"On ne lutte pas contre l'émotion d'un peuple avec des blindés..."
Jacques Chirac - Président de la République française
 
Point d'information Palestine > N°103 du 03/10/2000

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Au sommaire
 
Réseau Palestine
  1. Communiqué du bureau de coordination des Pères Blancs - Ste Anne - Jérusalem
  2. Point de  presse conjoint du ministre des Affaires étrangères de la République française, Hubert Védrine et de Nabil Chaath, ministre de la Coopération Internationale de l'Autorité Palestinienne
  3. Communiqué de Résister "Les dirigeants israéelins sont des crimininels"
  4. Communiqué du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient
  5. Des Palestiniens réfugiés dans leur propre pays par Barhum Jarayisi in Al Watan Al Arabi du 8 septembre 2000
Revue de presse
  1. Leïla Shahid : Arafat pose des conditions au cessez-le-feu Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 11h22
  2. L'enfant emblématique de la Palestine par Georges Marion in Le Monde du mardi 3 octobre 2000
  3. Oum el Fahm, localité arabe d'Israël et principal bastion des islamistes, s'est embrasée par Catherine Dupeyron in Le Monde du mardi 3 octobre 2000
  4. Interview de Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France "Ehoud Barak pense-t-il pouvoir négocier tout en se livrant à un massacre de civils ?" propos recueillis par Mouna Naïm in Le Monde du mardi 3 octobre 2000
  5. Mme Albright rencontrera MM. Barak et Arafat mercredi à Paris Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h59
  6. Le Conseil de sécurité de l'ONU convoque une réunion d'urgence sur la situation au Proche-Orient Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h40
  7. Violences dans les territoires palestiniens : l'UE appuie la formation d'une commission d'enquête internationale Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h05
  8. Pour les frères de Rami par Jean-Emmanuel Ducoin in L'Humanité du lundi 2 octobre 2000
  9. Union sacrée derrière Barak par Alexandra Schwartzbrod in Libération du mardi 3 octobre 2000
  10. Arafat contraint de laisser faire la rue par Jean-Pierre Perrin in Libération du mardi 3 octobre 2000
  11. "Les massacres, un prolongement du crime commis par Israël en 48" dit Lahoud - La classe politique libanaise se solidarise avec les Palestiniens in L'Orient-Le Jour du mardi 3 septembre 2000
  12. Cinquième jour d'affrontements sanglants - Les combats gagnent les villes arabes d'Israël in L'Orient-Le Jour du mardi 3 octobre 2000
  13. Tamar Gojanski : "Un conflit religieux serait mortel" entretien réalisé par Michel Muller in L'Humanité du lundi 2 septembre 2000
  14. Une longue liste de massacres in L'Humanité du lundi 2 septembre 2000
  15. Le bilan des affrontements au Proche-Orient s'alourdit in Dépêche de l'agence Reuters du lundi 2 octobre 2000, 22h14
  16. Les Arabes d'Israël : Israéliens de nationalité, Palestiniens de coeur Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 2 octobre 2000, 17h09
  17. Explosion générale dans les territoires occupés par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du lundi 2 octobre 2000
  18. Bachar el-Assad et Hosni Moubarak réclament un sommet des pays arabes Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 2 octobre 2000, 13h06
  19. Chirac appelle à la retenue au Proche-Orient Dépêche de l'agence Reuters du lundi 2 octobre 2000, 11h39
  20. L'Iran entend prendre la tête du soutien à "la nouvelle Intifada" Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 2 octobre 2000, 10h46

 
Réseau Palestine
 
1. Communiqué du bureau de coordination des Pères Blancs - Ste Anne - Jérusalem
Jérusalem,  lundi 2 octobre 2000 - Depuis 4 jours, Jérusalem, mais surtout la Cisjordanie et la bande de Gaza, ont encore une fois connu la folie meurtrière. Après la prière musulmane du vendredi sur le Haram Ash-Sharif, des heurts ont commencé entre des jeunes Palestiniens et les forces israéliennes présentes sur cette esplanade des Mosquées. Les tensions entre Palestiniens et forces de l'ordre israéliennes étaient au plus fort après la visite, le jeudi, de M. Ariel Sharon sur cette même esplanade et les incidents qui ont éclaté ont fait plusieurs victimes des deux côtés. A un moment aussi critique des négociations de paix, il était irresponsable de  permettre à un homme comme Ariel Sharon d'aller parader sur ce Lieu saint musulman. M. Ariel Sharon, chef de la droite israélienne, est un homme au passé lourd de violence et qui a sur la conscience la mort de nombreux Palestiniens. Il était l'organisateur de l'invasion du Liban par Israël et a été à l'origine des massacres de Sabra et Shatila qui ont fait de nombreuses victimes palestiniennes à Beyrouth. Le gouvernement israélien porte donc l'entière responsabilité de ce qui vient de se dérouler à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.
La tournure qu'on prise les événements au cours des journées de samedi et dimanche est de plus en plus dangereuse. L'horreur des actions de répression israélienne a atteint sont summum dans la mort de très jeunes enfants, l'un de 7 ans et deux de 10 ans. Un de ces jeunes enfants a été tué dans les bras de son père, à Gaza, comme vous avez pu le voir sur les télévision du monde entier, et un autre abattu d'une balle en pleine tête alors qu'il portait secours à un policier palestinien déjà touché par les balles israéliennes, à Ramallah. La barbarie qui va jusqu'à tuer des enfants ne peut et ne doit pas être tolérée par la communauté internationale.
Dans quel pays, qui se dit une démocratie et qui est considéré comme telle par de nombreux pays occidentaux, ouvre-t-on le feu avec des balles réelles sur des jeunes, des vieillards et de jeunes enfants, en visant particulièrement la tête, et donc dans l'intention de tuer ? Les moyens modernes de luttes anti-émeutes sont assez nombreux pour ne pas avoir recours aux armes à feu. Seuls des pays comme l'Afrique du Sud d'avant la chute de l'apartheid et d'autre pays tels que le Chili ont employé, dans l'histoire récente, de telles méthodes meurtrières pour réfréner une émeute. Il est inacceptable, au début du XXIe siècle, de voir encore des gouvernements employer de tels moyens pour réprimer une population civile.
Le gouvernement israélien ne cesse de faire porter aux Palestiniens la responsabilité de ces évènements, et les dernières déclarations de M. Ehud Barak sur les violences de ces dernières journées cherchent à occulter celles du gouvernement israélien : responsabilité d'avoir permis à Ariel Sharon de faire sa visite provocatrice sur l'esplanade des Mosquées, et ensuite responsabilité dans la mort de 35 Palestiniens et dans les blessures de plusieurs centaines d'autres.
De nombreuses personnes, ici, se demandent combien d'autres victimes seront nécessaires pour que la communauté internationale réalise que le gouvernement israélien ne désire pas la paix des braves, mais une paix imposée selon ses volontés et, si nécessaire, imposée par la force et une violence aveugle. Il est pourtant clair que M. Yasser Arafat ne pourra pas faire accepter à son peuple un accord de paix imposé par la force et les pressions américaines.
Nous appelons donc la communauté internationale à condamner avec fermeté le gouvernement israélien pour les violences de ces derniers jours. Nous appelons aussi la communauté internationale à avoir le courage de condamner l'action d'un gouvernement qui crée la violence et la haine, et à prendre les sanctions nécessaires afin de l'isoler et de l'obliger à assouplir ses positions qui vont à l'encontre des droits fondamentaux de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous appelons le Conseil de sécurité des Nations Unis à prendre des sanctions efficaces contre l'Etat israélien et l'amener ainsi à faire cesser ses violences envers le peuple palestinien. La communauté internationale ne peut pas tolérer, au XXIe siècle, la présence dans ses rangs d'un pays qui occupe encore militairement la terre d'un autre peuple et fait usage d'une telle violence. Si l'on tolère des compromis sur les droits fondamentaux de l'homme, c'est toute l'humanité qui en souffrira.
NB : Ce texte ne représente pas la position officielle des Eglises de Terre Sainte, mais celle du bureau de Coordination JPIC Jérusalem des Pères Blancs.
P. Stéphane Joulain (M.Afr.) - Ste Anne's Church - PO BOX 19079 - 91190 JERUSALEM
Phone : +972 2 628 1992 - Mobile : +972 50 624 966 - E-mail : sjoulain@steanne.org
 
2. Point de  presse conjoint du ministre des Affaires étrangères de la République française, Hubert Védrine et de Nabil Chaath, ministre de la Coopération Internationale de l'Autorité Palestinienne
Paris, le 2 octobre 2000 - Je viens de recevoir Nabil Chaath qui est venu en urgence à Paris, comme dans d'autres capitales européennes, après les tragiques événements des derniers jours. J'ai eu l'occasion de déclarer, déjà, que je condamnais sans réserve la provocation effectuée, à mon sens de façon délibérée, par Monsieur Sharon pour des raisons de politique intérieure, ce qui est encore plus grave. J'ai dit également que je déplore profondément les conséquences de cette provocation, c'est à dire les troubles et les morts qui en sont résultés et l'extrême tension.
Malheureusement ce n'est sans doute pas un hasard si ces provocations ont eu lieu à un moment décisif des discussions pour le processus de paix. Donc je redis aux Palestiniens, par l'intermédiaire de Nabil Chaath, présent ici, que nous partageons leur émotion et leur tristesse. Nous comprenons qu'ils aient demandé que la lumière soit faite par une enquête appropriée. Le président Clinton a d'ailleurs déjà fait des propositions pour une enquête qui permettrait d'y voir clair sur ces événements. Nous espérons que toutes les parties répondront favorablement à cette proposition d'enquête et si l'Europe peut apporter une contribution utile, et qu'elle est acceptée par tout le monde, elle participera volontiers car cela peut aider à rétablir le climat. De même, nous comprenons que les Palestiniens demandent d'urgence des mesures pour que les forces de sécurité, quelles qu'elles soient, ne soient plus au contact des populations dans des conditions qui ne peuvent que faire renaître des incidents graves.
Je comprends également que les autorités palestiniennes sont prêtes à faire ce qu'elles peuvent  et à exercer leurs responsabilités pour abaisser cette tension, quelle que soit l'extrême douleur des populations. Donc au bout du compte, ce qui me parait très urgent, c'est de rétablir les conditions de la discussion pour la paix, dont je pense, malgré les souffrances, malgré l'indignation, les inquiétudes des uns et des autres, qu'elle doit reprendre à tout prix. C'est difficile, le temps presse, cela devient plus dur que jamais, et malgré tout, c'est plus nécessaire que jamais, comme on vient de le voir.

3. Communiqué de Résister "Les dirigeants israéelins sont des crimininels"
A l'heure où nous écrivons, selon le bilan officiel,  plus de 50 palestiniens et arabes israéliens ont été tués et plusieurs centaines blessés par l'armée israélienne dans les territoires occupés,les territoires autonomes de Palestine et même dans certaines villes d¹Israel . Contre les pierres des manifestants le gouvernement israélien a permis l¹utilisation de tout l'arsenal militaire, y compris les roquettes et les hélicoptères lance-missiles.
Il s¹agit d¹un véritable crime contre l¹humanité qui dure depuis 1948 et reste impuni. Au contraire, la "communauté internationale" si prompte à intervenir militairement en d'autres occasions, ose appeler les Palestiniens à la retenue au lieu de condamner la répression israélienne et d¹arrêter le bras des criminels.
Les Etats Unis soutiennent ouvertement les agresseurs qui ne pourraient agir sans leur accord et  l'Europe se contente de renvoyer dos à dos Palestiniens et Israéliens.
Contrairement à ce que dit Jospin, il ne s'agit pas, seulement, d¹une provocation d¹Ariel Sharon, mais d¹une agression délibérée du gouvernement israélien. C'est pourquoi nous exigeons de notre gouvernement qu'il la condamne sans ambages, qu'il entreprenne une action énergique auprès de l¹Europe et de l'ONU et s'engage à reconnaître l¹indépendance palestinienne dès que celle-ci aura été proclamée par l'Autorité palestinienne.
Le Mouvement "Résister!" déclare que nulle paix sera possible : 
-tant qu'Israel ne reconnaîtra pas le droit à l'Indépendance palestinienne dans le cadre des frontières de 1967 ; 
-tant que n'aura pas été reconnu le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens et une juste indemnisation pour les préjudices subis ;
- tant que tous les prisonniers politiques palestiniens n'auront pas été libérés;
- tant que la capitale de l¹Etat palestinien ne pourra pas s'installer à Jérusalem-Est.
"Résister!" appelle toutes celles et tous ceux qui n'acceptent pas que l'on écrase un peuple et que l'injustice triomphe à exprimer leur désaccord et leur solidarité avec le peuple palestinien et à participer à toute manifestation qui serait organisée dans les prochains jours.
Mouvement Résister - BP 100 - 13673 Aubagne Cedex - Tél/Fax : 04 42 03 88 88 - E-mail : resister@free.fr
 
