes. La réaction immédiate de certains diplomates a été : "Je suis surpris d'entendre dire que. Je ne crois pas que c'est vrai. et nous ne nous sommes occupés que de nos propres ressortissants. » Chancelier du Patriarcat latin de Jérusalem, le Père Raed Abusahlia se dit donc « étonné que le ministère israélien des Affaires étrangères aide nos familles à quitter les territoires sous Autorité Palestinienne alors que les Israéliens revendiquent un bouclage strict des territoires où notre peuple subit un siège militaire et qu'ils refusent même d'assurer aux travailleurs les laissez-passer nécessaire pour entrer en Israël et à Jérusalem afin de gagner leur pain quotidien ». Quant aux récentes attaques effectuées contre certaines propriétés chrétiennes à Gaza, elles sont ont été commises par « quelques individus radicaux », précise le Patriarcat, qui relève qu'une « solution immédiate » a été apportée à ce problème par l'Autorité Palestinienne : les auteurs ont été arrêtés et ordre a été donné immédiatement de déterminer tous les préjudices. Le Père Raed Abusahlia ajoute : « la Communauté chrétienne arabe dans les Territoires palestiniens est partie intégrante du peuple palestinien. Elle souffre avec lui, se réjouit avec lui et partage avec lui les mêmes espoirs et les mêmes aspirations. Par conséquent, les rumeurs israéliennes récentes sur l'implication de la ville de Beit Jala dans les récents affrontements n'est pas une coïncidence :
elles visent à "diviser pour régner" sur l'unique peuple palestinien. » Le Patriarcat latin de Jérusalem a renouvelé son appel à tous les dirigeants pour une reprise des négociations de paix « dans l'espoir qu'on parviendra entre Palestiniens et Israéliens à un accord juste et global qui garantisse la liberté, la sécurité et la stabilité dans notre région, de sorte que nos deux peuples puissent "vivre dans la beauté de la paix". » (cip)
Fr. Raed Awad Abusahlia
Chancellor of the latin Patriarchate of Jerusalem, Personal Secretary of H.B. Patriarch Michel Sabbah
P.O.Box 14152  Jerusalem  97500 - Tel.  00 972 2 6282323 / 6272280 - Fax  00 972 2 6271652
E-mail : Latinpat@actcom.co.il - Website : http://www.Lpj.org
 
Revue de presse

 
1. Paris Match du jeudi 2 novembre 2000
"Cela prendra du temps mais nous voulons vivre comme les autres peuples" interview de Yasser arafat
par Françoise Demulder
Paris Match. Que s'est-il passé entre la réunion de Camp David du mois de juillet, où la paix semblait encore possible, et ce mois d'octobre à Gaza frappé par une effroyable tragédie?
Yasser Arafat. A Camp David, Barak nous a fait la surprise de demander à Jérusalem le contrôle des lieux saints chrétiens et islamiques, ce que nous, Palestiniens, refusons. Il n'a pas seulement demandé la souveraineté israélienne sur ces lieux, mais aussi le contrôle du quartier arménien, ce qu'aucun Arabe, aucun musulman, aucun chrétien ne peut accepter.
P.M. Que répondez-vous à ceux qui répètent: "Arafat ne veut pas sincèrement la paix" ?
Y.A. Pourquoi alors ai-je accepté de signer un accord avec Rabin, Netanyahu, Shimon Peres et même avec Barak au Caire, à Charm el-Cheikh, à Taba et à Paris. Je voudrais juste que vous vous rappeliez que Barak a essayé de se dérober aux engagements qui ont été conclus à Paris malgré les efforts du président Chirac pour le convaincre de les respecter. A Charm el-Cheikh, le président Clinton, le président Moubarak, Kofi Annan, le roi Abdallah de Jordanie, Javier Solana et moi-même avons ensemble demandé à Barak de retirer ses chars et ses avions qui nous bombardent. Or, le siège s'accentue sur nos villes, en Cisjordanie et à Gaza. Pour cette raison, je demande l'intervention d'une force internationale, et, pour la première fois, que cette force soit européenne.
P.M. Est-il exact que le président Chirac vous a convaincu, au cours de cette réunion, de ne pas signer d'accord avec Barak?
Y.A. Ces propos sont honteux, c'est le moins que je puisse dire.
P.M. Vous accrochez-vous toujours à la résolution 242 des Nations unies, c'est-à-dire à la restitution de tous les territoires palestiniens?
Y.A. Le sommet de la Ligue arabe l'a confirmée. Mais Barak, lui, est-il vraiment attaché à cette résolution? Jusqu'à présent, il n'a rien exécuté de ce qui a été convenu en présence des différents chefs d'Etat.
P.M. On a l'impression que vous êtes pris entre deux options: la poursuite de l'Intifada ou le choix militaire conduisant à une guérilla qui aurait pour but d'imposer le repli des Israéliens comme l'a fait le Hezbollah au Sud-Liban?
Y.A. Ça ne dépend pas de moi mais de Barak. Le chef d'état-major de l'armée israélienne dans la zone centre de Cisjordanie, Yitzhak Eitan, déclare aujourd'hui que les dispositions sont prises pour occuper les villes palestiniennes.
P.M. Quelle était votre stratégie en annonçant la création d'un Etat palestinien?
Y.A. Il s'agit d'une décision du Conseil national palestinien (C.n.p.) datant de 1988. N'oubliez pas que nous sommes membres à part entière de la Ligue arabe, que nous appartenons à l'Organisation de la conférence islamique, au Mouvement des pays non alignés et que nous sommes observateurs à l'Organisation de l'unité africaine (O.u.a.), dont nous sommes le seul pays non africain. De plus, nous sommes reconnus par un plus grand nombre de pays européens que ne l'est Israël.
P.M. Vous avez déclaré, à propos de la souveraineté sur les lieux saints: "Je ne veux trahir ni mon peuple, ni les Arabes, les chrétiens ou les musulmans du monde entier." Quelle serait cette trahison?
Y.A. La souveraineté israélienne qui nous est proposée est inacceptable. P.M. Quelles sont vos relations avec le Hamas, apparaissant comme une force qui refuse toute concession à Israël?
Y.A. Il existe une colère générale du peuple palestinien. En cette période de crise où il est exposé au feu, chaque citoyen doit s'engager à garantir l'unité des différentes composantes.
P.M. Quel bilan tirez-vous de l'action de la France dans le drame du Moyen-Orient? Vous souvenez-vous que Lionel Jospin a été la cible des pierres de vos étudiants?
Y.A. L'importance de la France ne tient pas seulement au fait qu'elle préside l'Union européenne. Elle se préoccupe de la stabilité de la région parce qu'elle y possède des intérêts. Le président Chirac a répété que celle-ci était conditionnée par la réalisation des droits légitimes du peuple palestinien. L'incident auquel M. Jospin a été confronté à Birzeit était dû à un petit groupe d'étudiants en colère. Il ne peut être mesuré à l'accueil chaleureux qui lui a été réservé par les dirigeants et les gens d'ici.
P.M. Depuis 1948, les réfugiés attendent retour et indemnisations. Qu'espérez-vous dans ce domaine?
Y.A. La création de l'Etat d'Israël, il y a plus d'un demi-siècle, a engendré le problème des réfugiés dont il doit assumer seul la responsabilité. Pas seulement en Palestine mais dans tous les camps disséminés dans les pays arabes, les Palestiniens souffrent du manque de fonds internationaux et du soutien de l'U.n.r.w.a. Nous espérons que l'agence va enfin respecter ses engagements. Nous sommes décidés à résoudre ce problème en prenant pour base les différentes résolutions des Nations unies qui stipulent le retour de ces réfugiés sur leur terre. La France soutient l'application de ces résolutions depuis qu'elles ont été votées. Il faut qu'Israël reconnaisse le droit à ces réfugiés de rentrer chez eux.
P.M. A propos du lynchage des deux soldats israéliens et de la destruction du tombeau de Joseph, on a entendu dire: "Arafat n'a pas le contrôle de son peuple." Y.A. Israël veut nous obliger à accepter ses conditions politiques qui visent à priver notre peuple de sa liberté et de son indépendance et à mettre des obstacles dans le processus de paix. Elle se dérobe à l'accord qu'elle a signé, déstabilise notre confiance et notre capacité à faire progresser notre pays. Le monde en est témoin. Certaines erreurs ont été commises parce que les gens sont emportés par la colère et le désespoir, comme à Ramallah. En tant qu'Autorité, nous faisons tout pour empêcher ce genre d'accident. Les forces de police ont essayé de protéger les soldats au risque d'être blessées. Ces situations incontrôlables existent dans d'autres pays. Personne n'a parlé de ce bus israélien traversant la ville palestinienne de Kalkilya, en Cisjordanie, et que notre police a protégé. La seule solution est le retrait de l'armée, l'ouverture des postes frontières, la levée immédiate du blocus sur nos villes et l'acceptation d'une commission d'enquête internationale sur les récents événements. Nous voulons vivre comme les autres peuples dans un Moyen-Orient pacifié et stable. Nous sommes prêts à participer au progrès et à la prospérité de cette région du monde. Mais cela prendra du temps.
P.M. Dans le passé, vous étiez très présent dans les médias, qui furent votre arme. Aujourd'hui, vous avez presque disparu des écrans. Pourquoi cette stratégie?
Y.A. Notre problème ne peut être résolu par des interviews à la radio ou à la télévision, ni par des reportages. Il faut l'affronter par un contact sérieux et permanent entre toutes les parties afin de mettre un terme à ce massacre dont souffre notre peuple.
 
2. Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 1er novembre 2000
Le miroir ne ment pas
par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Il est tout-à-fait normal, n’est-ce pas, que 40 000 personnes soient soumises à un couvre-feu total depuis plus d’un mois dans la Vieille Ville d’Hébron afin de protéger la vie et le bien-être de 500 Juifs. Il est parfaitement normal que pratiquement aucun Israélien ne mentionne cet état de faits, ou même, n’en sache quelque chose, non ? De même, rien d’anormal à ce que 34 écoles, accueillant normalement plusieurs milliers d’écoliers palestiniens, soient fermées depuis plus d’un mois et à ce que ces enfants restent prisonniers et suffoquent jour et nuit dans leurs domiciles surpeuplés, tandis que les enfants de leurs voisins - de leurs voisins juifs, j’entends - sont libres de folâtrer comme d’habitude dans la rue, avec et au milieu des soldats israéliens en faction. Comme il est naturel qu’une mère palestinienne doive supplier un soldat israélien pour lui demander l’autorisation de se faufiler entre les allées du marché à ciel ouvert pour aller acheter un remède pour soigner la crise d’asthme de son enfant ou du pain pour sa famille. (Exceptionnellement, le soldat israélien a le courage de désobéir aux ordres, mais, le plus souvent, confronté à ce genre de situation, il ordonnera à la femme de rentrer chez elle).
Il est parfaitement compréhensible que les Forces de Défense israéliennes prennent le contrôle d’un nombre toujours plus important de terrasses des maisons palestiniennes dans la Vieille Ville d’Hébron et que les soldats israéliens ainsi positionnés ouvrent le feu sur d’autres Palestiniens, tandis qu’en bas, dans la rue, les colons juifs ont tout loisir de rouler les mécaniques impunément, de montrer qui est le chef, aux dépens des pare-brise et des pneus des voitures des Palestiniens. N’est-il pas dans l’ordre des choses qu’un lieu de prière musulman tel que la mosquée d’Abraham soit fermé et déclaré "hors zone" pour des milliers de fidèles musulmans ?
La facilité avec laquelle un couvre-feu a pu être imposé sur Hébron et la perception que ce couvre-feu est un non-événement ne sont pas le fruit des quelques semaines écoulées. (Mentionnons au passage que les habitants du village de Hawara, à proximité et sur les terres duquel la colonie de Yitzhar a été construite, sont aussi soumis au couvre-feu ; mais depuis plus de trois semaines).
Après le massacre organisé par Baruch Goldstein dans la mosquée d’Abraham, connue aussi comme le Tombeau des Patriarches, ceux qui ont été punis ont été les Palestiniens, la punition prenant la forme de couvre-feu, blocus, "désengagement", condamnation de rues entières et surveillance hostile et perpétuelle par les soldats et les officiers de police israéliens. Une punition supplémentaire fut infligée aux Palestiniens : la catastrophe économique.
Toutefois, Hébron n’est qu’un microcosme, une illustration du tableau général. Le couvre-feu prolongé imposé à Hébron et la manière dont l’opinion israélienne l’a admis comme étant parfaitement naturel, donnent, en raccourci, l’histoire de l’occupation israélienne de la Palestine, en général, et l’essence du mode de pensée israélien qui a grandi à l’ombre d’une supériorité militaire évidente. Le couvre-feu, à Hébron, et la facilité avec laquelle il a pu être imposé, ne font qu’illustrer l’histoire de discrimination et de déracinement subis par les Palestiniens du fait des Israéliens : une histoire sans fin, qui remonte aussi loin que l’ère d’Oslo et la période du soi-disant "processus de paix".
Les Juifs vivent aujourd’hui à Hébron soit en raison de "droits historiques" ou parce qu’ils peuvent apporter la preuve que telle ou telle propriété a appartenu à un Juif dans un passé pas trop ancien. Il est tellement naturel que des Juifs puissent vivre où ils l’entendent sur la Terre d’Israël, des deux côtés de la Ligne Verte... Il est tellement évident qu’un Juif né à Tel-Aviv puisse déménager pour venir habiter à Hébron ou à Yitzhar si cela lui chante... Il est tellement normal que des Palestiniens ne puissent jouir des mêmes droits et ne puissent pas aller vivre à Tel-Aviv ou à Haïfa, même si leurs familles y possèdent des maisons et des terrains.
Quoi de plus naturel qu’Israël, jusqu’au jour où je vous parle, soit en train de développer la communauté juive d’Hébron : Israël n’est-il pas en train de développer toutes les colonies juives dans les territoires ? Il est bien normal que, jusqu’à ce jour, les Palestiniens doivent compter avec les nombreuses limitations imposées à tout projet de développement de leurs propres collectivités : en effet, la plupart des terrains de la Cisjordanie - leur principale ressource en terrains - sont sous contrôle de l’administration israélienne. Non, les Palestiniens n’ont pas besoin du même espace que les Israéliens pour étendre leurs jambes.
Il est parfaitement normal que les Palestiniens doivent obtenir un permis de circuler des autorités israéliennes (qui n’est accordé qu’à une minorité d’entre eux), pour pouvoir pénétrer dans Jérusalem-Est ou la Bande de Gaza, dans le cadre de la politique israélienne de blocus, inaugurée en 1991 et encore en vigueur aujourd’hui. En contre-partie, les Juifs ont toute liberté de passer de Cisjordanie en Israël et vice-versa, grâce à des autoroutes dernier cri, construites sur les terrains gagnés sur les villages palestiniens par expropriation.
Durant l’été, à Hébron, l’eau est coupée, parfois pour quelques jours, voire quelques semaines, dans les maisons palestiniennes. Heureusement, les voisins juifs des hébronites palestiniens, dans la Vieille Ville ou dans le quartier juif voisin de Kiryat Arba n’ont aucun problème en ce qui concerne leur approvisionnement en eau...
La situation qui prévaut dans la plupart des villages et villes palestiniens est la même dans toute la Cisjordanie : là où les Palestiniens n’ont pas d’eau, les résidents des colonies juives soignent leurs gazons verdoyants. La raison est qu’Israël a, en effet, imposé un quota sur la quantité d’eau que les Palestiniens sont autorisés à consommer, c’est-à-dire sur le droit d’utiliser des ressources en eau supposées accessibles indifféremment aux Israéliens et aux Palestiniens sur le territoire qu’ils ont en partage.
Voilà un récit, qu’il faut recommencer encore et toujours - presque jusqu’à épuisement - car il dépeint une situation qui est va tellement de soi aux yeux des Israéliens qu’ils ne peuvent même pas entrevoir qu’il y ait là un quelconque problème. Il est tellement facile de considérer les Palestiniens comme un peuple violent et cruel et d’ignorer la cruauté, accumulée depuis trente-trois ans, et dirigée durant cette période interminable contre un peuple entier. C’est le type de cruauté inhérente à tout régime d’occupation. C’est la cruauté qui a empiré au cours des années d’Oslo à cause du hiatus entre les beaux discours sur le "processus de paix" et la réalité.
Le couvre-feu à Hébron, en lui-même, et le fait qu’il soit considéré comme quelque chose de parfaitement normal par la société israélienne reflètent le type de perversion de la pensée qui s’est développé dans les esprits des Israéliens au cours des années d’Oslo. D’après cette pensée biaisée, les Palestiniens étaient supposés accepter une situation de coexistence dans laquelle ils ne seraient pas sur un pied d’égalité avec les Israéliens, et dans laquelle ils seraient catégorisés comme des personnes pouvant prétendre à moins, beaucoup moins, que les Juifs. Toutefois, à la fin des fins, les Palestiniens ne voulaient pas vivre avec ce type de compromis.
La nouvelle Intifada, qui présente les caractéristiques tant d’une révolte populaire que d’une insurrection quasi-militaire, est une ultime tentative de mettre un miroir devant les yeux des Israéliens et de leur dire : "Regardez-vous bien et voyez à quel point vous êtes devenus racistes".