4. Communiqué du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient
Le Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient exprime son émotion devant les coups portés une fois de plus à la population palestinienne à Jérusalem, à Gaza, et en Cisjordanie. Il appelle l'attention sur le fait qu'au-delà de la responsabilité de leur déclenchement, qui incombe à l'évidence à Ariel Sharon, déjà connu pour son rôle dans les massacres de Sabra et Chatila, ces incidents sanglants mettent en lumière qu'on a affaire à une occupation militaire.
La communauté internationale ne peut faire comme s'il n'y avait pas un occupant et un occupé, le premier, en l'occurence la police et les forces armées israéliennes, n'hésitant pas à ouvrir le feu sur des civiles, et menaçant de faire intervenir chars et hélicoptères de combat. Elle ne peut pas sans hypocrisie mettre les deux sur le même pied. Elle ne doit pas hésiter plus longtemps à imposer l'application aux territoires occupés en 1967 des Conventions de Genève et des résolutions des Nations unies, notamment la 242 qui interdit l'acquisition de territoires par la force. L'instauration d'un Etat palestinien exerçant sa pleine souveraineté sur Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza est la condition inéluctable d'une paix durable dans la région.
José Paoli, ancien Ambassadeur, Président du CVPR
Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient - BP 8 - 92292 Châtenay-Malabry Cedex - Fax : 01 39 60 59 73
 
Le soulèvement solidaire des palestiniens de nationalité israélienne à Oum El-Fahm, Nazareth, Jaffa... nous amène à vous présenter une excellente enquête publiée début septembre dans "Al Watan Al Arabi" et traduite de l'arabe par Marcel Charbonnier, que nous remercions encore.
5. Des Palestiniens réfugiés dans leur propre pays par Barhum Jarayisi in Al Watan Al Arabi du vendredi 8 septembre 2000
Une association juridique défend le droit au retour de 250 000 réfugiés dans les territoires de 1948
Chaque jour, Amin Muhammad Ali (Abu Arab) sort sur la terrasse de sa maison en étage, à l'entrée-nord de la ville de Nazareth, pour boire son café matinal. La vue porte à deux kilomètres ; il fait un tour d'horizon et contemple la forteresse du village arabe de Saffuriyyéh, détruit par les Israéliens en 1949, moins d'un an après la défaite (Nakba) et après plusieurs départs successifs de ses habitants, pour l'exil.
Voilà cinquante-deux ans qu'Abu Arab attend de pouvoir retourner dans son village natal, qu'il a dû abandonner précipitamment alors qu'il avait treize ans. C'était précisément le quinze du mois de Ramadan de l'année 1948, dans les premières heures de la rupture du jeûne. Ce soir-là, peu après l'appel du muezzin à la prière, l'aviation israélienne a bombardé le village. Les habitants, terrorisés, ont fuit, craignant le pire pour les enfants, les femmes et les vieillards. Ils ont fuit en laissant tout sur place : les tables bien garnies pour la fête, avec leurs plats encore fumants : ils n'ont pas pu avaler une bouchée ni boire une gorgée d'eau, après une longue journée de jeûne : c'était au printemps.
Ce sont là les premières lettres, le tout début de l'un des multiples aspects de la défaite pour une partie du peuple palestinien, ceux qui ont été arrachés à leurs villages, mais qui ont pu échapper à l'épreuve de la relégation et de l'éloignement hors des limites de leur pays. Ceux-là sont restés, un peu comme des gardiens des frontières de leurs villages, réfugiés dans des villages et villes arabes voisins... des réfugiés dans leur propre pays, qui attendent toujours de retourner chez eux.
Monsieur Amin Muhammad Ali est le président de l'Association de défense des droits des expulsés. Après des années de lutte, constitués durant sept ans en commission populaire, des expulsés de 1948 ont réussi à créer par décision de la Cour Suprême (israélienne) une association dûment reconnue, qui défend leurs droits et revendique leur retour dans leurs  villages.
Abu Arab relate pour nous ce combat : le village de Saffuriyyéh était un des plus importants et des plus riches des environs de Nazareth, il comptait en 1948 environ 8 000 habitants, propriétaires de 130 000 dounoms de terres, dont 2 000 dounoms de vergers. Le village possédait deux écoles (une pour les garçons et une pour les filles). Les habitants vivaient de l'agriculture, en vendant leurs productions aux agglomérations avoisinantes.
Racontant la nuit de l'agression, Abu Arab ajoute : "ce soir-là, peu après l'appel à la prière du soir, alors que tous les habitants étaient chez eux, attablés autour du repas de rupture du jeûne, l'aviation sioniste a effectué un raid sur le village. Les habitants, terrorisés, sont sortis de chez eux et se sont enfuis pour se mettre à l'abri dans les vergers et les terrains avoisinants. Le premier réflexe de survie des adultes a été de protéger les enfants. Nous avons commencé notre fuite, l'agression sur nos talons, et nous avons abouti au village libanais de Bint Jubaïl : la Croix-Rouge nous y attendait avec des couvertures, comme si tout avait été préparé à l'avance. Ensuite, nous avons été transférés par autobus à Beyrouth. Après quelque temps, nouveau départ pour Kam al-Qar'un, dans la plaine libanaise de la Beqaa. Nous y sommes restés dix mois, et c'est là que ma soeur est morte de méningite.
Abu Arab poursuit : nous avons pu, par la suite, revenir clandestinement, mais seulement jusqu'au village voisin du nôtre : Al-Raynéh. A Saffuriyyéh, il n'était resté, en tout et pour tout, que 800 habitants. Après quelques mois, ce nombre s'est élevé à 1 500 personnes (avec le retour de réfugiés) auxquelles les autorités israéliennes ont délivré des cartes d'identité portant "Saffuriyyéh" comme domicile. Au cours de l'été 1949, l'armée a réuni un jour ces habitants dans les cours des fermes et leur ont donné l'ordre de quitter le village dans les quarante-huit heures. Certains ont obtempéré. Les réfractaires ont été chargés de force sur des camions et emmenés dans les localités voisines. Deux mille personnes originaires de Saffuriyyéh vivent dans les faubourgs de Nazareth. Depuis lors, les quartiers nord de la ville s'appellent "le quartier des Safafira" (habitants de Saffuriyyéh). Quant à la commune arabe de Saffuriyyéh, elle a disparu sous dix implantations juives construites depuis lors, (dix, pour l'instant...)
Abu Arab préside la commission des originaires de Asfuriyyéh, qui a été créée depuis quelques années. Il a transformé une grande pièce, au premier étage de sa maison, en une sorte de musée, exposant des outils, des récipients et des vêtements traditionnels, des meubles, provenant du village et donnés par les familles. Il y a également, dans cette pièce, une liste des noms des vergers et des propriétaires de terres, ainsi que ceux des personnes ayant effectué le pèlerinage à la Mecque ou possédant des chevaux... Abu Arab indique qu'il s'agit là du noyau d'un futur musée de Asfuriyyéh, que les habitants ont bien l'intention de mettre sur pied.
Ce sont cinq cent trente et un villages et hameaux qui ont été détruits en 1948. Et des récits semblables à celui de Abu Arab pourraient être faits par tous les réfugiés.
L'avocat Wakim Wakim est l'un des dirigeants éminents de l'association. Il est originaire du village, détruit, d'Al-Baççah, et vit actuellement au village de Ma'laya, frontalier du Liban. Il nous dit : "il y a, selon les estimations, environ 250 000 réfugiés de l'intérieur. Ces estimations résultent d'études passées, qui ont établi qu'environ 25% des Arabes israéliens sont des réfugiés dans leur propre pays. Notre association envisage de préparer un recensement complet afin d'obtenir un chiffrage exact. A propos de l'association, Wakim ajoute : "au cours des années passées, plusieurs commissions locales ont été créées, représentant chacune un village détruit. Mais ces commissions sont restées en nombre limité et, après la signature des accords d'Oslo, en 1993, nous avons réalisé que l'OLP faisait l'impasse sur notre cause. Afin d'éviter de tomber complètement dans l'oubli dans les négociations telles qu'engagées, nous avons pris l'initiative de créer la commission de défense des personnes déplacées, qui a obtenu un statut légal il y a deux mois de cela.
Maître Wakim nous précise quels en sont les objectifs : "l'un de nos principaux objectifs est de faire en sorte que notre cause reste bien au premier point dans l'ordre du jour de notre combat. Vient ensuite la nécessité d'éduquer les générations montantes et de les rendre conscientes de leurs origines, de maintenir la mémoire. L'association tient des assemblées générales et organise des conférences dans les lycées, participe à la célébration des dates importantes de l'histoire nationale et encourage des initiatives telles des visites de villages détruits, qui se font depuis plusieurs décennies, en particulier aux dates anniversaires de la Nakba (défaite de 1948), qui tombe le 15 mai, selon le calendrier international (mais nous les rappelons en dates hébraïques également, qui changent chaque année, afin d'attirer l'attention de l'opinion publique israélienne sur notre cause).
L'association lutte sur plusieurs plans. A côté du combat militant, nous avons une action juridique et également une action internationale. En effet, notre association a l'intention de s'adresser à la Cour européenne des droits de l'homme pour lui demander d'exercer une pression sur Israël à ce sujet. Nous préparons un mémorandum qui prendra en compte la situation de toutes les personnes déplacées pour l'exposer devant la Cour.
La bataille pour la conservation des lieux consacrés
Israël ne s'est pas contenté d'expulser, d'exiler des populations. Il s'est acharné à faire disparaître toute trace des villages qu'il détruisait, mais, dans quelques rares cas, on arrive à trouver un pan de mur, dans un village par-ci par-là. Mais certains lieux consacrés ont échappé à la destruction, tels des cimetières, des mosquées ou des églises. Au cours des décennies écoulées, les autorités israéliennes et des mouvements ou individualités racistes n'ont cessé de s'attaquer à ces lieux sacrés, transformant certaines églises ou certaines mosquées en pacages pour le bétail. Des tombes ont été profanées, toute trace en étant balayée. Au cours des deux années écoulées, plus de vingt lieux consacrés chrétiens ou musulmans ont été victimes d'agression. Mais à chaque fois, la population arabe israélienne s'est levée pour protester et défendre ces lieux de mémoire et, le cas échéant, les restaurer. Ces quelques monuments constituent en effet les rares témoins, dans la quotidienneté, du crime perpétré.
Ces jours derniers est en cours une action populaire pour reconstruire la mosquée du village de Sarafand que des extrémistes racistes ont détruite il y a environ un mois. Des pressions sont exercées sur le gouvernement Barak pour l'inciter à reconstruire cette mosquée, à la protéger et à l'entretenir, à l'avenir.
Uqruth et Bar'am
Uqruth et Bar'am sont deux villages du Nord de la Galilée, proches de la frontière libanaise. En 1948, après la proclamation de l'Etat d'Israël, le gouverneur militaire a demandé à la population de quitter ces deux villages pour une période - provisoire - de deux semaines, leur promettant qu'ils pourraient réintégrer leurs maisons passé ce délai. Mais ces deux semaines ne sont pas encore terminées (!), depuis cinquante-deux ans, à en croire le législateur israélien, malgré le fait qu'en vertu de la loi israélienne, la promesse d'un gouverneur militaire soit considérée comme une promesse de l'Etat, qui doit être honorée. En 1950, la Cour suprême israélienne a ordonné de laisser les habitants retourner dans leur village respectif, mais cette décision irrévocable a connu le même sort que la précédente. En 1977, le premier ministre du Likoud Menahem Beghin a reconnu la justesse de la cause des populations, mais cela n'a servi à rien.
En 1994, le gouvernement d'Itzhaq Rabin a créé une commission ministérielle chargée d'étudier le problème. Cette commission, au bout de deux ans, a pris une décision mi-figue mi-raisin, appelant à un retour très limité des habitants et leur accordant une parcelle de terre de peu de valeur : c'est que les municipalités juives et les kibboutz se sont approprié la plupart des terrains agricoles de ces deux villages. Les habitants ont rejeté cette décision, et ils ont continué à se battre y compris juridiquement, depuis cinquante deux ans. Aujourd'hui, une commission ministérielle suit cette question, elle est présidée par le ministre de la justice Yossi Bilin, mais elle ne cesse de temporiser, sans prendre de décision claire. Comme on dit en Israël : "si vous voulez enterrer un problème, créez une commission ad hoc" (!)
Le combat politique et parlementaire
Muhammad Baraka, membre de la Knesseth, député du Mouvement démocratique pour la paix et l'égalité, est d'une famille réfugiée du village de Asfuriyyéh. Il a déclaré à notre revue : "la cause des réfugiés dans leur propre pays n'a jamais cessé de faire partie de l'action que nous menons pour notre cause nationale. Ces gens vivent aux portes des villages et des terres dont ils ont été chassés. Ils faut qu'ils puissent y retourner. Leurs villages et leurs terres sont tout à fait à même de les absorber et de leur permettre de vivre, malgré les colonies construites par les sionistes. Le problème du retour est le problème fondamental, et il faut lui consacrer un combat spécifique. Le simple fait que les autorités refusent de mettre en application la décision du tribunal israélien concernant les deux villages de Uqruth et de Bar'am, et cela depuis cinquante ans, est significatif de la dureté du combat à mener.
En ce qui concerne le travail parlementaire relatif à ce problème, le député Baraka déclare : "notre travail parlementaire, en la matière, et dans la période présente, se limite à contenir les dangers qui ne cessent de menacer les lieux consacrés dans ces territoires, qu'il s'agisse de mosquées, d'églises ou de cimetières. Nous affirmons que les circonstances présentes imposent le maintien de notre vigilance et de notre combativité, en notre qualité de témoins vivants des conséquences de la Nakba (défaite).
Commentant l'opinion selon laquelle l'OLP aurait ignoré leur cause à Oslo, le député Baraka indique qu'"il peut comprendre ces commentaires, d'autant qu'ils émanent de nos concitoyens réfugiés, le problème des réfugiés étant exclu des négociations d'Oslo, qui fixent un cadre à des objectifs intérimaires. De mon point de vue, aucune direction palestinienne, passée ou présente - ni à venir, d'ailleurs - ne saurait renoncer au droit au retour, ou n'aurait la légitimité pour ce faire. Il faut aussi tenir compte du fait que le combat palestinien ne s'est pas déroulé dans des conditions idéales, dans des conditions telles que la seule chose que tu aies à faire, c'est de graver tes slogans et de t'en aller. Une grande partie des mots d'ordre du mouvement national palestinien lui ont été dictés par des développements et des circonstances qui ne lui étaient en rien favorables, du fait tant des crimes commis par le mouvement sioniste que des complots dont le peuple palestinien a été la victime. Ainsi, le peuple palestinien a connu trois phases d'exil successives et il doit lutter pour se tenir debout et trouver un point d'ancrage. Dans ce contexte, je pense que la direction palestinienne a dû adopter des positions lui permettant de contrer ces complots. Ainsi, il est compréhensible que les prémisses de la lutte nationale palestinienne aient consisté à retrouver un point d'appui en Palestine ; c'est cela qui est au coeur-même de la participation à Madrid et Oslo.
Vision d'avenir
Revenons à Abu Arab. Il nous parle de sa vision de l'avenir. Nous le trouvons relativement optimiste, puisqu'il nous dit que "malgré ses réserves sur le processus d'Oslo", il pense que "plusieurs refus israéliens ont été brisés. En effet, par le passé, Israël refusait de reconnaître l'existence du peuple palestinien, alors qu'aujourd'hui, Israël négocie avec le président Yasser Arafat. Après un retrait partiel de territoires occupés, Israël semble prêt aujourd'hui à négocier le statut de Jérusalem et, malgré mes doutes, encore une fois, ceci suscite en nous l'espoir de voir réalisé notre rêve national. Nous ne voulons pas chasser les Juifs établis sur notre terre. Ce que nous voulons, c'est retourner chez nous, sur nos terres, dans nos villages et, si possible, y vivre en harmonie avec eux".
[Al Watan Al Arabi ("La Patrie arabe") - Hebdomadaire libanais tiré à 108.000 exemplaires, il a été fondé en 1976 à Paris.]
 

 
Revue de presse
 
1. Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 11h22
Leïla Shahid : Arafat pose des conditions au cessez-le-feu

PARIS - A la veille de la rencontre Arafat-Barak à Paris, Leïla Shahid a estimé mardi que les deux hommes n'avaient pas d'autre ''alternative'' que de ''revenir à la table'' des négociations: elle a souhaité voir ''l'Union européenne accompagner les Américains et les Nations unies'' à ces entretiens, qualifiés ''d'excellente occasion'' pour reprendre les pourparlers de paix.
La ''protection de la population civile palestinienne'' constitue la première condition aux discussions posée par Yasser Arafat, a affirmé sur Europe-1 Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, car ''on ne peut négocier pendant que nos civils meurent''.
Pour que le cessez-le-feu signé dans la nuit de lundi à mardi soit respecté, le président de l'Autorité palestinienne a demandé ''le retrait immédiat de l'armée israélienne des zones autonomes palestiniennes'' (la zone A) et de l'Esplanade des Mosquées à Jérusalem, a expliqué Leïla Shahid.
Dernière exigence d'Arafat, la constitution d'une ''commission d'enquête'' internationale sur les violences des cinq derniers jours, qui ont provoqué la mort de 56 personnes.
Interrogée sur la possession d'armes par des civils palestiniens, Leïla Shahid a expliqué que les Palestiniens étaient ''une population en résistance, un territoire occupé depuis 32 ans'', qui avait le droit d'exprimer son indignation.
 
2. Le Monde du mardi 3 octobre 2000 
L'enfant emblématique de la Palestine par Georges Marion
JÉRUSALEM, de notre correspondant Il s'appelait Mohamad El Dirah, n'avait que douze ans, et, telle Kim Phuc, cette fillette vietnamienne immortalisée par l'objectif d'un correspondant de guerre lorsqu'elle fuyait les bombardements de napalm qui venaient de la dévorer, il sera vraisemblablement, demain, l'enfant emblématique de la Palestine, celui dont la mort a soulevé d'indignation un pays, tout entier levé contre ce qu'un haut fonctionnaire de Ramallah appelle « l'assassinat d'un innocent, un crime de guerre ».
Filmée en direct par une équipe de France 2 dont les images ont fait le tour du monde, la mort bouleversante de Mohamad mettra dans l'embarras l'armée israélienne, accusée d'être à l'origine des coups de feu mortels. Interrogé, dimanche 1er octobre, un proche collaborateur militaire du ministre de la sécurité intérieure, Shlomo Ben Ami, affirmait que les autorités israéliennes étaient disposées à créer une commission d'enquête pour déterminer l'origine des tirs qui ont tué Mohamad, mais qu'il leur fallait pour cela l'improbable collaboration des Palestiniens.
Alors que ceux-ci affirmaient que les coups de feu mortels avaient été tirés par les Israéliens, ces derniers, qui avaient d'abord laissé entendre que la victime, prise entre deux feux, avait été touchée par un tir d'origine indéterminée, se sont finalement montrés plus catégoriques. Dimanche, le commandant de la région sud, où se trouve Netzarim, le général Yomtov Sami'a, a assuré qu'après étude de la séquence diffusée par les télévisions le tir mortel ne pouvait venir que des Palestiniens.
CAMERAMAN CHEVRONNÉ
Le visionnage de tout le film, qui indique clairement la disposition des protagonistes, comme le témoignage précis de Talal Abou Rahmeh, qui a tourné la scène, ne permettent pas d'en être convaincu. Cameraman chevronné de France 2, ayant « couvert », durant et depuis l'Intifada, des dizaines de manifestations violentes, Talal Abou Rahmeh se trouvait, samedi 30 septembre, en compagnie de son preneur de son, au carrefour de Netzarim, dans la bande de Gaza. L'endroit est le théâtre d'affrontements chroniques entre manifestants palestiniens et soldats israéliens déployés en nombre pour protéger Netzarim, enclave israélienne en territoire sous contrôle de l'Autorité palestinienne. Depuis le début des derniers incidents, vendredi, les heurts y ont été particulièrement sévères.
« Les jeunes lançaient des pierres, et les soldats israéliens répliquaient sporadiquement par des tirs, raconte Talal. Soudain, ça s'est mis à tirer de partout, Israéliens comme Palestiniens. J'ai juste eu le temps de plonger derrière une camionnette. C'est alors que j'ai vu en face de moi, de l'autre côté de la rue, un homme et un jeune garçon tapis derrière un bloc de béton [en réalité, il s'agissait d'une poubelle en fer]. Un cameraman de l'agence Reuters était avec eux. Au bout de quelques instants, ce dernier a réussi à s'enfuir, attirant sur le bloc de béton une grêle de balles. »
« UNE GRÊLE DE BALLES »
« L'homme et l'enfant sont restés bloqués derrière, plaqués l'un contre l'autre pour ne pas être touchés. L'enfant s'est mis à crier et à pleurer. Le père criait en direction des Israéliens, comme s'il leur demandait d'arrêter. Puis il a tenté de téléphoner avec son portable. Il y a eu d'autres coups de feu, des balles venues du côté israélien qui visaient délibérément le bloc de béton. Plusieurs hommes ont été touchés dans la rue. Un ambulancier du Croissant-Rouge palestinien, qui tentait d'arriver, a été touché à son tour, mort. Et puis il y a eu une rafale ; ça venait d'en haut, du côté israélien, on le voit bien dans le film. L'homme derrière le bloc et son fils ont été touchés. On ne pouvait rien faire. Au moindre mouvement, une grêle de balles s'abattait sur nous. Charles [Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem] n'arrêtait pas de m'appeler sur mon portable. Je filmais, mais j'ai cru que j'allais y passer à mon tour. Je lui ai demandé de prendre soin de mes enfants. La fusillade a duré 45 minutes. Quand elle s'est arrêtée, l'enfant était vraisemblablement déjà mort. »
La famille a plus tard expliqué que, quittant le camp de réfugiés d'El Braj, où les El Dirah résident, Jamal, le père, qui voulait acheter une voiture d'occasion, avait emmené son fils avec lui. Le carrefour, que l'on ne peut contourner, était alors plus ou moins calme. Lorsqu'ils sont revenus dans l'après-midi, tentant de retraverser l'inévitable carrefour pour regagner le camp, leur taxi a été pris dans les tirs, les forçant à se réfugier derrière le bloc fatal où Mohamad est mort.
Les médecins de l'hôpital de Gaza où Mohamad et son père ont été ensuite transportés n'ont pas retrouvé de balles dans leurs corps, traversés de part en part. Grièvement blessé mais survivant, le père de Mohamad est aujourd'hui hospitalisé. Son fils a été enterré dimanche, porté telle une bannière ensanglantée par des milliers de manifestants.
 
3. Le Monde du mardi 3 octobre 2000 
Oum el Fahm, localité arabe d'Israël et principal bastion des islamistes, s'est embrasée
par Catherine Dupeyron
OUM EL FAHM, correspondance
Ici, comme dans les territoires occupés, tout a commencé par quelques jets de pierre sur les gardes-frontières israéliens postés à l'entrée de la ville, qui ont répliqué par des tirs à balles théoriquement caoutchoutées et des gaz lacrymogènes. Dimanche 1er octobre, les deux camps se sont affrontés de midi jusqu'aux environs de 18 heures. D'après le dernier bilan, un Arabe israélien, âgé de 23 ans, est mort, vraisemblablement tué par balle réelle, un autre déclaré cliniquement mort et une soixantaine ont été blessés, dont deux dans un état grave.
Ici comme là  la « Ligne verte » de la Cisjordanie n'est qu'à une dizaine de kilomètres les événements étaient prévisibles. Samedi, le comité de suivi pour les citoyens arabes israéliens avait appelé à une grève générale dans toutes les villes arabes, principalement au nord du pays, afin de protester contre la visite d'Ariel Sharon, le chef du parti de droite Likoud, jeudi, sur le Mont du Temple  l'esplanade des Mosquées pour les musulmans  et « dénoncer le massacre » des Palestiniens. Sans surprise, c'est à Oum el Fahm, une agglomération musulmane de 40 000 habitants, que les affrontements ont été les plus durs  la ville comptant 40 % des 150 blessés dénombrés parmi les Arabes israéliens pour la seule journée de dimanche. Une nouvelle grève générale a été décrétée pour lundi, pour permettre la participation du plus grand nombre aux funérailles de Mohamad Jabrin, ce qui laissait augurer de nouveaux affrontements.
A près de 65 kilomètres au nord-est de Tel Aviv, Oum el Fahm, principal bastion du mouvement islamiste, est depuis quelques années un lieu de tensions régulières entre la population et les forces de l'ordre israéliennes. Il y a deux ans, presque jour pour jour, de violents affrontements avaient fait six cents blessés.
C'est également dans cette ville aux vingt mosquées que se tient désormais, chaque année, le Festival El Aksa (du nom de la grande mosquée de Jérusalem), destiné à collecter des fonds pour la rénovation de l'édifice, qui fait face au Dôme du Rocher. Le dernier, qui a eu lieu le 15 septembre, avait réuni près de 35 000 personnes, une mobilisation exceptionnelle liée au fait que trois jours plus tôt, la police avait arrêté une quarantaine d'Arabes israéliens pour trafic d'armes notamment  la plupart étant d'Oum el Fahm  et recommandé une enquête judiciaire contre le député arabe Mohamad Barakeï pour incitation à la violence.
Dimanche, ils étaient moins de 5 000 à participer aux manifestations, et quelques centaines à en découdre avec les gardes-frontières israéliens. Il est vrai que plusieurs barrages de la police empêchaient l'accès à la ville. Seuls les habitants des villages voisins pouvaient arriver sur les lieux en empruntant une route secondaire.
La grève générale a été en revanche remarquablement observée. Les volets en fer des magasins sont restés fermés toute la journée. Pas une échoppe, pas un café n'était ouvert. Pas un passant. Seul un cortège de voitures quasi-ininterrompu se faufilait à travers les ruelles entrelacées pour rejoindre le lieu de la manifestation, à la sortie principale de la localité, fermée par les gardes-frontières. Sur la chaussée, des feux brûlaient tous les vingt mètres, afin d'empêcher l'assaut des forces de l'ordre.
Entre deux foyers, quelques dizaines d'émeutiers, la pierre au poing, partaient régulièrement à l'assaut des gardes-frontières postés en surplomb, qui simultanément devaient repousser les attaques, sur leur flanc gauche, de quelques autres dizaines de manifestants cachés au milieu des pins. En face, des hommes accoudés à une longue rambarde ou agglutinés aux fenêtres de maisons en construction, observaient le flux et le reflux de leurs proches. Régulièrement, quelques-uns quittaient le front pour devenir spectateurs, et vice versa. Tous évoquaient la visite de Sharon, perçue comme une « provocation » par certains, comme un « acte de guerre » par d'autres. Pour tous, Sharon est LE responsable de la guerre du Liban, en 1982.
« Pour moi, la mosquée El Aksa c'est plus important que tout, c'est plus important que mes enfants. Je suis prêt à faire la guerre pour la garder. » Beaucoup, comme Sami, se disaient prêts à se battre pour défendre ce haut lieu de l'islam. Chaque vendredi, à 5 h 45, des bus emmènent 200 à 300 personnes prier à Jérusalem, à deux heures de route d'ici.
 