3. Libération du mercredi 1er novembre 2000
Le feu israélien cible le Fatah
par Jean-Pierre Perrin
Les tirs de Tsahal ont visé l'Autorité palestinienne. En «dissuasion».
Jérusalem envoyé spécial
L'armée israélienne s'est en pris directement à l'Autorité palestinienne en faisant bombarder par ses hélicoptères, lundi soir, des objectifs militaires et des infrastructures politiques en Cisjordanie et dans la bande Gaza. Les appareils de Tsahal ont attaqué le quartier général du Tanzim (la branche armée du Fatah, principale composante de l'OLP) à Ramallah, un bureau du Fatah à Naplouse et un local de la Force 17 (la garde prétorienne de Yasser Arafat), au sud de Gaza. Des roquettes ont également été tirées sur le camp de réfugiés de Rafah, sur la frontière égyptienne. Ces bombardements sont une riposte aux meurtres, lundi, de deux Israéliens à Jérusalem-Est: un garde de sécurité et un habitant du quartier de colonisation juive de Gilo. «Ces attaques ne constituaient pas une punition, mais une forme de dissuasion pour faire comprendre que l'armée israélienne a les moyens d'agir et la capacité d'infliger des coups beaucoup plus durs aux institutions et aux intérêts de l'Autorité palestinienne», a déclaré le conseiller du Premier ministre, Danny Yatom. Par médias interposés, Yasser Arafat lui a répondu: «Toutes ces attaques contre le Fatah et l'Autorité palestinienne n'effrayeraient pas même un garçon palestinien portant une pierre pour défendre Jérusalem, la capitale de la Palestine.» Le vice-ministre israélien de la Défense, Ephraïm Sneh, a estimé qu'il s'agissait du «début d'une guerre de guérilla». Effectivement, un convoi de l'armée israélienne a été attaqué hier à la grenade dans la bande de Gaza, où les affrontements se sont poursuivis comme en Cisjordanie, faisant deux morts du côté palestinien, ce qui porte le bilan total des victimes à 158 morts depuis le début de la révolte palestinienne, le 28 septembre. A Gaza, un journaliste de la chaîne américaine CNN a été blessé par une balle dans le dos tirée par un soldat israélien. Sur le front intérieur israélien, Ehud Barak a renoncé à constituer un gouvernement d'«urgence nationale» avec le Likoud. Son chef, Ariel Sharon, a proclamé hier son intention de «tout faire pour renverser le cabinet» du Premier ministre.

4. Libération du mercredi 1er novembre 2000
L'expert israélien Martin Van Creveld voit un rempart à l'escalade : «Un mur de Berlin, la seule solution»
propos recueillis par Jean-Pierre Perrin
Jérusalem envoyé spécial
Spécialiste des questions de défense, chercheur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Martin Van Creveld est l'un des rares experts israéliens iconoclastes et qui ne soit pas lié à l'establishment militaire (1). Au point que ses analyses suscitent la colère de l'état-major. Plutôt proche de la gauche, en particulier du parti Meretz, il estime que la seule solution au conflit israélo-palestinien est la construction d'un mur séparant l'Etat hébreu de l'entité palestinienne dont le tracé le plus probable épouserait la frontière d'avant 1967 entre Israël et la Jordanie.
- Au fur et à mesure que se poursuit l'Intifada, on parle de plus en plus dans les médias israéliens d'un plan de séparation. Est-ce une idée réalisable?
Tout le monde parle de séparation, c'est devenu le mot le plus populaire en hébreu, et Ehud Barak l'évoque depuis longtemps. Cependant, il n'a pas l'environnement politique nécessaire pour mener à bien ce projet, c'est peut-être pour cela qu'il a besoin de cette Intifada, pour que les gens comprennent qu'Israël a besoin de cette séparation. Moi-même, j'en parle depuis quinze ans, notamment parce que j'ai vu que le mur de Berlin fonctionnait parfaitement. Le Mur a été la réalisation la plus parfaite de la guerre froide. Bien sûr, comme tout le monde, je l'ai d'abord trouvé cruel, inhumain, jusqu'à ce que je prenne conscience qu'il a évité une escalade. Avant sa construction, les deux camps étaient si proches l'un de l'autre qu'il y avait chaque jour des incidents pouvant conduire à une guerre mondiale. Après sa construction, tout est devenu paisible, car chaque camp savait la limite à ne pas dépasser. Idem avec la Corée où le Mur a rempli aussi sa mission, au point que, aujourd'hui, on pourrait l'abattre. Nous avons besoin d'une chose similaire.
- Y a-t-il déjà un plan pour ce mur?
Non, on en parle vaguement, malheureusement. On a fait quelques pas, comme ce mur protégeant Gilo (colonie qui touche Jérusalem). C'est un début. Peut-être que la persistance du soulèvement fera réaliser à Israël que ce mur est la seule solution.
- Mais il y a une différence immense entre les deux Allemagnes et Israël: les colonies.
Bien sûr, mais nous devons dire un jour ou l'autre aux colons: nous allons partir d'ici, soit vous partez et nous vous aidons à vous réinstaller, soit vous restez et alors débrouillez-vous. Mais, au fond, je pense que ces colonies sont sans avenir, destinées à mourir. 95 % des colons n'accepteront pas que leurs enfants risquent chaque jour leur vie pour une idéologie stupide.
- Certaines perdureront quand même.
Très peu. Si nous voulons que nos ennemis soient de l'autre côté du mur, nous ne devons pas être responsables d'elles.
- L'idée de ce mur vient-elle plutôt de la gauche ou de la droite?
En fait, tout le monde est d'accord sur la séparation. La seule question, c'est: où construira-t-on la clôture? Sera-t-elle le long de l'ancienne frontière ou de la vallée du Jourdain, comme le veulent les extrémistes de droite. Moi, je préférerais le long du Jourdain, mais ce n'est pas réaliste à moins de risquer une guerre majeure.
- Combien de temps demandera la construction d'un tel mur?
De six mois à un an. Mais, pour le construire, il faut que la situation se calme. Ce qu'Israël devrait faire, c'est attendre le moment où de nouveaux soldats seront tués, leurs corps brûlés ou jetés par la fenêtre, pour frapper une seule fois mais très fort, sans faire d'excuses, et utiliser ce moment précis pour commencer la construction.
- Tout le monde a salué la chute du mur de Berlin. En créer un nouveau, ce sera dommageable à l'image d'Israël?
Elle ne sera pas pire que celle que nous avons aujourd'hui à cause de l'Intifada.
- Vous étiez très sévère dans vos jugements sur les «performances» de Tsahal lors de la précédente Intifada. Etes-vous aussi critique aujourd'hui?
En ce moment, Tsahal se comporte plutôt bien face à l'insurrection. Elle a appris de la précédente: les soldats sont plus disciplinés, moins en proie à la panique, mieux ravitaillés. Mais ça ne va pas durer toujours. A long terme, l'Intifada va démoraliser l'armée israélienne comme la dernière fois, surtout si on utilise les réservistes. Imaginez leur état d'esprit quand ils devront s'arrêter de travailler, d'étudier pour passer leurs journées à garder des points de contrôle aux portes des colonies ou à patrouiller dans Hébron.
- Du côté palestinien, le moral est-il affecté par les lourdes pertes?
Non, car, pour eux, chaque perte est une raison de plus d'aller se battre. Leur motivation est extrêmement élevée. Généralement, le camp qui a la plus forte motivation gagne. Comment l'armée israélienne peut-elle être motivée en luttant contre un ennemi aussi faible? Chaque perte nous déprime un peu plus et les élève davantage. Avant, c'était comme ça pour nous aussi. C'est ainsi que nous avons battu les Britanniques, puis gagné nos autres guerres: parce que nous affrontions des ennemis plus forts.
- Si cela s'aggrave, que va-t-il se passer?
Si les Palestiniens vont trop loin, des représailles terribles les attendent. Ils le savent et cela les effraie. En plus, leur propre contrôle sur leurs gens n'est pas total et on ne sait jamais ce que les éléments les plus fanatiques préparent. Je ne pense pas que la situation va s'aggraver, mais l'insurrection va durer longtemps. Et le dilemme est le suivant: si vous combattez un ennemi qui est beaucoup plus faible que vous, vous êtes un criminel, mais si vous le laissez vous tuer, vous êtes un imbécile.
- L'Intifada rend-elle service à Barak?
Je ne sais pas si Barak a encore une politique. Il est dans la confusion. Il n'a pas de coalition. Pour le moment, il fait un one man show.
- Et Ariel Sharon?
Il a promis de faire la paix. C'est sans doute vrai, mais c'est parce qu'il empêche tout autre que lui de la faire.
(1) Deux ouvrages de Martin Van Creveld sont traduits en français: «Tsahal: une histoire de l'armée israélienne» et «la Transformation de la guerre» (Ed. du Rocher, 1998). 

5. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Lundi 9 octobre, bouleversé par les images de l'Intifada, Ahmad Chaarawi, jeune écolier cairote, a pris le chemin de Rafah, espérant rejoindre les Palestiniens de l'autre côté de la frontière
par Dina Heshmat
Sur les pas de l'Intifada
Il a 13 ans, mais il est déjà célèbre. Les journalistes sont nombreux à appeler sur le portable de son père, pour demander une interview. L'histoire d'Ahmad est déjà parue dans la presse écrite, (Al-Gomhouriya et Al-Ahram Al-Arabi), et à la télévision sur la première chaîne et sur la chaîne satellite ... Et surtout, son aventure est sur toutes les lèvres ; des femmes de ménage cairotes aux paysans du Delta, en passant par les journalistes ou les étudiants, tous sont intrigués par le périple de cet adolescent. Au club Al-Nasr à Héliopolis, où je l'ai rencontré, un petit attroupement se fait autour de lui et les questions fusent : « C'est toi qui as été à Rafah ? », « C'est bien, tu as eu raison ». Les hommes ont un petit sourire d'amusement sur les lèvres et le ton reste celui, un peu rude, d'un adulte qui s'adresse à un enfant. Mais malgré tout, on sent dans les regards pointer une admiration qui a du mal à s'exprimer plus clairement. Lui, légèrement gêné, voire agacé, les mains dans les poches de son pantalon d'uniforme bleu, répond par des « oui » brefs ou des mimiques polies. Il est mal à l'aise dans son nouveau personnage, ce nouveau personnage né avec son aventure de quelques jours, qui a soulevé tant d'intérêt et tant d'unanimisme, et qui a fait de lui un adolescent différent de tous les autres.
A première vue cependant, rien ne le différencie de ses camarades d'école. Il grandit entre un père ingénieur et une mère enseignante, sa sœur est aujourd'hui étudiante en première année à l'Académie Sadate. La famille habite à Helmiyet Al-Zeitoun, mais Ahmad est scolarisé à l'école Abdel-Aziz Al-Séoud à Héliopolis. Tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Mais, déjà, Ahmad aime lire, surtout les ouvrages d'Histoire — un intérêt qu'il tient de sa mère — et s'intéresse en particulier à l'histoire de la Palestine et de Jérusalem.
Lorsque l'Intifada des jeunes Palestiniens éclate fin septembre, Ahmad est comme tous ses concitoyens — jeunes et moins jeunes. Il suit les événements sur le petit écran, admire les chabiba qui tiennent bon face aux tirs des soldats israéliens et assiste à la mort en direct de Mohamad Al-Dorra, assassiné dans les bras de son père. Comme tous ses concitoyens, les événements le préoccupent, il en discute autour de lui, entend parler des manifestations des étudiants dans toutes les universités d'Egypte, et voit les élèves sortir spontanément dans la rue dans son quartier. Lui n'a pas participé aux manifestations. « Les manifs ne vont rien changer. En Egypte, on n'a pas le droit de manifester. Ça ne devrait pas être comme ça. Dans n'importe quel autre pays, dans un pays européen par exemple, si le peuple manifeste, ses revendications vont se réaliser. Mais ici ...Vous avez vu l'Indonésie ? Ça, c'est des manifs, de vraies, qui ont obtenu des choses. C'étaient des manifs importantes, violentes, avec de la casse ».
Indonésie ou pas, lui, il a autre chose en tête. Il veut aller là-bas, lutter côte à côte avec les enfants palestiniens qu'il voit à la télé. L'idée grandit dans son esprit. Il en parle à ses amis. Qui hésitent, tergiversent mais finalement refusent. Qu'à cela ne tienne. Il ira seul. Le lundi 9 octobre, après l'école, il rentre chez lui et décide de partir. Prend une soixantaine de livres dans le tiroir de son père, des vêtements, sort de la maison et décide de prendre le premier train à destination d'Arich. Mais il découvre qu'il n'y a pas de ligne directe pour Arich et embarque donc pour Alexandrie — avec un billet première classe. Arrivé à Alexandrie, il apprend qu'il n'y pas de train pour Arich, qu'il doit prendre le Super Jet, qui ne part que le lendemain matin. Il décide donc de passer la nuit dans la gare. Il se trouve un banc, et s'endort. S'il n'a pas peur ? Non, pas du tout. « Personne ne m'a embêté de toute façon ».
Pendant ce temps, le père, rentré du travail, s'inquiète de ne pas trouver son fils à la maison. Commence à interroger les voisins et les amis de son fils. Quand l'ont-ils vu pour la dernière fois ? Lorsqu'un des amis de son fils finit par raconter à la mère d'Ahmad que celui-ci pensait partir pour Gaza, parce qu'il voulait aller lutter auprès des Palestiniens. Le père découvre alors qu'il manque de l'argent dans le tiroir : « Jamais il n'avait fait ça ». Il en déduit donc qu'Ahmad est réellement parti, et entame le périple des postes de police, des centres de la sûreté générale, et autres services administratifs du même type.
Ahmad, quant à lui, se réveille à l'aube du mardi 10 octobre et se prépare à prendre le Super Jet pour Arich. Il est ennuyé parce que le Super Jet coûte 28 L.E., alors qu'il ne lui reste plus que 21 L.E. Il tente de quémander quelques livres aux voyageurs dans la salle d'attente. Peine perdue. Puis décide de raconter une histoire inventée de toutes pièces au fonctionnaire installé derrière le guichet : ses parents travaillent à Arich, et il doit absolument les rejoindre. Le fonctionnaire lui donne l'argent nécessaire pour payer le reste du billet, et de la nourriture. Lorsqu'il arrive à Arich, il fait nuit. « Je me suis dit que je n'allais pas voyager de nuit. Si j'arrivais là-bas de nuit, qu'est-ce que j'allais faire ? J'ai donc dormi dans une mosquée. Après un petit temps, un homme est venu me réveiller en me demandant ce que je faisais là, qu'ils pouvaient venir me demander ma carte d'identité. Je me suis échappé alors ». Il prend un taxi collectif et arrive à Rafah. Dans le taxi, il rencontre un jeune à qui il raconte que sa famille habite loin de Rafah-centre et qu'il ne pourra pas les rejoindre le jour même. Il passe donc la nuit chez la famille de ce jeune. Dès le lendemain, il se dirige vers la frontière, observe, examine les possibilités de passage. « La surveillance était très dure, je me suis dit que j'allais essayer de traverser le point de passage. J'ai été là-bas, j'ai marché à côté des barbelés, mais je me suis perdu dans le désert ». Il demande à l'un des soldats comment il peut retrouver la rue principale. Le soldat, bien sûr, s'étonne. Il y a de quoi : un jeune garçon de 13 ans qui se balade au bord des barbelés de Rafah ! Il l'amène donc chez un officier, qui le fouille et lui pose des questions. Une fois de plus, Ahmad invente une histoire : son oncle va venir le chercher et le faire passer, pour qu'ils entrent ensemble à Gaza. Il quitte alors le poste et retourne de nouveau chez le jeune où il avait passé la nuit. C'est là qu'un soldat vient le chercher. « Au poste, ils ont appelé mon père ». Le père d'Ahmad vient le chercher. « Sur le chemin du retour, j'étais triste de rentrer. J'avais l'impression que le projet avait échoué ». La famille, elle, est soulagée. « Vous ne pouvez pas imaginer l'inquiétude qu'on a vécue pendant toutes ces journées. La sœur d'Ahmad, qui jeûnait le jour de son départ, n'a pas mangé jusqu'à son retour. Moi, j'étais effondré, même si j'essayais de maîtriser mes nerfs. Je n'ai pas dormi 72 heures de suite », raconte le père. La famille Chaarawi n'est cependant pas au bout de ses peines, parce que pour Ahmad, les choses sont claires : « Quand je serai grand, j'irai là-bas ». Quand on lui demande ce qu'il pense de la cause palestinienne ou de la « paix », Ahmad répond que pour lui, il n'y a pas de paix. La guerre ? « Si les gouvernements arabes se décidaient à la faire, ça serait une bonne chose. Mais en même temps, la guerre, c'est la destruction ».
En attendant, les médias ont fait de lui un héros national. Ce qui est quelque part révélateur quant à la pénurie de héros « standard », plus âgés, sur le marché. Révélateur aussi de la politique adoptée par les médias depuis le début de l'Intifada. Les médias pouvaient difficilement passer sous silence la révolte de toute une population, le courage de générations de jeunes, de ces autres héros de la solidarité avec le peuple palestinien. Tous ces élèves, filles et garçons, qui sont descendus par milliers dans la rue, tous ces étudiants qui se sont affrontés aux forces de la sûreté générale, dont certains sont encore en ce moment même détenus à la prison de Tora. Mais le fait est que ce type d'héroïsme n'a pas droit d'être cité dans nos médias nationaux, il fallait donc trouver quelque chose de moins dangereux, c'est-à-dire, quelque chose de moins collectif. L'aventure d'Ahmad pouvait faire l'affaire. Elle reflète en effet l'état d'ébullition et de révolte qui agite tous les adolescents et les jeunes du pays, tout en témoignant d'une détermination et d'un courage étonnants. Ahmad, quant à lui, a le ton un peu monocorde quand il raconte son histoire et le regard sérieux sous les sourcils épais. A la question : « Tu n'en as pas marre des journalistes ? », il finit par se détendre et répond sans hésiter : « Si, carrément ! ».

6. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Le pourquoi de l'échec américain dans le processus de paix
par Hassan Abou-Taleb
Le paradoxe est particulièrement flagrant. L'Administration Clinton a été la plus active dans le processus de paix, mais elle est celle qui a connu le plus grand échec dans la réalisation d'un progrès palpable sur la voie d'une paix stable, juste et globale. Il est également paradoxal que cette administration soit l'unique à avoir formé une équipe spéciale dirigée par un coordinateur du processus de règlement qui est Dennis Ross, alors même que cette équipe semble la plus incapable à comprendre la nature du processus qu'elle doit aider.
Ces paradoxes expliquent partiellement l'effondrement du processus de règlement qui a eu pour seul parrain pendant dix ans, les Etats-Unis, dont 8 sous le mandat de Clinton. Cet effondrement, nous le voyons clairement dans les attaques israéliennes féroces contre un peuple désarmé, et dans la menace contre les intérêts américains.
Les paradoxes américains ne se limitent pas à l'Administration. Il faut citer le Congrès qui a voté une résolution désignant les Palestiniens comme responsables du déclenchement de la vague de violences dans les territoires occupés. Cette résolution exprime également un soutien complet à Israël dans sa politique répressive contre les Palestiniens. Quant aux médias américains, que ce soit la presse ou la télévision, ils n'ont jamais été aussi alignés et impartiaux qu'aujourd'hui en couvrant les événements de l'Intifada. Le criminel est devenu victime et la victime criminel. Les analyses publiées par la presse américaine sont remplies de haine contre tout ce qui est arabe et palestinien sans aucune tentative de comprendre les racines des problèmes, de connaître le point de vue palestinien ou même d'être un tant soit peu objectif envers cette cause.
Ces paradoxes ne seraient finalement pas si étranges, puisque le pouvoir sioniste est présent dans toutes les institutions américaines législatives et exécutives, et domine les médias, les arts et le monde universitaire. Par conséquent, la réponse naturelle serait qu'il n'y a pas de place pour d'autre point de vue, tant qu'il est question d'Israël. De plus, il y a maintenant aux Etats-Unis d'autres événements importants comme le combat électoral présidentiel et le renouvellement de la moitié du Congrès. Tout le monde tente de s'approprier les voix juives. Tout ceci est vrai, mais ne suffit nullement à expliquer de tels paradoxes flagrants qui contredisent les principes de base de la société américaine, notamment les droits de l'homme et la justice.
Le pouvoir sioniste, quelle que soit sa force, peut attirer une partie de l'élite ou des classes moyennes, mais pas une majorité, ceci nécessite plus que le facteur de force. Le pragmatisme américain peut donner une explication plus globale des paradoxes de la position américaine envers l'Intifada d'Al-Aqsa. Cette méthode est basée sur la dissociation en éléments séparés des causes quel que soit leur degré de complexité. Cette méthode est responsable de cette simplification abusive, qui transforme la réalité en deux camps, le bien et le mal, abstraction faite de la réalité et des événements qui prouvent le contraire.
Dans la pensée américaine contemporaine, le conflit arabo-israélien se résume à des concessions faites par Barak au président Arafat à Camp David II. Mais ce dernier, parce qu'il n'aime pas la paix, a refusé ces concessions, préférant recourir à la violence et au terrorisme pour en obtenir plus ! En contrepartie, les Israéliens ont refusé ce chantage de la part d'Arafat, et n'avaient d'autre choix que de se défendre face à la violence palestinienne.
Cette conception américaine d'un conflit si compliqué comme le conflit arabo-israélien reflète une pensée formelle qui sépare les événements de leurs racines. Dans ce cas, l'échec est assuré, puisque le point même de départ est incapable d'assimiler les différents facteurs qui constituent une crise complexe, nécessitant aussi des remèdes complexes.
Selon cette pensée américaine, l'engagement de l'Etat occupant à rendre les territoires est devenu simples concessions de la part du premier ministre de cet Etat antagoniste. Et l'insistance d'Arafat à sauvegarder les droits de son peuple est devenu exaction contre les Israéliens. La tuerie des Palestiniens désarmés par les soldats israéliens sous les regards du monde entier est devenue une simple autodéfense. Et Israël qui jouit d'une suprématie militaire et qui est l'unique Etat à posséder l'arme nucléaire dans la région est devenu un Etat encerclé par les ennemis et les terroristes.
Voici un ensemble de conceptions illogiques et inéquitables, mais elles reflètent une façon de pensée myope qui élimine les côtés historiques pour se contenter de tout ce qui est passager.
De nombreux Orientaux proches de l'Administration américaine et même des membres du Congrès ont mis en garde contre les dangers de cette perspective incomplète et contre ses répercussions sur les intérêts américains importants dans la région arabe et islamique. Mais en vain. Un événement tel que l'explosion du destroyer américain USS Cole dans le port yéménite d'Aden transmet de nombreux messages sur la politique américaine inéquitable. Mais du point de vue américain, c'est un acte terroriste dont les auteurs doivent être punis. Cette explosion devrait pousser les institutions américaines à adopter une nouvelle politique, ou au moins à saisir les significations réelles d'un tel acte. Il règne un sentiment de colère et de déception à cause de la politique américaine de deux poids, deux mesures. Mais malheureusement les réactions n'annoncent aucune révision de la politique américaine avant les résultats des élections présidentielles. 

7. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Présidentielle américaine - Bush et Al Gore rivalisent dans leur soutien à Israël : Israël grand gagnant des élections
par Hoda Taoufiq
Washington de notre correspondante
La course pour la Maison Blanche touche à sa fin. Bien que la bataille opposant les deux candidats républicain et démocrate ait atteint son paroxysme, la bataille reste indécise entre George W. Bush et Al Gore. Mais une chose est certaine : tous ceux qui ont perdu confiance en les deux partis républicain et démocrate voteront pour le candidat des Verts Ralph Nader. Nous avons à titre d'exemple les Américains d'origine arabe qui ont perdu l'espoir en l'impartialité des deux candidats républicain et démocrate envers les causes arabes.
Pour les leaders arabes américains, en cas de sa réussite, la partialité aveugle d'Al Gore en faveur Israël portera un coup dur au processus de paix au Proche-Orient. Ces mêmes leaders s'opposent d'autre part à la politique que Bush affiche vis-à-vis de l'Iraq, des sanctions internationales qui le frappent et de l'ingérence extérieure dans la région du Golfe. Cette politique est sans doute plus intransigeante que celle du Parti démocrate. Bush continue en effet de parler de la coalition internationale contre l'Iraq, alors que ce dernier accueille de plus en plus d'avions arabes, européens et autres transportant des aides humanitaires. En outre, le monde entier a commencé à montrer de la sympathie envers cet Etat qui étouffe sous l'emprise des sanctions les plus drastiques jamais connues dans l'Histoire.
Le choix que doit faire l'électeur américain d'origine arabe est donc difficile. En ce qui concerne la politique des deux partis vis-à-vis des causes arabes, les divergences sont minimes. Sous l'Administration Clinton, on bombarde régulièrement l'Iraq. Durant leur campagne électorale, Bush et Al Gore n'ont pas prononcé un seul mot contre ces attaques.
En même temps, les deux candidats focalisent sur la sécurité d'Israël, l'alliance avec lui et la conclusion d'un accord de paix qui va de pair avec les intérêts et les exigences de l'Etat hébreu et qui ignore la légitimité internationale et les droits palestiniens. Cette politique est exprimée régulièrement par Bush qui ne cesse de répéter inlassablement à chaque occasion : « Nous sommes avec Israël, Israël est notre allié, mais les Etats-Unis ont en même temps des amis dans la région et ont des intérêts vitaux dans le Golfe ». Quant à Al Gore, il fait de son mieux pour satisfaire Israël et prendre son parti.
En tout cas, la politique étrangère n'a pas joué un rôle influent dans la campagne électorale américaine. Cependant, les dernières évolutions, les bains de sang et la guerre israélienne déclenchée contre les enfants palestiniens désarmés ont mis le conflit du Proche-Orient au devant de la scène. Et ce pour une simple raison : c'est au prochain président américain qu'incombera la charge de trouver un règlement à ce problème. On ne peut plus dorénavant ignorer l'agression israélienne que le monde entier suit sur les écrans de télévision.
Ainsi s'est-on intéressé à nouveau au conflit du Proche-Orient, en raison de la situation explosive qui prévaut. Et ce, malgré les espoirs du président Bill Clinton qui aspirait à réussir le pari de mettre un terme au conflit palestino-israélien et instaurer la paix dans la région. Les rêves de Clinton se sont certes dissipés, car le problème s'est révélé plus compliqué pour les Américains qu'ils ne l'imaginaient. En effet, le conflit n'est plus un simple conflit palestino-israélien, car les hostilités, le sommet arabe et la détérioration de la situation ont donné à la crise une dimension arabe, islamique et internationale. Et ce, contre le gré des autorités de l'occupation israélienne. D'autre part, les négociateurs israéliens au sommet de Camp David II ont transformé le conflit sur des territoires occupés par Israël, en un conflit religieux opposant juifs et musulmans. L'Etat hébreu a fait valoir des prétentions religieuses qui datent de milliers d'années, selon lesquelles les juifs habitaient ces terres. 
Une région dangereuse 
Interrogé par Al-Ahram Hebdo, Mark Ginsberg, chef de l'équipe politique d'Al Gore, a réaffirmé qu'Israël est l'allié des Etats-Unis. Ceux-ci le soutiendront toujours. Ginsberg a dénoncé les tentatives palestiniennes de recourir au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale de l'Onu pour faire condamner Israël, en raison de la guerre qu'il mène contre les Palestiniens. Ginsberg a également dénoncé la dernière résolution du Conseil de sécurité, qu'il qualifie de « dégoûtante », parce qu'elle a condamné Israël. Pour Ginsberg, cette résolution rappelle l'époque où l'Onu assimilait le sionisme au nazisme ! Ainsi, les positions exprimées par les assistants d'Al Gore sont identiques à celles de l'Etat hébreu sinon plus intransigeantes.
Quant au professeur Bruce Jentelson, l'un des membres de l'équipe politique d'Al Gore, et ancien diplomate au département d'Etat chargé de la coopération régionale multilatérale, il a reconnu que les derniers incidents ont montré aux Américains que le Proche-Orient est une région dangereuse et difficile. Ils leur ont de même montré qu'il faut déployer des efforts et montrer davantage d'intérêt à ce conflit. Partant, l'assistant d'Al Gore a insisté sur l'importance d'élire le président qui a le plus d'expérience et de connaissances dans le conflit du Proche-Orient à savoir, Al Gore. « Al Gore sait comment il faut traiter avec ce problème. Et ce grâce à ses positions, son expérience et ses amitiés avec les Arabes et les Israéliens ». M. Jentelson poursuit : « Je ne peux pas imaginer qu'il existe au monde une région plus importante pour les Etats-Unis que le Proche-Orient. On a besoin qu'Al Gore soit président pour faire face à ce problème ». Selon lui, une fois élu, Al Gore commencera dès le 20 janvier 2001, date de la prise de pouvoir du nouveau président, à traiter avec la crise. Mais comment va-t-il le faire ? Jentelson répond : « Oslo n'a pas réalisé tout ce qu'il fallait comme on l'espérait ». Il a affirmé à Al-Ahram Hebdo que les efforts seront poursuivis afin de résoudre non seulement les problèmes palestino-israéliens, mais aussi syro-israéliens, tout en continuant à œuvrer dans le cadre de la coopération régionale et des négociations régionales multilatérales.
La position de Bush relative au conflit israélo-arabe est par contre assez fade. Il lui manque l'enthousiasme pour une question si importante. Selon Condoleezza Rice, chef de l'équipe de la politique étrangère de Bush, ce dernier appuie la politique de Clinton vis-à-vis du Proche-Orient. Bush réclame la non implication des troupes américaines dans des régions tels le Kosova et la Bosnie, mais que ces troupes soient mobilisées en tant que force de dissuasion au Golfe. Et en cas d'échec, elles assumeront leur responsabilité militaire. Il est clair que Bush vise à récupérer la gloire de son père, l'ancien président George Bush, qui avait mené la bataille contre l'Iraq en 1990. En même temps, il souligne la nécessité de demander à Arafat de calmer la situation, d'arrêter l'Intifada et de mettre fin à la violence.
Jusqu'à présent, les chances des deux candidats sont égales. La balance penche un jour en faveur d'Al Gore et le lendemain en faveur de Bush. La bataille ne sera tranchée que le 7 novembre, jour des élections, d'autant plus que plusieurs Etats n'ont pas encore déterminé leur choix. 

8. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 1er novembre 2000
Les Arabes américains penchent pour Bush
par Hoda Taoufiq
Pour la première fois, la voix de l'électeur arabo-américain acquiert une importance dans les élections présidentielles aux Etats-Unis. En effet, Al Gore et George Bush essayent de s'arracher les voix dans des Etats marqués par une présence massive d'Américains d’origine arabe, notamment au Michigan qui abrite une grande communauté arabo-américaine à Detroit.
Maintenant, les deux candidats essayent de s'attirer la sympathie des voix arabes et musulmanes en faisant des promesses et des engagements à cette communauté. Cependant, les promesses des deux candidats pour cette communauté concernent des affaires internes et des problèmes dont souffrent les Arabes américains tels le racisme, la persécution, l'inégalité dans le domaine des droits civils, ainsi que des lois du Congrès permettant la détention, l'incarcération et l’expulsion sans preuves et ce conformément à la loi connue sous le nom des « preuves secrètes ».
Quant aux questions étrangères importantes pour la communauté arabe, il n'y a pas une grande divergence entre les politiques des deux candidats. Cette semaine, Bush a réussi à gagner la confiance des Américains arabes. L'Organisation Council on American Islamic Relations a annoncé son soutien pour le gouverneur de Texas, George W. Bush.
Selon des sondages d'opinions, les positions des communautés islamiques et arabes américaines sont identiques. Selon le dernier sondage, 40 % d'Arabes américains appuient Bush, 25 % Ralf Nader et 24 % uniquement Al Gore. L'appui accordé à Nader, candidat des Verts, s’explique par la nomination de Lieberman comme colistier d’Al Gore. Il serait le premier juif à être vice-président si Al Gore remporte les élections. Les Arabes américains doutent de la neutralité de Lieberman vis-à-vis des causes arabes. Celui-ci a essayé de s'approcher des Arabes américains en tenant des rencontres avec eux et en s'engageant à défendre leurs droits civils.
Mais avec le déclenchement de la crise dans les territoires palestiniens, Lieberman a été le premier à lancer des accusations et des critiques à l'Autorité palestinienne et aux Palestiniens. Ces attaques ont angoissé les Arabes et ont mis en cause sa neutralité vis-à-vis du processus de paix. Ahmed Shabani, président de la Chambre américano-arabe au Michigan, dit à cet égard que : « Le médiateur intègre doit être neutre dans ses positions et ce afin de gagner la confiance des deux parties » du conflit proche-oriental. Les craintes des Arabes américains ont pris naissance à la suite du récent discours de Lieberman à Los Angeles au cours duquel il a fait l'éloge du premier ministre israélien ainsi que de ses positions, tout en blâmant Arafat.
 
9. Le Soir (quotidien belge) du mardi 31 octobre 2000
Omar, clandestin terré comme un rat
par Serge Dumont
Depuis un mois, je me terre comme un rat. Je dors dans des caves, je fouille les poubelles et je mendie à la sortie des mosquées. Omar, 29 ans, est palestinien. Il est marié, père de quatre enfants, et il est employé clandestinement en Israël. Du moins, il l'était. Car depuis le début des émeutes, l'Etat hébreu a décrété le bouclage de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. De ce fait, 115.000 travailleurs palestiniens légaux ne peuvent plus franchir la « ligne verte » qui sépare Israël des territoires palestiniens. Quant aux clandestins résidant à l'intérieur de l'Etat hébreu, ils n'osent plus se montrer sur les chantiers de peur d'être reconnus et dénoncés.
Mon épouse et mes enfants sont restés à Dir-el-Balah (un camp de réfugiés de la bande de Gaza) et je ne sais pas ce qu'ils deviennent. Ils n'ont pas le téléphone et mes voisins non plus, affirme Omar. Est-ce que ma famille mange à sa faim ? Est-ce que mes enfants vont à l'école ? J'y pense tout le temps et ça me ronge.
Jusqu'au 1er octobre dernier, Omar était carreleur. Il était travailleur au noir pour l'un des entrepreneurs les plus connus de Tel-Aviv. Je gagnais 4.000 shekels par mois (40.000 francs belges) en travaillant de dix à douze heures par jour et six jours par semaine. Pour aller plus vite je dormais sur le chantier, raconte-t-il.
« J'AI PEUR DES ISRAÉLIENS ET DES PALESTINIENS »
C'était dur mais l'argent rentrait et je retournais chez moi une fois par mois. J'étais fier puisque je gagnais plus qu'un policier de Gaza. Maintenant, je suis un fugitif. Je n'ose pas sortir dans la rue. J'ai peur des Israéliens qui pourraient me prendre pour un terroriste du Hamas et j'ai peur que, si je retourne à Gaza, mes voisins me prennent pour un collaborateur du Shabak (Sûreté générale israélienne) et qu'ils me battent.
Omar n'est pas le seul à vivre ce cauchemar. Selon les estimations des organisations de défense des droits de l'homme, de dix à quinze mille clandestins palestiniens vivraient aujourd'hui d'expédients sur le territoire israélien. Certains trouvent encore des petits travaux comme ouvriers journaliers, mais la plupart se cachent.
Ces derniers jours, la police a d'ailleurs organisé des opérations « coup de poing » dans les squats de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv, où vivent illégalement de nombreux étrangers. Les Russes, les Roumains et les Africains interpellés ont été laissés en liberté. Les Palestiniens ont été embarqués pour être remis à la frontière.
Lorsque nous l'avons rencontré, Omar logeait dans la remise d'une épicerie de Tira, un village arabe israélien situé à quelques kilomètres en face de Kalkilya (la première ville palestinienne de Cisjordanie). Le plus dur, c'est de savoir que je me trouve à dix minutes en voiture de la Palestine et que je ne peux y retourner, soupire-t-il.
Il ajoute : Souvent, le soir, je regarde les lumières de Kalkilya briller au loin. Lorsque le vent souffle dans la direction de Tira, j'entends l'appel du muezzin à la mosquée. J'ai même l'impression de sentir les odeurs de là-bas. Je retourne alors dans ma remise, je me couche sur mon matelas de boîtes en carton et je pleure. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ?

10. Le Soir (quotidien belge)
du mardi 31 octobre 2000
L'horizon bouché par l'incompréhension mutuelle
par Baudoin Loos
De tous côtés, un angoissant constat bouche l'horizon proche-oriental : aucune perspective de solution ne se fait jour. Israéliens et Palestiniens, que l'on avait crus proches d'un accord cet été, semblent maintenant - 154 morts plus tard - comprendre qu'il n'en était rien.
ANALYSE
Quelques jours passés dans les territoires palestiniens tendent à convaincre qu'un point de non-retour a été atteint. Pour les Palestiniens, rien ne sera désormais plus comme avant. Pour les Israéliens non plus, d'ailleurs... Beaucoup conviennent que la visite-provocation de l'ultranationaliste Sharon près des saintes mosquées à Jérusalem n'aura été que la goutte qui a fait déborder le vase. Ou plutôt l'étincelle qui a mis le feu au baril de poudre. L'explosion aura été d'autant plus importante que la répression israélienne fut, dès le début, disproportionnée. Comme si, disent les Palestiniens, Israël avait voulu imposer sa solution par la force.
Ehoud Barak éprouve des difficultés à comprendre la pensée de Yasser Arafat, écrit la presse israélienne. Qui cherche à analyser l'origine de l'impasse qui a mené aux violences actuelles. Imaginons juste un moment, écrit ainsi dimanche un éditorialiste du « Haaretz », que les propositions de Barak Òau sommet de Camp David, en juillet, qui se clôtura par un « niet » palestinien, NDLRÓ, même si elles dépassaient de loin toutes les propositions israéliennes antérieures (...), étaient encore inacceptables pour les Palestiniens. Et de décrire ces propositions qui aboutissent à créer un Etat palestinien divisé en trois parties non reliées, parsemées de groupes de colonies juives, routes de contournement et zones militaires. Les Palestiniens considèrent cela comme un piège. Arafat aurait pris un énorme risque en signant cela. (...) Les Palestiniens sentent qu'ils mènent une guerre inévitable.
D'innombrables témoignages palestiniens corroborent ce constat. Et, partant, annoncent le pire pour demain. Tout se passe comme si Arafat et son Autorité palestinienne avaient désormais pris la mesure du ressentiment de la « rue » palestinienne, laquelle crie depuis longtemps, des années en fait, à qui veut l'entendre sa déception, pour dire le moins, relative aux accords intérimaires d'Oslo.
PLUS DE PARTENAIRES POUR L'INSTANT
Car l'occupation militaire continue - sauf pour moins de 20 % de la Cisjordanie et 70 % de la bande de Gaza -; la colonisation juive se développe sans discontinuer; l'économie reste dépendante d'Israël qui peut couper l'eau, l'électricité et le téléphone, comme si les Palestiniens étaient de mauvais locataires... de leurs propres terres. Savez-vous que l'Autorité palestinienne doit même faire enregistrer par Israël chaque naissance ?, nous a lancé un intellectuel à Ramallah, amer comme tout le monde.
D'où cette impression tenace que la détermination palestinienne n'a jamais été aussi froide, malgré le rapport des forces que chacun, chaque Palestinien, sait pencher en faveur d'Israël de manière écrasante. Les Israéliens doivent comprendre, disait vendredi au même « Haaretz » le général Tawkif Tirawi, chef des services secrets palestiniens, que nous Palestiniens possédons deux choses qui sont beaucoup plus fortes que tout votre armement militaire : la foi en notre foyer national et en la justice de notre voie, et la puissance de notre volonté.
L'incompréhension entre les ex-protagonistes du processus de paix semble maintenant totale. Quand Barak déclare, comme hier encore à la Knesset, qu'il n'existe plus pour le moment de partenaire pour le dialogue côté palestinien, la réponse fuse en face : il n'y a, de fait, pas de partenaire pour accepter la paix aux conditions israéliennes, mais il y en a pour appliquer la légalité internationale, c'est-à-dire l'évacuation par Israël des territoires occupés en 1967.
Mais comment revenir à la table des négociations alors que tant de Palestiniens disent vouloir continuer l'intifada aussi longtemps que l'occupation durera - et qu'aucun leader, et sûrement pas Arafat, ne se risque à contredire cette détermination ? Ledit Arafat s'est refait une popularité bien érodée, mais au prix d'une fermeté qui épouse la ferveur de son peuple.
Le pessimisme paraît décidément devoir s'imposer car, côté israélien, le Premier ministre Barak croit, en toute bonne foi, apparemment, avoir « offert » aux Palestiniens le maximum de concessions que son opinion publique peut accepter. Pour compliquer le tout, les conditions politiques sur l'échiquier israélien sont telles qu'Ehoud Barak, minoritaire à la Knesset, négocie tant bien que mal la mise sur pied d'un « gouvernement d'urgence nationale » avec Ariel Sharon, l'incarnation du diable pour les Arabes.