4. Le Monde du mardi 3 octobre 2000
Interview de Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France "Ehoud Barak pense-t-il pouvoir négocier tout en se livrant à un massacre de civils ?"
propos recueillis par Mouna Naïm
- Comment les choses en sont-elles arrivées là ? - Je voudrais d'abord dire mon indignation : si les 36 morts et les plus de 1 000 blessés avaient été Israéliens, le monde ne serait pas resté silencieux comme il l'est aujourd'hui. Nous sommes au quatrième jour du massacre perpétré par une armée régulière, face à des civils palestiniens qui manifestent leur colère après la provocation volontaire, arbitraire et non justifiée d'Ariel Sharon [le chef du parti de droite Likoud], connu pour sa participation aux massacres de Sabra et Chatila [en 1982 au Liban], qui est allé [jeudi 28 septembre] narguer les Palestiniens en pleine esplanade des Mosquées, à la sortie de la prière. Que M. Sharon veuille lancer sa campagne électorale en jouant sur les sentiments religieux juifs le jour du nouvel an juif, au risque d'embraser la situation, n'est pas surprenant étant donné son itinéraire ; mais que le premier ministre israélien mobilise plusieurs dizaines de soldats armés de mitraillettes et de lance-grenades pour accompagner M. Sharon est incompréhensible.
» Après l'occupation de Jérusalem-Est en 1967, le général Moshe Dayan [l'ancien ministre israélien de la défense] lui-même avait interdit l'accès de l'esplanade des Mosquées à tout citoyen israélien, pour la simple raison que Moshe Dayan savait que toute tentative de provoquer les musulmans sur ce lieu saint ne pouvait que se terminer par une guerre de religions. C'est pour cela que le même Moshe Dayan a confié au Waqf, c'est-à-dire l'institution qui gère les biens de mainmorte musulmans, la gestion de ce haut lieu saint, le troisième de l'islam. Que cherchait donc M. Barak en envoyant mille soldats armés sur l'esplanade des Mosquées ?
- Comment expliquer l'enchaînement consécutif de la violence ? - Le lendemain, il y a eu de nouveaux accrochages à la sortie de la prière du vendredi, en réaction à la provocation de la veille. Même s'il y a eu des pierres lancées sur les fidèles qui priaient au Mur des lamentations, pourquoi l'armée israélienne stationnée sur le Mur et sur l'esplanade a-t-elle utilisé des balles réelles ? Elle pouvait, comme elle en a l'habitude depuis trente-trois ans qu'elle occupe Jérusalem-Est, utiliser des gaz lacrymogènes et des moyens anti-émeutes.
» Samedi et dimanche, il y a eu des manifestations dans toutes les régions de Palestine pour protester contre le massacre qui a eu lieu sur l'esplanade la veille. Qui a donné les ordres à l'armée israélienne d'affronter ces manifestants avec des balles réelles, puis par des tirs de roquette à Gaza et de chars et d'hélicoptères à Naplouse ? Que cherche M. Barak [le premier ministre israélien] ? A négocier le statut de Jérusalem ? Pense-t-il vraiment qu'il peut, au moment où il veut négocier avec Yasser Arafat un accord final, se livrer à un massacre de civils palestiniens ?
» On ne peut pas dire que c'est une bavure. Une bavure peut avoir lieu dans un cas, pas pendant quatre jours. Depuis trente-deux ans, Israël fait de la répression anti-émeutes et anti-manifestations. Comment cela se transforme-t-il en massacre d'enfants et de jeunes lanceurs de pierres ?
- Comment les choses peuvent-elles évoluer maintenant ? - Comment peut-on attendre de Yasser Arafat qu'il continue à négocier avec le gouvernement de M. Barak, lorsque celui-ci donne des ordres pour massacrer les citoyens palestiniens ? Ce n'est pas possible. Je pense que le processus de paix est bien mal en point. Aussi longtemps que les Israéliens n'auront pas donné l'ordre à l'armée de cesser les tirs et de se retirer de l'esplanade des Mosquées et des alentours des villes, et qu'ils n'auront pas mené une enquête sur les responsabilités de ces massacres, il n'y aura pas de négociation.
» Mais l'armée israélienne ne bouge pas sans ordre de la direction politique. Qui a donné l'ordre à l'armée de faire face aux manifestants en tirant à balles réelles ? Bien sûr, tout a commencé avec la provocation de M. Sharon, mais Sharon ne peut pas mobiliser l'armée seul. Il y a des décisions prises au plus haut niveau de l'Etat concernant la manière dont l'armée et les garde-frontières doivent faire face à la population palestinienne. Qui a décidé qu'il fallait réprimer par la guerre et par les tirs à balles réelles ?
- Que pensez-vous de la réaction de l'Union européenne ? - Elle est totalement inacceptable parce qu'elle renvoie dos-à-dos la violence de manifestants qui lancent des pierres, et celle d'une armée régulière qui obéit aux ordres du premier ministre. Autant la violence des manifestants qui expriment leur colère face à la provocation de Sharon est compréhensible, puisqu'elle a eu pour conséquence la mort de sept personnes [vendredi] à la sortie d'une mosquée sur le territoire palestinien, autant la violence meutrière de l'armée israélienne est injustifiée. Un Etat, s'il est digne de ce nom, a d'autres moyens de réprimer des manifestants que les munitions réelles. »
 
5. Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h59
Mme Albright rencontrera MM. Barak et Arafat mercredi à Paris

PARIS - La secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright a annoncé lundi soir qu'elle rencontrerait Ehoud Barak et Yasser Arafat mercredi à Paris pour ''trouver un moyen de mettre un terme à la violence, et rétablir le calme'' en Israël et dans les territoires palestiniens.
Mme Albright précise dans un communiqué que cette initiative a été prise par le président Bill Clinton du fait de ''la grave escalade de la violence'' au Proche-Orient. Elle ajoute que le Premier ministre israélien et le président de l'Autorité palestinienne ont tous deux donné leur accord et que la France a accepté d'accueillir cette rencontre.
De leur côté, les autorités françaises ''se réjouissent d'apporter leur contribution à la reprise urgente et nécessaire du dialogue qu'elles appelaient de leur voeux'', a indiqué le ministère français des Affaires étrangères.
La chef de la diplomatie américaine rappelle qu'une réunion des responsables de la sécurité israéliens et palestiniens aura lieu ''dès que les conditions le permettront'' sous l'égide des Etats-Unis, avec pour objectif ''d'empêcher que ne se reproduisent les événements de ces derniers jours''.
''Israéliens et Palestiniens ont coopéré par le passé pour parvenir à des accords historiques et à une coopération effective sur le terrain. Ils doivent à nouveau trouver un moyen de faire cesser la psychologie de la confrontation au profit de la construction de la paix. C'est ce que nous tenteront d'obtenir lors de ces rencontres'', souligne Madeleine Algright, en visite à Paris pour préparer le sommet Etats-Unis-Union européenne de décembre à Washington. 
 
6. Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h40
Le Conseil de sécurité de l'ONU convoque une réunion d'urgence sur la situation au Proche-Orient
NATIONS UNIES - A la demande des Palestiniens, qui accusent Israël de ''massacrer des civils'', le Conseil de sécurité des Nations unies a convoqué lundi une réunion d'urgence sur la situation au Proche-Orient, qui s'est ouverte à 18h, heure de New York (22h GMT).
Dans un courrier au Conseil, la mission d'observation palestinienne auprès de l'ONU avait demandé une réunion immédiate des 15 membres pour examiner la situation et ''prendre les mesures nécessaires'' pour rétablir la paix et la sécurité.
La partie palestinienne a exigé, par la voix de son observateur Nasser Al-Kidwa, le retrait des forces israéliennes du principal lieu saint musulman de Jérusalem et des alentours d'autres villes palestiniennes, ainsi que la formation d'une commission d'enquête sur les événements de ces derniers jours.
L'ambassadeur israélien Yehuda Lancry a pour sa part estimé qu'une action du Conseil de sécurité ne serait pas la bienvenue ''à ce moment difficile du processus de paix.''
''Nous encourageons donc nos partenaires palestiniens à mettre fin aux violences, à se dissocier de mesures diplomatiques infructueuses et de reprendre l'ultime série de négociations'', a ajouté l'ambassadeur israélien. 
 
7. Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 3 octobre 2000, 0h05
Violences dans les territoires palestiniens : l'UE appuie la formation d'une commission d'enquête internationale

PARIS - L'Union européenne ''appuie la formation d'une commission internationale chargée d'établir objectivement les faits sur les événements de ces derniers jours'' dans les territoires palestiniens et se dit prête à ''apporter sa contribution'', a annoncé lundi la présidence française de l'UE dans un communiqué.
Au cinquième jour des affrontements sanglants entre Israéliens et Palestiniens, l'UE estime que ''le recours disproportionné à la force ne peut qu'aggraver encore la situation, alourdir un bilan déjà particulièrement meurtrier et éloigner la perspective de paix à un moment où celle-ci paraissait se concrétiser à brève échéance.''
Les Quinze restent convaincus que ''seule une solution négociée est de nature à satisfaire les aspirations des peuples israéliens et palestiniens à la paix et à la sécurité.''
 
8. L'Humanité du lundi 2 octobre 2000
Pour les frères de Rami
par Jean-Emmanuel Ducoin
Affectueusement, on le surnommait Rami. Il avait douze ans. Des yeux noirs terrorisés. Et des lèvres entrouvertes. Samedi, à Netzarim, dans la bande de Gaza, le gosse a vécu ses dernières minutes dans le chaos métallique d'une arme automatique. Devant lui, blotti derrière un infime muret, son père, Jamal Al Dura, a tenté de le protéger des tirs israéliens. Ces derniers, à l'autre bout de la rue, casqués, barricadés, blindés, n'ont rien voulu entendre, rien voulu voir. Un instant, le père s'est levé, prudemment, agitant une vague main, hurlant des mots dérisoires, montrant aux soldats aveugles que son fils était en danger. Un enfant. Puis il s'est rabaissé. Puis la fusillade, encore et encore. Puis des impacts de balles (réelles) sur le mur, à cinquante centimètres, vingt centimètres. Et puis la rafale de la haine. Cinglante. Mortelle. Rami n'a pas survécu, sa silhouette s'est couchée vers l'avant, brutalement, sans vie. Son père, lui, survivra sans doute à ses graves blessures ; il aurait bien échangé sa place. Saloperie.
Les images diffusées par France 2 n'ont pas seulement révulsé les Français, non, elles ont provoqué dans certains foyers des pleurs et des vomissements. Ils tuent.
L'embrasement auquel nous assistons - impuissants - entre Israéliens et Palestiniens depuis trois jours, est le plus grave depuis très longtemps et laisse présager le pire pour le processus de paix, qui n'avait vraiment pas besoin de ça. Au moins trente Palestiniens massacrés, dont des enfants, et plus de six cents blessés. Hier encore, malgré un cessez-le-feu, les affrontements se sont poursuivis. L'escalade. Toujours l'escalade.
C'est l'action d'Ariel Sharon, le chef du Likoud, lorsqu'il s'est rendu sur l'esplanade des Mosquées, qui a mis le feu aux poudres. Sharon cherchait la provocation, il n'a pas hésité. Cet homme est fou : il refuse toute idée d'une paix dans la région, il nie le droit à un Etat palestinien et, plus cynique que jamais, c'est aussi pour des raisons internes à son parti qu'il a agi de la sorte. En effet, son acte était aussi un défi à son grand rival, l'ancien premier ministre Benyamin Netanyahu, qui s'apprête à faire sa rentrée politique après avoir échappé de justesse à une affaire d'usage abusif de l'argent public. Celui-ci portait déjà une responsabilité majeure dans l'enlisement des négociations. Son " adversaire " Sharon, capable d'un sombre calcul politicien d'où suintent, dans ce purin-là, le néant et la bassesse, nous rappelle qu'il fut ministre de la Défense lors de l'invasion israélienne du Liban en 1982, qu'il a couvert le massacre par les Libanais d'un millier de femmes, d'enfants, de vieillards palestiniens dans les camps tristement célèbres de Sabra et Chatila. Nous n'avons rien de bon à attendre de lui, sinon de nouveaux bains de sang. Le Likoud et toute la droite israélienne, fidèle à elle-même, usent d'une politique de terre brûlée en espérant des élections anticipées. Perspective pour eux : le remplacement du premier ministre en place, Ehud Barak, qui a perdu une bonne part de son crédit depuis qu'il a été élu et qui, ce week-end, a prêté la main à l'extrémisme en accusant lui aussi les Palestiniens. Bien que sa marge de manouvre fût étroite depuis des mois, Barak n'a pas tenu ses engagements et à aucun moment il n'a permis, sauf au Sud-Liban, la résolution équitable des dossiers qui enveniment les rapports d'Israël avec ses voisins. Ainsi, la confiance placée en lui s'est peu à peu estompée, laissant ressurgir, malgré les efforts de Yasser Arafat, le spectre du retour à la tragédie qui, durant un demi-siècle, a ensanglanté toute la région et labouré les consciences bien au-delà des peuples concernés. Pourtant, il n'était pas besoin de nouvelles violences pour savoir que la question de Jérusalem (avec le problème des réfugiés) demeure celle qui bloque le plus le dialogue israélo-palestinien. Fallait-il des morts de plus ? Fallait-il transformer une querelle politique sur Jérusalem en conflit religieux, autrement dit le pire des chemins ?
Reste que tous les acteurs du Proche-Orient - y compris les extrémistes - ne peuvent plus ignorer l'évidence : il ne pourra y avoir de paix durable sans la création d'un véritable Etat palestinien digne de ce nom, avec Jérusalem-Est comme capitale. Les événements du week-end témoignent de l'urgence d'un accord de paix.
Les frères de Rami, eux, sont las d'attendre.

9. Libération du mardi 3 octobre 2000
Union sacrée derrière Barak par Alexandra Schwartzbrod
La répression contre les Palestiniens et les Arabes d'Israël fait l'unanimité à droite comme à gauche.
Jérusalem de notre correspondante
Il est midi et quart à Tel-Aviv dans le bureau de Sylvain Shalom, député du Likoud (conservateur), futur rival d'Ariel Sharon et de Benjamin Netanyaou aux prochaines primaires du parti. Le téléphone sonne. L'homme échange quelques phrases puis raccroche, pensif. «C'était la Knesset. On me demande de reporter la présentation de ma proposition de dissolution du Parlement, que je devais faire demain devant la commission législative. La consigne est d'être tous unis derrière Barak face aux événements actuels...» Isolé il y a une semaine encore comme rarement un Premier ministre israélien l'a jamais été, Ehud Barak est aujourd'hui soutenu par la majeure partie de la classe politique et de la population. Oublié celui qui était prêt à offrir aux Palestiniens plus que ce que ces derniers ne s'étaient jamais vu proposés, les Israéliens ne voient plus que l'homme d'Etat déterminé à défendre ses soldats et son pays, à n'importe quel prix. Barak lui-même a tenté d'exonérer Sharon de sa responsabilité dans l'éruption des violences en déclarant hier: «Les causes de cette vague de violences sont plus complexes que la visite de Sharon [...]. L'Autorité palestinienne a une lourde responsabilité, et compromet la poursuite des négociations qui doivent mettre radicalement fin à de telles violences [...]. Notre principale tâche dans les prochains jours consistera à mettre fin aux effusions de sang.»
Péril intérieur. En gros, comme le soutiennent de nombreux experts israéliens, «si l'armée frappe si fort, c'est pour le bien des Palestiniens, pour stopper des mouvements qui pourraient dégénérer en massacre». Ce message est martelé par l'armée, qui a lancé une vaste opération de communication ciblée visant à justifier son usage immodéré de la force. «Les premiers qui ont tiré, ce sont les Palestiniens, expliquait hier un officier de l'IDF (Israel Defense Forces). Chaque fois qu'il y a eu fusillade, les tirs venaient de l'autre côté, nous n'avons aucun intérêt à l'escalade. Les violences ont été engendrées de façon unifiée par les Palestiniens, qui ont lâché de leur cage comme des fauves les Tanzim [organisation paramilitaire dépendant du Fatah, le mouvement de Yasser Arafat ndlr].»
Contre les députés arabes. Cette unanimité derrière Barak et son armée a été renforcée par l'éruption de violence intervenue dans la communauté arabo-israélienne, au cSur même d'Israël. La population y est habituée à ce que des émeutes aient lieu en Cisjordanie et à Gaza, mais comme Barak l'a lui-même répété hier, «nous ne pouvons accepter que des troubles entravent la vie quotidienne des Israéliens», faisant référence aux manifestations organisées par les Arabes israéliens en Israël ainsi qu'aux routes qui ont dû être bloquées pour l'occasion. «Nous ne deviendrons pas un nouveau Liban!», s'exclame Sylvain Shalom en faisant frémir son drapeau. «Les Arabes israéliens ont dépassé les bornes! On ne peut pas admettre qu'au sein d'Israël il y ait des gens qui se révoltent ainsi!...» Même la presse de gauche attaquait hier les députés arabes israéliens, censés avoir mis le feu aux poudres lors de la visite de Sharon à l'esplanade des Mosquées. «Même si l'on sait tous que la visite de Sharon n'était pas innocente, on doit admettre que cet acte de provocation n'était pas scandaleux. Une visite du mont du Temple par un juif devrait être considérée comme quelque chose de normal. [...] Le scandale vient de la réaction violente des leaders du public palestinien, et principalement des députés arabes», écrit le journaliste Uzi Benziman, connu pour ses opinions de gauche, dans un éditorial publié hier par le quotidien Ha'aretz. «Les Arabes israéliens sont en train de soulever une des grandes peurs des Israéliens: l'unité du sang. Ils sont en train de devenir plus palestiniens qu'israéliens. Ils sentent leur sang couler avec celui des Palestiniens», explique l'expert Menahem Klein.

10. Libération du mardi 3 octobre 2000
Arafat contraint de laisser faire la rue par Jean-Pierre Perrin
La nouvelle Intifada redonne une légitimité au leader palestinien.
Yasser Arafat et l'Autorité palestinienne contrôlent-ils encore l'éruption de violences qui a déferlé depuis vendredi dans les territoires de Cisjordanie et Gaza ainsi qu'à Jérusalem-Est? Oui, pour Ehud Barak, qui affirmait hier que la direction palestinienne porte «une lourde responsabilité» dans ces événements, et que «le comportement des policiers palestiniens est le résultat des directives de l'Autorité palestinienne». Oui et non, pour les analystes et les chercheurs, d'accord pour estimer que les «dirigeants palestiniens ont laissé faire la rue après la provocation d'Ariel Sharon à l'esplanade des Mosquées (jeudi dernier à Jérusalem)», mais plus partagés sur la question de savoir s'ils ont encore une maîtrise des événements en cours.
Sécurité débordée. «A 85% environ, l'Autorité palestinienne a perdu le contrôle de la situation. C'est palpable quand on circule dans les territoires palestiniens», souligne une source diplomatique occidentale à Jérusalem. «Au départ, les dirigeants palestiniens ont laissé faire, car ils ne pouvait pas ne pas réagir à l'affront qu'a constitué l'attitude de Sharon et de l'armée israélienne sur l'esplanade des Mosquées. Mais, à présent, nous sommes dans une situation de mini-intifada, où la rue a débordé les services de sécurité palestiniens. Ce qui a exacerbé la colère, c'est qu'il y a eu mort d'hommes et le fait que l'armée a fait feu à bout portant sur de jeunes lanceurs de pierres. Et puis, le petit garçon palestinien, tiré comme un lapin dans les bras de son père, a bien sûr accru le phénomène d'implication des Palestiniens. Sous quel prétexte un policier palestinien pourrait-il ensuite empêcher la colère de la foule?», ajoute-t-elle.
En revanche, pour Jean-François Legrain, chercheur au CNRS et spécialiste de la question palestinienne, «la rue n'est jamais totalement incontrôlable». «Yasser Arafat a laissé faire parce qu'il ne pouvait pas laisser passer la provocation de Sharon. Il ne pouvait pas se permettre de retenir la colère de la foule et d'apparaître comme un traître. C'est aussi l'occasion pour lui de se refaire une santé politique. Et, pour le moment, c'est encore dans son intérêt de laisser faire la foule. D'autant qu'il faut un exutoire à la violence», explique-t-il.
Derrière les affrontements, on remarque surtout les jeunes du Fatah, le parti d'Arafat. «Ceux-ci, critiqués naguère pour ne pas avoir assez contesté l'autorité de Yasser Arafat, peuvent aujourd'hui obtenir une double relégitimation vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de la population palestinienne», indique Jean-François Legrain. En revanche, les islamistes du Hamas, déjà en partie marginalisés par la répression tant israélienne que palestinienne, apparaissent en retrait sur le terrain. Dans leurs déclarations, ils ont néanmoins exhorté Yasser Arafat «à ne pas faire échec une nouvelle fois à l'intifada». Le porte-parole de ce mouvement, Ibrahim Ghosheh, a même demandé dimanche depuis Téhéran la démission du président de l'Autorité palestinienne: «S'il est sage, Yasser Arafat prendra conscience des réalités et démissionnera. Il doit le faire. Il doit permettre au peuple de se trouver de nouveaux dirigeants.»
Affaire du tunnel. Pour les spécialistes, l'affaire rappelle beaucoup celle du tunnel de Jérusalem, survenue en septembre 1996. Les affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens avaient fait alors 87 morts, dont 71 Palestiniens. Ils étaient intervenus à la suite du percement par Israël d'un nouvel accès dans un tunnel archéologique sous l'esplanade des Mosquées à Jérusalem. «Aujourd'hui, on est dans le même état d'esprit, comme chaque fois que cela implique l'islam», conclut le chercheur.

11. L'Orient-Le Jour du mardi 3 septembre 2000
"Les massacres, un prolongement du crime commis par Israël en 48" dit Lahoud - La classe politique libanaise se solidarise avec les Palestiniens
La classe politique libanaise est unanime à condamner la répression sanglante par l'armée et la police israéliennes des manifestations palestiniennes qui se poursuivent depuis vendredi dernier.
Le président de la République Émile Lahoud a vivement condamné «les massacres commis par Israël à l'encontre du peuple palestinien».
«Ces massacres ne sont que le prolongement du crime commis par Israël contre les Palestiniens en 1948», a-t-il ajouté.
M. Lahoud a assuré que «la paix juste et globale, basée sur le retrait israélien de tous les territoires arabes occupés et le retour des Palestiniens à leurs foyers, constitue la solution essentielle à tous les problèmes de la région, cette solution qu'Israël s'obstine à entraver».
Gemayel dénonce les « provocations » israéliennes
De son côté, le président Amine Gemayel a adressé un message au chef de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat dans lequel il dénonce «les provocations israéliennes, et plus spécialement les événements de l'Esplanade des mosquées».
L'ancien chef de l'État a présenté à M. Arafat ses condoléances «pour les martyrs palestiniens qui sont tombés pour la défense de leurs droits et de leur terre» et souhaité «la reprise des négociations en vue de parvenir à une paix juste entre les peuples palestinien et israélien».
Mise en garde de Berry
Le président de la Chambre Nabih Berry a condamné «l'intervention d'une armée régulière, équipée de blindés et d'avions, contre des cibles humaines désarmées, et qui fait suite à la profanation des lieux sacrés par le terroriste Ariel Sharon, avec l'accord du gouvernement israélien».
M. Berry a également invité «les Parlements arabes à mettre un terme, immédiatement, à leurs relations diplomatiques avec Israël» et estimé que «les nouveaux crimes commis par l'État hébreu ne visent qu'à vider Jérusalem de ses habitants arabes et à lui ôter son aspect arabe, chrétien et musulman pour la judaïser et imposer ses propres conditions de règlement de la crise».
Hoss pour un sommet
Le chef du gouvernement Sélim Hoss a lui aussi dénoncé le massacre et rendu un vibrant hommage 
 aux «sacrifices consentis par le peuple palestinien, qui finira par remporter la victoire sur ses bourreaux et leurs alliés». Il a estimé opportune la tenue d'un sommet arabe destiné à «exercer des pressions sur la communauté internationale pour faire cesser le massacre». Dans une déclaration faite hier, M. Hoss a affirmé que «les images diffusées par les médias de l'enfant palestinien mourant dans les bras de son père sont un message adressé à la conscience de la communauté internationale pour condamner les crimes prémédités commis par Israël en Palestine occupée». Après avoir rendu un vibrant hommage à la Résistance palestinienne, l'ancien député Abdel-Majid Raféï a affirmé que «si la visite de Sharon aux Lieux saints et son aspect provocateur ont déclenché la nouvelle intifada, cette dernière aurait eu lieu tôt ou tard car l'ennemi ne comprend que le langage de la force et de la confrontation». Il a lancé un appel à «la nation arabe, de l'Océan au Golfe, pour appuyer l'intifada et faire comprendre à l'ennemi qu'elle constitue la révolution de l'arabité en terre palestinienne».
L'Union parlementaire arabe condamne
L'Union parlementaire arabe, dans un message adressé au président de la Chambre Nabih Berry, a vivement condamné «le massacre sauvage des civils palestiniens à Jérusalem, Ramallah, Naplouse et Gaza».
L'Union a appelé tous les pays arabes à adopter une position unifiée et à «prendre les mesures dissuasives nécessaires pour mettre un terme aux attaques israéliennes contre l'islamité de Jérusalem». L'Union parlementaire arabe a également invité la communauté internationale à «exercer des pressions sur Israël pour arrêter les massacres, appliquer les résolutions 194, 242 et 338 du Conseil de sécurité et protéger les lieux sacrés à Jérusalem».
D'autre part, une centaine de manifestants ont sillonné hier les rues de Ras Beyrouth, scandant des slogans anti-israéliens et appelant les pays arabes à appuyer les Palestiniens.
Toujours sur le même plan, les partis et forces nationaux et islamiques ont appelé à deux manifestations d'appui au peuple palestinien. Les points de rassemblement des deux manifestations ont été respectivement fixés devant les Universités arabe et américaine de Beyrouth. Elles se dérouleront aujourd'hui mardi, à 14h30. 
 