11. L'Humanité du mardi 31 octobre 2000
La grande inquiétude des députés israéliens arabes
propos recueillis par Yaël Avran
De notre correspondante particulière en Israël.
Mohamed Kinan est membre du Parti arabe unifié. Ce rassemblement, qui regroupe des représentants des mouvements musulmans et du Parti démocratique arabe, compte 5 députés. Il a répondu aux questions de l'Humanité quelques heures avant l'ouverture de la session parlementaire. Entretien.
- La rentrée parlementaire se déroule dans une atmosphère extrêmement tendue. Pensez-vous que la situation pourrait mener à un affrontement lors des débats ?
Mohamed Kinan. La tension est perceptible dans les couloirs de la Knesset, notamment en raison des déclarations des députés de la droite qui remettent en cause la légitimité des députés arabes. Certains députés ont en effet proposé de décréter les mouvements musulmans hors la loi ou d'éprouver la fidélité des députés arabes en leur demandant de prêter serment à l'Etat d'Israël, Etat juif et démocratique. Ces propositions contredisent toute tradition démocratique. J'espère que nous pourrons éviter l'usage de la force. Mais nous ne pourrons pas endurer indéfiniment des menaces venant de nos collègues juifs.
- Plusieurs partis arabes, dont le vôtre, exigent la mise en place d'une commission d'enquête indépendante pour examiner les événements du mois dernier, qui ont fait 13 morts parmi les Israéliens arabes. Pourtant, une commission fonctionne déjà. Ne suffit-elle pas ?
Mohamed Kinan. Certainement pas ! Une commission d'enquête indépendante est nommée par le président de la Cour suprême, et ne dépend pas du gouvernement. Or les violences qui ont secoué le pays le mois dernier ont provoqué la mort de civils innocents, et la responsabilité en incombe à la police, au ministre de l'Intérieur, Shlomo Ben Ami, et au premier ministre, Ehud Barak. La commission telle qu'elle existe dans sa formule actuelle ne sera pas libre d'interroger les personnes impliquées, et c'est pour cela que nous exigeons la mise en place d'une commission libre de toute pression.
- Si le projet d'un gouvernement d'union nationale avec le Likoud échouait, votre parti accepterait-il de se joindre à un gouvernement réduit regroupant, entre autres, les partis arabes, le parti laïque Meretz et le Parti centriste ?
Mohamed Kinan. Cela me paraît impossible à l'heure actuelle. Le Parti arabe unifié ne pourra pas collaborer avec le gouvernement étant donné les récents événements, et en particulier la responsabilité directe du premier ministre. Nous avons déposé une motion de censure qui doit être débattue la semaine prochaine (6 motions de censure ont été déposées jusqu'à présent - NDLR). Non seulement le gouvernement n'a pas répondu aux attentes des Israéliens arabes, mais il continue de nous décevoir par ses hésitations et ses bégaiements. C'est extrêmement frustrant, surtout si l'on se rappelle que ce gouvernement bénéficiait du soutien absolu du secteur arabe. Il n'y a plus de différence aujourd'hui entre un gouvernement de gauche ou de droite.
- Peut-on malgré tout revenir au statu quo qui prévalait entre juifs et Arabes avant les événements du mois de septembre ?
Mohamed Kinan. Il faudra faire des efforts surhumains des deux côtés pour réussir à rétablir la confiance. Les agressions anti-Arabes se sont poursuivies après les manifestations, sans être toujours signalées. Surtout tant que la police n'aura pas libéré les manifestants détenus depuis bientôt un mois, la situation ne pourra pas revenir à la normale.

12. Le Monde du mardi 31 octobre 2000
Abraham Burg, président travailliste de la Knesset "La paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y a qu'un seul vainqueur"
propos recueillis par Catherine Dupeyron et Georges Marion
- Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ?
Yasser Arafat avait deux options possibles : ou bien recevoir un Etat palestinien ou bien s'en saisir. Recevoir signifie négocier l'accord d'Israël et de la communauté internationale. S'en saisir signifie, comme vous dites en français, »prendre la Bastille«, faire une »révolution« et mener une guerre héroïque. Bref c'est »Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé !«. J'ai le sentiment que Yasser Arafat préfère »le jour de gloire« à une réconciliation politique. C'est la première explication.
La seconde concerne les profondes frustrations des Palestiniens. Certains pensent qu'Israël aurait dû être plus généreux, d'autres qu'il faut mettre un terme à la corruption palestinienne. Ce que perçoit la rue palestinienne, en tous cas, est qu'une minorité seulement profite de la paix. Pour eux, Oslo, Rabin, Barak, quelle différence si tout persiste comme avant, si seul un petit noyau devient de plus en plus riche et que les autres deviennent de plus en plus pauvres ? De façon très intelligente, Yasser Arafat a réussi à canaliser contre Israël toutes les énergies négatives qui étaient dirigées contre lui et contre l'Autorité palestinienne. Si vous mettez ensemble la guerre héroïque et les frustrations, vous obtenez une situation explosive.
- Cette explication ne sous-estime-t-elle pas les responsabilités israéliennes ? C'est vous qui avez fait tirer sur l'esplanade des Mosquées au lendemain de la visite d'Ariel Sharon.
Jusqu'à ce qu'Israéliens et Palestiniens signent un accord final de paix qui abordera aussi cette question, le mont du Temple est de notre responsabilité. Jamais le site n'a bénéficié d'une telle liberté d'accès et de culte que durant ces 33 dernières années [après qu'Israël l'a conquis sur les Jordaniens durant la guerre de 1967]. Dans une contexte de discussion démocratique tel qu'il existe en Israël, il est légitime d'être partisan de telle ou de telle solution quant à l'avenir de la Vieille Ville, de Jérusalem-Est ou du mont du Temple. La visite d'Ariel Sharon exprimait deux choses : d'abord que nous sommes toujours souverains sur cet endroit, et ensuite qu'il a le droit démocratique d'exprimer ses conceptions. Tactiquement, était-ce intelligent d'y aller ? Je n'en suis pas sûr. Si j'avais été à sa place, je n'y serais pas allé. Mais il y est allé, ce qui n'était que l'expression de ses convictions.
Quant à Arafat, il avait deux possibilités : dire qu'il n'aime pas que Sharon se promène sur le mont du Temple, mais qu'il lui déroule quand même le tapis rouge pour bien montrer comment les Palestiniens géreront le mont du Temple et les Lieux saints : la meilleure expression de leur désir de paix. Mais au lieu du tapis rouge, Arafat a choisi le piège sanglant. Bon, d'accord, Sharon avait tort. Mais est-ce qu'on corrige une erreur par une autre erreur ? C'est pour cela que je ne n'accepte pas de dire qu'Israël est responsable de ce qui s'est passé sur le mont du Temple. Sharon sur le mont du Temple, ce n'était pas intelligent, mais la réaction des Palestiniens a tout accéléré.
- Mais les tirs ?
La visite de Sharon s'est passée dans le calme parce que les Palestiniens n'avaient pas tout de suite réalisé l'occasion en or qu'ils avaient. Le jour suivant, ils avaient compris. Je voudrais cependant faire une précision. La seule légitimité qu'ont des soldats ou des policiers à ouvrir le feu au cours de manifestations de civils c'est uniquement lorsqu'on leur tire dessus, ou lorsque leur vie est en danger. Tout le reste est injustifié. Ce vendredi, le commissariat de police a été pris d'assaut et la vie des policiers menacée. Ce n'était pas un jeu. C'était une situation violente.
- Etes-vous déçu de l'attitude d'Arafat ? 
Oui. Lorsque, durant trente ans, mon camp politique parlait de paix, nous pensions à des valeurs occidentales telles que l'amour, l'affection, la réconciliation, la proximité, telles qu'elles se sont développées en Europe durant ces cinquante dernières années. Apparemment, les Palestiniens ont une autre conception de la chose. Dans le meilleur des cas, la paix est pour eux une situation de non-guerre, un terme qui signifie que je contrôle mon désir de faire la guerre, mais je ne l'oublie pas. Nous, nous voulions une paix qui remplacerait le besoin de guerre.
Le résultat de tout cela, c'est qu'il faudra du temps pour revenir à la situation antérieure. La paix profite à deux adversaires, mais dans la guerre il n'y a qu'un seul vainqueur. Et je n'ai pas du tout l'intention d'être le perdant.
- Négocierez-vous encore avec Arafat ?
Bien sûr que nous reprendrons les négociations, mais à quelles conditions ? S'il y a des tirs sur notre capitale, il n'est pas question de négocier. Nous pouvons attendre, mais pas les Palestiniens. Notre économie est tellement forte, et la leur est tellement faible ! A Ramallah, ce n'est pas aux manifestants ou aux politiciens qu'il faut parler, mais aux commerçants, aux hôteliers, aux restaurateurs. Combien de temps peuvent-ils survivre économiquement sans la paix ? Leur réponse déterminera la durée du conflit.
- Quelle est votre estimation ? Combien de temps peuvent-ils tenir ?
Je ne peux pas vous répondre. Yasser Arafat et les siens, qui ont des parts dans le casino de Jéricho, ont gagné tellement d'argent qu'ils pourraient tenir des années, mais celui qui fait le ménage dans le casino ne survivra pas plus d'un mois. Je ne veux pas qu'il meure de faim, mais je n'ai pas non plus envie de l'aider dans une telle situation. Je suis d'abord préoccupé par les miens.
- Comment en sortir ?
Barak a deux possibilités. Ou bien il fait une alliance avec les Palestiniens, et maintenant il n'aura pas le soutien de la majorité des Israéliens, ou bien il fait une alliance à l'intérieur d'Israël. C'est l'un ou l'autre. Si nous sommes amenés à faire une alliance avec Sharon, cela prendra des mois avant de revenir à la table des négociations. Si, en revanche, les Palestiniens laissent entendre qu'ils sont prêts à répondre aux propositions de Clinton, Barak repoussera la perspective du gouvernement de coalition. La clé est dans les mains d'Arafat.
- Vous, personnellement, en tant que travailliste, soutiendriez-vous un gouvernement de coalition ?
Je préfère tout nouveau gouvernement à de nouvelles élections. La situation est une situation d'urgence qui nécessite un gouvernement d'urgence nationale plutôt qu'un gouvernement d'union nationale. Si demain un tel cabinet devait être mis en place, je n'aurais qu'une condition pour le soutenir : que Sharon n'ait aucun droit de veto sur le processus de paix. En cas contraire, je pense que je ne le soutiendrai pas.
- Pensez-vous Barak sérieusement menacé ?
Je pense qu'il est beaucoup plus avancé avec Sharon qu'on ne le croit. Par ailleurs, je pense aussi qu'il négocie discrètement avec le Shass... Il joue sur les deux tableaux.
- Vous avez récemment dit que vous aviez beaucoup de reproches politiques à faire à Ehoud Barak, mais que vous n'en diriez alors pas plus. Pouvez-vous en dire un peu plus maintenant ?
Dans une situation politique normale, je n'aurais pas hésité une seconde à dire ce que je pense de certains incidents, mais aujourd'hui la moindre critique affaiblit le gouvernement et ce n'est pas quelque chose que j'ai envie de faire. J'aurai toujours le temps de dire ce que je pense. »

13. Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 30 octobre 2000
Doubles messages [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
A la fin de la semaine dernière, l'un des chefs de la sécurité palestinienne, Djibril Rajoub, a pris la peine d'inviter des journalistes israéliens à une conférence de presse afin d'y exposer le point de vue palestinien au public en Israël. Le chef de l'équipe palestinienne des négociateurs, Saeb Erekat, a fait de même en menant une discussion avec le ministre israélien Amnon Lipkin-Shahak sur une chaîne de télévision. Il serait souhaitable de considérer avec tout le sérieux nécessaire cette campagne d'information et de communication, parce qu'elle témoigne de l'importance de l'opinion publique israélienne, pour les dirigeants palestiniens. Ils connaissent bien le fonctionnement de la démocratie israélienne et la capacité de l'opinion à peser sur les positions du gouvernement.
Mais le message palestinien n'est pas clair. Le public israélien, qui a vu ses relations avec les Palestiniens se dégrader considérablement, refuse d'entendre un double message. Si, parallèlement à sa campagne d'information et de communication, l'Autorité palestinienne ne parvient pas à empêcher les tirs d'armes à feu sur les immeubles d'habitations de Guilo ou de Psagot, si des extrémistes font exploser des engins piégés au passage de véhicules israéliens, (...), le message verbal n'a que peu de sens.
Israël n'est pas exempt non plus de doubles messages trompeurs. Le Premier ministre souligne certes que le processus de paix n'est pas encore mort et se dit prêt à envisager de répondre favorablement à l'invitation du président Clinton (...), mais, parallèlement, il s'est empressé de proclamer l'interruption du processus de paix afin de réévaluer la situation, menace de mettre en oeuvre une séparation unilatérale d'avec les Palestiniens, etc...
Les deux parties s'efforcent à présent de remporter un point supplémentaire auprès de l'opinion publique mondiale et de limiter les dommages endurés au cours du mois dernier. Arafat  cherche à redevenir persona grata aux Etats-Unis, et Israël souhaite retrouver le statut qu'il avait acquis en Europe. De plus, il est impossible de négliger l'importance de la dégradation des relations entre Israël et les pays arabes.
Mais la campagne publique menée tant par Israël que par l'Autorité palestinienne, aussi importante soit-elle, ne peut se substituer au processus de paix.

14. Al-Ahram (quotidien egyptien)
du samedi 28 octobre 2000
Arafat : Mubarak a réussi à obtenir l'unité des Arabes dans leur soutien au peuple palestinien. [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le Président palestinien, dans un entretien exclusif avec notre journal : "Personne ne peut porter atteinte à l'Egypte, ni à l'unité (de vues) égypto-palestinienne. Le sommet arabe a répondu aux demandes de la Palestine et apporte son soutien à notre insurrection".
Le Président de la Palestine, Yasser Arafat a affirmé que le Président (égyptien) Husni Mubarak a réussi à réunir les Arabes en vue de venir au secours du peuple palestinien, de l'appuyer, de le soutenir. En effet, le sommet arabe réuni à l'invitation du Président Husni Mubarak a permis de satisfaire aux exigences palestiniennes, arabes et mondiales, de réaffirmer les constantes des positions palestiniennes et arabes dans le processus de paix et d'apporter un soutien moral au peuple palestinien, surtout sur les plans financier, politique, médical et médiatique. Le Président Arafat a déclaré à notre correspondant à Gaza que "personne ne peut porter atteinte à (la réputation) de l'Egypte, qu'il s'agisse de son Président, de son peuple, de son rôle international et des sacrifices auxquels elle consent. Les relations égypto-palestiniennes ne sauraient non plus être mises en doute".
Le Président palestinien a tenu à remercier l'Egypte et le Président Mubarak et à réaffirmer l'importance de l'union d'appartenance nationale qui attache le peuple palestinien au peuple de Kinana (l'Egypte) et à son Président. Il a, de même, remercié et tous les peuples et les responsables arabes pour le soutien qu'ils apportent au peuple palestinien insurgé, les assurant de sa haute estime, insistant sur l'importance du sommet arabe extraordinaire, qui marquera une date importante dans les (nécessaires) réconciliations inter-arabes.
Y. Arafat nous a indiqué que la Nation arabe est à même de faire face à tous les défis et que le Conseil Central Palestinien se réunira le mois prochain afin de prendre une décision en ce qui concerne la proclamation de l'Etat palestinien indépendant, avec (la sainte ville de) Jérusalem pour capitale.
Répondant à une question sur le plan israélien de séparation totale, visant à isoler et à encercler les villes et les villages palestiniens, en coupant toutes leurs inter relations, Y. Arafat nous a déclaré : "Nous sommes en faveur de la séparation politique basée sur le tracé des frontières de 1967 et pour (l'application des) résolutions de la légalité internationale, (toutes choses) amenant à l'établissement de l'Etat palestinien, avec Jérusalem pour capitale. Nous sommes contre une séparation qui ne serait que géographique et économique".
Y. Arafat nous a indiqué que le peuple palestinien espérait l'envoi rapide d'une protection internationale et d'une commission internationale d'enquête sur les massacres commis par l'armée israélienne à son encontre.
Il a affirmé que la réponse israélienne au message de paix que lui a envoyé le sommet arabe n'a pas été autre chose que l'escalade dans l'agression et le durcissement du blocus. Pis : le premier ministre israélien, Yhud Barak, a décidé de suspendre les négociations et de poursuivre la concentration de troupes et l'escalade militaire, ce qui équivaut - officiellement et politiquement - à une fin de non-recevoir.
Pour Y. Arafat, nous devons ne pas perdre de vue que nous avons signé les accords d'Oslo, avec les responsables israéliens, à la Maison-Blanche, avec Ishaq Rabin, qui n'a pas échappé aux mains des extrémistes israéliens, puis d'autres accords, à Taba, au Caire, à Paris, à Washington, à Wye-River, avec Netanyahou, et aussi l'accord d'Hébron et deux accords fondamentaux à Sharm al-Shaykh avec Barak lui-même... Et, malheureusement, pas un seul point de l'accord de Sharm al-Shaykh n'a connu un début de mise en application.
Y. Arafat a tenu à jouter que le président américain William Clinton sera indisponible jusqu'au 7 novembre, car la campagne présidentielle touche à sa fin, mais que nous ne devons pas oublier les efforts sincères et constants qu'il a déployés pour sauvegarder le processus de paix.