12. L'Orient-Le Jour du mardi 3 octobre 2000
Cinquième jour d'affrontements sanglants - Les combats gagnent les villes arabes d'Israël
Les combats entre Israël et les Palestiniens se sont intensifiés lundi, les Israéliens utilisant pour la première fois des hélicoptères d'assaut pour attaquer des cibles à Gaza, alors qu'en Israël même les affrontements entre manifestants arabes et la police s'aggravaient.
Les combats, qui prennent de plus en plus l'allure d'un carnage, ont fait 15 nouvelles victimes lundi, parmi lesquelles sept Arabes israéliens, cinq Palestiniens, un militaire israélien et un juif abattu à bout portant près d'un village palestinien de Cisjordanie.
Le bilan de cinq jours d'émeutes s'établissait à 50 morts, dont 49 Palestiniens ou Arabes israéliens.
Pour l'heure, ni les appels à la raison du pape Jean-Paul II et du secrétaire général de l'Onu Kofi Annan, ni les efforts du président Bill Clinton, qui a parlé au téléphone avec le Premier ministre israélien Ehud Barak et le dirigeant palestinien Yasser Arafat, ne laissent entrevoir une fin rapide des combats.
M. Arafat a reçu lundi le soutien de plusieurs pays arabes, après que l'Égypte et la Syrie eurent appelé à la tenue d'urgence d'un sommet arabe, un appel auquel le Liban et la Jordanie ont immédiatement répondu favorablement.
M. Barak, qui a effectué une brève visite dans des garnisons de la bande de Gaza et de Cisjordanie, a réitéré qu'il restait prêt à reprendre les négociations de paix avec les Palestiniens, mais les a avertis qu'ils n'obtiendraient aucune concession de sa part en ayant recours à la violence.
Israël accuse les Palestiniens d'avoir «orchestré» cette flambée de violence à des fins politiques.
«Nous nous trouvons actuellement à un stade très délicat du processus de paix. Ceux qui pensent que la violence est un outil efficace dans les négociations ont tort», a affirmé le gouvernement israélien dans un communiqué.
Le chef d'état-major adjoint des forces armées israéliennes, le général Moshe Yaalon, a assuré que l'Autorité palestinienne avait «les moyens de faire cesser la violence», mais qu'elle refusait de le faire.
L'attaque des deux immeubles de Gaza par des hélicoptères équipés de missiles a fait plusieurs dizaines de blessés, selon les témoins, bien que les bâtiments aient été vides.
Le général Yaalon a justifié cette première en assurant que les deux bâtiments étaient utilisés par des policiers palestiniens et des membres des Tanzim (le noyau dur du Fateh, la principale composante de l'OLP) pour tirer sur la colonie juive de Netzarim et les militaires israéliens qui la gardent.
Victoire symbolique
Mais à Gaza, on assurait de source palestinienne qu'il s'agissait d'immeubles d'habitations dont les résidents avaient été évacués par la police samedi parce qu'ils étaient trop exposés.
Les témoins ont rapporté qu'un poste militaire et deux véhicules avaient également été touchés.
Les accrochages ont continué autour de Netzarim, après que des Palestiniens eurent de nouveau attaqué cette colonie à coups de pierres et que les soldats eurent ouvert le feu, tuant un manifestant.
Un membre des forces de sécurité palestiniennes est mort dans la fusillade qui a suivi.
Les Palestiniens ont remporté une victoire symbolique lorsque des adolescents sont parvenus à retirer le drapeau israélien qui flottait au-dessus de la position israélienne, une scène que la télévision palestinienne a diffusée à de multiples reprises.
Tout aussi graves pour le gouvernement de M. Barak, de nouveaux affrontements très durs ont eu lieu lundi, pour la deuxième journée consécutive, en Galilée (nord d'Israël), entre policiers et membres de la minorité arabe israélienne, qui observait une 
 grève de solidarité avec les Palestiniens. Cinq Arabes israéliens sont tombés sous les balles de la police, alors que deux autres, blessés lors des affrontements de la veille, qui avaient fait un mort, sont décédés des suites de leurs blessures.
Les citoyens arabes d'Israël, qui sont un million sur une population totale de 6,3 millions, sont les descendants des Palestiniens restés sur les terres du futur État hébreu en 1948.
Leur militantisme croissant représente, aux yeux de nombreux Israéliens, le risque de voir s'ouvrir une sorte de front intérieur dans le combat contre les Palestiniens.
Les combats ont aussi gagné la ville de Jéricho, dans la vallée du Jourdain, jusque-là épargnée, où deux Palestiniens, dont un membre des services de sécurité palestiniens, ont été tués.
Des fusillades ont aussi eu lieu à Beit Sahour, près de Bethléem, où un Israélien  un soldat ou un garde-frontière  était dans un état critique.
L'Israélien tué ce lundi était apparemment allé au village palestinien de Bidia pour y faire réparer sa voiture, une pratique courante chez les Israéliens, en raison de la différence de prix entre Israël et les territoires.
51 morts en cinq jours d'émeutes
Les violents affrontements entre forces israéliennes et manifestants palestiniens et Arabes israéliens ont fait lundi 15 nouvelles victimes en Israël et dans les territoires.
Ce nouveau bilan porte à 51 le nombre de morts enregistrés depuis le début de la vague de violences, vendredi, parmi lesquels figurent 40 Palestiniens, 9 Arabes israéliens, un juif israélien.
Les affrontements ont gagné les régions d'Israël habitées par la minorité arabe, qui avaient jusqu'à présent échappé aux violences, et 5 Arabes israéliens ont été tués lors de manifestations réprimées par la police.
 Imam Ghanem, 25 ans, et Walid Abed Abou Saleh, 22 ans, tués à Sakhnine (nord d'Israël).
 Un jeune, dont l'identité n'a pas été fournie, à Oum el-Fahem (Nord)  Iyad Soubhi Loubani, 20 ans, à Nazareth (Nord)  Alaa Khaled Mansour, 18 ans, à Araba, dans le nord d'Israël, lors d'un raid d'hélicoptères israéliens. Par ailleurs, deux Arabes israéliens blessés dimanche par la police lors de violents affrontements en Galilée (nord d'Israël) sont décédés lundi des suites de leurs blessures : Ahmed Ibrahim Jabarin, 20 ans, et Rami Hatim Gharah, 21 ans.
Le premier manifestant arabe israélien, dont l'identité n'a pas été fournie, avait été tué dimanche par la police israélienne près d'Oum el-Fahem.
Par ailleurs, six Palestiniens sont décédés lundi, ce qui porte à 40 le nombre de Palestiniens tués depuis le début des troubles vendredi.
Wael Tayssir Kattaoui, 15 ans, touché à l'Sil à Naplouse (Cisjordanie).
 Un membre des forces de sécurité palestiniennes, Hatim an-Najar, 20 ans, tué près d'une colonie juive à proximité de Jéricho, en Cisjordanie.
 Ibrahim Samir Barahmah, 27 ans, résidant en Jordanie, tué à Jéricho.
 Imad Ghazi Nabila, 22 ans, et Salah Abou Keïnas, 24 ans, tués à Netzarim, près d'une colonie juive au nord de la bande de Gaza.
 Mohammed Hussein ad-Dakhil, 26 ans, de Naplouse, touché à la tête, a été déclaré cliniquement mort.
De leur côté, les Israéliens déplorent deux morts depuis dimanche.
 Un juif israélien de 24 ans, Zeshlavsky Vitzeslav, tué lundi matin près du village palestinien de Bidia, dans le nord de la Cisjordanie.
 Le garde-frontières Medhat Youssef, un druze israélien de 19 ans, tué dimanche à Naplouse.
 
13. L'Humanité du lundi 2 septembre 2000
Tamar Gojanski : "Un conflit religieux serait mortel"
entretien réalisé par Michel Muller
Tamar Gojanski, députée à la Knesset et dirigeante communiste israélienne, répond aux questions de l'Humanité.
- Comment analysez-vous la chaîne des événements qui ont conduit à cette explosion de violence ?
Tamar Gojanski. Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui il faut revenir sur l'échec du sommet de Camp David. Les espoirs d'un accord - même s'il ne s'agissait pas d'un accord final - qu'avait soulevés cette rencontre n'ont pas été concrétisés. Il était devenu très clair qu'il n'y avait aucun accord, notamment sur des questions cruciales comme celles des colonies juives, de Jérusalem, des réfugiés ou encore des frontière du futur Etat palestinien. Pire, il était devenu clair que M. Barak n'allait pas tenir les engagements déjà pris par Israël. Lors des négociations de Wye Plantation aux Etats-Unis (en octobre 1998, NDLR), l'ex-premier ministre de droite, Benjamin Netanyahu s'était engagé à procéder à un troisième retrait intérimaire des troupes israéliennes de Palestine occupée. Ce redéploiement devait accorder aux Palestiniens tous les territoires occupés à l'exception des camps militaires et des colonies. Aujourd'hui, les Palestiniens devraient avoir sous leur contrôle 90 % de la Cisjordanie, au lieu des 25 % qu'ils contrôlent actuellement. Sachant que Bill Clinton va bientôt quitter la Maison-Blanche, qu'Ehud Barak n'a, en fait, pas de majorité gouvernementale ni parlementaire, sachant que le temps de Yasser Arafat est limité, et que tout ceci repose sur un grand désespoir de la population palestinienne, on peut comprendre pourquoi que la visite provocatrice de Sharon sur l'esplanade des Mosquées a mis le feu à quelque chose qui était déjà prêt à une grande explosion. D'une certaine manière, Ehud Barak et le leadership d'Israël ne croient pas que les Palestiniens sont au bout du rouleau. Or, il est impossible qu'ils puissent continuer à vivre dans cette situation : ils ne peuvent pas se déplacer d'un endroit à un autre, ils ne peuvent pas construire leur propre économie, édifier leur Etat.
La volonté de placer toutes les tensions dans l'affrontement autour les lieux religieux de Jérusalem se traduit par la transformation de l'ensemble du conflit en un conflit religieux. Pour nous, les communistes israéliens et pour tous les partisans de la paix ceci est très dangereux. Il ne s'agit pas d'un conflit religieux, c'est un conflit national, mettant en question l'identité des Palestiniens et leurs droits nationaux. Si le conflit était religieux, il n'y aurait pas d'issue, car ce serait alors " eux ou nous ". En revanche, si le conflit est placé sur le terrain politique, il est certain que l'on puisse trouver une solution. Cela fait bientôt cinquante ans que nous affirmons que celle-ci est fondée sur le principe de deux capitales dans une même ville.
- Lorsque Ehud Barak affirme qu'il " n'abandonnera jamais le mont du Temple ", ne participe-t-il pas à cette logique irrationnelle ?
Tamar Gojanski. Bien sûr. En déclarant qu'il se battait pour " les lieux saints de la nation " - lui qui n'est pas du tout religieux - en insistant sur ses " lignes rouges " à Camp David, où il tentait d'imposer aux Palestiniens un accord excluant la question de Jérusalem et notamment celle de la Vieille Ville, Ehud Barak montre qu'il est incapable de lire une carte. Ce faisant il prête la main au jeu de Sharon.
- Que devraient faire les Européens ?
Tamar Gojanski. La majorité des dirigeants de la planète, y compris ceux de l'Europe, était largement en faveur d'Ehud Barak. Après Netanyahu, c'était normal. Mais aujourd'hui les Européens devraient dire à Ehud Barak qu'il est en train de perdre une opportunité historique de faire la paix. Ils devraient écouter avec plus d'attention ce que dit Yasser Arafat et être plus attentifs aux besoins des Palestiniens. Les derniers jours montrent qu'il y a un risque réel d'un conflit sanglant : des gens sont en train de mourir. Ce qui s'est passé ces derniers jours - et tout particulièrement l'image de ce père avec son enfant abattu sous ses yeux que nous avons vue sur nos écrans de télévision - montre clairement que les Palestiniens continuent à être des victimes et qui Israël combat... Où sont les voix européennes ? Nous savons, par les sondages, que la majorité des Israéliens soutient la paix avec les Palestiniens, un Etat palestinien, et l'idée d'une capitale palestinienne à Jérusalem. Aussi n'est-il pas besoin d'être un dirigeant très courageux. Il suffit d'être réaliste et convaincu de la paix.
 
14. L'Humanité du lundi 2 septembre 2000
Une longue liste de massacres
En six ans, 1 258 Palestiniens ont été tués par des militaires ou des colons israéliens, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources palestiniennes. La majorité des victimes, dont près du quart étaient âgés de moins de seize ans, ont été tuées lors de dispersions de manifestations.
Voici les principaux incidents sanglants au cours des dernières années :
- Le 16 avril 1988, flambée de violence dans les territoires occupés à l'annonce de l'assassinat à Tunis par un commando israélien du numéro deux de l'OLP, Abou Jihad : dix-neuf morts et une centaine de blessés.
- Le 8 octobre 1990, dix-huit Palestiniens sont tués et 150 blessés sur l'esplanade des Mosquées par des soldats israéliens qui tirent sur les fidèles, lors des affrontements les plus violents à Jérusalem-est depuis son occupation en 1967.
- Le 25 février 1994, 29 Palestiniens sont tués dans la mosquée d'Abraham, au tombeau des Patriarches, à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie occupée, par un colon israélien de l'implantation de Kyriat Arba. Baruch Goldstein mitraille à bout portant des fidèles musulmans en prière, avant d'être tué par une foule de manifestants palestiniens. Le massacre a lieu alors que les musulmans observaient le jeûne du Ramadan et que les juifs célébraient la fête de Pourim. Le caveau des Patriarches est vénéré par les juifs et les musulmans, qui prient dans des pièces différentes à l'intérieur du bâtiment.
- Du 25 au 27 septembre 1996, des affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens font 87 morts, dont 71 Palestiniens, dans les territoires palestiniens. Ils interviennent à la suite du percement par Israël d'un nouvel accès dans un tunnel archéologique sous l'esplanade des Mosquées, dans la Vieille Ville de Jérusalem. Les émeutes, sans précédent depuis les accords d'Oslo, embrasent tous les territoires palestiniens. Les troupes israéliennes ouvrent le feu à balles réelles sur des manifestants et des batailles rangées suivent avec les forces de sécurité palestiniennes.
 
15. Dépêche de l'agence Reuters du lundi 2 octobre 2000, 22h14
Le bilan des affrontements au Proche-Orient s'alourdit

JERUSALEM - Le bilan des affrontements entre Israéliens et Palestiniens ne cesse de s'alourdir alors que se multiplient les appels au calme pour mettre fin à cinq jours de violence dans les territoires occupés et le nord d'Israël.
Six Arabes israéliens, un juif israélien -le premier- et neuf Palestiniens ont été tués dans la journée, portant à 47, dont 36 Palestiniens, le nombre de morts depuis le début des affrontements, jeudi, un septième Arabe israélien blessé dimanche ayant succombé lundi à ses blessures.
Les blessés se chiffrent par milliers et des hélicoptères de l'armée jordanienne ont acheminé lundi une quinzaine d'entre eux vers des hôpitaux de Amman où des milliers de manifestants ont dénoncé lundi soir l'accord de paix israélo-jordanien de 1994 et réclamé l'expulsion de l'ambassadeur d'Israël.
La plupart des victimes ont été recensées dans la ville arabe israélienne d'Um al-Fahem, à Netzarim, dans la bande de Gaza, à Jéricho, Nazareth ou encore à Jenin, en Cisjordanie. Une fillette palestinienne de deux ans été abattue dimanche soir à Naplouse par des colons juifs.
Lors d'une visite des quartiers généraux de l'armée en Cisjordanie, le Premier ministre israélien Ehud Barak a appelé le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat à faire la paix. "Il est encore trop tôt pour faire l'éloge funèbre du processus de paix", a-t-il déclaré, laissant entendre que le processus n'était pas encore mort.
Barak a présidé dans la soirée une réunion de son conseil de sécurité et demandé aux Arabes d'Israël, qui constituent 20 pour cent de la population du pays, de mettre un terme à leur mouvement de protestation. "Aucun pays ne peut tolérer de telles scènes de violence et de désordre de la part de ses citoyens, aussi blessés puissent-ils se sentir", a-t-il dit.
"Je demande aux Arabes d'Israël et à leurs dirigeants de ne pas suivre les éléments les plus radicaux qui s'emploient à accentuer le désordre et à déchirer le tissus délicat de la coexistence au sein de l'Etat d'Israël", a ajouté Barak.
La communauté internationale s'est mobilisée pour faire baisser la tension, multipliant les appels au calme et invitant les parties à reprendre les discussions.
Les Etats-Unis et la France ont lancé un appel pressant à la reprise du dialogue mais Paris a fait entendre sa différence en rejetant clairement la responsabilité de la flambée de violence sur l'Israélien Ariel Sharon.
Le président Jacques Chirac et le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine ont tous deux parlé de "provocation" à propos de la visite le leader de la droite israélienne jeudi sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem, un lieu sacré pour les musulmans.
"On ne lutte pas contre l'émotion d'un peuple avec des blindés", a déclaré Chirac. "Il faut engager un processus où la raison retrouve toute sa place."
En visite à Paris, le ministre palestinien Nabil Chaath a demandé à l'Union européenne de fournir "une protection internationale" aux Palestiniens, y compris avec troupes et observateurs.
Sommet de la Ligue arabe ?
"Je lui ai dit que nous avions besoin d'une protection internationale et que, si nous voulions poursuivre le processus de paix, nous ne pouvions pas rester à la merci des autorités d'occupation israéliennes", a dit le ministre de la Planification et de la coopération internationale, après un entretien avec Hubert Védrine, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union.
Egalement en visite à Paris, la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright a affirmé que la priorité devait aller à "l'apaisement de la tension", jugeant dans l'immédiat inopportune la proposition du président égyptien Hosni Moubarak de convoquer d'urgence un sommet des pays de la Ligue arabe.
Cette proposition égyptienne a recueilli en revanche l'aval de la Syrie, ainsi que celui de Yasser Arafat et du roi Abdallah de Jordanie.
"Sa majesté le roi Abdallah et le président palestinien Yasser Arafat saluent (l'appel) à une convocation urgente d'un sommet arabe pour parler de la sécurité dans les territoires palestiniens", indique un communiqué publié à l'issue d'une rencontre de deux heures entre les deux hommes, à Amman.
A l'instar du pape Jean-Paul II, le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan a lancé un appel au calme, qualifiant de "préoccupante" la situation proche-orientale.
Comme ce dernier, Bill Clinton a pris contact avec Barak et Arafat pour les inviter à poursuivre malgré tout le processus de paix, mis en danger par ce bain de sang.
Mais le vice-ministre israélien de la Défense, Ephraïm Sneh, a exclu la tenue de pourparlers tant que les violences se poursuivraient dans les territoires. "Nous sommes prêts à poursuivre le processus de paix, mais pas dans le contexte actuel de violence", a-t-il dit sur CNN. "Cela doit s'arrêter sur le champ".
Les Etats du Golfe ont appelé la communauté internationale à tout faire pour "arrêter les massacres de Palestiniens par les Israéliens et à faire pression sur Israël pour faire cesser cette attaque."
Le Conseil de coopération du Golfe - qui réunit l'Arabie saoudite, le Koweït, Oman, le Bahrein, Qatar et les Emirats arabes unis - a publié un communiqué en ce sens.
Le président iranien Mohammad Khatami a estimé pour sa part que la seule issue au conflit est la suppression de l'Etat d'Israël. "On ne peut parvenir à une paix véritable qu'en mettant fin à l'occupation et en restituant leur patrie à tous les Palestiniens", a-t-il déclaré. 
 
16. Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 2 octobre 2000, 17h09
Les Arabes d'Israël : Israéliens de nationalité, Palestiniens de coeur

JERUSALEM - Les manifestations massives et violentes des Arabes israéliens en solidarité avec les Palestiniens, réprimées très durement par la police israélienne, ont creusé le fossé entre cette minorité et la majorité juive du pays.
Six Arabes israéliens ont été tués et plus de 200 blessés par les balles de policiers israéliens lors de ces affrontements, qui ont débuté dimanche en Galilée et ont repris de plus belle lundi, deuxième journée d'une grève générale en solidarité avec les Palestiniens.
Dans un communiqué publié après une réunion du cabinet consacrée à cette crise, le gouvernement israélien a imputé ces incidents à "des éléments radicaux" au sein de la minorité arabe, qu'il a appelé à "faire preuve de retenue".
"Nous sommes partie intégrante du peuple arabe palestinien et ne pouvons rester les bras croisés devant les morts d'enfants et autres horreurs qui se produisent dans les territoires occupés", a affirmé le député arabe Mohammed Kan'an dans une interview à la radio publique israélienne.
"Nos manifestations expriment aussi la frustration du million d'Arabes israéliens face à l'inégalité criante avec les Juifs", a ajouté ce député de la Liste arabe unifiée (cinq sièges à la Knesset).
Le gouvernement reconnaît implicitement cette discrimination. Il a ainsi annoncé dans son communiqué qu'une réunion extraordinaire du cabinet serait organisée, à une date non précisée, pour examiner "un programme annuel à long-terme pour venir en aide à la minorité arabe".
"Les émeutes des Arabes israéliens menacent l'existence même d'Israël", a répliqué à la radio un dirigeant du Likoud, la principale formation de l'opposition de droite, le député Silvan Shalom.
La droite accuse les Arabes israéliens d'ëtre une cinquième colonne en puissance et laisse entendre qu'ils pourraient subir le sort des Palestiniens forcés de prendre la route de l'exil durant la guerre israélo-arabe de 1948.
Au sein de la gauche, qui soutient le gouvernement d'Ehud Barak, des inquiétudes se font jour, alors que le plus grand journal israélien, le Yediot Aharonot, titrait lundi sur toute sa "une": "le feu s'étend aux Arabes d'Israël".
"Il n'y a pas de doute que la situation des Arabes est difficile, mais ils disposent de moyens démocratiques de s'exprimer et rien ne justifie une explosion de violence", a déclaré le chef du parti de gauche Meretz, l'ancien ministre de l'Education Yossi Sarid.
Les Arabes d'Israël, au nombre d'environ un million, sont citoyens israéliens, mais de coeur ils restent Palestiniens.
Plus de deux Arabes d'Israël sur trois (67%) se définissent comme Palestiniens, selon un sondage publié en mars, et deux tiers des personnes interrogées se déclaraient contre le "caractère sioniste" de l'Etat juif.
Lorsque la majorité juive célèbre chaque année la proclamation de l'Etat d'Israël, en mai 1948, une grande partie de la minorité arabe (18% de la population) commémore la "Nakba" (le "désastre") qu'a constitué pour les Palestiniens forcés à l'exode la création de cet Etat.
Les Arabes israéliens sont les descendants des 160.000 Palestiniens --sur un total de moins d'un million à l'époque-- restés sur leur terre en 1948, ce qui leur a longtemps valu d'être tenu en suspicion par les Arabes des pays voisins, en guerre avec Israël.
Depuis la fin de l'administration militaire, en 1966, ils sont intégrés dans le système démocratique d'Israël et en ont retiré des bénéfices indéniables, avec un niveau de vie près de dix fois supérieur à celui des Palestiniens des territoires occupés.
Mais les localités arabes reçoivent beaucoup moins de fonds publics pour leur développement que les localités juives et les permis de construire sont délivrés au compte-goutte.
Le point le plus sensible porte sur la confiscation de leurs terres, Israël ayant saisi la quasi-totalité des terres des Arabes israéliens pour y installer des immigrants juifs.
 