15. Le Magazine (hebdomadaire libanais)
du 27 octobre 2000
Marwan Barghouti : "L'intifada est à ses débuts"
propos recueillis par Walid Charara
Dans un entretien accordé à Magazine par téléphone à partir de Paris, le chef du Fatah en Cisjordanie et membre du Conseil législatif palestinien, Marwan Barghouti, ennemi public numéro un en Israël, affirme que l'intifada n'en est qu'à ses débuts et appelle les peuples arabes à la soutenir.
Questions à un homme de terrain.
PARIS, DE NOTRE CORRESPONDANT
- Que pensez-vous des résolutions du sommet arabe ?
Ces résolutions sont en deçà de nos attentes et de nos espoirs. Bien que la tenue d'un sommet arabe, une première depuis la crise du Golfe, ait été rendue possible par l'intifada, ces résolutions ne sanctionnent absolument pas Israël. Nous nous attendions au moins à une rupture des relations diplomatiques et de toute forme de relation politique, économique et culturelle entre les pays arabes et ce dernier. Nous nous attendions aussi à des sanctions contre les Etats-Unis, dont le soutien inconditionnel à Israël est à l'origine de sa politique de répression et de massacre contre notre peuple. Ça n'a pas été fait. Cela dit, une résolution positive doit être signalée, celle suggérée par Son Altesse le prince Abdallah ben Abdel Aziz de créer deux fonds de soutien au peuple palestinien.
- Quelles sont les perspectives de l'intifada alors que le soutien politique officiel arabe est aussi limité ?
L'objectif de l'intifada est un retrait total de l'occupant israélien de l'ensemble de nos territoires occupés en 1967. Nous voulons, par le biais de l'intifada, changer les règles du jeu. Israël imaginait que nous étions devenus les otages de la table de négociation sans capacité d'action sur le terrain, sans moyens de pression quelconques. Or des moyens de pression, nous en avons... Nous ne sommes pas opposés au processus de paix, à condition qu'il aboutisse à la création d'un Etat palestinien pleinement indépendant et souverain avec Jérusalem-Est comme capitale. En attendant, l'intifada continuera et nous refuserons tout accord qui viserait à l'arrêter avant la réalisation de nos objectifs nationaux.
- L'image d'Israël a été ternie par les crimes commis par son armée en direct devant les caméras du monde entier. Mais mis à part cette «victoire médiatique», quelle est votre capacité de nuisance pour faire payer à l'occupant le prix le plus lourd possible ?
L'intifada n'en est qu'à ses débuts. C'est un mouvement populaire insurrectionnel qui va s'installer dans la durée et qui nécessite de la patience, des sacrifices, de l'obstination et une longue haleine. Nous avons commencé pour le moment par une campagne de boycott des produits israéliens, et vous savez que nous sommes le deuxième marché au monde pour ces produits. Nous avons aussi bloqué les routes de contournement construites pour les colonies israéliennes et créé des comités populaires armés pour protéger notre peuple contre les agressions des colons... Le mouvement est à ses débuts et va augmenter en intensité dans les semaines et mois qui viennent.
- Un gouvernement d'union nationale va peut-être voir le jour en Israël. Allez-vous répondre par la création d'une direction unifiée avec l'ensemble des organisations de résistance ?
L'unité nationale est l'une des caractéristiques de notre intifada. Depuis le début, nous avons créé un comité composé de représentants de treize organisations et partis palestiniens qui se réunit pres-que quotidiennement pour évaluer la situation et décider des initiatives à prendre. Nous allons bien sûr resserrer encore plus les rangs aujourd'hui.
- Quelles sont les relations entre le Fatah et l'Autorité palestinienne ?
Le président du Fatah est, comme vous le savez, le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat.
Notre mouvement est représenté dans les différents appareils et structures de l'Autorité, mais il existe aussi en tant que cadre organisationnel en dehors des structures de l'Autorité, en tant qu'organisation populaire de résistance.
- Que pensez-vous des deux opérations du Hezbollah (la capture des militaires israéliens) en soutien à l'intifada ?
Je tiens à adresser via Magazine mes plus sincères et chaleureuses salutations fraternelles à mes frères du Hezbollah. Leurs opérations héroïques ont eu un rôle fondamental dans la consolidation du moral de notre peuple et nous ont incités à redoubler d'ardeur dans notre lutte contre l'occupant. Je profite de l'occasion pour leur lancer un appel au nom des familles des prisonniers palestiniens les invitant à joindre la liste de ces prisonniers à la leur en cas de négociation. Nous avons des prisonniers qui ont déjà passé plus de vingt-cinq ans en prison.
- Un dernier mot aux Libanais et aux Arabes...
Nous et les Libanais sommes en réalité un seul peuple. Nous nous sommes battus côte à côte contre Israël et nos sangs se sont mêlés. Nous n'oublierons jamais les sacrifices consentis par les Libanais pour notre cause. Nous avons le même destin et le même ennemi et devons être plus que jamais unis. La mobilisation de nos frères arabes à nos côtés est aussi essentielle pour nous. Nous appelons à la poursuivre et à la développer. Du résultat de la partie qui se joue aujourd'hui en Palestine dépendra l'avenir de toute la nation arabe.
[Qui est-il ? - Marwan Barghouti est l'un des leaders les plus actifs du Fatah en Cisjordanie, dont il est le secrétaire général. Il joue un rôle central dans l'intifada. Né en 1959 dans le village de Kaobar, en Cisjordanie, il rejoindra, dès le début des années 70, les rangs du Fatah et sera emprisonné en 1978 durant six ans. En 1987, avec le début de la première intifada, il sera arrêté et expulsé vers la Jordanie. Il reviendra en Palestine après les accords d'Oslo. Elu membre du Conseil législatif de l'Autorité palestinienne (Parlement) en 1995, il consacrera une grande partie de son activité à réorganiser le Fatah. Son épouse n'est autre que la fille de Khalil el-Wazir, Abou Jihad, tué en 1988 à Tunis par les Israéliens. Abou Jihad était considéré comme le «chef d'orchestre» de la première intifada (1987-1992).]
 
16. Le Magazine (hebdomadaire libanais) du 27 octobre 2000
Le Fatah de la clandestinité à la consécration internationale
Le Mouvement de libération de la Palestine ou Fatah est le groupe politique et militaire palestinien qui constitue la principale faction au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Actif depuis le milieu des années cinquante, il se composait à l'origine d'un réseau hétéroclite de groupes disséminés dans des camps de réfugiés. Yasser Arafat, Salah Khalaf (Abou Ayad) et, plus tard, Khalil el-Wazir (Abou Jihad), figurent parmi ses membres fondateurs. Sa création officielle, le 1er janvier 1965,
a été annoncée par un premier communiqué qui revendiquait une opération au nom de sa milice,
Al-Asifa.
A l'origine groupe de guérilla clandestine, il acquiert de l'importance après la guerre des Six-Jours. En 1968, le Fatah rejoint l'OLP, dont il prend le contrôle en 1969 avec l'élection de Yasser Arafat à la présidence de son Comité exécutif. La mise sur pied de milices dans les pays bordant les frontières israéliennes conduit à une série d'actions de représailles contre les Palestiniens, notamment en Jordanie, dont les forces palestiniennes sont expulsées en septembre 1970.
La plupart des chefs historiques du Fatah sont morts assassinés par Israël: Abou Jihad, Abou Ayad, Abou el-Hassan Salamé, Abou el-Hol...
Actuellement, l'orientation politique générale de l'OLP repose sur les résolutions du Conseil national palestinien (CNP) de 1988, qui appelait à une solution négociée prévoyant la reconnaissance de l'Etat d'Israël et la création d'un Etat indépendant. Les fidèles de Yasser Arafat demeurent majoritaires au sein de l'OLP, et les postes les plus importants du Comité exécutif sont détenus par des membres du Fatah. 
 
17. Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000
La force peut momentanément écraser, elle ne saurait vaincre ! par Benazir Bhutto, ancien Premier Ministre du Pakistan, Secrétaire générale du Parti du Peuple pakistanais [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Le processus de paix d'Oslo gît dans son propre sang, dans les rues de Ramallah et de Jérusalem.
Une vague de violence extrême a été déclenchée par Yhud Barak, réveillant un volcan de colère dans l'ensemble du monde musulman. Les pertes en vies humaines sont importantes, parmi lesquelles beaucoup d'enfants.
Le monde entier a été témoin de ce spectacle affreux : l'assassinat de l'enfant palestinien Muhammad Al-Dirra, fauché par les balles dans les bras de son père. Ces vues ont incarné pour beaucoup la violence aveugle qui s'est emparée du Moyen-Orient depuis plus d'un demi-siècle. Le refus, de la part du gouvernement israélien, d'ouvrir une enquête sur ce crime barbare ou de mettre un frein à l'escalade de la violence pratiquée par ses forces armées n'ont pu que renforcer des préjugés déjà bien ancrés dans les esprits, ce qui a entraîné le lynchage des deux soldats israéliens.
Le processus de paix a reçu un coup violent lorsque la communauté internationale s'est montrée incapable d'agir au cours des deux premières semaines de troubles et d'affrontements qui ont entraîné la mort de plus de cent trente personnes, des Palestiniens dans l'écrasante majorité. Les événements de Cisjordanie et de Gaza ont remis dans les mémoires les massacres dont les Musulmans ont été les victimes en Bosnie, au Kosovo et en Tchétchénie.
Ainsi, une fois de plus, nous constatons la passivité de la communauté internationale face à une crise qui pourrait avoir les plus graves conséquences. Nombreux sont ceux, de part le monde, qui auront pu avoir l'impression que le monde n'a tenté d'intervenir politiquement dans la crise qu'après la mort des deux soldats israéliens.
De là découle l'impression que la communauté internationale accorde à la vie de deux soldats israéliens une valeur supérieure à celle de cent Palestiniens. Que cette impression soit fondée ou non, elle ne peut que susciter, entre autres choses, la colère du monde musulman et nourrir les mouvements extrémistes qui sont actifs en son sein.
La situation internationale actuelle est la suivante : les Nations Unis et Washington, ainsi que les riches capitales des grands pays industrialisés (G7) se tiennent à l'écart des événements, ce qui a pour effet que la majorité des gens dans le monde musulman rejettent leur colère sur les gouvernements de ces pays riches, les accusant de faiblesse et d'incapacité, ce qui ne peut que contribuer à affaiblir toute politique modérée.
Il en allait autrement, du temps de la guerre froide : l'ordre mondial était en équilibre entre deux grandes puissances, et les états, ou les peuples, lorsqu'ils ressentaient une oppression, regardaient avec espoir en direction de l'une ou de l'autre. Mais la fin de la guerre froide a entraîné l'installation d'un monde unipolaire, et il s'agit d'un monde qui n'a pas encore jeté les bases d'un système juridique assurant la justice. La majorité de la société internationale se tourne vers les Etats-Unis, les Nations Unies, et même le Conseil de Sécurité, ayant échoué à affirmer son efficacité dans ce domaine.
Il est indispensable de créer des instances internationales permettant d'aplanir les conflits ou de les prévenir. A défaut de telles instances, le danger existera que des politiques sanguinaires ne nourrissent des politiques de haine. Il y a aussi les politiques électoralistes et les sondages qui révèlent les tendances de l'opinion publique, afin de déterminer la capacité des gouvernements à répondre - ou à ne pas répondre. Nous pensons que les Etats-Unis, occupés actuellement par les élections présidentielles, s'intéressent moins aux questions internationales. Le problème est que les musulmans américains ne disposent pas de l'influence électorale qui leur permettrait d'exercer une pression suffisante en vue d'une intervention qui mettrait un terme au massacre dès ses premières manifestations.
En Israël-même, la vague de violence sanguinaire déclenchée par la visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des mosquées a contribué à renforcer la position politique d'Yhud Barak, les sondages ont montré que sa popularité a fait un bond de trente pour cent, passant de 20% à 50% d'opinions favorables. Dans le monde politique d'aujourd'hui, qui est le monde des sondages d'opinion et des groupes de pression capables de s'exprimer avec efficacité, les hommes politiques sont contraints, de part leur nature-même d'hommes politiques, à prendre en compte ces forces et ces indices. Et dans le monde d'aujourd'hui, il y a peu de vrais hommes d'Etat, le monde en aurait grand besoin s'il veut vivre en paix. Il s'agit de ces dirigeants capables de prendre les décisions indispensables, fussent-elles impopulaires.
Changer l'état des choses existant exige du courage, une capacité à assumer un déficit temporaire de popularité en vue de gagner une place éternelle dans l'histoire. 
La vague de violence actuelle peut aboutir à une remise en considération des dimensions géographiques et religieuses du problèmes d'une manière qui contribue à permettre l'instauration de la paix. La dispersion des Palestiniens entre des enclaves éparses et isolées, dans des frontières contrôlées par les Israéliens ne pouvait que pérenniser la tension. Peut-être ceci était-il utile, d'une certaine manière, avant la création de l'Autorité autonome palestinienne. Mais depuis lors, il semble qu'il eût été préférable de passer à une situation plus rationnelle.
Le chemin vers la paix est semé d'embûches, car les extrémistes des deux côtés enflamment les sentiments et font de la surenchère dans les objectifs, et tant Yasser Arafat qu'Yhud Barak ont fait preuve de courage lorsqu'ils ont accompli leur pas commun vers la paix. Mais de nos jours, à l'époque des télécommunications ultra-rapides, les gens demandent des solutions immédiates. Mais le monde est fondé sur les affects et les volontés humaines, qui ne permettent pas les solutions rapides. Oui, il y a encore beaucoup de problèmes en suspens, et leur solution demandera certainement quelque temps.
Le Pakistan et le Bengladesh sont deux pays musulmans, et ils ne sont pas encore parvenus, jusqu'à ce jour, à régler plusieurs problèmes pendants entre eux, depuis la sécession de 1971. Ceux qui blâment Yasser Arafat pour avoir accepté des solution en-deçà de l'objectif recherché font preuve d'une sévérité injuste, car il est indispensable de trouver où poser le pied lorsqu'on est devant le seuil, avant de pouvoir pénétrer dans la maison. En d'autres termes, en acceptant une paix faible et vermoulue, Yasser Arafat ouvre la voie vers une solution du problème. Ce serait faire preuve de manque de vision que considérer que ce que Yasser Arafat a accepté jusqu'ici correspond à la solution définitive.
Il y a aujourd'hui, dans le monde, près d'un milliard de musulmans, et ce poids démographique leur donne une force particulière. Mais beaucoup de musulmans vivent dans un cercle vicieux d'amertume et de pessimisme - ce cercle vicieux qui a commencé avec la défaite de 1948. Ces sentiments n'ont pas tardé à se transformer en un profond abattement lorsque ces musulmans se sont retrouvés confrontés à l'impasse de l'injustice qui s'est abattue sur eux, d'une part et, d'autre part, de l'impuissance à y faire face. La violence n'est qu'une des conséquences de l'impasse. Nous voici, au seuil du vingt et unième siècle, découvrant que la paix que l'on nous promettait au siècle passé est menacée des plus graves dangers. Cette paix repose sur la capacité du président Arafat - qui avance en âge - et du régime de Barak - qui se durcit de plus en plus - à aller de l'avant. Dans une telle situation, il ne sert à rien, assurément, de recourir aux hélicoptères et à l'artillerie lourde. Le gouvernement de Barak, en employant ces moyens militaires, donne l'impression qu'il ne veut pas la paix avec son adversaire, mais qu'il veut le contraindre à la soumission au moyen de la terreur.
Militairement, Israël domine, c'est un pays qui dispose de l'arme nucléaire. Une telle supériorité militaire devrait donner à Barak une confiance en lui suffisante, qui lui permette de dépasser ses craintes et de faire les pas décisifs nécessaires, en vue de la paix, en direction des Palestiniens.
Une chance de paix existe encore tant que le chef palestinien sera là. Les protagonistes doivent la saisir. Si cela n'est pas fait, le danger est grand que les fantômes du passé ne reviennent menacer le Moyen-Orient.
Si l'histoire peut nous offrir une leçon, c'est bien que la force peut écraser, momentanément, mais qu'elle ne saurait vaincre définitivement.
 
18. Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000
Damas : un gouvernement d'urgence signifierait la guerre dans la région [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Damas.
Les journaux gouvernementaux syriens ont qualifié la décision du premier ministre israélien Yhud Barak de procéder à des consultations avec le chef du Likoud, Ariel Sharon, en vue de la constitution d'un "gouvernement d'urgence" de "déclaration ouverte de guerre" contre les pays arabes. Ils ont indiqué que le Moyen-Orient est "à la veille de développements peut-être parmi les plus dangereux" de toute l'histoire du conflit arabo-israélien.
Le journal Al-Baath, organe du parti au pouvoir, écrit dans son édition d'hier : "en recourant au gel du processus de paix et à des négociations approfondies avec le terroriste Sharon pour former ce qu'il appelle un "gouvernement d'urgence", Barak fait tomber les derniers masques de son cursus obstinément destructeur et déclare ouvertement la guerre à l'ensemble de la nation arabe, et non pas seulement au peuple palestinien, plaçant le Moyen-Orient face à des développements qui sont peut-être les plus dangereux de toute l'histoire du conflit arabo-israélien. Al-Baath ajoute : "ce n'est plus un secret pour personne que l'ensemble de la situation et des développements à l'intérieur d'Israël ne font pas autre chose que pousser les choses avec obstination et suivant un plan préétabli vers la guerre".
De son côté, le journal Tishrin écrit, dans son édition d'hier également, que Barak a, depuis toujours, utilisé Sharon comme "épouvantail", mais que cet épouvantail a perdu tous ses effets. Barak lui-même ne dispose pas d'autre arme, après avoir recouru à toute l'artillerie lourde possible pour terroriser la population palestinienne et tenter de faire ployer sa volonté, de baillonner son insurrection et le contraindre par la force à renoncer à ses droits à son Jérusalem et à ses lieux saints", indiquant que la formation par Barak d'un gouvernement de coalition avec Sharon ne signifierait pas autre chose que "la destruction par Israël du processus de paix et la fuite en avant dans des aventures militaires insensées qui ne sauraient aboutir qu'au dévoilement d'une partie supplémentaire du visage hideux d'Israël, de sa menterie, de son hypocrisie et de son aversion pour la paix, prédisant qu'"Israël ne récolterait de telles aventures que la déception et le chaos" et qu'"il ne pourrait que renforcer la conviction de l'ensemble du monde arabe et du monde, d'une manière générale, que les dirigeants israéliens ne veulent pas la paix, pas plus à l'avenir qu'aujourd'hui, et qu'ils nourrissent les desseins les plus noirs à l'encontre de la région arabe". Tishrin ajoute que les Arabes ne peuvent rien faire d'autre que "résister à l'agression et oeuvrer à faire échouer ses objectifs, en dépit de leur attachement sincère à la paix".
 
19. Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 25 octobre 2000
Damas : un gouvernement d'urgence signifierait la guerre dans la région
par Salamé Nimat [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Violents affrontements durant plus de quatre heures à proximité du pont Al-Husseïn
Près de cent personnes, parmi lesquelles douze policiers jordaniens, ont été blessées au cours d'affrontements qui ont éclaté, hier, lorsqu'une dizaine de milliers de manifestants participant à la "Marche du Retour" ont tenté de s'approcher du Pont Al-Huseïn qui relie la Jordanie à la Cisjordanie, afin d'exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien confronté aux agressions israéliennes.
Les forces de police ont utilisé les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les matraques, afin d'empêcher les participants à la marche de se diriger vers le pont, les bloquant environ trois kilomètres avant celui-ci.
La pluie, très violente, n'a pas dissuadé plusieurs autres milliers de personnes de se rassembler, mais la police leur a interdit de se joindre à la marche de protestation dès que le nombre de participants a dépassé celui qui avait été fixé d'un commun accord, avant-hier, entre les organisateurs et la police, déterminant ainsi un seuil au-delà duquel la manifestation serait déclarée illégale. Les autorités ont indiqué avoir procédé à quarante six arrestations parmi les manifestants, au cours d'affrontements qui se sont poursuivis durant environ quatre heures, assurant que tous avaient été libérés par la suite.
Le ministre de l'intérieur jordanien, Awadh Khuleïfat, avait rencontré la commission du conseil des syndicats professionnels, dirigée par Salah al-Armuti, et avait donné son accord au départ du cortège, M. Khuleïfat limitant le nombre d'autobus autorisés à transporter les participants à quarante-cinq, mais le nombre des participants a été, de beaucoup, supérieur, ce qui a amené les forces de l'ordre à empêcher un grand nombre de personnes de se rendre au point de rendez-vous fixé pour le départ de la Marche du Retour, au pied du monument aux martyrs de la bataille de Karaméh, où fut récitée la prière musulmane de la Fatiha "pour le repos des âmes des martyrs de l'armée arabe et de l'Intifada d'Al-Aqsa". Des gerbes (couronnes) de fleurs furent déposées.
Treize partis d'opposition étaient parties prenantes à la manifestation, aux côtés des syndicats, après qu'une autorisation eût été obtenue des autorités au cours d'une réunion avec des représentants du gouvernement, en présence du directeur de la sécurité générale.
Salah al-Armuti a déclaré que la manifestation avait pour objectif d'affirmer le droit au retour des réfugiés palestiniens et les droits arabes et islamiques sur Jérusalem. Les manifestants ont demandé la rupture des relations diplomatiques, sous toutes leurs formes, avec Israël, et ont appelé à la lutte (jihad) en vue de la libération de la Palestine. Certains avaient endossé des tee-shirts décorés de la carte de la Palestine naturelle, comprenant les parties de la Palestine dévolues à l'Etat d'Israël.
Tout au long du parcours de la manifestation ont été vus des véhicules blindés appartenant aux forces de l'ordre, tandis que des hélicoptères le survolaient, et que se multipliaient les mesures renforcées de maintien de l'ordre. D'autres mesures de prévention des troubles avaient été prises par les instances sécuritaires dans d'autres régions du pays, afin de couper court à tout débordement.

20. Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000
Les tueries israéliennes entre la colère des peuples et les positionnements des autorités gouvernementales dans les pays arabes
par Raghid al-Sulh [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Raghid al-Sulh est un chercheur libanais)
Les responsables israéliens évoquent très souvent la démocratisation des pays arabes au cours de leurs débats au sujet de l'idée d'une paix possible avec les Arabes. Ces deux concepts, paix et démocratisation arabe, vont de paire dans l'esprit d'une large couche de responsables israéliens, qui répètent que les peuples arabes sont favorables à la paix et la veulent, mais que le problème est, de leur point de vue, celui des élites politiques arabes qui font obstacle à la paix à cause de "leurs intérêts étriqués et de leurs calculs égoïstes". Les élites arabes craindraient, selon ces théories, que leurs peuples ne soient influencés, dans le cas où une paix israélo-arabe s'instaurerait, par l'exemple du progrès israélien, basé sur les principes démocratiques et socialistes, et fondamentalement opposé aux modèles absolutistes et élitistes en vigueur dans la région arabe, c'est ce qui amènerait les gouvernements arabes à combattre Israël et à refuser toute paix avec ce pays. Les élites gouvernementales arabes choisiraient, selon la conception israélienne des choses, le langage de la guerre et de la lutte, désireuses qu'elles seraient de distraire les peuples arabes des problèmes internes et de se gagner une popularité sur le compte de la résistance palestinienne. Les tenants de cette théorie ajoutent que les élites gouvernementales arabes ne perdent rien en délaissant la paix au profit du langage de la guerre et de la confrontation. Ce sont, en effet, les peuples qui paient le prix économique et militaire des conflits, dans leur vie quotidienne. Les élites gouvernementales, elles, n'en souffrent aucunement.
Ainsi, il n'y aurait donc pas de problème entre les Israéliens, d'une part, et les peuples arabes, d'autre part, et les Arabes n'auraient par conséquent aucun motif de se plaindre d'Israël, de boycotter et de refuser de reconnaître ce pays et ses intérêts. Le problème serait tout autre, forgé de toutes pièces par une infime minorité de "gouvernants rétrogrades et tyranniques" qui prennent dans le dos de leurs peuples, comme disent les Israéliens, les décisions de faire la guerre ou de faire la paix et les positions hostiles, pacifiques ou amicales. Se basant sur cette théorie présentée par certains dirigeants israéliens comme expliquant les causes du conflit arabo-israélien et les ressorts de sa perpétuation, un discours se répand en Israël, selon lequel la démocratisation des régimes arabes est la condition sine qua non de l'établissement de la paix, permettant seule de l'établir de manière durable et de donner son contenu à une conciliation israélo-arabe. En effet, au cours du processus de Madrid, initié en 1991, Ishaq Rabin, premier ministre israélien, avait exigé, dans deux discours successifs, devant le Congrès juif européen et devant le Parlement européen, "des Etats arabes qu'ils fassent des pas concrets en direction de la démocratie", en prémisse aux négociations de paix avec Israël. Après la signature de l'accord de paix jordano-israélien, à l'automne 1994, le journal israélien Jérusalem Post a salué cet accord, mais en considérant sa validité comme conditionnée au fait que le roi Huseïn, souverain de l'époque et le prince Hasan, resteraient sur le trône hachémite. Vînssent le roi ou le prince à disparaître, l'accord serait exposé à toutes les surprises possibles si un chef d'état tyran hostile à Israël venait à s'emparer du pouvoir en Jordanie, les mêmes raisons ayant les mêmes effets que dans les autre pays arabes. Que faire, alors ? Comment, dans ces conditions, garantir à l'avenir la paix jordano-israélienne ? Le journal israélien répond à cette interrogation en avançant que la seule voie est d'accélérer l'instauration d'un régime démocratique représentatif, car alors - et alors, seulement - l'écrasante majorité des Jordaniens, désireux de paix et ne nourrissant aucune animosité à l'encontre d'Israël, seraient les garants de l'accord de paix, et que la liberté de leur choix serait la garantie de sa longévité. C'est le discours que tiennent les responsables israéliens, quelles que soient leurs orientations partisanes, depuis Natan Sharansky, chef du parti Israël-Aliya, en passant par Shimon Pérès, ancien leader du parti Travailliste, et pour finir - last but not least - par Ariel Sharon, chef du Likoud, lorsqu'ils parlent de la paix avec les Arabes. Ils considèrent qu'à tout pas effectué par Israël en direction de la paix doit correspondre la garantie d'un progrès des régimes arabes d'un pas en avant équivalent en direction de la démocratie, afin que les peuples arabes, "qui ont soif de paix avec les Israéliens" puissent imposer leur volonté sur leurs gouvernements et que prennent fin les tensions dans la région, que s'effacent des esprits et des âmes les réminiscences amères de l'agressivité envers Israël.
Bien entendu, les événements abondent qui mettent à nu la faiblesse de cette prétention qui voudrait que les problèmes rencontrés par Israël et le sionisme ne les opposent qu'aux élites gouvernementales - et non aux peuples - arabes. Le dernier en date de ces événements n'est autre que la réaction populaire aux actes de violence perpétrés par les forces israéliennes contre les Palestiniens. Même si des évaluations chiffrées et quantitatives de ces réactions n'ont pas encore été réalisées par des instituts de sondage ou par des consultations populaires, les expressions puissantes des sentiments des populations qu'ont connu la plupart des pays arabes donnent une indication significative du positionnement de l'opinion publique arabe vis-à-vis du sionisme et de l'agressivité israélienne. C'est ce que les caractéristiques de ces actions de réprobation, énoncées ci-après, établissent assez nettement :
1 - l'ampleur et le nombre des manifestations de protestation sont les premières caractéristiques notables, relevées par les observateurs unanimes à les considérer comme les mouvements populaires les plus importants jamais observés dans le monde arabe, à l'instar de la manifestation de Rabat suivie par près d'un demi-million de personne, tant manifestantes que manifestants. Le caractère massif et profond de la révolte populaire se mesure également au fait que les manifestations ont eu lieu également dans les villes de province dans plusieurs pays, notamment en Syrie, en Jordanie et au Yémen. Dans certains cas, comme en Jordanie, ces manifestations se sont répétées quasi-quotidiennement et des manifestations ont eu lieu dans des pays non-arabes, des capitales mondiales telles que Londres et Paris ayant connu des actions suivies en soutien à l'"Intifada d'Al-Aqsa".
2 - dans certains pays arabes, les mouvements populaires de soutien à la cause palestinienne ont été organisés avec l'encouragement des élites gouvernementales, comme aux Emirats Arabes Unis ou au Maroc, dans d'autres, à l'initiative de ces élites, comme en Syrie ou en Irak. Mais, dans d'autres pays arabes comme, par exemple, l'Algérie, ce sont des formations d'opposition et des associations indépendantes qui en ont eu l'initiative. Dans certains cas, les personnes à l'initiative des manifestations, ou certaines d'entre elles, ont été en butte à la répression des forces de sécurité, comme cela s'est produit en Mauritanie, en Algérie ou au Maroc. Même dans les pays où ce sont les partis gouvernementaux qui ont pris l'initiative des mouvements de protestation, il y a parfois eu des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, comme cela s'est produit à Damas, où l'enthousiasme des manifestants a failli faire se départir leur mouvement de son caractère pacifique initial.
3 - la profondeur de l'indignation de l'opinion publique arabe contre Israël et ses projets expansionnistes a entraîné des manifestations populaires d'une ampleur sans précédent par leur taille et par le pluralisme des participants, ainsi que par la nature des slogans proclamés dans des contextes arabes des plus variés, incluant le Sultanat d'Oman et les Emirats Arabes Unis.
4 - les manifestations de masse et les protestations organisées en Jordanie et en Egypte, c'est-à-dire dans les deux pays arabes signataires d'accords de paix avec Israël et qui ont connu des pas conséquents sur la voie de l'ouverture politique et d'une relative démocratisation, furent parmi les plus importantes et des plus actives du monde arabe et cela, bien que les autorités de ces deux pays aient pris des mesures sécuritaires très sévères afin de contenir les réactions populaires aux opérations de répression menées par Israël contre les Palestiniens. Il est extrêmement significatif, du point de vue de l'appréciation de l'état de l'opinion populaire et des sentiments des citoyens et des citoyennes arabes, que se soit déroulée au Koweït la plus importante manifestation que ce pays ait connu depuis 1991, en solidarité avec les Palestiniens, et en dénonciation des exactions israéliennes, si l'on garde présent à l'esprit le fait que le Koweït est extrêmement soucieux de n'entacher en rien ses relations avec l'administration américaine et que l'opinion tant populaire qu'officielle est, dans ce pays, extrêmement hostile à la direction palestinienne.
Dans la plupart des cas, ces manifestations n'ont rien d'artificiel et elles ne sont pas organisées par les autorités gouvernementales, comme dans les cas que nous avons évoqués, elles découlent, au contraire, bien souvent, d'initiatives spontanées, les autorités laissant alors les populations exprimer leurs opinions, soit qu'elles les partagent elles-mêmes, soit parce que la sagesse politique leur dicte de ne pas défier leur opinion publique lorsqu'elle atteint un niveau de mobilisation et de colère contre Israël tel que celui constaté ces derniers jours. Dans tous les cas, la démocratisation des régimes arabes ne limitera en rien la crise israélienne et ne contribuera en rien à l'amélioration des relations de ce pays avec les pays arabes. Au contraire, la démocratisation ne saurait aboutir qu'à l'effet inverse, à l'augmentation de la tension. La théorie kantienne sur la paix entre états démocratiques ne trouvera pas d'application ici, parce qu'Israël lui-même est fondé sur des principes de ségragation raciale et religieuse et parce que la démocratie d'Israël ne diffère pas fondamentalement de la démocratie de l'apartheid en Afrique du Sud, fondée sur la déprivation des habitants originaires du pays de leurs droits démocratiques, nationaux et humains fondamentaux. Le déni des droits des Palestiniens dont nous sommes les témoins aujourd'hui dans les territoires palestiniens occupés n'est pas autre chose que la traduction dans les faits de ces principes.    
 
21. Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 24 octobre 2000
Avant la démocratie, l'état autoritaire non-totalitaire
 par Muwaffaq Naïrabiyyéh [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Muwaffaq Naïrabiyyéh est un chercheur syrien)
Le concept de "totalitarisme" est souvent employé dans le logos politique arabe et l'auditeur (ou le lecteur) ressent que quelque chose, dans ce terme - pour peu qu'il en connaisse certaines des pertinences historiques - ne s'applique pas aux typologies politiques ainsi qualifiées. L'auditeur (ou le lecteur) donc, perçoit une certaine différence entre les modèles de l'Italie fasciste, de l'Allemagne nazie ou de la Russie communiste et les types de gouvernements dictatoriaux qui sévissent de nos jours, pour la plupart d'entre eux, dans le tiers-monde.
La majorité des spécialistes de sociologie politique tombent d'accord sur le fait que le totalitarisme est un type de gouvernement qui n'autorise aucune liberté individuelle, et qui oeuvre à soumettre et conformer tous les aspects de la vie des individus au carcan de l'état. Mussolini  a employé le premier le terme de "totalitaire" - il en est même le créateur - dès le début des années vingt et il a explicité le régime qu'il entendait instaurer en disant que ce serait un régime "dans lequel tout est dans l'Etat, personne n'est en-dehors de l'Etat, personne ne peut être contre l'Etat". Après la seconde guerre mondiale, le terme "totalitaire" a servi à résumer le concept de pouvoir absolu et hégémonique d'un régime de parti unique.
En Amérique latine, on n'hésita pas à employer un autre concept pour désigner le type de gouvernement qui a marqué particulièrement la deuxième moitié du siècle, c'est celui d'"autoritarisme". Il s'agit pour l'essentiel du "principe de soumission totale à l'état, avec ce que cela comporte de dénégation de la liberté individuelle de penser et d'agir". Ce concept se traduit, dans la structure du régime, par la concentration du pouvoir entre les mains d'un chef ou d'une élite très restreinte, exempts de toute responsabilité constitutionnelle devant le peuple. Ce genre de gouvernements autoritaires exercent leur pouvoir de manière arbitraire, sans se préoccuper des lois existantes et sans offrir la moindre possibilité de changement par le biais d'un choix volontaire des citoyens entre différents candidats en concurrence pour l'accès aux responsabilités gouvernementales. Ainsi, la liberté de constituer des partis d'opposition, ou toute forme d'instance alternative, est très limitée, ou purement formelle, voire inexistante. Malgré l'interpénétration des deux concepts (totalitarisme et autoritarisme) - en particulier, du point de vue formel - l'autoritarisme se distingue du totalitarisme en ce que les régimes du type autoritaire sont en général dépourvus d'une idéologie cohérente et mobilisatrice et qu'ils respectent le pluralisme dans l'organisation sociale. Ces régimes autoritaires sont généralement incapables de canaliser les populations vers des objectifs collectifs, se contentant d'exercer la mobilisation de ces dernières dans les limites de buts connus, que l'on peut leur fixer d'avance, et de manière relative.
Les prémisses de l'autoritarisme sont nées du populisme latino-américain, le représentant le plus éclatant en fut le régime de Juan Peron en Argentine, leader qui sut s'attirer la sympathie et répondre aux demandes des ouvriers et des couches populaires dès son accession aux cadres du gouvernement militaire régnant, en 1943. Grâce à son programme, dans lequel il donna la primauté à la question de la justice sociale, il remporta les élections présidentielles de 1946. Grâce à la continuité de son discours politique favorable au prolétariat, aux pauvres, et fustigeant l'élite ultra-privilégiée, Peron avait réussi à créer autour de sa personne une aura de charisme personnel  - nombreux furent les dictateurs à l'imiter, par la suite, sous une forme ou une autre - dans tout le sous-continent sud-américain.
Ainsi naquit, au Venezuela, un parti dirigeant, le Parti Démocratique du Travail, qui était un parti réformateur au populisme assez marqué, mais qui ne réussit pas à imposer un leader charismatique à l'image de l'Argentin Peron. Puis ce parti perdit peu à peu sa popularité, en raison du maintien d'un système capitaliste digne du dix-neuvième siècle et d'un gaspillage aigu des ressources pétrolières.
Il y eut une tentative, également, au Brésil, menée par le président Joselino Kubtschik, entre 1952 et 1961. Ce président brésilien avait multiplié les promesses dont il ne tint aucune, si ce n'est la création de toutes pièces de la ville de Brasilia, capitale moderne et gigantesque musée de l'architecture contemporaine, chantier titanesque qui entraîna une flambée inflationniste insurmontable, cause de la paupérisation des couches de la population qui avaient, précisément, porté sur leurs épaules Joselino, l'homme qui leur avait promis de les aider sur les plans économique et social.
Durant cette même période, les démocrates chrétiens, au Salvador (jusqu'aux années quatre-vingt, marquées par l'enlisement dans la guérilla contre les maquis révolutionnaires de gauche) et au Venezuela, prirent le relais (changement dans la continuité) des démocrates-sociaux. Cela advint aussi au Chili, entre 1964 et 1970, année où ils durent céder le pouvoir, après leur échec aux élections présidentielles, à Salvador Allende.
Puis l'image des régimes du type "bureaucratique-autoritaire" commença à se configurer, en réponse - c'est une cause parmi d'autres de son apparition - à la faiblesse de l'administration des populistes dans les domaines économique et social comme en matière de discours, avec le coup d'état de Pinochet, parmi les plus célèbres et retentissants. Un régime fort s'instaura, s'appuyant sur les militaires issus des couches moyennes de la société, capable d'imposer des mesures économiques drastiques et impopulaires pour faire face à l'inflation et au marasme, en vue d'encourager les investissements locaux et étrangers au Chili. La croissance économique décolla en flèche, jusqu'au stade où elle ne pouvait plus se poursuivre sans le retour à la démocratie politique, à l'ombre de l'hégémonie des militaires et de leurs pratiques, avec ce que cela pouvait comporter de contradictions entre une bureaucratie autoritariste et la liberté du marché, avec une chute des taux de croissance et des assurances sociales en dépit de la chute du taux d'inflation.
Entre 1964 et 1985, l'armée joua, au Brésil, un rôle prééminent, en association avec la bureaucratie, dans l'administration de l'économie du pays. Il en alla de même en Argentine, entre 1976 et 1983 ; en Uruguay, après 1973. Après 1967, les militaires péruviens proclamèrent un programme radical de réforme sociale et économique, puis ils furent confrontés à des crises successives insurmontables et cédèrent le terrain au type de régime bureaucratique autoritaire courant dans la région. Durant toutes les métamorphoses successives de ce régime, une répression constante fut exercée à l'encontre des populations, et tout particulièrement de ceux qui osaient s'opposer ouvertement à lui : ils furent emprisonnés, torturés ou "disparurent". Puis des formes timides de régime démocratique se succédèrent, chacune "unique en son genre". Des élections plus libres eurent lieu après 1980, en Colombie, au Costa-Rica, au Venezuela et au Mexique.
D'une manière générale, au cours des deux dernières décennies du siècle, s'est mise en route une conversion acharnée au néo-libéralisme économique, dans l'ensemble de l'Amérique latine, doublement impulsée par des pression extérieures diverses (apparues dès avant la fin de la guerre froide, et intensifiées depuis) et par l'impossibilité de conserver le pouvoir dans un contexte de mal-gouvernance et de déliquescence administrative. C'est alors que prit son essor un mouvement de libération des marchés, dans le cadre des critères du Fond Monétaire International et des institutions du même type. Chose remarquable : même Cuba n'a pas hésité longtemps à franchir le seuil d'une certaine réforme économique, sans que cela ne soit accompagné d'une quelconque volonté de réforme politique concomitante... A la fin des années quatre-vingt dix, la situation en est parvenue au point où un gouvernement élu démocratiquement - ou quelque chose de très approchant - est devenu le modèle dominant sur le continent.
Ainsi, la typologie du gouvernement autoritaire ou du gouvernement bureaucratico-autoritaire est liée aux régimes sud-américains au pouvoir sur une bonne partie - et en particulier, durant le dernier quart - du vingtième siècle. Ce type de régime se distingue du totalitarisme - à la notable exception cubaine - par les traits pertinents que nous avons indiqués.
Le régime totalitaire implique l'intégration de la société à l'état, jusqu'au point où il est rare qu'un seul citoyen reste en-dehors de l'une au moins des organisations populaires qui se rattachent à leur tour à l'état par des "liens organiques", organisations auxquelles nul individu ne saurait échapper, ni s'opposer si ce n'est secrètement, tout en continuant à faire semblant de les servir en paroles et en actes, pour la galerie. Avec le temps, l'idéologie étatique déteignant sur la langue des citoyens, le mensonge devient un comportement admis et finit par altérer la conviction ou être confondu avec elle, à des degrés divers entre milieux et individus différents.
Tandis que, dans l'état totalitaire, le chef conserve le rôle essentiel, il en découle des rôles partiels très importants, impartis à des responsables gouvernementaux ou administratifs, dans toute l'étendue du pyramidage hiérarchique ; c'est le règne des ordres autoritaires et personnels, qui prennent le pas sur les règlements et les lois, ces derniers n'étant appliqués qu'à l'immense majorité de ceux qui sont en-dehors des élites régnantes, composées d'individualités et de groupes dont le souci constant est d'imiter le comportement de ceux qui se trouvent au-dessus d'eux dans tous les domaines. L'idéologie perd toute influence - dans le cas où il y en aurait une, prétendument, en vigueur - avec le temps, au point de ne devenir un aliment que pour les derniers chaînons du système de pouvoir : les plus inférieurs, en quelque sorte.
La différence qui existe entre les deux types de gouvernement - autoritaire et totalitaire - n'exclut pas l'existence de types hybrides, totalitaires dans leur apparence et autoritaires dans leur comportement, qui se caractérisent, dans bien des cas, par une stabilité remarquée sur le long terme...  Un tel type de gouvernement n'est pas véritablement totalitaire, il s'y produit un certain changement, qui garde généralement un caractère souple, pacifique, rationnel ; ce changement est basé sur la conscience qu'ont les gouvernants que la continuation de l'état des choses existant est impossible. On entre alors dans une phase de transition, complexe et de courte durée... C'est ce qui est advenu - à des degrés divers, certes - dans certains pays d'Amérique du Sud.