17. Le Soir (quotidien belge) du lundi 2 octobre 2000
Explosion générale dans les territoires occupés
par Serge Dumont
Trente-cinq Palestiniens tués : le bilan de l'embrasement populaire en Cisjordanie et à Gaza s'alourdit.
Trente-cinq morts palestiniens et plus de huit cents blessés : quatre jours après la visite provocatrice du chef de file de la droite israélienne Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées (le troisième lieu saint de l'islam construit sur le mont du Temple, à Jérusalem), le bilan du soulèvement palestinien de Cisjordanie et de Gaza s'est encore alourdi samedi et dimanche. Des incidents violents se sont en effet déroulés à l'entrée des principales villes palestiniennes de Cisjordanie, autour de Netzarim et du Gouch Katif (deux implantations juives de la bande de Gaza), ainsi que dans des quartiers arabes de Jérusalem.
Libérons Al Quds ! (la partie orientale de Jérusalem dont l'Autorité palestinienne veut faire sa capitale, NDLR), Par le sang, par le feu, nous te libérerons O Palestine ! et Allah akbar (Allah est grand) étaient les trois slogans les plus fréquemment utilisés par les lanceurs de pierres palestiniens.
Devant la gravité de la situation, les commentateurs militaires de la radio israélienne ne parlent plus d'« émeutes » ni même d'« intifada ». Ils évoquent plutôt une situation de guerre et ils supputent sur la probabilité de voir se déclencher un conflit majeur entre l'Etat hébreu et l'Autorité palestinienne (AP).
Dans la journée de samedi, les combats entre émeutiers palestiniens et soldats israéliens se sont intensifiés lorsque Tsahal (l'armée de l'Etat hébreu) a utilisé des « snipers » (tireurs d'élite) pour « neutraliser » les lanceurs de cocktails molotov.
Des policiers palestiniens ont alors riposté aux soldats israéliens (qui ouvraient souvent le feu de manière indistincte et à balles réelles sur tout ce qui bougeait) et la situation s'est embrasée. Hier soir, un soldat israélien sucombait à ses blessures par balles.
Selon le responsable palestinien Abou Ala, l'armée israélienne se serait livrée à une série d'assassinats prémédités sur des enfants. Quant à Yasser Arafat, il accuse les tireurs israéliens de viser la tête. Donc de tirer pour tuer. Ce que les haut gradés de Tsahal ne nient pas vraiment : C'est triste, mais nous devons répondre de la manière la plus efficace possible chaque fois que nous sommes attaqués, affirment-ils.
Dimanche, les émeutes se sont en tout cas poursuivies sur l'ensemble de Cisjordanie et de Gaza. Et de manière encore plus violente que samedi, puisque les policiers palestiniens sont entrés par dizaines (mais de manière inorganisée) dans la bataille. Depuis lors, on assiste en tout cas à de véritables scènes de guerre, comme c'est le cas depuis deux jours et deux nuits devant les implantations juives de Gaza, à l'entrée de Ramallah, ainsi qu'à Naplouse.
En revanche, la situation était beaucoup plus calme à Jérusalem. Mais ce calme relatif est trompeur, car les Arabes de Jérusalem ne protestent pas seulement contre la visite de Sharon au mont du Temple. Ils dénoncent aussi la confiscation, annoncée la semaine passée, de cent hectares de terre fertile appartenant à des agriculteurs palestiniens, pour y construire une autoroute entourant la ville et réservée aux Israéliens.
Fait nouveau : des milliers d'Arabes israéliens ont joint leurs efforts à ceux de leurs « frères de Palestine ». Samedi et dimanche, descendus des villes et villages de Galilée, certains d'entre eux ont attaqué au cri de « Mort aux Juifs » des véhicules de police ainsi que des autocars de pèlerins chrétiens. D'autres ont profité de la fête juive de Roch Hachana (Nouvel An), durant laquelle le pays tourne au ralenti, pour bloquer les carrefours routiers et couper la Galilée du reste d'Israël.
Ces affrontements entre Arabes israéliens et forces de l'ordre ont également revêtu un caractère extrêmement violent (un mort, quarante blessés). Si des jets de pierre ont eu lieu à Jaffa (banlieue sud de Tel-Aviv), c'est surtout dans la région d'Oum-el-Fahem et de Foureidis, deux des bastions du Mouvement islamique que les incidents les plus graves ont eu lieu. Plusieurs villages ont été saccagés et des commandos armés ont ouvert le feu en direction des policiers - mais sans atteindre leur cible.
S'exprimant samedi au micro de Radio Palestine, station officielle de l'Autorité palestinienne (AP) qui émet en continu depuis le début du soulèvement palestinien, le député arabe israélien Ahmed Tibi avait appelé la communauté arabe de l'Etat hébreu à poursuivre l'intifada. D'autres élus arabes interviewés ensuite par les média israéliens ont affirmé qu'ils trouvent légitime de défendre Al Aksa de toutes les manières. Quant au Comité suprême des Arabes d'Israël, il a proclamé une grève générale en mémoire des martyrs palestiniens. Une grève aussi fortement suivie que celle qu'à décrétée l'AP à Gaza, dans la partie arabe de Jérusalem et dans le reste de la Cisjordanie.
LA BASE VEUT EN DÉCOUDRE
Dans la soirée de samedi, Yasser Arafat et Ehoud Barak avaient convenu d'observer un cessez-le-feu. L'accord n'a pas tenu puisque les troubles se sont poursuivis durant la nuit. Hier, des généraux israéliens ont de nouveau rencontré des responsables du Service palestinien de sécurité préventive (SPSP) pour tenter de faire taire les armes. Sans résultat. Que se passera-t-il dans les jours à venir ? Impossible à prédire, car l'Autorité palestinienne semble dépassée par sa base, même si le ministre israélien des Affaires étrangères a accusé l'AP d'avoir orchestré les émeutes.
Quant aux Israéliens, ils se préparent au pire. L'état-major de Tsahal vient d'ailleurs d'autoriser ses soldats à utiliser des grenades et des mitrailleuses légères contre les Palestiniens. A Gaza, des missiles Taw ont également été tirés contre des émeutiers et en Cisjordanie, des chars Merkava commencent à encercler la bande de Gaza et d'autres blindés se rapprochent de Naplouse. En outre, l'ordre à été donné de préparer les hélicoptères Cobra qui avaient fait leurs preuves au sud-Liban. Pour l'heure, les pertes israéliennes sont peu nombreuses (trois blessés hier). Mais la suite des événements risque d'être beaucoup plus difficile.
 
18. Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 2 octobre 2000, 13h06
Bachar el-Assad et Hosni Moubarak réclament un sommet des pays arabes

LE CAIRE - Le président égyptien Hosni Moubarak et son nouvel homologue syrien Bachar el-Assad ont réclamé lundi la convocation d'un sommet des pays arabes pour se pencher sur l'actuelle déflagration de violence israélo-palestinienne.
Au cours d'une conférence de presse conjointe marquant la fin de la première visite officielle à l'étranger du nouveau maître de Damas depuis qu'il est président, Bachar el-Assad a déclaré que ''ce qui se passe à Jérusalem ces derniers jours a certainement des conséquences sur le 'volet syrien' (du processus de paix, NDLR) parce que nous ne pouvons séparer ce qui se passer à Jérusalem de ce qui se passe dans le Golan''.
Il s'est dit prêt à reprendre les négociations quand les Israéliens seront ''honnêtes dans leur volonté et leur intention''.
Sur la situation israélo-palestinienne, Hosni Moubarak a dit ne pas comprendre pourquoi le chef de la droite dure israélienne Ariel Sharon s'était rendu sur l'Esplanade des Mosquées, estimant que cette visite considérée comme une provocation voulait délibérement ''créer des problèmes de santé au processus de paix''.
''Ce qui s'est passé entre Israéliens et Palestiniens n'est pas normal'', a-t-il ajouté. 
 
19. Dépêche de l'agence Reuters du lundi 2 octobre 2000, 11h39
Chirac appelle à la retenue au Proche-Orient
PARIS - Le président Jacques Chirac a exhorté Israéliens et Palestiniens à la retenue et qualifié de "provocation irresponsable" la visite, jeudi, de l'ancien ministre israélien de la Défense, Arien Sharon, sur l'esplanade des mosquée, à Jérusalem-Est.
"On ne lutte pas contre l'émotion d'un peuple avec des blindés", a déclaré à la presse le chef de l'Etat français après un entretien d'une heure avec la secrétaire d'Etat américaine, Madeleine Albright, à l'Elysée. "Il faut engager un processus où la raison retrouve toute sa place".
"Nous sommes consternés et très préoccupés par cette flambée de violence", a-t-il ajouté.
Après le chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, Jacques Chirac à imputé la responsabilité de ces événements, qui ont fait au moins 30 morts, à l'attitude d'Ariel Sharon, dont la visite sur un des lieux les plus sacrés de l'Islam ne pouvait qu'apparaître comme une provocation.
Il a estimé qu'"à l'origine" de ces violences, il y avait eu "jeudi dernier, une provocation irresponsable sur le lieu saint de l'esplanade des mosquées et, à partir de là, un embrasement prévisible, des dizaines de morts, des centaines de blessés et la remise en cause d'un processus de paix qui était probablement engagé pour la première fois de façon presque irréversible, qui permettait tous les espoirs pour retrouver la paix et la dignité des hommes dans cette région, leur sécurité".
"Je souhaite que chacun comprenne qu'on ne lutte pas contre l'émotion des peuples avec des blindés et qu'il faut engager un processus où la raison retrouve toute sa place", a poursuivi le chef de l'Etat.
"La France et moi-même participerons avec tout notre coeur au retour à ce processus de paix, de dignité, de droits de l'homme, de respect des autres, qui doit finalement s'imposer dans cette région comme dans toutes les régions du monde", a-t-il conclu. 
 
20. Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 2 octobre 2000, 10h46
L'Iran entend prendre la tête du soutien à "la nouvelle Intifada"

TEHERAN - L'Iran, principal opposant au processus de paix, entend conduire le mouvement de soutien des pays musulmans à la nouvelle "Intifada" palestinienne et réitère avec force sa position en faveur de la libération "de toute la Palestine".
Tant les autorités que la presse iranienne sont mobilisées pour exprimer leur "total soutien" aux Palestiniens dans leur "combat sacré" insistant sur la défense de la mosquée al-Aqsa, troisième lieu saint de l'Islam.
Téhéran, qui préside actuellement l'Organisation de la Conférence islamique (OCI), veut "user à plein de son influence, qui demeure grande", a déclaré l'analyste Iradj Rachti.
Il estime en outre que les événements "prouvent le bien-fondé de la position permanente de Téhéran pour la libération de toute la Palestine, comme le fut son soutien au Hezbollah libanais" considéré comme le grand vainqueur lors du départ des troupes israéliennes du Liban sud le 24 mai, après 22 ans d'occupation.
"C'est l'occasion (pour Téhéran) de reprendre pied dans la région", ajoute M.Rachti.
Lundi, la presse iranienne accorde ses manchettes au soulèvement palestinien. "Le monde islamique uni peut réclamer al-Qods" (Jérusalem), titre dans son éditorial le réformateur Iran news.
"La colère et la violence ont monté rapidement quand Ariel Sharon, mieux connu comme le boucher de Sabra et Chatila (massacre de Palestiniens dans des camps au Liban en septembre 1982) a fait "une visite très malvenue" à la mosquée al-Aqsa, précise le journal.
"L'OCI a la grande responsabilité de faire échec aux crimes sionistes contre les Palestiniens opprimés et de mobiliser la communauté internationale", écrit le journal conservateur Tehran times.
Dimanche soir, le Guide de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, a appelé solennellement les pays musulmans à "prendre leurs responsabilités" et à "soutenir les Palestiniens".
Il a, dans le même temps, salué la mémoire des "martyrs" de ces quatre derniers jours et exalté "la jeunesse palestinienne qui a montré sa force et sa vigilance" lors des affrontements avec les forces israéliennes qui ont fait 36 morts, des Palestiniens et des arabes israéliens, et plus d'un millier de blessés.
"L'Intifada continue. Elle ne reculera devant rien, ni devant les menaces, ni devant les balles", a ajouté le Guide.
De son côté, le président Mohammad Khatami a adressé un "message" aux Palestiniens, dans lequel il "condamne les agressions du régime sioniste face à des gens sans défense".
"Le grand devoir islamique, c'est de protéger les Palestiniens", a ajouté M. Khatami.
L'Iran, qui ne reconnaît pas Israël, s'oppose au processus de paix, mais se défend de vouloir l'entraver. Il réclame l'instauration d'un Etat palestinien où cohabiteraient musulmans, juifs et chrétiens.
Dimanche soir, dans un entretien avec l'AFP, Ibrahim Gosheh, porte-parole du Hamas, a exhorté les Palestiniens à poursuivre leur lutte et demandé la démission du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat.
"S'il est sage, Yasser Arafat prendra conscience des réalités et démissionnera. Il doit le faire. Il doit permettre au peuple de se trouver de nouveaux dirigeants", a déclaré M. Ghosheh.
"Les Iraniens ont la position la plus juste de tout le monde islamique. Téhéran considère qu'il n'y aura pas de paix tant que la Palestine ne sera pas totalement libérée et que les cinq millions de réfugiés ne seront pas rentrés. C'est exactement notre position", a-t-il souligné.